Pour ce dernier jour, voici un film décalé à souhait, commis par un espagnol qui met en scène un anti-héros autant romantique que perturbé.
7:35 de la manana de Nacho Vilalongo (Espagne, 2003, 8′)
Synopsis : Un beau matin, dans le bar où elle a l’habitude de prendre chaque jour son petit déjeuner, une femme constate un fait étrange : les clients et les serveurs sont plongés dans un silence total, ils regardent par terre et ils ne touchent pas à leur petit-déjeuner.
Après trois années d’absence, le festival de cinéma documentaire Filmer à tout prix revient nous donner une bouffée d’air frais et c’est dire combien nous en avions besoin. Car il faut le proclamer, le festival Filmer à tout prix est tout simplement indispensable en Belgique. Moins parce qu’il est dédié au genre documentaire que parce qu’il nous montre du cinéma ayant à faire au réel – ce qui semble aujourd’hui tout à fait ignoré par la fiction. Durant une semaine, aux films actuels succèdent des rétrospectives, des rencontres et des débats qui, créant une réelle place pour voir et parler de cinéma, nous font regretter sa rareté. Nous gagnerons tellement à avoir une édition tous les ans, voir plus, tandis que d’autres festivals dits de fiction pure et dure gagneraient à être plus rares. Ne créons pas de confusions, le cinéma, c’est le réel.
BAGARRE AU FLAGEY
Na Verspera
Na Vesperade Lotte Knaepen est un film tendre et limpide. On s’en va au Portugal pendant quelques jours pour voir la relation entre une jeune mère célibataire et sa fille adolescente. Si le sujet du film semble beaucoup trop complexe pour être traité dans un court métrage, la beauté du film réside en ce qu’il est fait de morceaux d’un film plus long (qu’on verra peut-être un jour). D’ailleurs, un des plans les plus interpelants du festival fut celui où l’on voit la mère, son père et la fille déjeunant ensemble à table, au début du film ; la confusion qui se crée est telle qu’on ne peut dire tout de suite qui est la mère, qui est la fille. Eblouissant.
Little Sister
En revanche, Little sister, qui est aussi un film entre deux femmes, est le classique du film à bonnes intentions. Une femme décide de filmer sa sœur sourde et muette. Si le bref moment où elles s’échangent la caméra pour se faire des aveux est émouvant, on voit que la réalisatrice fait un film sur quelque chose dont elle ne veut finalement pas parler avec sa sœur. Sœur qui reste malheureusement enfermée dans le rôle qu’on lui assigne : celle de la fille particulière, pas comme les autres, etc. La preuve éclatante de ce refus de rencontre se voit à l’utilisation des sous-titres : tandis que les paroles de sa sœur sont difficiles à comprendre dans la vie, plutôt que de nous laisser avoir ce même rapport avec elle et l’entendre sans toujours la comprendre, la réalisatrice choisit de sous-titrer chacune de ses paroles, appuyant ainsi davantage sur son handicap.
Pourtant, dans le genre « film de famille » (genre passionnant), The Pedicure Trial est excellent. Méfiez-vous si on vous reproche de filmer vos pieds, Jessica Champeaux le fait aussi bien que Yoko Ono, voire mieux, parce que de façon plus drôle. En un même cadre, elle fait un gros plan de ses propres pieds ainsi qu’un plan large de ses deux protagonistes : sa mère et sa grand-mère, d’origine américaine toutes les deux. Le temps d’une pédicure (dont sa mère est spécialiste), Jessica parle avec sa famille et déclenche, volontairement ou non, peu importe, une dispute familiale. La mère reproche à la grand-mère d’avoir été absente, de ne pas lui avoir appris à cuisiner, de lui avoir donné de mauvais conseils. La dispute reste cordiale mais n’en est que plus tendue encore. Le film de Jessica Champeaux porte sur la transmission, la parenté et le cinéma, tout en étant extrêmement drôle. Dans un plan du film, Jessica filme le visage de sa grand-mère affectée par les reproches de sa fille. La cinéaste, douée d’un sens de l’ironie rare chez ses contemporains, dit, depuis derrière sa caméra : « I can see your face changing as you talk ».
Les cheveux coupés
Des Cheveux coupés d’Emmanuel Marre vous ne verrez pas plus que le titre. Ce jeune cinéaste qui nous a promis de beaux jours avec son Petit Chevalier fait preuve d’absence de sujet. Dans ce film, il n’y a que la note d’intention de film qui compte : pendant une demi-heure on voit se succéder des plans (on ne peut pas parler de montage) d’enfants se faisant couper les cheveux par un parent. Et il s’avère que ces enfants sont de couleurs différentes (l’Arabe, l’Africain, le Belge, etc.) et qu’ils habitent Bruxelles. Si l’intérêt du film repose sur les différentes habitudes de ces familles autour de la coupe des cheveux, il manque une articulation dans le propos ; car le fait est que la diversité n’est pas un sujet en soi.
Le barbier
Un autre qui se coupe les cheveux, c’est Le barbier, où Julie Decarpentries a beaucoup plus travaillé. Même si on l’entend chercher son sujet, quand elle pose ses questions aux personnages, on y voit un réel désir de rencontre. Le film montre des sans-abri de Montréal qui vont se faire couper les cheveux dans un centre d’assistance. De brèves rencontres où la parole est tout simplement donnée, le temps d’une coupe, à ceux qui dorment dans la rue à -30°C et qui vivent le pire. Du barbier, lui, on ne saura que peu de choses, ce qui est plutôt juste car sa bonté suffit dans ce film qui se passe de conception esthétique. Seul regret : un montage « zappeur » fait comme les standards télévisuels.
En Klaas Boelen, la Belgique a trouvé sa propre Leni Riefenstahl. Dans son travail de fin d’études au Rits, le réalisateur de Waidmannsheil : Heil aan de goede schutter fait, avec une photographie cinq étoiles, une ode à la domination de l’homme sur l’animal, à la passion pour les armes et, comme le dit son propre synopsis : à « l’animalité de l’homme ». Klaas Boelen aime la chasse, c’est clair comme le sang : travelling avant sur l’homme nettoyant son fusil, dolly descendant sur les têtes de cerfs accrochées aux murs, caméra à l’épaule suivant les hommes en forêt… et si vous n’êtes pas encore dedans, il y a même du suspens à savoir si on parviendra à tuer ou non l’animal. Amateurs de corne de chasse et de sang versé, vous aurez les larmes aux yeux. Il faudrait que Klaas Boelen regarde, plusieurs fois même, le film de Sara Vanagt, The Corridor, car elle fait justement le contraire : une ode à l’admiration de l’animal par l’homme. Ce très beau film qui commence dans le brouillard avec un poème de Chesterton et se termine par un regard face caméra d’un âne, montre une courte scène, très simple, très douce et violente d’un homme en fin de vie caressant une bête. Standards, de Maxime Pistorio et Julie Jaroszewski, continue dans le genre de chasse aux animaux. Sauf qu’ici, l’arme c’est la caméra de Maxime Pistorio et les animaux ce sont des riches Scandinaves vivant à Bruxelles. Engagés en tant que musiciens de jazz pour une soirée organisée par ces « monstres » au Château de la Hulpe, les réalisateurs en profitent pour faire un film moqueur et complaisant. Plutôt que de se risquer à une rencontre, à un dialogue, à n’importe quoi d’autre, les deux jeunes réalisateurs prennent l’image de ces riches en otage et se demandent, en coulisses, si « on peut aimer en se prostituant ». Sans demi-mesures, ceci est le film le plus obscène du festival. Car que peut-on tirer de Standards ? Que ces pauvres gens, ce sont des riches, et que les riches, c’est comme des animaux ? Vieux, bêtes et incultes ? Mais l’Homme dans tout cela… ? Hélas, l’héritage de Strip-tease est plus profond qu’on ne le croit.
Dames, poussières
Dame, poussières, est un dessin animé et une bande-son. On entend une femme (la réalisatrice) poser des questions à sa femme de ménage à propos d’une troisième femme, une Tchèque décédée, qui a vécu des tas de choses : des guerres, des voyages, des maladies, etc. Mais le film, dont la conversation sonore suffit très bien pour faire une émission radio, échoue dans un paradoxe étourdissant dû aux images animées d’une femme dont on parle sans jamais savoir pourquoi. Certes, l’histoire de cette inconnue est pleine d’aventures, certes, on y perçoit la vie sous le communisme mais, au final, tout ce qu’ont peut faire c’est de se demander : mais qui sont celles, vivantes, qui parlent mais qu’on ne voit pas ? 10minde Jorge Léon emploi le même dispositif mais ici avec plus de concret : la voix de Josse de Pauw lit un témoignage fait à la police par une jeune prostituée bulgare à propos du milieu de prostitution bruxellois. Si l’idée de faire un film à partir de la lecture de ce témoignage est bonne, les images que Jorge Léon emploie au montage prennent une logique trop systématique et disons même théorique : des lieux, des objets, des avions, jamais de présence humaine. Mais pourquoi pas. Détail : le film nous apprend que la proportion d’un billet de 50 euros est exactement celle du format vidéo 16/9. A réfléchir.
Laar, c’est les frères Lumière au Dakar, mais en vidéo-scope. Beau film composé d’une dizaine de mouvements de caméra (toujours de gauche à droite) montrant les différents terrains de foot improvisés ou moins improvisés à Keur Massar. La voix d’un des deux cinéastes décrit ce qu’il voit, non pas sur place, mais devant l’écran, nous rappelant par là que nous sommes bien au cinéma, devant une image et non pas devant le sable. Film qui revient à ce côté disons « diaporama » du cinéma : voir un film pour montrer où les gens habitent, ce qu’ils font après le travail, comment ils font pour jouer au foot. Par la fenêtre est fait comme un carnet de réflexions sur le temps qui passe. Si on est de bonne humeur, on pense à Renoir, qui dans les années trente, disait que « le cinéma, c’est une fenêtre ouverte sur le monde ». En cela, on pourrait faire l’éloge du court métrage de Julien Helgueta. Mais en voyant le film on est pris au milieu d’une contradiction qui rappelle une autre phrase de Renoir, plus tard, dans les années soixante : « quand le cinéma sera parvenu à la parfaite imitation d’un arbre, d’une forêt, plutôt que d’aller voir un film, les gens préfèreront aller voir la vraie nature. Ce sera ainsi la fin du cinéma. ». Dommage que Par la fenêtre ne se risque pas à quelque chose de plus approfondi ou de plus articulé, mais se contente seulement d’illustrer un propos de façon trop littérale.
ZAMBEAUX À TOUT PRIX
Prix des centres culturels,Recardo Muntean rostasle mérite fort bien. Le film montre une chose très difficile à voir au cinéma : l’enfance qui s’en va. En accompagnant pendant quelques jours la famille de Recardo, jeune garçon roumain de sept ans, Stan Zambeaux nous fait voir le rôle de traducteur qu’il doit prendre auprès de sa mère pour l’aider dans ses rendez-vous administratifs. Le petit Recardo lutte pour rester enfant dans cette vie qui l’oblige à devenir adulte beaucoup trop vite. D’une grande précision, le travail de Stan Zambeaux a su montrer cela, tout en maintenant une juste distance vis-à-vis de ses personnages et en se faisant oublier derrière la caméra. On pense à Nanouk, à Moi, un noir, à Où est la maison de mon ami ? En tout cas, nous n’oublierons pas Stan Zambeaux.
QUE LA JOIE DEMEURE
Anything Can Happen
Quant aux courts métrages diffusés dan le cadre de la prolongation du festival à la cinémathèque, on vous conseille quelques films à voir absolument, bien que certainement difficiles à trouver. Commencez par le très beau Anything Can Happendu Polonais Marcel Lozinski qui filme son fils de cinq ans se promenant au parc en interrogeant les octogénaires à propos de la vie, l’amour, la vieillesse, la pauvreté. Comme quoi les enfants, si on les laissait parler, ils sauveraient le monde. Day After Day de Irena Kamienska, dans la lignée du groupe Medvedkine, montre le quotidien de deux sœurs jumelles du prolétariat de la Pologne des années 80. L’amusant Rouli-roulant de Claude Jutra filme l’apparition nouvelle de l’ancêtre du « skate » au Canada et Eldora du Grec Gregory Markopoulos tourné en Ohio est un vrai poème de silence et de mouvement, petit-enfant du cinéma muet. Trois films de maîtres sont à voir également : Circoncision de Jean Rouch (qui ne recule devant rien) et Ignoti alla città et La canta delle marranede Cecilia Mangini (dont les textes sont de Pasolini) l’on voit que le cinéma documentaire, c’est des travellings, des répétitions et des marquages au sol.
Pour conclure, on ne peut que vous inciter à réserver déjà votre mois de Novembre 2013 pour la 15ème édition du festival Filmer à tout prix. En espérant que d’ici-là les courageux organisateurs n’auront pas trop de bâtons dans les roues.
Pour cet avant-dernier jour de la semaine la plus courte, voici deux histoires de femmes, empreintes de figures féminines ancrées dans le passé des personnages principaux qui renaissent grâce aux images et aux souvenirs…
La copie de Coralie de Nicolas Engel (France, 2008, 22′)
Synopsis: Monsieur Conforme, gérant du magasin de reprographie Copie Conforme, vit depuis trente ans dans le souvenir d’une femme disparue. Virginie, sa jeune assistante, décide de prendre les choses en main et affiche un avis de recherche sur les murs de la ville.
Irinka et Sandrinka de Sandrine Stoïanov (France, 2007, 16′)
Synopsis : Cinquante ans séparent Irène et Sandrine. L’une, issue de la noblesse russe, a vécu la chute du régime, l’absence d’un père exilé, l’accueil dans une famille d’adoption. L’autre a grandi en passant son temps à recomposer dans ses jeux d’enfant le monde d’une Russie de conte de fées.
Mentionné plusieurs fois dans notre dossier consacré à Marek Skrobecki, le studio d’animation Se-ma-for méritait bien un feuillet à part, d’autant plus que son président, Zbigniew Żmudzki, était aussi de passage à Paris au mois de décembre pour participer au Carrefour de l’animation. Venu introduire des films rares de grands maîtres du studio, il a assuré une démonstration technique post-séance, devant un public complice, intrigué par la taille, la matière et le rendu des marionnettes en silicone rapportées de Lodz, dont celle d’un policier sans tête issu d’un des derniers films maison, « Danny Boy ». Reportage en trois points.
Né en 1947 à Lodz, Se-ma-for faisait à l’origine partie prenante du studio Film Polski. Y ont été conçus bon nombre de films pour enfants et adultes, dont le tout premier film d’animation polonais en marionnettes d’un pionnier et maître de genre, Stanislas Starewitch, “Walka żuków” (“The Battle of Beatles), mais aussi pas mal de films de réalisateurs empruntant aux autres genres que l’animé (Roman Polański, Janusz Morgenstern, Jan Laskowski, …).
Avec le temps, le studio, ainsi nommé pour son acronyme avec Studio Małych Form Filmowych (trad. Le Studio des petites formes cinématographiques) s’est fait repérer pour avoir révélé bon nombre d’auteurs, produit des films d’animation ambitieux (les plus récents, « Świteź » de Kamil Polak et « Maska » des frères Quay, pour ne citer qu’eux) et attrapé deux Oscars (l’étourdissant et répétitif « Tango » de Zbigniew Rybczyński et « Pierre et Le Loup » sur lequel Marek Skrobecki a signé les décors), dont la trace est encore sur leur site internet avec une petite place pour une éventuelle troisième statuette. Se-ma-for a depuis fait des petits : un musée y a été crée, on peut y visiter les décors qui ont servi aux films et y voir les productions maison, et un festival spécialisé en marionnettes a également été imaginé (pour les amateurs du volume, les films peuvent d’ailleurs y être soumis jusqu’au 31/7/2012, la prochaine édition étant prévue fin septembre).
Les films
Parmi les films présentés lors de cette séance, la moitié n’a pas encore été numérisée, leur restauration reste compliquée, certains films ayant déjà atteint les 50 ans d’âge. Le plus ancien, « Attention, le diable/Uwaga, diabeł », date de 1958. Réalisé par Zenon Wasilewski et sélectionné au festival de Cannes en 1960, le film a comme héros un mauvais diable délaissant son maître magicien et semant la zizanie dans une petite ville de province avant d’être tabassé par une petite vieille énergique à coups de parapluie vigoureux. Vaguement plus récents (1966 pour le premier, 1967 pour le second), « L’Ange gardien/Człowiek i anioł » (Edward Sturlis) confronte un honorable ange gardien moralisateur, digne des meilleurs pubs animées des années 50, à un simple citoyen en proie à la tentation des femmes, des cartes et de la boisson, tandis que « Le Sac/Worek » (Tadeusz Wilkosz) s’intéresse à un sac glouton qui avale une râpe à fromage et un fer à repasser avant de se mettre à danser la polka avec un napperon orné d’un portrait d’archiduchesse.
« Le Petit Déjeuner sur l’herbe/ Sniadanie na trawie »
Sortis à un an de différence du studio, « Le Petit Déjeuner sur l’herbe/ Sniadanie na trawie » (Stanislaw Lenartowicz) revisite en 1975 le tableau de Manet avec des éléments découpés (on y trinque, lit son journal, sort sa nuisette, fait sécher son linge, joue de l’harmonica, souligne au feutre noir le galbe des seins de la dame et rajoute des moustaches au monsieur) alors que « Jour de fête/Swieto » (1976), un autre film de Zbigniew Rybczynski, bien connu moins que « Tango », montre des embrassades répétitives et bruyantes d’une famille sur le pas de la porte ainsi que l’amour dans les champs avec un son de cloches en arrière-fond.
Trois questions à Zbigniew Żmudzki, président de Se-ma-for
En quoi Lodz est et a été une ville importante en matière d’animation ?
À la fin de la guerre, Varsovie était complètement détruite. Géographiquement, Lodz était la plus proche. Elle n’est qu’à 100 km de Varsovie, et en deux, trois ans, elle a pris sa place de capitale de la création. Les metteurs en scène qui avaient survécu à la guerre se sont repliés sur le studio, l’expression « Holly-Lodz » (prononcez « Hollywoutch ») a commencé à circuler. Peu à peu, le cinéma est revenu à Varsovie, mais le studio est resté à Lodz, et les meilleurs films d’animation y ont été produits.
Les derniers films de Se-ma-for, que ce soit « Danny Boy », « Maska » ou « Świteź », ont tous un côté sombre. Est-ce un critère qui vous intéresse dans la production de films d’animation ?
Notre spécificité, c’est le conte philosophique. Nous ne réprimons pas la création. Les animateurs nous proposent leurs idées, après, c’est vrai que les idées qu’ils abordent, ce qu’ils ont envie de faire, touchent beaucoup au noir, au philosophique. Ils veulent avant tout faire passer des messages, c’est probablement pour cela qu’ils sont sombres. J’aimerais beaucoup que quelqu’un vienne me voir avec une idée de comédie mais cela n’est pas encore arrivé. Les gens qui se présentent à moi viennent avec des sujets graves en tête. Pourtant, dans tous ces films, des éléments de gaité ressortent. Regardez « Ishtys » de Skrobecki, il y a des moments drôles, non ?
Un autre aspect ressort aussi : le travail autour du son, l’absence de dialogue et l’importance accordée à la musique. Est-ce quelque chose auquel vous faites attention ?
À Se-ma-for, nous considérons que si le réalisateur veut utiliser des dialogues, c’est qu’il n’a pas terminé son film. Les dialogues sont adéquats pour les films commerciaux ou pour enfants. Si dans un conte philosophique, on est obligé de mettre des dialogues c’est que quelque chose ne fonctionne pas. Le film parfait, c’est celui qui raconte quelque chose sans un mot, c’est pour ça que la musique est très importante à nos yeux. Elle n’est pas juste une illustration d’image, elle attribue des effets réellement fondamentaux au film.
Le 21 décembre, à l’occasion du Jour le plus court, Format Court vous propose d’assister à sa première séance en salle au Cinéma L’Entrepôt (Paris, 14ème). Ce jour-là, découvrez notre sélection de 11 films français, suédois, hollandais, suisses, anglais et portugais. Et… profitez de l’absence de vos voisins, retournez les vinyles, agitez les culottes, indignez-vous, sombrez dans un monde sans têtes et réalisez que les animaux eux aussi ont des complexes.
Plus que trois jours avant la fin de notre semaine particulière. Ce lundi, jour de reprise, nous sommes ravis de mettre en avant deux films que nous aimons particulièrement, l’un pour ses non-dits et ses mots soulignés, l’autre pour ses mélodies et son émotion de grenouilles. A voir, à partager aussi.
Gratte-papier de Guillaume Martinez (Fiction, 8′, 2005, France)
Syn. : Une étincelle d’espoir inattendue dans la grisaille journalière du métro parisien.
Syn. : De petites poupées de chiffons retrouvent leur créateur mort dans son atelier. Ne comprenant pas ce qui est véritablement arrivé, elles vont essayer de retrouver leur quotidien auprès du mort.
Animateur polonais reconnu, rattaché au légendaire studio Se-ma-for, Marek Skrobecki, est l’auteur du conte poétique « Danny Boy », lauréat du Métrange du Format Court au festival Court Métrange de Rennes. Début décembre, il était à Paris pour présenter ses films dans le cadre d’une rétrospective organisée par le Carrefour de l’Animation, au Forum des images. Entretien particulier dans un espace rose et feutré de la Salle des collections.
Vous avez démarré votre carrière relativement tardivement. Quel a été votre parcours avant de vous mettre à l’animation ?
A l’époque, en Pologne, il était intéressant de prolonger ses études le plus longtemps possible. Nous étions en plein communisme et l’université était gratuite. J’ai fait un cursus de quatre années en sociologie, mais je ne me voyais absolument pas devenir sociologue. J’étais intéressé par les disciplines artistiques comme le dessin et le cinéma, mais à l’époque je doutais encore de mes capacités à intégrer l’Ecole de cinéma de Lodz. J’ai poursuivi mes études aux Beaux-Arts et je me suis rapproché de mon rêve artistique, mais plus les études touchaient à leurs fins, moins je m’envisageais comme un artiste. Une fois mes études achevées, j’ai enfin trouvé le courage de passer un examen pour entrer à l’école de Lodz. Finalement, j’y ai été admis, ce qui m’a permis d’envisager de faire un film à Se-Ma-For qui était déjà à l’époque un studio national incontournable pour le cinéma d’animation.
Quel était votre regard sur le cinéma d’animation polonais de l’époque ?
C’était un âge d’or pour le cinéma d’animation polonais avec des films remarquables qui se ressemblaient beaucoup, notamment par la technique du découpage, une activité importante de la part des studios à Varsovie, à Cracovie et à Lodz, de nombreux prix et une reconnaissance internationale pour des gens comme Walerian Borowczyk dont les films m’ont beaucoup influencé. Les courts métrages passaient au cinéma, avant les séances des longs métrages, ce qui permettait de découvrir de nouveaux auteurs inconnus.
Au-delà de la question de la renommée, est-ce que l’intérêt pour l’animation était lié à la situation politique ? Osait-on exprimer des choses en animation qu’on n’arrivait pas à évoquer autrement ?
À l’époque, les films ne circulaient pas sur Internet, le sentiment de savoir ce qui se passait dans le monde entier était rare dans un pays comme le nôtre. Parfois, l’animation était politique, la censure ne permettant pas de montrer les choses directement. Mais on n’abordait pas les questions politiques de front, on contournait plutôt la censure en montrant les choses de façon allusive. Les films étaient plus philosophiques que politiques, leur portée reste d’ailleurs encore assez actuelle.
Avez vous rencontré des difficultés pour faire votre premier film, « Epizod »?
Non, pas particulièrement. « Epizod » est mon film de fin d’étude, et une fois le scénario approuvé par l’école, j’ai pu bénéficier d’un financement du studio Se-Ma-For. Pour ce film, j’ai utilisé une méthode d’effets spéciaux aujourd’hui complètement révolue mais qui à l’époque était beaucoup employée, même à Hollywood. C’était un travail technique difficile et laborieux qui consistait à exposer plusieurs fois la même image. Cela demandait beaucoup de temps et d’énergie. Commencer par la difficulté m’a aidé pour la suite, le film a reçu un très bon accueil, il a été primé et j’ai été perçu comme nouveau talent. Cela a grandement facilité ma carrière car le regard des gens sur mon travail a changé, et j’ai pu sortir des sentiers battus du dessin animé pour enfants.
Vous vous êtes spécialisé dans l’animation de marionnettes, mais vos films sont assez sombres et semblent plutôt s’adresser à des adultes. Avez-vous ressenti le besoin de vous démarquer des films pour enfants ?
À l’époque de mes études, les films d’animations avec des marionnettes étaient exclusivement réservés aux productions pour enfants, ce qui ne m’intéressait pas du tout. Comme je ne voyais pas non plus comment développer un travail original en dessin animé, j’ai finalement décidé de faire des films avec des marionnettes qui auraient la particularité de s’adresser aux adultes. Je préfère leur transmettre des messages qu’aux enfants, cela me stimule bien plus comme public.
Vous avez été amené à créer et à animer des marionnettes grandeur nature, pour votre film « D.I.M. ». Pour quelle raison avez-vous cherché à travailler avec une échelle à taille humaine ?
En 1992, j’ai réalisé « D.I.M » avec des marionnettes à taille humaine dans un décor à grande échelle. C’était un travail original qui n’avait jamais été fait auparavant, et aussi une expérience très formatrice pour moi. Utiliser des personnages de cette dimension m’a permis d’appréhender la perfection du corps humain et de ses mouvements, tout en facilitant le travail d’animation car lorsque vous devez déplacer vingt fois une marionnette pour réaliser un simple mouvement de main, il est évidemment plus simple de travailler sur des surfaces qui ne vous contraignent pas à penser en millimètres.
Pour mon dernier court métrage, « Danny Boy », cela a été beaucoup plus difficile : j’avais jusqu’à quarante personnages dans un plan, les marionnettes étaient beaucoup plus petites, donc plus compliquées à animer, et il fallait parfois une heure entière pour réaliser juste une seule image.
Il y a une autre analogie avec l’être humain dans votre travail, c’est la question du regard. Dans vos films, celui-ci est très expressif. La séparation entre l’inhumain et l’humain est très fine, elle crée même un malaise, je trouve.
Ah, mais ça doit être dérangeant ! L’expression d’une poupée, matière sans vie, qui se met à devenir vivante par le biais de l’animation est très, très intéressante. Le travail des marionnettes permet justement de créer un rapport avec le spectateur qui peut avoir quelque chose de dérangeant dans sa relation avec la matière et je crois que la mise en mouvement d’un personnage non-humain parvient finalement à donner plus de force à l’expression que celle exprimée par un véritable acteur.
Il y a plusieurs mots-clés qui interviennent dans votre travail : le fantastique, le sombre, la métaphysique. Etes-vous un auteur de films fantastiques ?
Je n’ai jamais envisagé de faire des films de science-fiction à proprement parler même si je me sens proche d’univers comme ceux de « Brazil » ou de « Metropolis », notamment par leurs ambiances et leurs décors. Je n’ai pas du tout envie de déshumaniser mes films, et je préfère inviter le spectateur à regarder le monde, la réalité avec un œil différent. Cela m’intéresse que mes personnages soient traversés par des expériences. Mes films ne se posent pas qu’en termes de questions techniques ou de scénario, mais font directement référence aux problèmes que rencontrent les êtres humains dans la vraie vie. La société dans laquelle évolue « Danny Boy » par exemple n’a finalement rien de particulier, il s’agit bien de notre société à nous.
« Epizod », « D.I.M. », « OM », « Ichthys », « Danny Boy » ne comportent pas la moindre parole. C’est important pour vous de faire des films muets ?
Oui. J’ai une conception dans la vie qui dit qu’à chaque fois que je ne suis pas obligé de parler, je préfère me taire.
Alors, si vous le pouviez, vous ne parleriez pas non plus maintenant, pour cette interview ?
Ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas une marionnette (rires) !
Vous êtes en train de travailler sur l’animation d’un long métrage « The Flying Machine » mais votre parcours se situe plutôt en court métrage. Qu’est-ce que le court métrage pour a appris ?
Je n’ai pas fait tant de films courts que ça, mais chacun d’entre eux m’a apporté beaucoup de choses. Je remarque une progression technique à travers chaque film, que ce soit au niveau des marionnettes ou des décors. Mon niveau d’exigence personnelle ne fait que s’accroître, et je me dis que mon prochain film sera encore meilleur que le précédent. Actuellement, je suis en recherche de financement pour adapter « La Métamorphose » de Kafka. C’est un projet qui m’anime particulièrement et je sens que j’y ai beaucoup à apprendre.
Ce soir, le choix existe. Goûtez, si vous le voulez, à une tasse de thé noir parsemée de douce folie. Ou filez en Irlande, en V.O. svp, pour suivre Frankie, jeune papa poule en devenir.
Thé noir de Serge Elissalde (Animation – France – 2008 – 05′)
Cliquer sur l'image pour visionner le film
Syn. : Thé noir ou comment une simple tasse de thé peut devenir une terrible source d’angoisse. Où l’on découvre avec délices l’inépuisable potentiel comique de la paranoïa d’un consommateur de thé confronté à l’obligation de faire un choix. Un humour manifestement noir qui trouve dans le trait et le geste du réalisateur une expression appropriée et exacerbée.
Frankie de Collette Farrell (Fiction-Irlande-2007 -12′)
Syn. : Frankie, quinze ans, se prépare à la paternité. Il est bien décidé à être le meilleur papa du monde, mais, au fil de la journée, il commence à comprendre que cela ne va pas lui être possible.
Syn. : Dakar, Sénégal. Ousmane, qui n’a pas sept ans mais gagne déjà sa vie en mendiant dans le centre ville de la capitale, se met en tête d’écrire au Père Noël…
Il y a quelques jours, s’est terminé le sympathique festival d’animation de Bruz que nous avons découvert l’année passée. Deux catégories de films y sont en compétition : les films pros et les films d’étudiants. En attendant notre dossier spécial consacré à cette manifestation mettant l’univers animé et national en perspective, découvrez le palmarès ainsi que trois jolis films en accès libre.
Grand Prix du court métrage, Prix SACEM de la meilleure création musicale originale : La Douce, Anne Larricq, Les films à carreaux, 2011, 8’50
Adapté de la nouvelle « Douchetchka » de Tchekhov. Au gré des intempéries, La Douce perd et trouve de nouveaux compagnons. Si la perte de l’un la désempare sincèrement, elle se console très vite avec un autre. Tous font l’affaire, ce qu’elle cherche avant tout, c’est de pouvoir s’oublier et ressembler à l’autre.
Grand Prix du film étudiant : Matatoro, Raphael Calamote, Mauro Carraro, Jérémy Pasquet, Supinfocom Arles, 2011, 7’35
Une réinterprétation pour le moins surprenante et surréaliste de la tauromachie, avec une ambiance originale et des graphismes colorés. Une sympathique animation qui met en scène dans une arène le combat entre un toréador et un taureau devant un public enthousiaste.
Mentions spéciales
Films professionnels ex aequo: Le Diable en bouche, Franck Ternier, L’Astronef, 2010, 16’30
Apeurée, Patricia Sourdes, la Fabrique, 2010, 4’50
Films étudiants ex aequo:
Laszlo, Nicolas Lemée, La Poudrière, 2010, 4’00
D’une rare crudité, Emilien Davaud, Jérémy Mougel, Marion Szymczak, Supinfocom Arles, 2010, 7’35
Grand Prix Média, Prix Émile Reynaud : Bisclavret, Emilie Mercier, Folimage, 2011, 14’
Une Dame, épouse d’un Baron, s’aperçoit que son mari s’absente souvent et le questionne : il avoue qu’il devient Bisclavret. Transformé en animal, il laisse libre cours à ses instincts. Effrayée et prise de dégoût, la Dame révèle ce secret à un chevalier qui lui fait la cour depuis longtemps…
Mention spéciale : Chroniques de la poisse, Osman Cerfon, Je suis bien content, 2010, 15’
Prix SACD du meilleur film de fin d’études : Ex-aequo
Cyndrome, Sam Kulbicki, EMCA, 2010, 1’50
La voix de Simone, Léa Mazé, Ecole Estienne, 2011, 2’29
À travers la rétrospective des courts métrages de Marek Skrobecki présentée au Forum des images il y a dix jours, vingt ans de films, de recherche, de travail, d’exigence et de créativité ont pu être approchés, avec l’agréable sensation d’avoir découvert un vrai auteur ainsi qu’un univers à part dans le secteur de l’animation européenne.
Hormis « Epizode », son film de fin d’études, toute l’œuvre de cet orfèvre de l’animation polonaise s’est forgée autour de marionnettes articulées. Si de manière générale, ses films sont traversés par des idées sombres, ils ne sont, pour Skrobecki, que l’écho des problèmes rencontrés par les êtres humains, autres pantins articulés de nos sociétés contemporaines. Ses personnages en volume (que ce soit le couple de « D.I.M », le prisonnier de « OM », le client et le serveur de « Ichthys », les êtres décapités de « Danny Boy ») ont plusieurs caractéristiques communes même si leurs univers respectifs sont très différents les uns des autres. Ces poupées, grandeur nature comme minuscules, rencontrent des problèmes et éprouvent des sentiments humains (la peur, l’espoir, la tristesse, la joie, l’abandon, l’amour, le plaisir) et sont très proches de la solitude et de la mort. Véritablement isolées comme dans « OM » et « Ichthys », à deux comme dans « D.I.M » ou à 50 comme dans « Danny Boy », elles ne laissent échapper aucun son ni aucune parole de leur bouche artificielle, leur expression passant en réalité par leurs regards extrêmement mobiles, intenses et vivants. Emotions, regards, solitude, ces trois mots pourraient caractériser le cinéma de Marek Skrobecki, ce sont en tout cas ceux que nous choisissons de retenir.
Epizod/Episode (1988)
Il s’agit du tout premier film de Marek Skrobecki, de son film de fin d’étude à l’école de cinéma de Lodz (prononcez « Woutch »). Influencé par Zbigniew Rybczynski et son « Tango » répétitif dont tout le monde selon ses dires, cherchait à imiter la technique à l’époque, Marek Skrobecki réalise un an avant la chute du Mur un film audacieux, à l’animation mixte, composé d’images d’archives de guerre, de séquences répétitives et de plans naturels. Ici, le ciel est rose, l’herbe est bleue, les poilus sont poilus, l’apocalypse est apocalyptique, l’animation est progressive et la musique, très importante dans l’oeuvre de Skrobecki, particulièrement signifiante.« Epizod » est un film à part dans sa filmographie pour plusieurs motifs : c’est son seul travail qui ne recourt pas aux marionnettes, c’est celui qui le lance dans le monde professionnel et c’est celui qui lui permet d’amorcer une collaboration continue avec le studio Se-Ma-For. En ouvrant cette rétrospective, ce film d’une intensité et d’une rareté absolue positionne d’emblée Skrobecki comme un auteur à part.
D.I.M. (1992)
« D.I.M » installe son intrigue dans un appartement passablement sombre dans lequel une fenêtre est grande ouverte et un couple prend ses repas quotidiennement sans échanger un seul mot. Plus créatures qu’homme et femme, ces personnages en silicone semblent isolés et oubliés du monde extérieur. Leurs journées se répètent et se ressemblent, mis à part un détail en apparence insignifiant mais ayant une importance majeure à leurs yeux de verre : régulièrement, le monde réel fait son apparition à leur fenêtre sous les traits d’un minuscule moineau venant picorer les graines laissées à son attention. C’est à ce moment précis que ces marionnettes sortent de leur torpeur, que leur regard gagne en éclat, qu’elles ressemblent le plus à des humains et que leurs mains en viennent à se toucher. Le jour où ce qui les relie à la vie ne vient plus leur rendre visite dans un léger bruissement d’ailes, elles en viennent à se laisser mourir, leurs corps se desséchant progressivement jusqu’à tomber en poussières.
Fable métaphysique sur le temps qui passe, mais aussi film sur l’ennui, l’attente, l’amour, l’espoir et la mort, « D.I.M » est un contre atroce, tendre et magnifique. Les marionnettes, vibrantes d’émotion, sont touchantes à pleurer dans leurs échanges de regard, leurs réactions humaines, leurs nuques baissées et l’espoir qui s’amenuise au fil du temps. La musique de Mozart ne peut qu’accentuer l’émotion provoquée par ce film, dont on retient longtemps après l’avoir vu le gros plan de la pupille éclairée, marquée par le vol de l’oiseau salvateur. « D.I.M » a une autre particularité, celle d’être le premier film en volume de son auteur, ses marionnettes ayant été créées en grandeur nature, Skrobecki souhaitant que la beauté et la matière soient visibles à l’écran.
OM (1995)
Conte étrange et sombre, « OM » commence, a lieu et s’achève en prison. Un lent travelling latéral introduit un décor légèrement glauque : un mur de pierre haut comme une forteresse, un soupirail laissant filtrer une lumière forte, une pierre arrondie surgie de nulle part, une main s’avançant lentement et l’attrapant, un corps nu et maigre traversant le plan tel une ombre furtive. L’homme, son propriétaire, est une marionnette qui nous fixe et nous interroge du regard. Il s’arrête devant une porte, la pousse, atterrit dans une pièce étrange, découvre une clé (la liberté ?), ouvre une autre porte, visualise une tranche de pain, la saisit, accède à une autre pièce où il découvre un de ses pairs, debout et de dos. Celui-ci se retourne, terrifiant, les yeux ensanglantés et le nez pointu comme un crayon.
« OM » est un film mystérieux et effrayant qui glace les sens et fait mordiller les jolies lèvres. Skrobecki y distille son savoir-faire en matière de marionnettes, puisqu’un personnage mal au point fait de matière nous fait face et installe un certain malaise. Le film évoque, comme « D.I.M » l’emprisonnement mais aussi les visions hallucinatoires tout en laissant l’imaginaire travailler (le film évoque-t-il un cauchemar ou représente-t-il une certaine réalité ?). Une nouvelle fois, Marek Skrobecki réussit à nous avoir avec ses personnages intrigants et la puissance du regard qu’il leur attribue, avec la particularité de multiplier les angles et les zooms pour être au plus près de son prisonnier empreint de folie.
Ichthys (2005)
Un homme traverse à la rame des eaux nébuleuses pour échouer dans un restaurant situé sur une petite île. Sur place, un serveur lui tend la carte, l’homme désigne sans un mot un « ichthy », la spécialité de la maison, à savoir un minuscule poisson qui ne se laisse pas attraper aussi facilement qu’une vulgaire crevette. En attendant le retour du serveur, l’homme, seul client du restaurant, contemple les environs, se laisse gagner par la faim et le temps, se nourrit d’hallucinations et avoisine la Grande Faucheuse. Après quelques années d’absence, le serveur revient avec le mets convoité et tend sa commande, silencieusement, à son hôte recouvert de poussières. L’homme ressuscite devant cette promesse de jeunesse éternelle, s’enveloppe de félicité, se met à marcher sur l’eau, et est gobé par un gigantesque poisson. Voilà ce qui arrive quand on est complètement béa et légèrement distrait.
Ultime film de cette rétrospective sur l’espoir, le temps qui passe, la folie et la mort, « Ichthys » (signifiant « poisson » en grec) est une animation fascinante et humoristique au possible. Le moindre souci du détail y est consigné, l’étrangeté y est omniprésente (le plan de la mâchoire déstructurée de l’homme, laissant voir ses articulations, est à cet égard saisissant de beauté et d’angoisse), l’esprit absurde n’est jamais très loin, le sens et le but de la vie non plus. Dernier projet éclos avant « Danny Boy », le film provoque l’hilarité, l’adhésion totale et la curiosité face à une animation toujours aussi bluffante. Car il faut bien l’admettre : de conte animé en conte animé, Skrobecki aime nous guider, main dans la main avec ses personnages étourdissants, vers de nouveaux univers en n’oubliant pas de placer discrètement un soupçon d’humour noir dans sa poche.
Synopsis : Deux humains, un homme et une femme, existent à l’intérieur de mannequins. Ils ne sont vivants que lorsque l’oiseau qu’ils nourrissent apparaît sur le rebord de la fenêtre. Un jour, l’oiseau ne vient pas…
En ce troisième jour de films en ligne, voyagez tout en restant immobiles du côté de l’autre monde et d’une ville détruite, avec deux films expérimentaux très frappants, très visuels et très musicaux : « We Have Decided Not To Die » et « 200 000 fantômes ».
We Have Decided Not To Die de Daniel Askill (Australie, 2003, Expérimental, 11′)
Synopsis : Trois rituels. Trois personnes. Trois voyages transcendantaux des temps modernes.
Pour en savoir plus, consulter le site du film et l’interview de Daniel Askill : WeHaveDecidedNotToDie.com
200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot (France, 2007, Expérimental, 10′)
Aujourd’hui, pour notre deuxième jour court, place à une romance parisienne et à une rêverie aquatique et sonore.
Il fait beau dans la plus belle ville du monde
Réal. : Valérie Donzelli, 2008, 12’, France
Paris sous la chaleur estivale, une femme, un homme, une relation amoureuse fantasmée. Le premier rendez-vous qui arrive avec son lot de surprises et de déconvenues. Donzelli nous livre dans ce court métrage un peu de l’ambiance et du ton de son premier long métrage «La reine des pommes».
Le clip 35 summers de Plaid (extrait de l’album Scintilli) propose un ballet aquatique tout en ondulations. Le réalisateur a travaillé autour d’une rencontre inattendue, autant onirique que cauchemardesque, entre une geisha et une pieuvre démesurée.
Dernièrement primé par Format Court au festival Court Métrange de Rennes et projeté au Carrefour de l’Animation au Forum des Images, « Danny Boy » impressionne par son acuité visuelle et sa richesse narrative. A la croisée de la fable fantastique et d’une chronique contemporaine, Marek Skrobecki, loin d’en être à son premier coup d’essai, signe un film d’animation polymorphe.
Le film s’ouvre sur une ville grise, froide, offrant au loin une vue sur deux tours, ombres portées du 11 Septembre. Cette étrange scène d’ouverture est accompagnée du son des cornemuses, et nous voilà catapultés au cœur de la grande ville, un travelling vertical nous faisant alors découvrir des jambes qui s’activent à un rythme effréné comme l’impose la grande métropole. La cité est déjà absurde et inhumaine, la scène parait quotidienne mais voilà que le travelling continue et laisse découvrir des personnages à la tête manquante.
La grande force du film est de faire cohabiter une vérité sur notre société contemporaine et la fantaisie de la fable. Métaphore grotesque de l’individualisme poussé à son paroxysme ? On pourrait le croire tant Marek Skrobecki insiste sur cette absence de cœur des passants qui ne se regardent plus et qui ne daignent pas s’arrêter en cas d’accident. Le film ne dit pas seulement ça : à la manière d’un film fantastique, il développe également l’argument d’un monde futuriste, peut-être décimé par une étrange épidémie qui a fait perdre la tête à toute une population. Mi-animal, mi-homme, l’homme du futur est à la fois régressif et avancé, tant il se rapproche d’un robot mécanique : on pense à cette terrible scène où les personnages récemment touchés par le fléau de l’homme sans tête, réapprennent à marcher à l’aveuglette, forcés de redécouvrir le monde par le biais du toucher. Certains paraissent alors condamnés à l’errance, laissant place à un terrible clin d’œil à la théorie darwinienne de la sélection naturelle.
L’humour noir n’est donc pas exempt du film et contribue à dépeindre un monde sans âme, dépourvu du sentiment de compassion. Une scène en particulier semble amorcer cet engrenage de l’humour désespéré : un mendiant, sans tête donc, arbore à son cou, comme une ultime tentative de se démarquer des autres, un carton sur lequel est inscrite la mention « Blind ». A ces êtres sans visage et sans épanchement, s’oppose, on le croit au début, Danny, le garçon qui garde encore la tête haute. Un travelling avant assez brutal nous le fait découvrir d’une façon inattendue, au milieu de la foule. Il est, de suite, montré comme « l’outsider », le désaxé, dans une société où chacun s’apparente à tous.
Dès cette exposition, le film prend en charge son point de vue : les sons de la ville sont étouffés, comme si le personnage ne se rendait pas compte de l’agressivité des uns envers les autres ou comme s’il était déjà sourd à leur violence. Et puis, il fait une rencontre déterminante, celle d’une femme qui n’accepte guère ce qui fait son exception. La scène amoureuse donne lieu à un échange cocasse : ne sachant pas où regarder (la femme est évidemment dépourvue de tête), le protagoniste ne peut que regarder sa poitrine.
Le film se règle, dès lors, mécaniquement sur le rythme de Danny, le seul personnage qui possède un visage. Il s’attelle alors à une drôle de tache dont on prophétise l’issue fatale. Pour se faire accepter du tout ensemble, Danny est contraint de se mutiler, et de se soumettre à cette forme de dictature du toucher. Il installe donc une guillotine et se décapite lui-même. Seule tache de couleur dans ce film quasi monochrome, le sang de Danny macule la ville morte, de rouge. Pas pour longtemps puisque la dernière scène, empreinte d’ironie tragique, le montre sautillant à la manière de Charlot au bras de sa douce, désormais comblée. Au loin pourtant, un avion percute une des tours de la ville et le monde s’embrase. Mais jusqu’ici tout va bien…
Synopsis : Un jeune poète tombe amoureux dans un monde qui semble perdu. Une ville attend le déroulement d’un drame. Un temps de tristesse et de conformité, un temps de décisions. Derrière les nuages sombres du monde il y a de la lumière, de l’espoir et de la poésie.
Si vous passez votre mois de décembre à Paris, vous avez dû remarquer les illuminations des grands magasins et la présence active de la Pologne dans l’agenda culturel. Le festival Kinopolska vient de s’achever au Reflet Médicis et le Forum des Images a récemment mis en avant l’animation polonaise au Carrefour de l’Animation. À cet égard, la venue de Marek Skrobecki en France a suscité un élan de curiosité au sein de l’équipe, étant donné que nous avons primé “Danny Boy”, à l’issue du festival Court Métrange, en octobre.
Marek Skrobecki, présenté dans les biographies comme l’un des meilleurs animateurs polonais, se considère avant tout comme un artiste de marionnettes. Il est à l’origine d’une éblouissante oeuvre visuelle et fantastique, très marquée par la noirceur, l’(in)animé, les silences, l’émotionnel, l’attente, l’espoir, les détails, les travellings avant et latéraux et les partitions de grands compositeurs de musique classique. Une semaine avant la projection de « Danny Boy » au Cinéma L’Entrepôt, nous consacrons un focus au travail en volume de M. Skrobecki.
Pour ce premier jour d’exposition de films en ligne, Format Court vous emmène du côté urbain pour des mouvements d’assouplissement (une-deux-une-deux) et des dissimulations toutes en sons (fchhhh).
Stretching de François Vogel, 2009, 4’30 », Expérimental, France
Le personnage de “Stretching” pratique une sorte de gymnastique urbaine. Il nous concocte des exercices rythmiques loufoques le long des rues de Manhattan. L’architecture qui l’entoure se mêle à son jeu, et la ville elle-même entre dans cette drôle de danse.
Soman de Mihai Grecu , 2005, 7’30 », Roumanie, France
Une atmosphère dense, des équipes de décontamination cherchent les survivants des invisibles attentats, les villes se rétrécissent et se cachent dans nos orifices… c’est l’agonisante conclusion du cycle “Nervegas suite”.