Świteź de Kamil Polak

« Świteź », la mythologie au service de l’animation

Librement adapté d’un poème en trois parties écrit par Adam Mickiewicz (1798-1855), « Świteź » fait le récit initiatique d’un jeune héros qui se trouve involontairement pris dans un enchaînement qui le déplace des règles du vraisemblable pour lui ouvrir les portes du fantastique. Dans cet univers, les figures humaines se mêlent aux visions tantôt merveilleuses, fantastiques — celles du Moyen-Âge vu par Mickiewicz —, tantôt réelles et séculaires — l’ère contemporaine du poète. À l’évidence, la teneur magique provient du traitement narratif; le jeune héros transgresse les lois spatio-temporelles de la réalité et se retrouve plongé dans le monde merveilleux d’une cité engloutie au fond d’un lac. C’est d’ailleurs ce lac aux reflets évocateurs qui donne son nom au film. Par-delà les références au mythe de l’Atlantide, la dimension magique est renforcée par les moyens visuels tout au long du film, comme la douce chaleur des couleurs, l’utilisation spécifique d’éléments de la peinture à l’huile, combinant les moyens d’expression de l’animation classique avec les effets spéciaux de l’animation numérique. De surcroît, la partition musicale, composée pour l’occasion par Irina Bogdanovitch, n’agit pas comme illustration mais charge les images d’une puissante harmonie, tantôt liée à de la mélancolie, tantôt au lyrisme d’un monde enchanté.

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Si ce lac ouvre la voie au merveilleux, il ouvre aussi la voie à l’histoire. En effet, dans le poème de Mickiewicz, le héros parcourt les espaces et rencontre les épisodes mythiques, et parfois traumatiques, de la mémoire collective polonaise. Les allures de fresque du film d’animation donnent une épaisseur inédite, dans ce sens, à la grandiloquence des mythes fondateurs qui, présents dans la culture littéraire et cinématographique en Pologne, trouvent ici une seconde naissance. Par ailleurs, l’exposition incessantes des icônes religieuses, les références aux batailles récurrentes des polonais contre les oppresseurs extérieurs et la présence visuelle de l’esprit mickiewiczien tissent un univers dont le référentiel est lié à la Pologne et participent d’une sacralisation de l’histoire et de l’imagination nationales. Cependant, aucune notations précises ne figent les références au point d’empêcher une lecture universelle. Par conséquent, la fascination exercée sur le spectateur alimente le récit dans sa globalité, ce conte apocalyptique de la destruction, conjuguée à l’éternel lutte entre le bien et le mal, entre la piété et l’espoir.

Aussi cette ballade poétique exprime-t-elle des sentiments universels et s’adressent à tous. En effet, le récit initiatique provoque une remontée vers l’enfance et une plongée dans la trajectoire mystérieuse d’un jeune héros à la fois courageux et innocent. Alliant la littérature, la peinture, la musique et l’animation, cette œuvre précieuse rencontrera certainement un succès dans les festivals du monde entier. Pour le moins, elle restera une preuve de l’état prometteur de la production polonaise en ce domaine. Loin du pesant réalisme actuel de notre monde désormais désacralisé, elle insuffle un vent pénétré et grisant sur le terrain de l’animation européenne.

Mathieu Lericq

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