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L’OVNI Christelle Lheureux

Qu’elle ne se vexe pas et vous, chers lecteurs, n’allez pas y voir une dénomination péjorative. Si on peut comparer Christelle Lheureux à un OVNI, c’est avant tout parce qu’il est difficile de la mettre dans une seule et même case cinématographique.

Christelle Lheureux est née en 1972. Elle a étudié aux universités d’Amiens et de Paris 8, aux Beaux-Arts de Grenoble puis Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains. Diplômes en poche, elle ne cesse de voyager, essentiellement entre l’Asie (Thaïlande, Chine, Japon), Genève et Paris pour créer et réaliser ses œuvres vidéos qui sont ensuite exposées dans les galeries et festivals aux quatre coins du monde. Entre ses différents travaux artistiques, Christelle Lheureux enseigne à la Haute école d’art et design de Genève (HEAD). En deux mots, pas évident de croiser la vidéaste tant son agenda est chargé. Pourtant, elle a su prendre le temps de nous répondre et surtout de nous envoyer un panel de ses travaux afin de tenter de dresser un portrait de celle à qui nous avons remis le Prix Format Court au dernier Festival du Film de Vendôme pour son film « La Maladie blanche ».

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Depuis 1998, Christelle Lheureux créé des installations vidéos sur un mode qui se veut volontiers, plus expérimental ou bien de l’ordre de l’Art Vidéo, mais plus son travail avance et plus la vidéaste se dirige vers une dramaturgie cinématographique probablement plus connue/ accessible du grand public. À cet égard, elle dit ressentir aujourd’hui l’envie et le besoin d’écrire de façon plus narrative, comme le prouve son dernier film « La Maladie blanche », très sollicité et primé en festivals « traditionnels ».

Néanmoins, ce n’est que la forme qui évolue puisque les thèmes de prédilection de Christelle Lheureux restent sensiblement les mêmes. C’est-à-dire la mémoire (conception et attachement aux passé/ présent/ futur), la nature (harmonie avec les plantes et les animaux), le conte (le rêve/ le cauchemar/ l’imaginaire onirique), le regard (la diversité des interprétations, le point de vue des enfants/ adultes). De même que ses films contiennent toujours un certain souci du réalisme. Cela pourrait d’ailleurs sembler contradictoire avec les thèmes qu’elle aborde, lesquels sont relativement éloignés du réel justement.

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Si bien qu’on demeure toujours perturbé, tout du moins sensible aux travaux de Christelle Lheureux, comme par exemple « Ghost of Asia » dans lequel, ce sont les enfants qui ont dirigé un comédien. L’image est documentaire/ documentée, voire même presque crue et ce sont les voix des enfants qui rythment la musique et le film en général, mais le montage est travaillé de telle sorte qu’on ne peut que se laisser transporter par une narration particulière qui est celle de Christelle Lheureux. Nous sommes face à une installation en deux fenêtres offrants deux vidéos différentes mais se reflétant : celle des enfants qui « prend son temps » et celle où le comédien évolue, en accéléré comme si, une fois adulte, tout allait beaucoup plus/ trop vite.

On soulignera que pour « Ghost of Asia », de la même manière que pour Second love in Hong-Kong, la vidéaste a collaboré avec son ami Apichatpong Weerasethakul. Tous deux travaillent ensemble depuis une dizaine d’années et on notera par conséquent la corrélation entre les thèmes qu’ils abordent chacun de leur côté (et ensemble) dans leurs œuvres, l’Asie/ l’Europe et cette frontière si fine qui existe entre l’expérimental et la dramaturgie plus classique.

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Dans « Second love in Hong-Kong », les deux réalisateurs nous plongent dans une histoire d’amour ou plus exactement, « une seconde histoire d’amour ». Tout est là pour provoquer le spectateur et ne pas en faire un être passif : une femme asiatique vêtue de rouge vif qui se retrouve étonnement seule à errer dans un bois occidental où se font entendre des bruits d’oiseaux et d’avion, puis une voix française par-dessus qui lit le texte d’une bande-dessinée asiatique « Rak kang ti song ti Hong Kong » de Tepakorn Na Tasala. Cette jeune femme est-elle l’héroïne de l’histoire ? On y croit en tout cas et pourtant, dans les dernières minutes du film, celle-ci se met à hurler le nom – à connotation italienne – de Luigi. Ensuite, la voix off reprend, mais cette fois en thaïlandais pour nous raconter la mort d’un chien. Faut-il y comprendre quelque chose ? C’est tout l’art de l’Art Vidéo justement : nous faire entrer dans un univers hors norme/ hors forme pour nous faire part des choses avec une narration plus poétique ou plus violente. Ce qu’il faut peut-être y voir, c’est que l’amour est toujours présent, qu’il soit envers un homme, un autre homme, un ami, un animal ou un membre de la famille (comme dans « Toutes les montagnes se ressemblent ») et que la mémoire est là pour en témoigner, même et surtout, lorsqu’il passe.

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De manière générale, Christelle Lheureux aime travailler en collaboration avec d’autres : Sébastien Betbeder, Marie Darrieussecq, Wajdi Mouawad ou encore Christophe Fiat. Au même titre qu’elle s’inspire beaucoup d’œuvres existantes, que ce soit dans la littérature, l’art plastique ou le cinéma. N’a-t-elle pas tout compris à l’Art, autrement dit apprendre des autres, partager les expériences et les regards pour mieux créer individuellement.

Aussi, on notera qu’elle porte une affection particulière aux plans fixes avec des voix-off par-dessus. Des voix-off qui souvent proviennent de personnages totalement extérieurs à ce qui est montré, comme par exemple L’expérience préhistorique, dont la vision et le récit éclairent, voire racontent les images. En bref, l’utilisation de l’expérimental chez Christelle Lheureux ne sert pas juste à provoquer le spectateur mais aussi à l’intégrer à l’histoire. Dans tous les cas, le travail de Christelle Lheureux est absolument unique en son genre, même s’il est justement et finalement identifiable mais malheureusement pas assez connu/ identifié.

Camille Monin

Consulter les fiches techniques de « Ghost of Asia », « Second love in Hong-Kong », « Toutes les montagnes se ressemblent »

Articles associés : l’interview de Christelle Lheureux, la critique de “La Maladie blanche”

T comme Toutes Les Montagnes se Ressemblent

Fiche technique

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Synopsis : Sous le soleil et dans la neige, elle lui raconte le rêve de la veille. Il lui parle pour la première fois de cette nuit où, dans la montagne, lors d’une randonnée au flambeau, son frère disparût.

Genre : Fiction, Expérimental

Durée : 12’

Pays : France

Année : 2009

Réalisation : Christelle Lheureux et Sébastien Betbeder

Scénario : Christelle Lheureux et Sébastien Betbeder

Image : Kevin Haefelin, Christelle Lheureux, Sébastien Betbeder

Montage : Christelle Lheureux et Sébastien Betbeder

Son : Roman Dymny

Musique : Ensemble 0

Interprétation : Clémentine Poidatz, Manuel Vallade, Adrien Michaux

Article associé L’OVNI Christelle Lheureux

S comme Second Love in Hong Kong

Fiche technique

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Synopsis : Un portrait minimaliste d’une fiction/ non fiction hybride dans la nature. Les réalisateurs se sont concentres sur le personnage imaginaire qu’est Hong (Swan) qui voyage de Thaïlande à Hong-Kong pour son travail de servante. Ce conte est extrait de la bande-dessinée « Rak kang ti song ti Hong Kong », Tepakorn Na Tasala. Le tournage a eu lieu en France avec une actrice d’origine mixte : Tiana Mille. La vidéo transforme l’histoire originaire pour en faire un portrait universel d’une personne déplacée. L’histoire évolue selon que les artistes étendent son univers. L’image de cette femme protagoniste provoque une narration multiple et est ouverte à diverses interprétations.

Genre : Expérimental

Durée : 30’

Pays : France

Année : 2002 – 2004

Réalisation : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul

Scénario : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul

Image : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul

Montage : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul

Interprétation : Tiana Mille avec les voix de Christelle Lheureux et Wachana Koomklong

Production : Pavillon Palais de Tokyo à Paris

Article associé L’OVNI Christelle Lheureux

G comme Ghost of Asia

Fiche technique

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Synopsis : Inspiration d’un fantôme qui erre sur les rivages alentours touchés par le Tsunami en décembre 2004. Dans un village sur une île thaïlandaise (Ko Samed), les deux réalisateurs ont mis un acteur à disposition de trois enfants de 4 à 6 ans, en les invitant à le diriger. Le personnage devient une marionnette qui s’agite au grès de leur imaginaire. Un support sur lequel les enfants se projettent. Le film est structuré sur la direction d’acteur enregistrée en temps réel, passant d’une activité à une autre, d’une émotion à une autre, sans hiérarchie. Un portrait de cette île vu par les enfants de la plage.

Genre : Installation

Durée : 9’13’’

Pays : France, Thaïlande

Année : 2005

Réalisation : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul

Scénario : Jantrakansorn Sukkrajang, Sakda Poka, Nantawat Poonpeum

Image : Julien Loustau

Montage : Lee Chatameticool

Musique : Gandhi Anantagant

Interprétation : Sakda Kaewbuadee

Production : Cité Siam

Article associé L’OVNI Christelle Lheureux

Bruz. Courts d’écoles

En France, la formation au cinéma d’animation se porte bien. La Poudrière, les Arts Déco, Les Gobelins, l’EMCA, Emile Cohl, l’ESMA, Supinfocom Arles… Autant de noms ronflants pour des écoles prestigieuses qui accompagnent les talents émergents des films d’animation de demain. L’Association Française du Cinéma d’Animation (Afca) s’est récemment associé à la promotion de cette jeune création en dédiant une compétition spécifique à ces films de fin d’études lors de son Festival National du Film d’Animation de Bruz. Laboratoire d’expériences ouvert à tous les styles graphiques et techniques, banc d’essai artistique où s’exposent innovations et inspirations du moment, le Festival nous a fait découvrir avec près de 35 films issus de ces pépinières de talents, la réserve de créativité du cinéma d’animation français. Parmi eux, quelques coups de cœurs de Format Court.

Matatoro de Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet

Avec « Matatoro », les trois auteurs issus de la promotion 2010 de l’école Supinfocom, Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet, probablement inspirés par la culture populaire locale de la région d’Arles, nous font pénétrer dans le décor des antiques arènes pour vibrer au rythme hispanisant des spectacles tauromachiques. Le film qui mélange des techniques de dessin en 2D et quelques passages en 3D, nous propose une faena surréaliste dans le monde baroque de la corrida. Jouant sur la confusion du réel et de l’imaginaire, on suit le parcours émotionnel d’un torero maladroit affrontant fébrilement une bête terrifiante de l’élevage Miura, ainsi que la bronca impitoyable d’un public aficionado. Respectant l’univers ultra-codifié des courses de taureaux, le film nous fait traverser les étapes du spectacle en transfigurant les perceptions de son héros pathétique. Dévoyant aux valeurs traditionnelles qu’incarnent les matadors, ce torero de pacotille prend tour à tour les traits d’une danseuse de flamenco enchaînant les passes, d’un picador piteux monté sur les chevaux de bois d’un ancien manège, ou d’un trapéziste balancé dans les hauteurs d’un chapiteau lors du tercio de banderilles, alors que les peones masqués (toreros subalternes) dansent en ronde autour de la bête sauvage qu’ils font tourner en bourrique.

L’univers sonore du film est parfaitement ciselé, et mêle avec brio des ambiances musicales latines et foraines, et les interactions d’un public hyper-stylisé qui s’incarne selon les scènes en fines paires de moustache lorsqu’il s’agit de rire, en une nuée d’yeux sifflant implacablement la prestation, où en fourchettes frémissantes à l’heure de la mise à mort. Car dans le cirque tauromachique, tout termine toujours par une mort dans l’après-midi. L’estocade de « Matatoro » est une merveille du genre et dresse un tableau digne de Jodorowsky, tourné en 3D dans un silence de mort que seul interrompt le bruit d’une vague de fond. Au bout du compte, c’est finalement le torero qui est transpercé par la bête, finissant par se fondre complétement avec elle pour ne plus former qu’une espèce de minotaure christique planant dans les rayons du soleil au dessus d’une arène à genoux. « Matatoro », vainqueur du Grand Prix du film étudiant de Bruz, fait partie de ces films allégoriques qui savent vous troubler par sa puissance émotionnelle.

Laszlo de Nicolas Lemée

Avec « Laszlo » de Nicolas Lemée, l’école de La Poudrière produit un film très actuel qui, entre drame et comédie, dresse une chronique du monde contemporain et apporte un regard critique sur une certaine mondialisation. Au centre du sujet, la clandestinité et le destin de ces millions d’hommes qui, broyés par un système qui les dépassent, survivent entre les expulsions internationales. Dans le cas de « Laszlo », on est face à une fatalité, et le film commence par cette phrase : « La première fois que j’ai été expulsé, c’était du ventre de ma mère ». Dès lors, on suit le parcours chaotique d’un homme dont le seul tort est d’être né sans identité dans un pays en guerre, et qui, sans l’avoir jamais voulu, voyage du Kosovo à Paris, puis à Londres, Kaboul, Guantanamo, New York, Belgrade, au rythme d’expulsions administratives successives qui n’ont aucun sens pour lui. Absurdité d’une époque sans compassion où les hommes sont victimes d’un monde obstrué par la peur de l’autre, les coups de tampons s’abattent sur « Laszlo », touriste involontaire des camps de rétention et des règlements migratoires. Pris au piège de ce processus qui fait de lui un pantin désorienté sans aucune prise sur sa vie, dont seul l’amour offre un répit. Entre arrestations et déportations, une silhouette féminine ponctue le film, ouvrant des moments de pause dans ce mouvement anarchique où l’homme prend enfin sa vraie dimension. Réalisé image par image à partir de photos, de vidéos, et de détails visuels composites, le film joue sur la frontière entre réalité et fiction pour nous emmener dans une danse insensée qui nous renvoie à notre propre humanité.

Plato de Léonard Cohen

Issu de l’ENSAD, Léonard Cohen signe un film de fin d’études brillant et drôle qui jongle avec les potentialités graphiques de l’animation dessinée. « Plato », double Prix du meilleur film de fin d’études et du jury junior à Annecy, est avant tout un jeu de dessin génial qui, avec la simplicité du trait d’un crayon à papier, mélange les perspectives 2D et 3D dans un ballet géométrique en noir et blanc. Verticalité, horizontalité, angles, profondeurs, reflets, volumes, ombres, rotations, inversion des perspectives, « Plato » joue avec des repères mouvants qui bouleversent notre perception logique et l’impression du réel. Au début du film, une silhouette filiforme debout sur une ligne horizontale rappelle franchement l’ambiance « planche à dessin » de la fameuse série télé des années 80, « La Linea ». Le personnage est à la recherche d’une forme et trace des objets géométriques dans l’espace avec la pointe de son doigt. Soudain, c’est l’illumination, il crée le cube ! Mais voilà qu’à peine terminé, le cube glisse hors du plan vertical où il a été conçu pour prendre vie dans un univers tridimensionnel, échappant par la même à son créateur resté captif d’un monde en 2D. Dès lors s’engage entre le dessinateur et son cube, une course-poursuite vertigineuse où l’on bascule sans cesse entre des univers dimensionnels renversants. Exaltant le rapport entre le créateur et sa créature qui tour à tour s’engendrent, s’observent, s’opposent et s’affrontent pour finalement mieux ne faire qu’un, « Plato » nous fait voyager au cœur du processus créatif en jouant de la magie des univers dessinés.

Xavier Gourdet

Consulter les fiches techniques de « Matatoro »« Laszlo » et « Plato »

P comme Plato

Fiche technique

Synopsis : Un personnage trace des carrés dans un univers en deux dimensions, quand l’espace se révèle et le met face à un vrai cube en volume. Illusions, anamorphoses et passages du volume au papier emmèneront notre personnage dans cet univers graphique trompeur.

Réalisation : Léonard Cohen

Genre : Animation

Durée : 7’50 »

Pays : France

Année : 2010

Animation : Léonard Cohen, Manuel Lombion, Cyril Maddalena

Son : Romain Blanc-Tailleur

Montage : Quentin Romanet

Production : ENSAD, La Ménagerie, XBO Films

Article associé : Bruz. Le reportage sur les courts d’écoles

L comme Laszlo

Fiche technique

Synopsis : LASZLO est un homme sans racines qui aimerait juste vivre en paix, peu importe le lieu.

Réalisation : Nicolas Lemée

Genre : Animation

Durée : 4’

Année : 2010

Pays : France

Image : Sara Sponga

Son : Yan Volsy

Montage : Myriam Copier, Yves Françon

Interprétation : Nicolas Fine, Barabara Quion Quion

Production : La Poudrière

Article associé : Bruz. Le reportage sur les courts d’écoles

Emilie Mercier :  » Je trouve intéressant d’utiliser l’animation, un médium assez contemporain, pour faire resurgir un texte ayant plus de 800 ans »

Bien partie pour devenir illustratrice, Emilie Mercier est devenue animatrice grâce à une petite annonce évoquant le festival Anima. Son premier film, « Bisclavret », mêlant vitrail, lai et (in)fidélité, a remporté le Prix Média et le Prix Emile Reynaud au dernier festival de Bruz. Entretien autour des bonds dans le temps, des univers propres aux auteurs et du langage des oiseaux.

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Tu as commencé des études d’illustratrice à St-Luc, en Belgique avant de te tourner vers l’animation. Comment ce changement s’est-il décidé ?

J’ai toujours voulu être illustratrice, Mon chemin m’a menée vers la Belgique parce que je n’avais pas pu entrer dans les écoles françaises et il a bifurqué vers l’animation à cause d’une révélation, le festival Anima. Je suis entrée à l’école en 1987 et je n’ai entendu parler du festival que deux ans plus tard. discipline que j’étudiais à l’Institut Supérieur St Luc de Bruxelles. Mais mon chemin a bifurqué vers l’animation en découvrant le festival Anima. Un tirage au sort permettait d’assister J’avais gagné un concours dans le journal pour assister à un forum de quotidien sur le scénario organisé par le festival. Avec d’autres étudiants, j’ai pu rencontrer Youri Norstein, Bill Plympton, Peter Lord…

Je ne me souviens pas de leurs propos mais j’ai été frappée par leurs personnalités et par l’ambiance qui semblait régner dans ce milieu. Je me suis rendue compte que l’animation était un milieu très simple et très chaleureux, et ça m’a donné envie de faire ce métier. En découvrant les films et les auteurs en même temps, j’ai réalisé que je ne devais pas être illustratrice mais que je devais travailler dans l’animation. Du coup, après St-Luc, j’ai enchaîné sur une année d’études à Gobelins, avec comme but d’acquérir les connaissances permettant de réaliser un film d’auteur. en story-board et layout et puis, je suis entrée dans la série.

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Te souviens-tu des films que tu y as vu ?

Oui. J’ai été frappée par « A Grand Day Out » de Nick Park (personne ne connaissait Wallace & Gromit à l’époque), les succès du début de Plympton (« Your Face », « 25 Ways to Quit Smoking »). Je me souviens aussi d’avoir vu « Le Manteau » de Norstein. La pellicule a d’ailleurs brûlé pendant la séance : le film s’est détruit sous nos yeux, sans que nous puissons voir la fin. Même si c’était une copie, c’était un sentiment étrange d’être témoin de la fragilité d’un film.

Ca ne t’a pas manqué de délaisser l’illustration ?

Si, ça me manque encore d’ailleurs. Mais c’est un métier pour lequel je ne peux pas m’empêcher d’anticiper le fait que ça ne me fera pas vivre, alors qu’il faut faire les livres parce qu’on a envie de les faire.

Pour le coup, « Bisclavret », ton premier film, est quand même proche de l’illustration…

C’est très juste. L’idée de raconter une histoire en utilisant la forme du vitrail m’est venue à St-Luc. Incapable d’écrire moi-même une histoire, j’attendais de trouver la bonne. Dix ans plus tard, j’ai eu un coup de foudre pour un texte, mais comme à ce moment, j’étais passée à l’animation, il était évidement que cette idée allait devenir un film plutôt qu’un livre.

Tu as travaillé sur la série « Tintin » et sur le film « L’hiver de Léon ». « Bisclavret » est très différent dans sa forme…

C’est vrai que c’est un virage stylistique. Mais dans l’animation ou dans l’illustration, ce qui m’a toujours fascinée depuis l’enfance, c’est que chaque univers soit unique. En fait, ce que j’adore se résume en un seul mot : « auteur ». Ce qui me parle, c’est quand j’entre dans l’univers formel et narratif d’un auteur.

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Qu’est-ce qui t’a séduit dans le vitrail ? Les couleurs, la perspective, les motifs ?

Oui, j’aime beaucoup les motifs, la géométrie, les couleurs, ce qui est décoratif. Mais ce que j’ai essayé de faire avec « Bisclavret », c’est de garder certains paramètres visuels et authentiques et pas d’autres. Ca ne m’intéressait pas d’être dans l’imitation pure, dans le pastiche de vitrail. Par exemple, je n’ai pas mis les petites hachures qu’on pourrait y trouver. De même, les couleurs et la luminosité sont là mais les formes ne sont pas toujours les mêmes. Comme le texte de Marie de France me paraissait en plus très moderne, j’ai cherché à jouer sur des éléments visuels et musicaux tout aussi modernes pour ne pas obtenir à la fin une tarte à la crème médiévale !

Le film t’a pris dix ans. Comment as-tu maintenu ton projet en vie pendant toutes ces années ?

J’ai tellement adoré le texte que malgré ce processus de maturation très lent, j’étais sûre que j’irais au bout, que je le ferais. L’envie de le faire a toujours été aussi forte même dix ans après. Le coup de coeur ne s’est jamais affaibli, il s’est même renforcé au fur et à mesure de ma compréhension du texte. Au début, je l’ai lu comme tout le monde, après j’ai commencé à me poser des questions, à me demander quel était le vrai sujet du poème. Pourquoi sur douze poèmes de Marie de France, ai-je choisi celui-ci et pas les onze autres ? Les autres ne m’ont sûrement pas autant intriguée. Maintenant que j’ai appris à lire celui-ci, je vais certainement aborder les autres différemment.

Qu’est-ce qui t’a intéressée dans ce poème-ci ?

Les thématiques que je trouvais très féminines. À mon avis, le loup-garou est un prétexte pour parler d’une histoire de couple et de ce qui se passe entre un homme, une femme et la société. Chacun a décidé de vivre sa vie sexuelle comme il l’entend, lui, en vivant sa vie de loup, elle, en changeant d’homme. Ils font la même chose quelque part, ils deviennent maîtres de leur destin.

Je voulais garder quelque chose que j’adore dans le texte : une double lecture. Le film est accessible aux enfants qui le voient au premier degré, et il est riche en sous-entendus pour les adultes. C’est pour ça que je n’ai pas voulu insister sur la symbolique du loup, la rendre plus explicite que ça mais je pense que certains adultes la voient; certains ricanent quand ils voient le loup dormir dans le propre lit du roi, ils voient poindre l’allusion homosexuelle. et la comprennent encore mieux quand, à la fin, un vers évoque le roi et le baron : “Toute sa terre, il le lui rendit, et plus encore que je ne dis”. Comment ça, “et plus encore que je ne dis ?”. Hélène Vayssières d’Arte, qui s’est intéressée à ce projet et qui l’a soutenu, m’a aidée sur cette partie-là de l’histoire, sur la possible aventure entre le roi et le baron. La question qu’elle a été amenée à me poser était la suivante : “Entends-tu ce que dit le langage des oiseaux ?”. C’est une question que je vais me poser sur le restant de mes films, dans la mesure où je travaillerai sur le texte de quelqu’un d’autre, un scénariste ou un poète.

Comment as-tu choisi les vers que tu allais utiliser pour ton histoire ?

C’est une bonne question parce que j’ai eu beaucoup de mal. Pendant longtemps, j’avais tellement de respect pour le poème que je n’arrivais pas à commencer le travail d’adaptation. Il me semblait tellement fabuleux que je me sentais incapable de et n’osais rien couper. Je n’arrivais pas à écrire le scénario non plus, je sentais que ça allait dans trop de directions. J’essayais de faire les choses dans l’ordre comme on nous l’apprend en animation : d’abord le scénario, puis le storyboard. J’ai fini par me rendre compte que ce que j’écrivais ne fonctionnait pas, était trop dilué, du coup, je et me suis mise à faire le storyboard d’après le poème et non pas d’après le scénario. Après, j’ai écrit le scénario en lisant mes dessins. Sans eux, j’aurais été incapable de raconter cette histoire.

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C’est plutôt rare en animation d’associer des vers et un univers médiéval, non ?

Oui, plutôt. En vitrail, j’ai vu des livres illustrés, mais en animation, je n’en ai pas entendu parler. Je trouve intéressant d’utiliser l’animation, un médium assez contemporain, pour faire resurgir un texte qui a plus de 800 ans. Le texte est tellement ardu, beau, bien écrit… Ça a été un pari de transmettre un patrimoine aussi ancien et féminin. Pourquoi les problématiques d’une femme du 12ème siècle en font résonner une autre du 21ème siècle ? C’est étonnant, non ? Ça m’a toujours fascinée, cette proximité de deux époques aussi éloignées.

Maintenant que ton idée a abouti, comment envisages-tu la suite ?

J’ai des histoires en tête, liées à d’autres lais de Marie de France. J’aimerais ne faire que des films très simples. Même « Bisclavret », j’aurais voulu le faire plus simple, esquissé, gribouillé, bouillonnant d’énergie. Je serais fière de faire quelque chose de spontané, de ludique de moins laborieux. Je ne regrette rien de ce qui a été fait sur ce film mais si j’arrivais à être plus rapide, avec une esthétique moins travaillée, je serai contente. J’aimerais atteindre cela mais mon caractère est plus perfectionniste, plus lent.

« Bisclavret » est depuis peu accompagné d’un livre illustré. Comment as-tu abordé le fait de revenir au livre ?

Mon coproducteur Arnaud Demuynck m’a proposé de faire un livre pour accompagner le film. Pour cela, on a dû faire un choix d’images parmi celles du film. Il y a d’énormes ellipses, en 24 tableaux, il a fallu résumer toute la problématique du film. On en arrive à un extrême dépouillement, au squelette, à un livre pour enfants, finalement. Personnellement, ça me renvoie aussi à l’illustration de mes débuts, ce qui me réjouit. Une boucle s’est bouclée.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

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Tempête dans une chambre à coucher ou quand l’animation se lâche !

C’est au Festival National du Film d’Animation de Bruz que Juliette Marchand, l’une des réalisatrices de « Tempête dans une chambre à coucher »,  nous a livré ses secrets de fabrication. Après des études à l’ENSAD, elle nous livre ici son troisième film d’animation en tant que réalisatrice. Alors qu’un vent frais et humide souffle sur la région bretonne, c’est dans la chambre à coucher du couple Cleveland, personnages du film de marionnettes animées de Juliette Marchand et Laurence Arcadias, que la véritable tempête a lieu.

Suzan et Duayne Cleveland, couple branché d’une banlieue chic des Etats-Unis, ont apparemment tout pour être heureux : une belle maison, une belle voiture et une belle garde-robe. Pourtant, il apparaît dès le début que leur vie sexuelle est sur le déclin. Les deux réalisatrices de « Tempête dans une chambre à coucher », film déconseillé aux moins de seize ans, ne font pas les choses à moitié : afin d’être sûres que tout le monde a compris, la première scène du film introduit le couple dans la fameuse chambre à coucher où souffle non pas un vent chaud mais un calme plat à mourir d’ennui, et cela malgré le costume coquin qu’arbore Suzan, et le film pornographique qui défile sur l’écran de télévision.

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Pour faire face à cette impasse, le couple décide de s’offrir un voyage dans le désert afin de mettre du piquant dans leur relation. Du piquant, Consuela, sorte de cliché de la femme de ménage mexicaine qui garde la maison des Cleveland en leur absence, elle, n’en manque pas ! Lorsqu’elle entre dans la chambre du couple, elle ne peut résister à l’envie d’essayer les vêtements sexys et luxueux de Suzan. Elle se met alors à danser et à se trémousser devant le miroir tandis que le plombier, qui passait par là, se rince l’œil. Commence alors une aventure torride entre le couple d’employés de maison qui vont se livrer à divers jeux sexuels. D’une situation cocasse à l’autre, le film de Juliette Marchand et Laurence Arcadias nous fait sourire et, avouons-le, nous émoustille quelque peu.

Pendant ce temps, les Cleveland parcourent les paysages désertiques d’un Ouest américain fantasmé, dont la sécheresse ne fait que renvoyer à la nature même de leur relation. La chaleur et l’exotisme du paysage ne parviendront pas à réchauffer le couple, tandis que même les cactus perdent leurs piquants et s’écroulent sous le passage de la voiture. Image plus qu’évocatrice, la subtilité n’est pas toujours de mise pour révéler la frustration sexuelle d’une Amérique puritaine, et plus particulièrement des habitants d’une banlieue chic aux aspects convenus. Les oppositions sont claires : le géométrisme froid de la maison des Cleveland s’oppose à l’effervescence de couleurs du quartier mexicain dans lequel demeure Consuela ainsi qu’aux courbes et à la chaleur des paysages de l’Ouest américain. Ces décors, constitués de maquettes ainsi que de photos agrandies et mises bout à bout, sont directement inspirés du voyage de Juliette Marchand et Laurence Arcadias aux Etats-Unis.

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Après une résidence à Baltimore, où Laurence Arcadias enseigne au département Animation du Maryland Institute College of Art, les deux réalisatrices se sont entourées d’une équipe d’animateurs, d’acteurs, et de compositeurs afin de concrétiser ce petit film coquin. La conception des marionnettes de « Tempête dans une chambre à coucher » s’est étalée sur plus d’un an. Il a fallu trouver les bonnes matières afin de permettre une liberté de mouvement des personnages. En effet, si on veut s’amuser avec le genre pornographique, il faut bien permettre aux personnages de se déhancher et aux corps de tissu de s’exprimer.

Lorsque l’on manipule les marionnettes que Juliette Marchand a apporté, on découvre qu’elles ont, pour office de bouche et d’yeux, de simples croix qui servent de repères. Ce sont des acteurs, filmés au préalable, qui ont prêté leurs yeux et leur bouche aux marionnettes, et dont les expressions du visage ont été fusionnées par ordinateur, permettant ainsi de donner une réelle expressivité aux personnages. Il est évident, lorsqu’on écoute Juliette Marchand, que les deux réalisatrices ont pris un malin plaisir à faire un film d’animation pornographique avec des marionnettes (mais du porno « soft » tout de même), et que leur projet plein de malice est à la fois un clin d’œil et un regard nostalgique vers l’Amérique.

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Réalisé en France, le film est emprunt d’une imagerie proprement américaine. Il réinvestit cette image du suburb typiquement américain où règne uniformité et conformisme, un ensemble fait, littéralement ici, de boîtes en cartons collées les unes aux autres et peuplées de couples frustrés, grands consommateurs de Prozac, ces petites « pilules du bonheur » auquel il est fait référence ici. Ces banlieusards, c’est ceux que l’on a pu voir dans des films au propos virulent comme « American Beauty » ou « Little Children », qui explorent le mal-être d’une Amérique en mal de rêve et d’émotions intenses. Cependant, « Tempête dans une chambre à coucher » est un film plus léger, drôle et ironique, peut-être parce qu’il dépasse les limites de la comédie dramatique. Il joue avec les codes de la comédie romantique et pousse les limites jusqu’à la pornographie. Tout cela agrémenté d’une musique d’ascenseur qui accompagne les personnages dans leurs mouvements et leurs fantasmes, de cris, de gémissements, et de gloussements, qui rappellent au spectateur que le plaisir n’est pas loin, il suffit de savoir, comme Consuela, saisir l’instant.

Agathe Demanneville

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T comme Tempête dans une chambre à coucher

Fiche technique

Synopsis : Suzan et Duayne Cleveland ont tout pour être heureux. Tout… sauf une vie sexuelle épanouie. En désespoir de cause, ils décident de partir dans le désert pour un voyage initiatique sensé raviver leur flamme. Pendant qu’ils sont partis, leurs deux employés chargés de s’occuper de la maison vont connaître une passion torride dans leur chambre à coucher… d’où la tempête.

Genre : Animation

Durée : 11’25 »

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Juliette Marchand et Laurence Arcadias

Scénario : Juliette Marchand et Laurence Arcadias

Marionnettes : Cédric Mercier, Viviane Altman et Milan Jancic

Décor : Hugues Brière

Image : Stephen Barcelo et Cyril Maddalena

Montage : Agnes Mouchel

Musique : Evgueni et Sacha Galperine

Illustration sonore: Yan Volsy

Effets spéciaux : Olivier Esmein et Pierre-André Sauvageot

Production : Amorce Films et JPL Films

Article associé : la critique du film

Les Magritte du cinéma. Deuxième cérémonie prévue le 4 février

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Les Magritte du cinéma ne sont pas une énième occasion de s’auto-congratuler entre professionnels. Leur but est de braquer un projecteur sur tous ceux qui assurent la réputation du cinéma belge à l’étranger, ravissent ici quelques connaisseurs, mais qui sont trop souvent ignorés du grand public.

21 récompenses seront attribuées en 2012, lors de la deuxième Cérémonie, par les membres de l’Académie André Delvaux. Elles seront remises le 4 février prochain au Square, à Bruxelles, aux meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur film flamand en coproduction, meilleur film étranger en coproduction, meilleur scénario original ou adaptation, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur acteur dans un second rôle, meilleur espoir féminin, meilleur espoir masculin, meilleure image, meilleur son, meilleurs décors, meilleurs costumes, meilleure musique originale, meilleur montage, meilleur court métrage et au meilleur documentaire de l’année.

Voici les quatre nominés pour le court métrage :

Dimanches, Valéry Rosier
Dos au mur, Miklos Keleti
La Version du loup, Ann Sirot et Raphaël Balboni
Mauvaise lune, Méryl Fortunat-Rossi et Xavier Seron

Site: Académie André Delvaux

O comme As Ondas

Fiche technique

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Synopsis : A l’intérieur de moi, des paysages de belles côtes portugaises, pour toujours liées à ces images, à ma jeunesse, à mon paradis perdu.

Réalisation : Miguel Fonseca

Scénario : Miguel Fonseca

Genre : Fiction

Durée : 22’

Année : 2012

Pays : Portugal

Image : Mário Castanheira

Son : António Figueiredo

Montage : Sandro Aguilar

Interprètes : Alice et Andreia Contreiras

Production : O Som e a Fúria

Article associé : la critique du film

As Ondas de Miguel Fonseca

« C’est ailleurs seulement que la mer est belle. Celle que nous voyons nous donne toujours la nostalgie de celle que nous ne verrons jamais… » Fernando Pessoa

Il règne dans le dernier film de Miguel Fonseca une sorte de vague à l’âme que l’on retrouve dans les accords lancinants du Fado. “As Ondas” porte en lui une dimension contemplative, presque ésotérique qui lie l’homme et la nature, la vie et la mort comme les deux visages d’une même réalité.

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Andreia et Alice sont soeurs jumelles. Andreia est atteinte d’insuffisance respiratoire et dépend d’une machine qui lui permet de s’oxygéner. Alice, quant à elle, pratique le surf, sort, rencontre des gens. Bien que différentes en raison de la maladie qui a conditionné le quotidien d’Andreia, les sœurs semblent ne pas pouvoir vivre l’une sans l’autre. Un lien étrange et peu compréhensible les unit. Car celle qui a le plus besoin de l’autre n’est pas la moins valide. C’est bien Alice qui supplie sa jumelle malade de ne pas la laisser toute seule alors que cette dernière doit partir le lendemain à Lisbonne pour se faire soigner.

Nous l’avions remarqué avec “I Know You Can Hear Me” (Prix Format Court au dernier Festival Media 10-10), le réalisateur portugais aime utiliser une forme particulière pour suggérer un fond de préférence fictionnel et non-narratif. Dans “As Ondas”, il a recours à des plans d’ensemble qui plongent le spectateur dans le décor idyllique et paradisiaque des côtes portugaises, lieu de référence à la jeunesse du réalisateur d’une part et à la genèse d’un monde toujours en création d’autre part. La nature est alors omniprésente et domine l’homme de sa grandeur et de sa puissance. A cela s’ajoute une bande-son particulièrement sensorielle (bruit des vagues, du vent, des mouettes) sur laquelle repose le rythme du film.

L’approche du cinéaste navigue entre réalité et fiction, les protagonistes (les sœurs Contreiras, célèbres mannequins) portent leurs prénoms dans la vie, certains plans sont pris sur le vif de la réalité montrant le temps qui passe. L’argument, en revanche, on peut s’en douter, est fictif. La démarche de Fonseca est, semble-t-il, de mettre en rapport l’infiniment petit à l’infiniment grand et le lien d’interdépendance existant entre les différents éléments. L’être humain vit et interagit dans une architecture configurée, il a besoin de l’autre comme complément de ce qu’il est et devient (relation entre les jumelles), enfin, il dépend de sa condition physique pour continuer à agir (maladie d’Andreia). Au-delà des apparences, c’est bien un film existentialiste que réalise Miguel Fonseca. Un court essentiel.

Marie Bergeret

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I Know You Can Hear Me de Miguel Fonseca

Prix Format Court du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié), I Know You Can Hear Me est un véritable tour de force. A partir d’une double citation, Miguel Fonseca déploie une narration neuve et non tributaire de ses composantes initiales drôlement antinomiques : l’ “action hero”-isme américain des années 80 et le haut Romantisme de Chopin.

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Les deux premières études du maître polonais (op. 10 nos. 1 et 2) encadrent des scènes de « First Blood » (Rambo I) de Ted Kotcheff : courses-poursuites avec un chien de chasse, explosions dans la forêt et des stations-services, fusillades urbaines… Les images choisies sont chaqune totalement dépourvues de présence humaine au point d’être méconnaissables : on ne se rend compte de la source des séquences que lors du générique final. Le travail de l’image se veut brut et le réalisateur laisse les bruits de fond de la bande-son originale ainsi que des bribes de dialogue limite compréhensibles interférer avec la musique de Chopin. Celle-ci offre un écho au dualisme entre les images de violence et les idylles verdoyantes. La première étude (communément baptisée “Cascade”) est sulfureuse et écrasante, le virtuose primant de loin sur l’expressif, tout comme la mise en scène spectaculaire prime sur la narration dans l’image. La deuxième pièce, en revanche, est plus douce, basée sur une mélodie chromatique frénétique. Deux facettes qui définissent parfaitement le dilemme romantique entre l’artiste tourmenté, à la fois rêveur et révolutionnaire, poussé jusqu’au bout par les compositeurs du XIXe siècle (notamment Schumann qui était déchiré entre la persona du Florestan explosif et celle de l’Eusebius docile).

Improbable donc à première vue, le lien entre l’image rambo-esque et la musique chopinesque apparait graduellement plus plausible. Après tout, ne pourrait-il pas s’agir de deux faces de la même médaille? Ne pourrait-on pas percevoir une continuité logique entre le Romantisme humaniste du XIXe, le Rêve américain du XXe et finalement l’héroïsme extrême qui a rendu la société d’Oncle Sam humanicide et corrompu le cinéma américain depuis tant de décennies? Partant de cette idée, on pourrait effectivement voir dans « I Know You Can Hear Me », comme dit le sous-titre de Fonseca,  “un film d’amour dans un film de guerre”.

Adi Chesson

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Alpha de Miguel Fonseca

Premier court métrage du réalisateur portugais Miguel Fonseca, Alpha est une exploration futuriste de la faculté émotive de l’Homme. Sorte de « 2008, Odyssée terrestre », non sans rappeler « A.I. », le film aborde la notion de l’humanité et la façon dont nous la gérons.

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Sans la grandeur ou l’exhaustivité philosophique du visionnaire Kubrick et loin de la mégalomanie ostentatoire de Spielberg, Fonseca opte pour une sobriété efficace. Faisant librement appel à la Willing Suspension of Disbelief, il dresse le portrait d’Alpha et de Beta, deux androïdes destinés à accompagner des personnes solitaires ou ayant besoin d’aide, tels des chiens guides. Programmés pour assumer la lourde responsabilité de leur fonction, les protagonistes sont des êtres en devenir, des créations déambulant, s’interrogeant sur la nature humaine, munies de la quasi totalité du savoir détenu par l’Homme mais, comme des vitamines artificielles, dépourvues de la dimension naturelle qui, elle, ne s’invente pas.

« Alpha » se révèle être un film bien plus complexe que ne laissent initialement supposer son rythme posé, son scénario minimaliste et son jeu d’acteurs retenu. Jonglant entre sa description cynique de l’abandon dans la société individualiste et l’idée optimiste que l’amour et le dévouement pourraient être appris même par des machines, Fonseca montre, dès son premier court, la propension humaniste et réflexive qui traverse toute sa petite filmographie.

Adi Chesson

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A comme Alpha

Fiche technique

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Synopsis : Ce qui commence comme expérience en laboratoire mène vers le développement d’êtres artificiels capables d’exécuter les tâches les plus variées et complexes. Avant de les livrer à leurs  clients, le fabricant développe un contrôle de qualité, surveillé par un technicien, dans lequel certaines compétences (comme l’apprentissage de la langue du client) sont améliorées. Cette étape de la procédure se produit dans un environnement clos qui simule celui du client. Alpha et Beta sont deux de ces êtres artificiels, sur le point d’être livrés à leurs clients japonais.

Genre : Fiction, expérimental

Année : 2008

Pays : Portugal

Durée : 28′

Réalisation : Miguel Fonseca

Scénario : Miguel Fonseca

Image : Mário Castanheira

Son : António Pedro Figueiredo

Montage : Sandro Aguila

Interprétation : Sara Carinhas, João Nicolau, Manuel Mesquita. Avec les voix de Marta Morais et de Gen Ebato

Production : O Som e a fúria

Article associé : la critique du film

Miguel Fonseca et la volonté d’expérimenter librement

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« Je veux essayer de m’exprimer, sous quelque forme d’existence ou d’art, aussi librement et aussi complètement que possible, en usant pour ma défense des seules armes que je m’autorise à employer » James Joyce

Il n’est pas commun de rencontrer un jeune cinéaste portugais nous proposant d’associer une citation de James Joyce à son interview comme il n’est pas hasardeux d’avoir primé son court métrage « I Know You Can Hear Me » au Festival namurois Media 10-10 en novembre dernier. Quand Miguel Fonseca se livre au jeu de questions/réponses.

Qu’est-ce qui t’as amené vers la réalisation? As-tu étudié dans une école de cinéma?

Non, j’ai étudié la philosophie. En 2001, j’ai commencé à travailler dans la boîte de production qui produit mes films O Som e a Fúria.

Quelles sont les influences artistiques que l’on peut remarquer dans tes films?

Peut-on toujours dire avec certitude parmi les choses qui nous entourent celles qui nous influencent le plus? Je ne pense pas même si je dois bien avouer que “Le Parrain” de Coppola, “2001 Odyssée de l’espace” de Kubrick, “La Ligne Rouge” de Malick, “Magnolia” d’Anderson et “Gran Torino” d’Eastwood m’ont fortement influencé.

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I Know You Can Hear Me

Au dernier Festival Media 10-10, à Namur, Format Court a primé « I Know You Can Hear Me ». Dans quel contexte ce film a-t-il été réalisé ? Comment t’est-il venu l’idée d’utiliser des images du film « First Blood » de Ted Kotcheff (1982)?

Le projet était très simple, en fait. Il s’agissait de réaliser un film où Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone se rencontrent par le biais de la technique du Footage en utilisant des images de tous les films où ils étaient la vedette. J’ai commencé avec « First Blood » dans lequel Stallone joue John Rambo pour la première fois. J’ai décidé d’assembler, en respectant la chronologie du film, tous les plans où personne n’apparaissait. Le résultat était si mystérieux et intéressant que j’ai décidé d’en faire un film à part entière. Et c’est ainsi qu’est né « I Know You Can Hear Me ».

Pourquoi as-tu choisi la musique de Chopin pour ta réinterprétation du film?

Parce que cela fonctionne. Je pense que cela donne un ton dramatique et mystérieux au film.

Comment expliques-tu le sous-titre du film : Un film d’amour dans un film de guerre ?

« I Know You Can Hear Me » est fait de chaque plan « vide » de « First Blood ». Il en résulte une atmosphère très étrange. On peut avoir le sentiment, surtout dans la première partie, que l’on regarde les choses à travers les yeux de quelqu’un d’autre. Le film comporte deux parties. Dans la première, on suit quelqu’un qui cherche quelque chose ou quelqu’un d’autre. Pourquoi je pense qu’il est à la recherche de l’amour ou de quelqu’un qu’il aime ? Regardez la seconde partie du film et voyez ce qu’il se passe quand il ne trouve pas ce qu’il recherche. C’est le chaos le plus complet. Seul un amour « introuvé » peut causer un tel désespoir. « I Know You Can Hear Me » est un film d’amour.

« I Know You Can Hear Me » a été sélectionné à Namur dans la compétition OVNI (Objets Visuels Non Identifiés). Peut-on rapprocher ce film et ton cinéma du terme « expérimental » ?

Je pense que l’on peut dire que ce film est un film expérimental. Si par là on entend la volonté et l’habileté d’expérimenter librement des choses sous différentes perspectives et idées, alors oui, mon cinéma est expérimental et j’espère que cela continuera. J’ai hâte de réaliser d’autres OVNIS !

Te vois-tu réaliser des longs-métrages dans un futur proche ?

Oui, j’en ai naturellement l’intention. Donc pour le moment, j’écris, j’écris et j’écris pour un projet de long!

Propos recueillis par Adi Chesson et retranscrits par Marie Bergeret

Miguel Fonseca, Prix Format Court au Festival Média 10-10 2011 : l’humanisme dans l’expérimental

Diplômé en philosophie de la Universidade Clássica de Lisboa et auteur de trois courts métrages, Miguel Fonseca a marqué l’equipe de Format Court lors du dernier Festival Media 10-10 de Namur où le jury composé de Marie Bergeret, Adi Chesson et Bibiana Vila a décerné le Prix du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié) à “I Know You Can Hear Me”, le deuxième film du réalisateur portugais. Nous posons ici un regard sur le travail interpellant de cet artiste humaniste.

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Retrouvez dans ce focus :

L’interview de Miguel Fonseca

La critique de « Alpha »

La critique de « I Know You Can Hear Me »

La critique de « As Ondas »