Festival Millenium : « Vision jeune »

« Les libertés ne se donnent pas, elles s’arrachent »

Au festival Millenium cette année, une place toute particulière était accordée à la jeunesse avec une compétition « Vision jeune » dans laquelle un jury composé de 30 jeunes issus de quatre coins de la Belgique, âgés de 15 à 25 ans a remis un Prix au long métrage « Armadillo » de Janus Metz, lors de la soirée de clôture du 11 avril dernier. Parmi les films sélectionnés, on retrouve aussi deux courts et deux moyens métrages traitant différemment de la nécessité d’acquérir une liberté individuelle et/ou collective.

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Depuis la nuit des temps, le concept de liberté s’apparente à l’âme humaine. Et si comme le dit le proverbe, « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », encore faut-il qu’il y ait liberté. Ismail Elmokaden et Zahra Mackaoui ont réalisé « Democracy Camp », un film présentant une jeunesse arabe qui tente de s’approprier des moyens menant à l’affirmation de soi. Dans le sillage des révolutions arabes, 60 jeunes adolescents originaires d’Egypte, du Yémen, de Tunisie ou encore de Cisjordanie ont décidé de participer à un camp d’été dans un hôtel 4 étoiles, situé en bord de mer. Le but y est d’utiliser diverses techniques qui permettent l’expression de soi (théâtre, multimédia, sport…).

Les images du lieu évoquant davantage le Club Med contrastent grandement avec celles récoltées par les médias dans les rues de Tunis et du Caire, six mois plus tôt. Qu’à cela ne tienne, la caméra observatrice des réalisateurs suit Moustafa, Rahma, Hamza et Anmar dans leur volonté de s’affranchir des règles du camp qu’ils considèrent trop strictes. Leur révolution, loin d’être facile à mettre en place, aura des conséquences profondes sur leur façon d’appréhender le monde, une fois rentrés chez eux. Malgré sa réalisation parfois confuse et sa mise en scène quelque peu chaotique, à l’image même de toute révolution finalement, « Democracy Camp » a le mérite de mettre en lumière les influences d’une réalité historique sur une jeunesse arabe avide de démocratie.

Dans la continuité des révolutions arabes, « Le Printemps d’Hana » suit une activiste égyptienne dans les rues du Caire. Hana, 18 ans, a été fort interpellée par les bouleversements qui ont suivi la chute de Hosni Moubarak en janvier 2011; mais pour elle, cela ne suffit pas, la révolution doit continuer jusqu’à ce que la voix du peuple se fasse vraiment entendre, jusqu’à ce que la démocratie arrive réellement au gouvernement. Dans sa quête de justice, la jeune Egyptienne participe à des manifestations, crée un journal avec des amis visant à offrir un espace où chacun est libre de s’exprimer et de donner son avis. Loin des clichés habituels sur les jeunes, le film de Sophie Zarifian et de Simon Desjobert montre au contraire une jeunesse qui en veut, qui n’hésite pas à descendre dans la rue pour revendiquer ses droits. Un peu plus convaincant que d’autres reportages sur le sujet, « Le Printemps d’Hana » montre, à travers les yeux d’une jeune fille révolutionnaire, une société égyptienne complexe, une société post-Moubarack qui se retrouve face à ses contradictions et qui aspire au changement.

S’il est des combats collectifs, il en est d’autres plus individuels. C’est le cas de celui de Manel qui, à 23 ans, désire se libérer de son voile et tente de trouver sa place de femme dans une Algérie à l’héritage culturel et religieux importants. La féminité et ses multiples aspects sont au cœur du film « Nous, dehors » de Bahia Nencheik-El-Fegouin et de Merieme Achour Bouakkaz. Les deux réalisatrices choisissent le mode de l’interview pour interroger cinq femmes qui abordent la question du voile avec beaucoup de franchise. Chaque histoire se ressemble et est en même temps fort différente. Toutes s’insurgent contre une société machiste et paternaliste qui confine la femme à un rôle subalterne. Elles soulèvent les contradictions liées au port du hijab. Mal vues, dépréciées, celles qui le retirent subissent chaque jour l’incompréhension et le manque de respect. Mettant l’accent sur l’exclusion de ces femmes -le titre est là pour nous le rappeler- le film montre comment elles veulent coûte que coûte faire partie intégrante de la société tout en affirmant une émancipation bien légitime. Paradoxalement, à la colère des protagonistes répond le silence des hommes. Les réalisatrices ont délibérément choisi de ne pas leur donner la parole. Un choix parfois dérangeant tant il aurait été judicieux de voir la réaction masculine sur la question.

Nominé aux Goyas dans la catégorie meilleur court métrage documentaire, « La Alfombra roja » (Le tapis rouge) de Manuel Fernández et Iosu López ne traite pas de liberté au sens idéologique ou religieux mais l’aborde par le biais d’un rêve d’enfant. Rubina a 12 ans et a grandi dans le bidonville de Garib Nagar (ville pauvre), dans le quartier de Bandra à Mumbai. Elle rêve de devenir actrice. La vie à Garib Nagar est tout ce qu’elle a connu. En face caméra, elle décrit le quotidien au bidonville faisant écho aux images de Manuel Fernández. Trop court et sans grande originalité, le film tire son unique intérêt de la personnalité de Rubina et du fait qu’en réalité, elle n’est autre que la fillette qui a joué dans « Slumdog Millionaire » de Danny Boyle. Ainsi, le monde des strass et paillettes d’une cérémonie des Oscars, vient se confronter brutalement à la réalité de Garib Nagar, sans nullement choquer Rubina qui assume clairement ses origines modestes.

Marie Bergeret

Consultez les fiches techniques de « Democracy Camp », « Le Printemps d’Hana »« Nous, dehors » et « La Alfombra roja »

G comme The Ghost of Piramida

Fiche technique

Synopsis : Dans The Ghost of Piramida, le réalisateur Andreas Koefoed suit Efterklang dans une expédition audio de 9 jours dans la ville fantôme de Piramida sur le Spitsbergen, à quelques milles kilomètres du Pôle Nord et habité par plus d’ours polaires que d’hommes. Accompagnés par leur taciturne et peu impressionné protecteur russe d’ours polaires, le groupe part à la chasse au trésor dans les immeubles vides de la ville fantôme.

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Genre : Documentaire

Durée : 58’

Pays : Danemark

Année : 2013

Réalisation : Andreas Koefoed

Image : Andreas Koefoed

Son, Musique : Efterklang

Montage : Jacob Schulsinger

Production : Andreas Koefoed, Koefoed Film, Rasmus Stolberg, Rumraket

Article associé : la critique du film

The Ghost of Piramida d’Andreas Koefoed

À la fois film et album musical, « The Ghost of Piramida » est le fruit de la collaboration entre le réalisateur Andreas Koefoed et le groupe de rock indépendant Efterklang. Ce moyen-métrage a été présenté cette année à Bruxelles au festival international du documentaire Millenium.

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À leur demande, Andreas Koefoed a suivi les trois musiciens danois dans un aventureux périple créatif. Leur mission : récolter des sons dans la ville de Piramida, ancienne cité minière abandonnée, située à quelques mille kilomètres du Pôle Nord. Piramida fut rapidement construite dans les années 50, convoquant toute une vague d’émigrés russes amenés à travailler pour l’exploitation minière. Elle fut vidée tout aussi vite en 1998 lors de la cessation des activités de forage. Chaque foyer n’a pu prendre avec lui que le strict minimum transportable en avion. Demeurent alors de nombreux appartements laissés en plan, des vies restées en suspens. Les scènes du quotidien paraissent figées, prises par le froid dans un instantané photographique : désordre sur les tables, sièges renversés, portraits accrochés aux murs, photos de charme… La lumière polaire rasante persiste des heures dans ces rues abandonnées et ces installations privées de sens, plongeant les lieux dans une atmosphère fantomatique.

Les membres du groupe s’en donnent à cœur joie et voient en cette ville désertique une multitude de potentialités sonores. Ils font s’effondrer les liasses de dossiers médicaux ou résonner en chœur de cathédrale les tuyauteries. Ils brossent les verres gelés de l’entrepôt de bouteilles ou courent dans un panel de rythmes variés sur un ponton. L’exploitation des bruits domestiques au sein des habitations n’est pas sans rappeler le court-métrage de Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson « Music For One Appartement And Six Drummers » : six musiciens s’introduisaient par effraction dans un appartement et donnaient, avec les objets et meubles de chaque pièce, un concert improvisé.

À cette réappropriation ludique et actuelle de Piramida, viennent se mêler des images d’archives prises en super 8 par l’un de ses anciens résidents, Alexander. La voix off lente et articulée de ce narrateur déroule sur des extraits de film un long tapis de clichés réveillés, d’échantillons d’un âge d’or révolu. Pour Alexander, cette vie autarcique, éloignée des réalités historiques du bloc soviétique, scintille en paradis perdu. « It was like we all knew that something beautiful had come to an end ». Les images d’époque composent des unités de montage, des pièces primaires du film d’Andreas Koefoed. Elles sont aussi parfois utilisées en éléments secondaires lorsqu’elles sont projetées dans l’appartement d’Alexander à Moscou, sur ses tapisseries à motifs, sur son lit, son corps et son visage. Le processus de la mémoire s’incarne dans ces projections d’archives et s’envole en une belle métaphore double. L’omniprésence écrasante du souvenir est mâtinée d’une part d’envoûtement. La réminiscence introduit la renaissance d’un monde et la création d’un univers mental compensatoire d’une vie soufflée.

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« The Ghost of Piramida » se déploie sur le mode de la surimpression. Le film juxtapose les temporalités et les espaces jusqu’à la confusion. Il mêle les sons et les images dans une porosité des appartenances : les créations sonores couvrent les archives, la voix off convoquant le passé perce sur les prises de vue récentes.

Ces mélanges ne font que plus ressentir le relief des contrastes. L’importance de la vie en société, de la communauté dans les images d’archives s’oppose à la solitude d’Alexander et des musiciens. Une scène d’allégresse collective et festive donnée dans le centre culturel résonne avec nostalgie lorsqu’Efterklang s’essaye sur le piano désaccordé de ce même lieu aux sièges désespérément vides.

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Le film n’est pas pour autant dénué de légèreté et d’humour. Dès les premières minutes, le groupe est mis au parfum par un garde local taciturne et brut de décoffrage : les ours polaires sont une menace bien présente pour qui circule dans les parages. S’ensuit une énumération de tous les accidents mortels survenus à Piramida. En contrechamps, les visages des musiciens se décomposent progressivement. Leur peur plus ou moins assumée se maintient et devient un réel ressort comique du film. Le motif de l’ours polaire apparaît aussi dans les archives avec l’étonnante saisie de la venue d’un ours dans la ville, et d’une peur générale maîtrisée.

Avec le projet d’Efterklang et du réalisateur Andreas Koefoed, « The Ghost of Piramida » redonne vie à cette ville exsangue. Le retour d’une présence humaine et la mise en son d’un espace déserté depuis longtemps, le travail des outils cinématographiques (son et image) comme matière brute et malléable, ainsi que le pouvoir démiurgique du montage et des surimpressions mènent à un véritable dispositif de réanimation au sens étymologique du terme. Il s’agit là, grâce à l’expérience collective, de réinsuffler de l’âme à une cité enfouie.

Juliette Borel

Consultez la fiche technique du film

Festival Millenium 2014

La sixième édition du Millenium International Documentary Film Festival s’est déroulée du 3 au 11 avril dernier. La rencontre incontournable du cinéma du réel dans la capitale belge a donc fêté donc ses six ans, ce que le directeur Lubomir Gueorguiev a qualifié avec humour comme la fin d’un quinquennat à la soviétique lors de la cérémonie d’ouverture.

Avec plus de cinquante titres internationaux, la sélection était aussi riche et variée que les années précédentes, témoignant du souci constant de la part des organisateurs de dénicher des films engagés et interpellants, qui suscitent des réflexions sur des questions importantes liées aux objectifs millénaires transposés au 21ème siècle, telles que la justice sociale, les atteintes quotidiennes aux droits de l’homme, ici et ailleurs, l’égalité des chances et les crises environnementales. Les films présentés sensibilisent et nous rappellent la part de responsabilité qui incombe à chacun d’entre nous, habitants de la Terre.

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À côté de la compétition internationale, le festival proposait d’autres activités habituelles (les Webdoc meetings, les masterclass…) ainsi que quelques nouveautés. Parmi celles-ci, une compétition « Travailleurs du monde », fruit d’une collaboration avec Le P’tit Ciné du festival Regards sur le Travail. Un jury délibérait sur une sélection qui mettait en avant la thématique du travail et son rapport avec les questions des droits de l’homme. En effet, loin du moyen de subsistance du temps de nos ancêtres, le travail est devenu aujourd’hui la marque d’identité première, sa valeur et sa valorisation désormais déterminées non pas par le plaisir ou l’appréciation ressentis par le travailleur, mais par des normes sociétales. Par conséquent, bon nombres de gens, dans des conditions de misère extrême ou dans des lieux de relative aisance socioéconomique, vivent leur vie active comme une obligation, voire un fardeau. S’ajoute alors la perversion d’un labeur visant des fins de plus en plus virtuelles, où très souvent la dignité humaine elle-même est atteinte. Focus sur deux courts de la sélection :

La critique de « Karaoké domestique » d’Inès Rabadán (Belgique, 2013)
La critique d’ « Avec le vent » de Raf Custers (Belgique, 2013)

Deuxième nouvelle compétition toute aussi pertinente et faisant écho à la thématique de l’an dernier, la Jeunesse, « Vision jeune » regroupait six films sur le regard que porte la génération de demain sur le monde d’aujourd’hui. Le jury comprenait pas moins de 30 jeunes belges âgés de 15 à 25 ans. Une éducation à l’image importante qui permettait de faire découvrir le cinéma documentaire à un public pas toujours enclin à s’intéresser à ce genre.

Le reportage sur les courts métrages de cette sélection.

En parallèle, une programmation importante hors compétition venait exemplifier l’engagement du septième art dans la lutte pour la défense des droits de l’homme et des objectifs millénaires. Le panorama « Connaître l’Autre » rassemblait 20 titres qui exploraient la question de l’altérité en nous confrontant à des réalités (faussement) perçues comme étant lointaines, dans les pays de l’Europe de l’Est ou ailleurs dans le monde. La sélection posait un regard sensible notamment sur les rapports Nord-Sud et les effets de la surmédiatisation et la prolifération des images dans nos vies.

Dans le cadre de ce panorama, nous vous proposons :
Le reportage sur « Culture of Resistance », une sélection de trois courts métrages signés Iara Lee (Corée-Brésil)
La critique de « The Ghost of Piramida » (Danemark, 2013)

Nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous l’année prochaine pour renouveler l’aventure du documentaire, cette arme précieuse de la puissance douce.

Adi Chesson

Avec le vent de Raf Custers

Présenté dans la compétition « Travailleurs du monde » au festival Millenium cette année, le film de Raf Custers livre un témoignage déconcertant sur les conditions inhumaines imposées aux habitants ruraux de la RDC par les usines minières multinationales. Programmée en collaboration avec le Centre National de Coopération au Développement (CNCD 11.11.11), la projection était suivie d’un échange enrichissant entre la salle et Arnaud Zacharie, directeur du centre, Romain Gélin du Groupe de Recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea) et Santiago Fischer de l’ONG « Commission Justice et Paix ».

En décrivant un phénomène localisé dans une zone bien précise, la province congolaise du Katanga, le film dénonce une réalité répandue dans une grande partie du continent africain, à savoir l’exploitation unilatérale des richesses. En effet, non seulement la population locale ne profite aucunement de ses propres ressources qui sont accaparées par l’extérieur sitôt sorties de terre, mais elle doit en plus subir la nuisance provoquée par ces activités confinant à l’illicite.

On assiste de manière flagrante à un dumping (au sens littéral) de polluants dans les eaux des villages aux alentours des usines, sans que cela ne choque aucune autorité. Les protestations des victimes se diluent dans les méandres de la bureaucratie, et ce malgré l’adoption d’un code minier au niveau national. C’est que ce texte prescriptif se contente de suggérer des mesures de responsabilisation des industries au lieu de les imposer. Les raisons pour ce laxisme fatal sont vite connues : la pression internationale pèse lourdement de tous les côtés, venant des états voisins, l’Afrique du Sud, ou de bien plus loin, la Chine ou l’Union Européenne, tous sont parties prenantes de cette caverne d’Ali Baba recelant le cuivre et le cobalt, métaux précieux valant l’or de nos jours pour leur rôle primordial dans les appareils électroniques.

Le film de Custers va donc loin dans ses interrogations, à l’instar de la réalité qui n’est elle-même pas unidimensionnelle. Celle-ci ne peut se résumer à des constats simplistes, comme la corruption au niveau local, les conflits tribaux, ou la croissance des implantations chinoises dans le continent. La réalité, pour autant qu’on puisse la cerner par le biais d’un documentaire, est un alliage de tous ces facteurs et de bien d’autres. La force de ce film est de tenir compte de cette complexité tout en interrogeant avec la même inexorabilité tous les acteurs, que ce soit au Nord ou au Sud, en Occident ou en Orient, sur leur part de responsabilité dans une situation qui ne pourrait être considérée autrement que comme une catastrophe humaine.

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Ce rapport problématique que les nations défavorisées entretiennent avec le monde développé (l’Inde en est un exemple parlant, se situant à la fois du côté de l’exploité et de l’exploitant, surtout vis-à-vis de l’Afrique) a fait l’objet d’autres documentaires vus au festival par le passé. « Blood in the Mobile » de Frank Poulsen (Danemark, 2010) démasque le rôle sournois de l’industrie de la télécommunication dans le maintien des conflits civils en Afrique. « E-Wasteland » de David Fedele (Australie/Ghana, 2012) dresse quant à lui le portrait d’une jeunesse ghanéenne accablée par la misère au point de se livrer au travail dangereux de brûler les câbles électroniques en plein air pour en récupérer les métaux précieux (tout comme les jeunes Congolais dans « Avant le vent » s’aventurent dans des aires radioactives pour glaner des métaux de valeur).

Ces films nous font réfléchir sur notre consumérisme acharné et irresponsable, en nous montrant une réalité barbare dont nous ne soupçonnons nullement l’existence derrière nos ordinateurs et écrans de téléphone portable. Combien d’entre nous se doutent que la production comme le recyclage de nos téléphones – qu’on renouvelle presque aussi souvent que sa garde-robe – engendre de telles injustices sociales dans le monde ? Quand bien même on le saurait, se sentirait-on assez concerné pour repenser ses comportements ?

Adi Chesson

Consultez la fiche technique du film

Culture de la Résistance : Trois courts métrages d’IAra Lee

Les films de la réalisatrice coréenne-brésilienne Iara Lee sont sans concession et vont droit au but. Dénonciation univoque des faits, ces documentaires sont comme des coups de poing qui en même temps ne compromettent rien de leur maîtrise cinématographique et leur réussite esthétique. Trois exemples captivants de la filmographie d’une artiste engagée figuraient dans une séance spéciale lors de la dernière édition du festival Millenium à Bruxelles.

Battle for the Xingu (2009)

Le film montre de très près la polémique autour de la construction d’un immense barrage sur le Xingu, affluent de l’Amazone dans la ville brésilienne d’Altamira. Pénétrant dans le vif du sujet, Lee montre différentes étapes des négociations et des réactions autour de ce projet aberrant et illogique du point de vue de la durabilité, dont les effets promettent d’être dévastateurs pour l’environnement et la biodiversité. Lors de la plus grande manifestation regroupant les habitants indigènes du Brésil, directement concernés, l’indignation a basculé vers une violence terrifiante envers les pouvoirs décisionnels. La violence des réactions avait seulement pour but la protection des villages de ces peuples, de leur avenir et de leur fleuve, le cœur même de leur existence collective. Même si le projet continue de se développer et risque tôt ou tard de voir le jour, au moins les protestations auront persisté et l’injustice sociale aura été publiquement décriée par la communauté internationale. Et ce, notamment grâce à des initiatives comme le film de Lee.

The Kalasha and the Crescent (2013)

Œuvre la plus récente d’Iara Lee, ce film dépeint le portrait touchant et exaltant du peuple Kalash du nord du Pakistan. Cette communauté minoritaire ne s’inscrit pas dans la logique de la religion dominante du pays, tout comme leurs voisins zoroastriens en Iran. Les pressions de conversion sont de sérieuses menaces au patrimoine riche de ce peuple, pratiquant un polythéisme antique désapprouvé par l’Islam régnant. S’ajoute à cela le fléau d’un tourisme à la progression importante. Même si celui-ci permet de relayer la problématique au-delà des confins de la vallée de l’Hindu Kush, ce phénomène intrusif et indésirable menace, lui, l’intégrité et le droit à l’intimité de la région. Entre ces deux maux qui semblent s’équivaloir, les Kalash œuvrent implacablement pour préserver leurs mœurs et leur identité.

The Rape of Samburu Women (2011)

Dans ce film cru et poignant, Lee recueille les témoignages de nombreuses femmes kényanes, toutes violées par des officiers britanniques qui occupent les camps d’entraînement militaires installés dans le pays depuis son indépendance en 1963. Ces actes abjects ont beau être dénoncés, plainte après plainte, l’armée décline résolument toute responsabilité et l’autorité locale ferme les yeux. Stigmatisées indûment comme le sont souvent les victimes de viol, ces femmes se voient bannies de leurs familles et leurs villages. Portant et élevant seules les fruits de leur agression, elles trouvent comme seule consolation de se regrouper entre semblables, instaurant une sorte de communauté matriarcale. L’ironie du sort fait que leurs histoires, balayées comme autant de mensonges, se confirment sur les visages innocents de leurs enfants clairs de peau, leur métissage étant la preuve indéniable de leurs véritables origines. Avec une profusion de larmes en gros plans, Lee choisit délibérément de ne pas édulcorer ce discours direct ou d’enrober sa narration de la moindre distanciation, pour rendre pleinement compte de l’envergure de l’atrocité et de l’impudeur de ses auteurs. Son point de vue intransigeant empêche toute indifférence et nous oblige à nous positionner face à une réalité écœurante : s’indigner et réagir, ou rester passifs tout en gardant un goût amer dans la bouche.

Adi Chesson

Consultez les fiches techniques de « Battle for the Xingu », « The Kalasha and the Crescent » et « The Rape of Samburu Women »

Karaoké Domestique d’Inès Rabadán

Présenté dans le cadre de la compétition « Travailleurs du monde » cette année au Festival Millenium, « Karaoké domestique » est une interrogation pleine d’humour et de poigne sur le milieu des titres-services et de l’aide ménagère en Belgique. Son auteur, cinéaste et vidéaste Inès Rabadán, fait preuve d’une grande originalité et livre une œuvre qui divertit et interpelle à la fois.

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Usant d’un procédé des plus bluffant jamais vus dans le genre du documentaire, Rabadán se place elle-même devant sa caméra pour présenter les témoignages de trois femmes de ménage et de leurs employeuses respectives. Avec un travail de doublage remarquable et à peine perceptible, elle passe constamment d’un « personnage » à l’autre, brouillant ainsi les pistes et laissant comme seul repère des timbres modulants et des accents variés. Les notions « prêter sa voix » et « être porte-parole » gagnent une toute autre signification.

Si plus d’un passe à côté de cet artifice, c’est que Rabadán a réussi son trompe-l’œil. Le sujet du film – à savoir la condition des travailleuses – reste néanmoins limpide et univoque. Avec un parti pris résolument féminin, elle dresse le portrait d’un phénomène qui touche principalement les femmes (jusqu’à 77% du groupe cible). L’enjeu dépasse la question du genre pour s’étendre à celles de l’immigration et de la justice sociale en général. Les témoignages sont révélateurs d’une relation ambiguë et pas toujours assumée dans le monde démocratique développé : celle entre classe dominante et classe dominée. Les discussions autour de l’appellation de la fonction – « aide ménagère », « femme de ménage », « domestique » ou encore « (celle) qui vient faire le ménage » – trahissent un souci de distinction sociale. Les employées cherchent avec optimisme une certaine dignité dans leur travail alors que les employeuses justifient tant bien que mal leur besoin d’aide au ménage. Les unes comme les autres s’interrogent sur cette profession problématique, vestige d’un féodalisme qui, en de termes extrêmes, offre par le biais d’un certain esclavage une émancipation matérielle ou symbolique. Même si elles tergiversent entre l’assurance d’un travail stable et une légitime soif d’épanouissement, entre la survie et la passion, ces femmes sont tout de même mues par l’envie de changer leur situation et aspirent toutes à une liberté.

La véridicité palpable des témoignages percute le « mensonge » manifeste à l’écran, lorsque la cinéaste se présente et se représente de manière contradictoire, ou qu’elle fait référence à un pendentif de Sainte-Lucie invisible, avant que l’on se rende compte de la théâtralité de la démarche. Le documentaire se distancie du réel, sa condition première, pour s’approcher du simulacre pur. Curieusement, le propos est ainsi davantage renforcé. Rabadàn parvient à jouer sur cette brèche entre réalité et fiction en parsemant sa mise en scène de plans métonymiques des vrais protagonistes – des mains en gros plan, des vues de dos d’une femme pianotant… – dans un grain vidéo marqué et clairement contrasté à l’image pour le reste soignée. S’inspirant de la technique du karaoké, Rabadán donne un visage aux femmes sans visages, et la parole aux femmes sans voix, dans la pudeur et le respect total du sujet.

Adi Chesson

Consultez la fiche technique du film

K comme The Kalasha and the Crescent

Fiche technique

Synopsis: Les  Kalash du Chitral forment un peuple du Pakistan septentrional, dont le riche héritage culturel est en contradiction avec l’islam dominant. Aujourd’hui, bien que ce peuple doive faire face à la pauvreté, au tourisme et à l’islam, certains militent pour ne pas que leur culture s’éteigne. Les traditions Kalash peuvent-elles résister à la fois à la mondialisation et aux tensions religieuses ?

Pays: Pakistan, États-Unis

Genre : Documentaire

Durée : 13′

Pays : Pakistan

Année  : 2013

Réalisation : Iara Lee

Caméra : Shah Zaman Baloch

Montage : Imran Mushtaq

Production : Iara Lee

Article associé : la critique du film

R comme The Rape of the Samburu Women

Fiche technique

Synopsis: Lorsque le Kenya était encore une colonie britannique, les femmes ont été confrontées à une épidémie de viol. Bien que ces viols aient été officiellement rapportés, les soldats n’ont pas été reconnus coupables par l’armée britannique. Au milieu des années 1990, Beatrice Chili a réagi face à cette situation en mettant en place le village de Senchen, une communauté auto-suffisante dirigée entièrement par des femmes. Dans ce village, les femmes construisent des maisons, fabriquent des vêtements, cultivent la terre et élèvent les enfants. Ce court métrage montre le courage de ces femmes qui racontent à cœur ouvert leur souffrance et qui parlent avec passion de leur combat pour obtenir justice.

Genre : Documentaire

Durée : 13′

Pays : Kenya, Etats-Unis

Année : 2011

Réalisation : Iara Lee

Caméra : Axel Bauman

Son : Cory Choy

Montage : Nathaniel Michael Cunningham, Collin Ruffino, Jeff Marcello

Production : Caipirinha Productions

Article associé : la critique du film

B comme Battle for the Xingu

Fiche technique

Synopsis: Le long du fleuve Xingu, un affluent de l’Amazone, vivent plus de 10 000 indigènes dont la survie dépend de la rivière. Le gouvernement brésilien, pour développer la région, propose d’y construire un barrage hydro-électrique. Cette initiative mettrait en danger la biodiversité de son bassin mettant ainsi en péril le futur de ses habitants. En janvier 2009, plus de 100 000 Brésiliens se sont rassemblés à Belem pour le Forum social mondial, où les habitants du Xingu ont fait entendre leurs voix et ont assuré qu’ils ne laisseraient pas menacer la rivière et leur culture.

Genre : Documentaire

Pays : Brésil, États-Unis

Durée : 11′

Année : 2009

Réalisation : Iara Lee

Caméra : Altair Paixao, Elrik Lima

Son : Cristian Fleming

Montage : Collin Ruffino

Production : George Gund III

Article associé : la critique du film

A comme Avec le vent

Fiche technique

Synopsis : Croissance pour les uns, patience pour les autres. Nous le voyons en République démocratique du Congo, où ce documentaire a été tourné en avril 2013. Le film déconstruit les rapports entre les populations locales et l’industrie minière. Pendant que le cuivre et le cobalt sont extraits des mines pour nourrir l’économie mondialisée, les congolais toussent. Le vent chargé de pollution est aussi celui des aspirations à un développement soutenable et au bien être pour le peuple congolais.

Genre : Documentaire

Durée : 36′

Pays : Belgique

Année : 2013

Réalisation : Raf Custers

Image : Idriss Gabel

Montage : Guido Welkenhuysen

Production : Le Gresea, Les Films de la Passerelle

Article associé : la critique du film

K comme Karaoké domestique

Fiche technique

Synopsis: Dans toutes les maisons, quelqu’un doit ranger, lessiver, nettoyer. Mais qui ? Karaoké domestique est une performance et une expérience : trois « couples » de femmes, dont l’une s’occupe du travail ménager de l’autre, sont interviewés par la réalisatrice Inès Rabadán au sujet de l’organisation et de la hiérarchie complexe qui règne dans une maison.

Pays : Belgique

Année : 2013

Durée : 35′

Réalisation : Inès Rabadán

Image : Olan Bowland

Son : Thibaut Darscotte

Montage : Ines Rabadan

Production: Désirée Augen, CBA

Article associé : la critique du film

Brussels Short Film Festival, le palmarès

Découvrez le palmarès du Brussels Short Film Festival!

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Palmarès International 

Jury du festival : Delphine Lehericey, Jean-Bernard Marlin, Finnegan Oldfield, Solène Rigot

Le Grand Prix International : XE TAI CUA BO de MAURICIO OSAKI – Brésil

Le Prix du Jury : SEXY DREAM de CHRISTOPHE LE MASNE – France

Le Prix d’Interprétation Féminine : Céline Sallette pour LA FEMME DE RIO de NICOLAS REY & EMMA LUCHINI – France

Le Prix d’Interprétation Masculine : Mihail Mutafov pour PRIDE de PAVEL G. VESNAKOV – Bulgarie

Mention Spéciale du Jury : SOLECITO de Oscar Ruiz Navia – Colombie

Mention Spéciale du Jury : SHOPPING de VLADILEN VIERNY – France

Le Prix du Public : SOLO REX de FRANÇOIS BIERRY – Belgique

Palmarès National 

Jury du festival : Stéphane Aubier, Miguel Dias, Pascale Faure

Le Grand Prix National : DE WEG VAN ALLE VLEES de DEBEN VAN DAM – Belgique

Le Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles  : WELKOM de PABLO MUNOZ GOMEZ – Belgique

Le Prix d’interprétation féminine : Jacqueline Staup pour ALBERTINE de ALEXIS VAN STRATUM – Belgique

Le Prix d’interprétation masculine : Bernard Jousset pour ALBERTINE de ALEXIS VAN STRATUM – Belgique

Le Prix de la Critique : ALBERTINE de ALEXIS VAN STRATUM –  Belgique

Mention Spéciale du Jury : MIA de WOUTER BONGAERTS – Belgique

Le Prix de La Trois : SOLO REX de FRANÇOIS BIERRY – Belgique

Le Prix BeTV : JOSE de DAVID MUTZENMACHER, ALEXANDRE BOUCHET, GAETAN LIEKENS – Belgique

Le Prix du Public : PARTOUZE de MATTHIEU DONCK – Belgique

Palmarès Next Generation

Jury du festival : Mélissa Bouchard, Arnaud Demuynck, Valéry Rosier

Grand Prix National : MOUETTES de ZENO GRATON – Belgique

Grand Prix International : COWBOY JANKEN OOK de MEES PEIJNENBURG – Pays-Bas

Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) : OH MY DOG ! de CHLOÉ ALLIEZ – Belgique

Prix International du Public : LE DOIGT D’HONNEUR de MALIKA PELLICIOLI – Suisse

Prix National du Public : ZINNEKE de REMI ALLIER – Belgique

Prix du Jury Jeune : WIR FLIEGEN  de ULRIKE KOFLER – Autriche

Mention Spéciale du Jury : Ikke tenk pâ det engang de JANNICKE HANSEN – Norvège

Metronomic & co : courts métrages d’animation #1

Metronomic est une société de production parisienne qui adore insérer de l’animation dans ses clips, pubs et courts métrages délirants (live, 2D, 3D, stop motion, …). Plusieurs titres de son catalogue se sont attirés la bienveillance des sélections et des palmarès de festivals (Annecy, Bruxelles, Lille, Clermont-Ferrand, Cannes, Ottawa …) et des grilles télé (Canal + Arte, Be TV, …). Parmi eux, les facétieux « La Révolution des crabes » (Arthur de Pins) et « Les Oiseaux en cage ne peuvent pas voler » (Luis Briceño) ont été édités par Lowave il y a 10 ans en compagnie farfelue de 9 autres courts et de bonus surprise.

Cette compilation de courts, mettant en avant l’artisanat de l’animation française, souscrit à la variété des idées, des images, des techniques et des sons inhérents au genre lorsqu’elle met en scène les visions du monde les plus invraisemblables. Si l’humour décalé est fort présent, les styles, eux, honorent autant les techniques traditionnelles que numériques. Généreusement, le volume accueille prises de vues réelles, questions existentielles, dessin ordinaire, bestioles allumées, papier découpé, légumes perturbés, super 8, violence pathétique, pâte à modeler, perplexité des relations et animation flash. Voici le meilleur du collectif Metronomic.

La Révolution des crabes d’Arthur de Pins

La vie est plutôt paisible en Gironde. Après y avoir honoré le patrimoine culturel (vins, châteaux, huîtres, bastides, crépinettes,…), le touriste se repose sur la plage, inconscient du drame que connaît l’un de ses résidents légitimes : le pachygrabsus marmoratus. Appelé communément chancre mou ou, plus souvent, crabe dépressif, celui-ci est raillé depuis 120 millions d’années à Arcachon comme à Tizac-de-lapouyade (canton de Guîtres) par les tourteaux et autres habitants maritimes.


Comment voulez-vous donc crâner lorsque pendant toute votre vie de crustacé, vous avez dû respecter la ligne droite qui vous a été attribuée ? Carrés, pas beaux, puants, même pas bouffables, ces bestioles-là n’ont pas le droit de pouvoir tourner, contraintes de toutes leurs pattes de se déplacer toute leur vie selon la même trajectoire. L’une d’entre elles, devenue philosophe (une première dans la mer), reconsidère pourtant les choses et redonne un semblant de dignité à ses potus pachygrabsus marmoratus.

Anim’ en noir et blanc réalisée en flash, perle d’humour noir au sujet plus que décalé et à la voix-off impayable, « La Révolution des crabes » a rallié en son temps (2004) de nombreux festivals à sa cause : Anima, Annecy, Ottawa, … . Déjà évoqué dans nos colonnes, le film refait surface tant la cause de ces crabes cons et rebelles nous tient toujours autant à cœur, 10 ans après réalisation.

Space on earth de Patrick Volve

Ce que la Terre peut être surprenante quand on vient de l’espace… Mister Pod et Ginger Fo Low, deux extraterrestres gays peuvent en témoigner mais de manière opposée. Leur histoire est intense mais légèrement monotone ces derniers temps. Pour la pimenter légèrement, ils décident d’aller pondre des œufs sur une planète mystérieuse, un certain 3 mars 2007… De façon déjantée, ce court revisite la science-fiction américaine en conviant pâte à modeler, bonhommes affreux et prises de vues réelles. Avec un final de circonstance !

Les Oiseaux en cage ne peuvent pas voler de Luis Briceño

Différentes saynètes sont en mesure de vous prouver que décidément, les oiseaux peuvent éprouver quelques difficultés à battre des ailes lorsqu’ils sont privés de leur liberté. L’affaire peut être banale mais ces volatiles-là ont vraiment une vie difficile, qu’ils soient solitaires ou en groupe. Heureusement, il y a toujours moyen de se divertir lorsque Homer, Kermit, de belles dents et le tic tac de l’horloge s’infiltrent entre les barreaux. En trois minutes, Luis Briceno s’est éclaté en son temps (2000) avec de la pâte à modeler et un thème fantasque. Ce ne sont certainement pas les villes et le public d’Annecy, de Santiago, de Cannes, de Kiev et d’Aubagne – entre autres – qui le lui ont reproché à l’époque.

Qui veut du pâté de foie ? d’Anne-Laure Bizot et Amélie Graux

Un enfant chétif éprouve quelques angoisses lorsqu’il est rejoint, après l’école, par ce qui s’apparente à sa mère : une immonde barrique sur pattes qui mange continuellement de tout, y compris les sandwiches au pâté de foie réservés à son fils, mal à l’aise. La gêne de celui-ci s’amplifie lors des dîners de famille composés de toutes les victuailles possibles et des plus grands gloutons de la terre. Peut-on seulement échapper à sa famille ?

« Qui veut du pâté de foie ? », réalisé en pâte à modeler, a reçu la Mention Spéciale du Jury d’Annecy en 2002, le grand prix du Festival international des écoles de cinéma (FIDEC) et du festival Projection d’argile à Montpellier.

Par son ton (grotesque, violent) et son sujet (la nourriture, la destruction, l’absence de limites), « Qui veut du pâté de foie ? » rappelle évidemment les scènes de table d’une certaine « Grande Bouffe » mais aussi indirectement celles de  « Next Floor » du Canadien Denis Villeneuve. Les deux films ont marqué les esprits en leurs temps, ce film de monstres en volume les rejoint en toute complémentarité.

Katia Bayer

Article (extrait) paru sur Cinergie.be

Metronomic & co : Éditions Lowave

Human Frames

Fondée en 2002, la maison Lowave propose un véritable point de vue sur le cinéma expérimental et la vidéo contemporaine. Si aujourd’hui, elle a développé de multiples activités autour de ces genres, le label continue à éditer des DVD qui demeurent des socles solides pour la diffusion de films innovants trop peu vus par les publics. La collection « Human Frames » fait partie de ces projets ambitieux portés par Lowave qui font la part belle aux artistes internationaux, mêlant avec une déconcertante facilité l’art vidéo, le cinéma, et plus largement l’image animée sous toutes ses formes à un fil conducteur des plus difficiles à travailler : les émotions humaines. Ce vaste terrain d’expérimentation, ceint dans une collection de 10 DVD soit 77 films issus des productions européennes et asiatiques, peut être considéré comme l’objet matérialisant symboliquement une sorte d’aboutissement de 10 ans de recherches autour de l’art contemporain.

Basé sur la théorie de la santé d’Hippocrate, l’humoralisme, la collection « Human Frames » se construit autour de l’idée que les différentes personnalités humaines proviennent d’un mélange subtil de liquides (les humeurs). Dans la théorie médicale comme dans les films, chaque individu arrive avec ses propres humeurs et compose avec celles-ci dans la vie et dans ce qu’il absorbe comme émotions externes, ici les films. Dans « Human Frames », chacun trouvera sa sensibilité tantôt flattée tantôt bousculée par des images, aussi sensibles que sensorielles, qui troublent notre perception et nos préjugés sur les 10 grandes thématiques abordées : la joie, le désir, la folie, le fanatisme, la peur, la colère, l’isolation, la mélancolie, l’empathie envers les choses (concept japonais du mono no aware) et l’impermanence (concept bouddhiste).

Au détour de ces films, il est bon de rappeler que plusieurs d’entre eux ont eu de belles carrières en festival de cinéma. Pour n’en citer que quelques uns, voici ceux que nous avons pu revoir avec une forte émotion : « Strips » de Felix Dufour-Laperrière dans Desire, « Eut-elle été criminelle » de Jean-Gabriel Périot dans Fanatiscism ou encore « Copy shop » de Virgil Widrich dans Madness. Mais la collection propose également des oeuvres a la diffusion publique plus confidentielle, plus centrée sur les expositions d’art vidéo comme les très percutants « Disco » de Raed Yassin dans Desire ou « False Friends » de Sylvia Schedelbauer dans Fear qui explorent chacun la mémoire et le trouble du souvenir.

Dans ce beau coffret (unique en son genre), on peut picorer quelques films de chaque DVD, visionner consciencieusement chacun d’entre eux humeur par humeur et décanter après chaque DVD, ou encore visionner la collection dans son entièreté, chaque expérience demeurant unique. Quoi qu’il en soit, on ne ressort pas tout à fait serein d’un visionnage de tout ou d’un fragment de « Human Frames », l’esprit vagabondant facilement entre malaise, tension, relâchement et passion pour, peut-être, finalement se recentrer sur lui-même en constatant qu’il fait définitivement partie d’un tout universel, l’humanité.

Fanny Barrot

Articles associés : l’interview de Felix Dufour-Laperrière, la critique de « Eut-elle été criminelle » de Jean-Gabriel Périot, l’interview de Jean-Gabriel Périot

Human Frames : Éditions Lowave

Lowave

Depuis dix ans, l’éditeur DVD Lowave investit le champ du cinéma expérimental et de l’art vidéo. Spécialisé dans les images en mouvement, en quête d’auteurs émergents (venus surtout d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique), Lowave compte un catalogue important de courts et de longs métrages, de portraits d’artistes et de travaux interdisciplinaires. Entre deux focus, Format Court a repéré quelques titres révélateurs de la variété du catalogue de cet éditeur à la pointe, curieux et interculturel.

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Découvrez dans ce focus :

Metronomic & co : courts métrages d’animation #1

Human Frames

Une ombre dans les yeux de Rafael Lewandowski

« Re:Frame – scanning time / documenting change »

Triptyque « Hors Pistes »

Chema García Ibarra : « Un jour, j’ai senti qu’il y avait beaucoup de possibilités à raconter des histoires avec une caméra »

Découvert au festival de Brest, « Misterio » y a remporté notre Prix Format Court fin 2013. Le film mêle naturel et surnaturel, étouffement et soif de liberté, personnages hors normes et situations cocasses. Depuis dix ans, son auteur, Chema García Ibarra, intéressé par l’humour, la science-fiction et les acteurs non professionnels, fait des films sans beaucoup de moyens dans son coin, à Elche, une petite ville d’Alicante. À l’occasion de la projection de « Misterio » lors de la carte blanche consacrée à Brest, en mars dernier, nous avons invité Chema Garcia Ibarra à Paris à nous parler de ses moteurs et de sa conception bien personnelle de raconter des histoires. Venu avec sa compagne Leonor Diaz, il nous a offert après coup une « Jetée II » soit un “court cryptique de-science-fiction réalisé pour nous avec amour » que nous vous invitons à découvrir dans cet entretien.

leonor-chema1Format Court : Vous êtes en couple et travaillez ensemble depuis des années. Comment avez-vous été amené à collaborer ?

Chema : Avant mes trois courts, j’ai fait un film de jeunesse en 2007 (« Miaau ») que je n’aime pas beaucoup. On était ensemble avec Leonor et je lui ai demandé d’assurer la direction artistique de mon film car je la trouvais douée pour ça. Elle n’avait aucun lien au cinéma.

Le cinéma m’intéresse depuis l’enfance. Les études coûtaient chers, j’ai donc étudié la publicité car il y avait des cours communs avec la section de cinéma. Je n’avais aucun intérêt pour la publicité, mais je savais que j’apprendrais des choses propres au cinéma et que je voulais faire des films. J’ai demandé à Leonor de m’aider sur le premier projet, ça m’a plu et ça a été le début de notre collaboration.

Leonor : Au début, quand on s’est rencontré, il chantait dans un groupe de rock et j’étais une groupie ! Quand il m’a parlé de cinéma, ça m’a paru curieux, je l’ai pris comme un jeu. Travailler avec lui m’a plu.

Tes films, Chema, comportent des images très visuelles, des synopsis très courts. On est proche de la publicité.

C. : J’ai travaillé 7 ans comme rédacteur et graphiste. Même si je ne partage rien artistiquement parlant avec les gens qui travaillent dans la publicité, ça m’a parlé. Quand tu lis mes synopsis, tu sais que je viens de la pub. Ils sont très courts, ils tiennent en une phrase. Souvent, les festivals me demandent d’envoyer des longs synopsis mais je leur réponds qu’il n’y n’a pas !

Ils ne sont pas juste courts, ils sont mystérieux aussi.

C. : Je n’aime pas raconter trop de choses ni en dire trop. J’aime jouer avec le mystère, l’intriguant.

Dans les courts, il y a aussi un lien avec le fantastique, l’ironie, le surréalisme. C’est une voie que tu souhaites explorer ?

C. : Oui, c’est quelque chose de très espagnol (rires) ! Cette ironie, cet humour noir, c’est très commun chez nous, ça correspond à notre culture. Mon réalisateur préféré est Buñuel. Même quand il fait ses films hors de l’Espagne, ses films sont très espagnols. J’aime cette vision noire de l’humour qui est d’ailleurs très présente dans ma vie (rires) !

Leonor, tu te sens connecté au monde de Chema ?

L. : Je suis très fan de son humour. Dans notre vie quotidienne, nous avons le même humour et rions des mêmes choses.

Au début de « Protoparticulas », pendant plusieurs minutes, le silence règne quand le personnage s’approche de la camera pour jeter des ordures. Il faut être patient, endurer ce silence et cette longueur. Tu te rends compte que certains spectateurs peuvent ne pas adhérer face à une séquence pareille ?

C. : Oui, mais beaucoup y réagissent. Pour moi, cette scène est très drôle. Commencer un film avec un personnages qui s’approche lentement de la caméra, dans le plus grand silence, pendant deux minutes, ça correspond à mon humour.. Quand je tournais ce plan, je me retenais de rire !

Comment passe-t-on de l’envie de cinéma à sa concrétisation ?

C. : Pourquoi est-ce que je veux faire des films ? Parce que je suis cinéphile depuis mon enfance. Petit, j’aimais surtout la façon de raconter des histoires. Je ne faisais pas attention au support mais j’étais réellement fasciné par la façon dont les histoires commençaient, dont les personnages étaient présentés et comment les choses se terminaient. J’ai voulu apprendre comment raconter des histoires car ça me fascinait. J’ai commencé à écrire beaucoup de nouvelles et puis, un jour, j’ai senti qu’il y avait beaucoup de possibilités à raconter des histoires avec une caméra. C’est très important de ressentir de la joie et ça m’arrive toujours en écrivant des histoires, en filmant mes amis, ma famille.

Travaillez-vous à deux le scénario ?

C. : Non, j’écris seul. Je n’aime pas dévoiler des choses sur l’histoire avant que le scénario soit terminé. Je n’en parle à personne, c’est peut-être une superstition, je ne sais pas (rires).

L.: Je commence à travailler avec lui quand le scénario est terminé. Je ne sais rien du projet. Chema est très stressé pendant le processus d’écriture. Nous ne communiquons pas. À ce moment, je hais son travail et le cinéma en général mais quand il me fait lire le scénario, je redeviens heureuse !

Qu’est-ce qui est difficile, Chema, quand tu écris ?

C. : Tout. Tout est difficile (rires) ! Probablement, ça aurait été plus facile si j’avais étudié le cinéma. Néanmoins, il y a dix ans, quand j’apprenais à faire des films, j’ai probablement lu tous les livres ayant trait au scénario. Maintenant, c’est différent, je ne pense plus à ça. Le processus d’écriture reste le seul difficile aujourd’hui à mes yeux. Le tournage, le montage, le casting, c’est facile pour moi. Comme je ne veux pas travailler avec des comédiens, je dois écrire des choses que les non professionnels peuvent faire. Par exemple, j’évite que les gens parlent beaucoup ou même qu’il y ait des conversations. Je pense à ça quand j’écris pour ma mère ou ma grand-mère. Ça rajoute une difficulté car je ne suis pas totalement libre. Je dois être réaliste et trouver des solutions narratives car ce sont mes proches que je filme.

Cette difficulté-là pourrait disparaître si tu travaillais différemment, avec des acteurs professionnels. Pourquoi ne le fais-tu pas ?

C. : Parce que je n’aime pas ça. Je sais que si je travaillais avec des professionnels, ce processus serait plus facile mais ça ne m’intéresse pas. Je suis un grand fan de Robert Bresson, il m’a beaucoup influencé. Il n’a jamais travaillé avec des comédiens professionnels mais avec des gens n’ayant aucune relation au cinéma. Depuis le temps, mes proches savent précisément ce que je veux et ils n’ont pas peur de la caméra. C’est pour ça que je travaille avec eux.

Dans tes films, tes personnages s’éloignent souvent de la réalité. Est-ce que tu cherches à critiquer notre société en parlant d’évasion ?

C. : Mes personnages veulent toujours s’échapper. Je m’intéresse beaucoup à la façon naturelle d’accepter le surnaturel, l’étrange. Quand j’étais petit, je vivais dans une ville proche de celle où se passe « Misterio ». Ma grand-mère connaissait une personnelle qui entendait la Vierge et c’était quelque chose de totalement normal pour les gens. L’extraordinaire au milieu de l’ordinaire, ça me fascine, c’est pour ça que j’ai fait ce film, mais ce n’est pas mon intention de proposer une critique de la société.

Souvent, les personnages sont en marge de la société, Pourquoi t’intéresses-tu aux anti-héros, aux personnages invisibles ?

C. : Ces personnages sont là parce qu’on ne s’attend jamais à ce qu’ils y soient. Je n’aime pas les personnages standard, les jeunes gens magnifiques au cinéma (rires) ! Par exemple, dans « La Vie d’Adèle », pourquoi sont-ils jeunes et beaux ? Je préfère le travail de Bruno Dumont : tous ses personnages sont laids !

Le format long t’intéresse ?

C. : J’ai travaillé sur « Uranes », un long-métrage pour la télé, ça m’a plu de faire quelque chose de plus long que d’habitude. Écrire un long me semblait gravir une montagne, mais le projet a marqué une étape. Je me sens préparé après dix ans de courts métrages. Je n’ai jamais été dans l’urgence de faire des longs. Avant, je testais des choses, maintenant, j’ai trouvé mon style mélangeant l’humour noir, l’absence de mouvement, de voix, de musique, Il y a cinq ans, je n’étais pas prêt, mais maintenant, après les courts et ce long, c’est comme si j’étais diplômé en cinéma (rires) !

Propos recueillis par Katia Bayer

Articles associés : la critique de « Misterio »

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Misterio de Chema García Ibarra

Présenté en compétition européenne au Festival Européen du film court de Brest, en novembre dernier, « Misterio » y a reçu le Prix Format Court. Ayant déjà une belle carrière à son actif, le court métrage de l’Espagnol Chema García Ibarra propose un cinéma à la frontière du fantastique.

Le réalisateur laisse entrevoir dans « Misterio » ce qu’on pourrait prendre pour une critique du poids du paraîre dans une société figée dans ses conventions telle que peut parfois être l’Espagne. Pour autant, comme à son habitude, Chema García Ibarra semble aussi et surtout vouloir ici s’amuser de faits presque surréalistes mais bien ancrés dans la réalité comme l’écoute de la voix de la Vierge à travers la peau d’un jeune homme.

D’une tournure d’esprit farfelue déjà entrevue dans ces précédents films « El ataque de los robots de nebulosa-5 » » et « Protoparticulas », le réalisateur construit ici une histoire jalonnée de séquences courtes et curieuses à travers lesquelles le spectateur se laisse conduire jusqu’à la fin quasi surréaliste du film.

D’un point de vue esthétique, il utilise pour la première fois la couleur et traite l’image comme des natures mortes, très composée avec beaucoup de détails. L’oeil voit l’ensemble mais ne peu déterminer la somme des choses qui la compose.

Dès l’ouverture, on est plongé dans une exposition presque choquante du quotidien de la vie de l’héroïne principale du film de Chema García Ibarra : une femme espagnole au visage fermé, taciturne et besogneuse. Le réalisateur filme une succession de séquences où cette femme (la voisine du réalisateur) est mise en scène dans sa pauvre vie : son mari vit sous assistance respiratoire, son fils (le cousin du réalisateur) est un nazi, et elle travaille dans une manufacture régie par des règles immuables et archaïques. Un quotidien qu’elle affronte docilement chaque jour, mais qui semble pourtant s’abattre sur elle.

Cette femme, toujours dans le cadre, un peu décentrée, fait partie de ces tableaux qui se jouent à l’écran mais elle n’incarne rien. Elle est un accessoire dans le décor, un maillon d’une chaîne bien rodée.

Et puis, il y a le moment de bascule. Le noeud de l’histoire réside dans une croyance religieuse partagée : le fils d’une femme de la communauté aurait été touché par la Vierge et quiconque écouterait sa nuque entrerait automatiquement en communication avec elle… Comme ses congénères, l’héroïne se prête au rituel mais ne semble pas entendre de propos de la Vierge. En revanche, il s’agit là d’un déclencheur. A partir de cet instant sa vie change irrévocablement.

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Cliquez sur l’image pour voir « Misterio » en VOD

En terme de rythme, le réalisateur réussit, par la reprise de séquences du début du film, à donner du corps à ce moment de bascule en transformant légèrement les mouvements quotidiens de la femme : ce décalage induit un passage de sa vie docile à sa fuite en avant. Là où elle respectait les règles, elle trahit maintenant systématiquement les codes de sa propre existence. Plus rien n’est cadré, elle n’est plus dans son rôle.

Dans les dernières séquences, on assiste à la lecture d’une lettre de la femme qui explique les raisons de sa fugue, ses raisons d’être partie pour vivre ses rêves en laissant sa famille, ses amies, ses collègues.

Parfois un peu difficile a décrypter, le cinéma de Chema García Ibarra a quelque chose de profondément ironique. S’il avait travaillé le thème de l’espace, de l’ailleurs dans ces précédentes réalisations, il montre ici encore une fois un personnage en marge de sa société, en proie soudainement à un doute si grand qu’il remet tout en question. Avec « Misterio », il manie avec précision le geste du cinéaste qui critique – ici une société religieuse et traditionnelle – en suggérant une ouverture artistique puissante, un univers singulier touchant et percutant.

Fanny Barrot

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Article associé : l’interview de Chema García Ibarra et Leonor Diaz

M comme Misterio

Fiche technique

Synopsis : On dit qu’en collant son oreille sur sa nuque, on entend parler la Vierge.

Durée : 11’30

Pays : 2013

Année : Espagne

Réalisation : Chema García Ibarra

Scénario: Chema García Ibarra

Image : Alberto Gutiérrez

Montage : Chema García Ibarra

Son : Pepe Marsilla

Interprétation : Angelita López

Production : Chema García Ibarra

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El ataque de los robots de nebulosa-5 de Chema García Ibarra

À quoi ressemble le monde enfermé dans un handicap ? À celui de quelqu’un qui attend la fin du monde répond le réalisateur Chema García Ibarra. Mieux, ce monde pourrait être le nôtre, le temps des sept minutes de son second court-métrage (après « Protoparticulas »), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2009 et Méliès d’or au festival de Sitges en 2010.

Un garçon assis sur un banc, un doigt pointé dans un ciel changeant, une porte qui s’ouvre, un jouet filmé en gros plan… Peu d’éléments de ce film font penser à de la science-fiction. Pourtant, la crainte ressentie à l’évocation d’une fin du monde prochaine est réelle.

Le film développe en fait deux univers savamment enchâssés l’un dans l’autre. Le premier décrit la perception du monde par un jeune handicapé. La présence étrange du comédien principal et la simplicité, si ce n’est le dépouillement des éléments qu’il observe, sont là pour nous aider à comprendre ce qu’il ressent, coincé entre l’âge adulte et l’enfance. Le beau noir et blanc et les cadrages inhabituels s’imposent alors d’eux-mêmes pour décrire toute l’étendue des catastrophes touchant une perception malade du monde.

Le second univers est celui révélé par la voix off et le montage très découpé du film. Il s’agit d’une recherche de signes d’une fin du monde prochaine dans la vie courante. « L’Armée des 12 singes », les deux « Terminator » ou encore et surtout le matriciel « La Jetée » ne sont jamais plus vertigineux que sur cet aspect important de la science-fiction évoquant une apocalypse prochaine. Le court-métrage de Chema García Ibarra semble même citer directement celui de Chris Marker au travers de plusieurs séquences fixes décrivant de manière post-apocalyptique des images qui seraient autrement restées banales. Dans les belles inspirations de science-fiction, on retrouve également les images floues et pixellisées empruntées aux postes de télévision des films des années 1980.

Par ce jeu d’échanges de perception donc, le spectateur est comme happé dans l’univers du personnage principal. La simple empathie qu’on pourrait ressentir disparaît et le rapprochement avec sa vision du monde est rendu possible via cet imaginaire de science-fiction et de beaux moments de cinéma.

Georges Coste

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Article associé : l’interview de Chema García Ibarra et Leonor Diaz

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