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« Mamembre », Métrange du Format Court 2012 au Festival Court Métrange de Rennes, est le fruit de l’imagination de sept réalisateurs issus de Sup’infograph 3D, la branche animée de l’ESRA (Ecole de Cinéma, de son, de film d’animation). À l’occasion de la projection du film au Studio des Ursulines en novembre , nous avons rencontrés cinq des co-auteurs : Christophe Feuillard, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Julien Ti-I-Taming et Quentin Cavadaski, Sylvain Payen et Clarisse Martin manquant à l’appel. Entretien groupé donc.

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Avant d’intégrer Sup’infograph 3D, leurs parcours étaient très différents et leurs ambitions aussi. Le premier avait une sœur dans l’école, la deuxième voulait se prouver qu’elle était capable d’intégrer une formation pareille, le troisième pensait faire du cinéma, le quatrième voulait travailler dans le jeu vidéo, le dernier pensait plutôt à la photo. Pourtant, à un moment de leur cursus, Christophe, Caroline, Guillaume, Quentin et Julien se sont rencontrés et se sont découverts des affinités et des goûts communs. Tous le reconnaissent : à l’école, ils ont été aiguillés et pas dirigés. Ils ont pu faire preuve de liberté, raconter ce qu’ils voulaient et recourir aux techniques d’animation de leur choix. Ce qui n’est pas le cas partout. Pour Christophe Feuillard, « il y a des écoles qui n’auraient pas forcément accepté les thèmes qu’on a abordé dans « Mamembre » ou dans nos films précédents. Les Gobelins, par exemple, produisent les films des étudiants, et peuvent refuser de poursuivre un film si celui-ci ne leur plaît pas ». Parallèlement à l’avantage de la liberté, il y a celui du lien. Quentin l’admet : « On est beaucoup moins nombreux que les étudiants en cinéma de l’ESRA. On est une trentaine et ils sont 240 par an. On a une relation différente aux professeurs, un lien différent avec eux. On peut parler avec eux, ils nous connaissent et ils connaissent nos projets, nos intentions, nos histoires. C’est quelque chose de précieux quand on sait que dans la même école, d’autres n’ont pas ce même lien avec les professeurs. »

À l’école, des amitiés se développent et des sensibilités communes se rejoignent. Comme des films se font dès la première année, des groupes se créent par le travail. À plusieurs, ils réalisent, comme en deuxième année, « Bleu-fraise », un film auquel collaborent Clarisse, Guillaume, Christophe et Quentin. Le sujet choisi se rapproche de l’amour destructeur, annonciateur du sujet du film de fin d’études, « Mamembre ». Celui-ci traite de la relation entre une mère et sa fille, deux mannequins désarticulés évoluant tant bien que mal dans une société déshumanisée (lire à ce sujet l’excellente critique de Xavier Gourdet). L’idée du film vient d’un rêve, celui de Guillaume. Laissons-lui la parole : « On cherchait un scénario. Mon rêve parlait d’une mère qui accouchait en continu. On greffait à ses enfants des vis et des tuyaux en acier pour qu’ils ne bougent plus et la seule chose qu’il leur restait était l’instruction. Seulement, ça ne marchait pas. Les enfants devenaient fous et on les jetait dans une fosse pleine de milliers d’enfants. À la fin, la mère s’approchait d’eux, tombait d’une falaise… . Et je me suis réveillé ! Pendant un mois, on a discuté de ce rêve mais l’idée ne convenait pas à tout le monde. On s’est donc regroupé autour d’une table et on a rassemblé les idées de chacun avant d’envisager l’étape du scénario ».

Parallèlement aux idées, des envies ont rapidement entouré le projet, leur dernier avant la sortie de l’école. Christophe l’atteste : « On souhaitait faire un film plutôt original, avec un sujet sensible qu’on n’ose pas vraiment révéler au public. Lorsque les formations se terminent en écoles d’animation, les professeurs poussent généralement les étudiants à faire des films lisses, à la Pixar, parce que l’objectif est de trouver du travail à la sortie. Le film de troisième année représente en soi une carte de visite pour être embauché par une grosse boîte. Nous, le lisse ne nous intéressait pas trop, le style Pixar nous agace. On voulait faire quelque chose qui sorte du lot ». Caroline renchérit : « Ce qui m’intéresse en général, ce n’est pas quoi raconter mais comment le raconter, c’est trouver une forme qui ne soit pas celle de Canal ou Pixar, mais quelque chose d’un peu plus risqué. Pour « Mamembre », on voulait transmettre des impressions personnelles et pas des clichés, des choses déjà faites ». Christophe rebondit : « Souvent, les sujets des films d’écoles d’animations sont très volages : on est soit dans une course poursuite soit dans l’espace ! Parce qu’on touche à la 3D, on est conditionné pour parler du futur. Nous, on voulait surtout aborder d’un sujet humain. Ceux qui traitent de vrais sujets ont généralement un vécu, un bagage. Nous voulions aborder la relation entre une mère et sa fille, les conflits potentiels entre elles et le sentiment amoureux. Nous avions envie de projeter les sensibilités des filles du groupe et travailler avec leur vécu. On les a donc beaucoup cuisiné pour le film. Avec nos petits moyens et nos deux demoiselles, on a pu ainsi arriver à parler d’autre chose. »

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Pour illustrer cette autre chose, entre sombre, étrange et dérangeant, il a bien fallu des emprunts, des inspirations. Guillaume confirme : « Une exposition sur les surréalistes au Centre Pompidou nous a marqués, notamment à travers une photographie floue de Man Ray, représentant la Marquise Casati avec deux grands yeux surexposés et le travail de Hans Bellmer qui a photographié une poupée désarticulée qui a nourri une réflexion sur la sexualité. D’autres personnes nous ont influencé : Rembrandt, Caravage, Fragonard sur certains aspects et David O’Reilly, un réalisateur anglais assez jeune, qui cartonne. Même si visuellement, on est très éloigné de lui, il travaille dans une perspective d’innovation qui nous inspire. Sa phrase fétiche, c’est innovez ou allez vous faire foutre ! ». Julien rajoute : « Ce qui nous a intéressé aussi, pour illustrer cette société déshumanisée, c’était de façonner une image très fragmentée : on filmait des membres et pas les visages, un peu comme ce qui se fait dans la pornographie. Dans le magasin, il n’y avait que des corps et les mannequins étaient froids, anonymes. »

Sur ce projet de troisième année, ils étaient d’abord neuf, puis sept à se greffer au film. Pourquoi avoir réuni autant de monde ? Comment s’est passé leur collaboration et comment se sont-ils répartis le travail ? Julien est le premier à répondre : « Chaque plan demandait beaucoup de temps, soit plusieurs semaines de travail. On ne pouvait pas se disperser, improviser sur le tournage. (…) En un an, il aurait été impossible de faire le film tout seul. Pourtant, on y a travaillé pendant tout ce temps tous les jours, à sept, mais malgré ce travail régulier, ça a été juste pour terminer les six minutes du film. L’année n’était pas de trop. On nous aurait enlevé ne serait-ce que deux semaines, il nous aurait manqué des plans. » Guillaume poursuit, hilare : « Pendant le tournage, il n’y avait plus de cours, de TP, de vie (rires) ! Les deux dernières semaines avant la deadline, on les a passés ensemble, dans 15 m², à sept, avec nos ordinateurs, Il y en avait toujours un qui allait faire les courses, on mangeait des pâtes toujours trop cuites dans des assiettes en carton (rires) et on se relayait pour dormir ! ».

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Plutôt que de parler de séparation de tâches, Caroline évoque, elle des compétences individuelles propres. « On n’avait pas vraiment de bouts de film à faire, Guillaume était à la direction artistique, mais on ne fonctionnait pas comme une pyramide. On était un groupe très soudé. Au début, on est parti sur des postes très segmentés, et petit à petit, plus le film a avancé, plus on a commencé à aller dans d’autres directions et à toucher à tout. On avait un film à terminer, on faisait ce qu’on pouvait et on s’entraidait. Il ne fallait pas faire des choses qui ne nous plaisaient pas. »

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Quand on leur demande si « Mamembre » est un film pour la fête des mères, les cinq rigolent en assurant que même si dans leur histoire, le personnage féminin mange finalement sa mère, ils n’ont pas de soucis particuliers avec leurs propres mères. Caroline ajoute : « Il fallait que l’histoire soit cohérente, que les gens y croient. La seule solution que la jeune femme avait était celle de se libérer du joug maternel ».

Maintenant qu’ils sont sortis de l’école, comment voient-ils leur film ? Est-ce qu’il a pu leur servir, faire office de carte de visite ? Guillaume répond : « Lorsqu’on a montré le film au jury professionnel composé de personnes de grosses boîtes, on a été critiqué sur les aspects techniques, sur l’ambiance. Au final, ils ont détesté le film et son propos. Ca nous a fait peur. Depuis, j’ai été amené à travailler comme graphiste à la télévision. À TF1, on ne m’a plus adressé la parole pendant une semaine, après que je leur ai montré le film ! Par contre, on s’est rendu compte que le film touchait plus la gent féminine que la masculine. Maintenant, on n’a plus besoin de draguer : on passe le film ! »

Propos recueillis par Katia Bayer

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Mamembre de Sylvain Payen, Christophe Feuillard, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Clarisse Martin, Julien Ti-I-Taming et Quentin Cavadaski

À l’occasion du 9ème Festival Court Métrange de Rennes, le film « Mamembre » réalisé par Sylvain Payen, Christophe Feuillard, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Clarisse Martin, Julien Ti-I-Taming et Quentin Cavadaski, a été distingué par le Métrange du Format Court du meilleur film européen. Diffusé lors de notre soirée de projection du 8 novembre au Studio des Ursulines à Paris, ce film d’animation écrit et réalisé à sept mains nous plonge dans un univers sombre et terrifiant à l’étrangeté très assumée, qui aborde la question des rapports de possessivité unissant une mère et sa fille.

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Premier film, oeuvre collective de fin d’étude pour l’école ESRA 3D Sup’infograph, « Mamembre » est un film dont le procédé surprend d’emblée. Utilisant majoritairement la 3D avec certains passages en 2D, le film bouleverse notre rapport au normal en mettant en scène des personnages en kit, comme des mannequins de vitrines de magasin aux textures plastiques dont les membres sont interchangeables, mais dont les yeux sont des incrustations réalisées en prise de vue réelle. Rapport paradoxal entre réel et virtuel, humain et inhumain, l’antinomie apparente entre les regards et les corps prolonge l’étrange sensation du jeu des membres extractibles. L’ensemble crée une impression bizarre qui suggère finement le thème de la séparation organique, de la coupure physique et charnelle entre une jeune fille qui grandit et cherche l’amour d’un homme, et une mère qui refuse le temps qui passe et veut jalousement conserver son bébé pour elle seule.

La scène d’ouverture présente à merveille le rapport conflictuel entre les deux femmes et la question de la lutte pour la sortie de l’enfance. Sur un air de boîte à musique enfantine, la jeune fille pose un regard attendri par la fenêtre vers le jeune homme qui l’attend en bas, une paire de jambes sous le bras comme pour lui proposer de s’enfuir. Intervention autoritaire, la mère de la jeune fille interrompt brutalement la scène pour coucher son enfant, la déshabillant maternellement de ses jambes et de ses bras. Démembrée et immobilisée dans un lit à barreaux devenu bien trop petit pour elle, la jeune fille reste à l’affût de l’arrivée de son amant par la fenêtre. S’exprime dans cette scène initiale, toute la puissance castratrice d’une mère trop aimante dont le cordon ombilical tentaculaire enserre de son affection dévastatrice la liberté d’être de sa progéniture.

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Dès lors on comprend que le film nous amène vers une déchirure inéluctable, une amputation et un écartèlement violent. Mais dans la nuit de « Mamembre », la maman a la dent dure et ne semble pas décidée à se laisser déposséder de son pouvoir sur sa créature. Pour cela, elle se rend en compagnie de son enfant tronc jusqu’à l’étrange boutique d’un chirurgien du mannequin, univers troublant où une dérangeante collection de membres pend du plafond alors que cuisses, mains et mollets de toutes tailles sont rangés par étagères entre des hanches et des torses tordus en d’inquiétantes formes désarticulées. Dépossédant son enfant d’encore une moitié de son corps, la mère se livre à une greffe. Heureuse comme une femme enceinte caressant son nourrisson assoupi en elle et oubliant l’horreur de son amour, elle a réintégré en son ventre la dernière partie de sa fille en en conservant que le visage. Comment échapper à ce carcan ? Comment se libérer lorsqu’on est réduit à ce point? Ultime alternative à l’émancipation guidée par l’instinct de survie, il faut tuer la mère. Se dégageant avec violence de l’emprise, au milieu des cris de douleur déchirants rappelant ceux des accouchements, la jeune fille se transforme en morsures impitoyables et dévore sa mère de l’intérieur.

Court-métrage audacieux et énigmatique qui exploite l’étrange en en assumant le côté noir, « Mamembre » fait partie de ces films insolites et dérangeants qui ne pouvait pas échapper à la sélection de Court Métrange et au Métrange du Format Court.

Xavier Gourdet

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Article associé : l’interview des réalisateurs du film

M comme Mamembre

Fiche technique

Synopsis : Dans une société où les personnages changent de membres comme de chemises, ce film noir/fantastique raconte l’histoire d’une mère, la quarantaine, sur-protectrice envers sa fille adolescente. Le seul recours de la fille pour retrouver sa liberté est de manger sa mère…

Réalisation : Christophe Feuillard, Sylvain Payen, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Clarisse Martin, Julien Ti-I-Taming, Quentin Cavadaski

Genre : Animation

Durée : 6’35 »

Pays : France

Année : 2011

Réalisation sonore : Nicolas Royere, Mikael Nabeth, Julien Ti-I-Taming

Production : ESRA

Articles associés : la critique du film, l’interview des réalisateurs

Mamembre, Prix Format Court au Festival Court Métrange 2012

Pour la deuxième année consécutive, Format Court participait en octobre au Festival Court Métrange de Rennes pour attribuer un Métrange du Format Court à l’un des films en compétition. Notre jury, composé de Katia Bayer, Nadia Le Bihen-Demmou et Xavier Gourdet, a choisi de distinguer le film d’animation « Mamembre », réalisé par Christophe Feuillard, Sylvain Payen, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Clarisse Martin, Julien Ti-I-Taming et Quentin Cavadaski, pour son univers noir et son approche étrange et violente des rapports de possessivité affectifs entre une mère et sa fille. Après l’avoir projeté à notre séance du 8 novembre 2012 au Studio des Ursulines, nous vous proposons d’en savoir plus sur le film.

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Retrouvez dans ce dossier spécial :

La critique de « Mamembre »

L’interview des auteurs du film

Silence, on court, appel à scénarios

Le festival Silence, on court ! (festival de courts métrages dédié aux jeunes réalisateurs ayant lieu en mars) ouvre son appel à projets à l’occasion de la 2ème édition de « Silence, on speed ! », une journée de rencontres professionnelles au cours de laquelle vous aurez l’occasion d’échanger sur vos projets avec des producteurs indépendants de courts métrages. Ce concours s’adresse à tous les scénaristes de moins de trente ans et dont la durée du scénario ne dépasse pas 30 minutes. La limite est donc fixée à 30 pages.

Impression

Vous avez jusqu’au 5 janvier 2013 pour envoyer vos scénarios accompagnés de la photocopie de votre pièce d’identité, à l’adresse suivante :

Silence, on Speed!
73, avenue d’Italie. Bâtiment D
75013 Paris

Pour plus d’informations, rendez-vous sur : http://www.silenceoncourt.fr/Historique/5eme_edition/silence_on_speed/

Festival de Bruz, palmarès 2012

Le Festival National du Film d’Animation de Bruz, organisé du 12 au 18 décembre, vient de s’achever. Avec plus de 75 films répartis en compétition professionnelle et étudiante, le festival a offert un regard complet sur l’état actuel de la création de courts métrages animés en France. En voici son palmarès.

GRAND PRIX DU JURY PROFESSIONNEL EX AEQUO : « Agnieszka » d’Izabela Bartosik et « Les Morceaux d’amour » de Géraldine Alibeu

Mention spéciale : « Palmipedarium » de Jérémy Clapin

GRAND PRIX DU FILM DE FIN D’ETUDES : « La Sole, entre l’eau et le sable » d’Angèle Chiodo

Mentions spéciales catégorie ‘Film de fin d’études’ : « Mer des pluies » de Violaine Picaut et « Pamela » de Meriem Bennani

PRIX MEDIA : « Peau de chien » de Nicolas Jacquet

Mentions spéciales : « Le Printemps » de Jérôme Boulbès et « Via Curiel 8 » de Mara Cerri

PRIX DE LA JEUNESSE : « Agnieszka » de Izabela Bartosik

Mention spéciale : « Ceux d’en haut » d’Izu Troin 2012

PRIX EMILE REYNAUD des adhérents de l’Afca :  « Oh Willy… » d’Emma de Swaef, et Marc James Roels

PRIX ARTE CREATIVE : « Caverne » de Boris Labbé

Mention spéciale : « Motha » d’Emilie Robin

PRIX SACD : « De riz ou d’Arménie » d’Hélène Marchal, Samy Barras, Romain Blondelle, Céline Seille

PRIX SACEM DE LA MEILLEURE COMPOSITION ORIGINALE : « Le Printemps » de Jérôme Boulbès (Musique de Michel Korb)

La Vie parisienne de Vincent Dietschy

C’est simple, le ping-pong. On réussit à faire ping quand l’autre fait pong – Rémi à Pierre

Lauréat du Prix Jean Vigo 2012 (avec« La Règle de trois » de Louis Garrel), présélectionné aux César 2013, « La Vie parisienne » de Vincent Dietschy fait partie des films français phares de cette année. Drôle et pétillant comme un Tic-Tac citron, ce moyen-métrage nous a très vite épatés, par sa légèreté, ses nombreux effets et son trio d’acteurs irrésistible. En le revoyant pour la énième fois sur grand écran, dernièrement à la clôture du Festival de Vendôme, une bonne lubie nous a donné l’envie de revenir sur ce film multi-facettes.

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En couple depuis des années, Pierre et Marion, tous les deux enseignants, se rendent chaque semaine au square pour jouer au ping-pong. Lors d’une partie, ils tombent nez à nez avec Rémi, l’amoureux d’enfance de Marion. Si la vie du couple est bien (trop) tranquille et dénuée de toute folie, celle de Rémi est complètement trépidante. Celui-ci dort dans les parcs, travaille dans un palace, et fréquente du beau monde. Très vite, Rémi affole les habitudes, la monotonie du couple et les sentiments de Marion.

« La Vie parisienne » foisonne de bonnes idées, tout au long de ses 37 minutes. Du générique coloré au découpage chapitré, des arrêts sur images au choix musical, de la saveur des dialogues au jeu de cadres perpétuel, des fantasmes en tous genres au génial duel au ping-pong, le film surprend et amuse plus d’une fois son spectateur. La spécificité du film doit beaucoup aussi à ses comédiens, tous les trois parfaits. Serge Bozon, réalisateur et comédien, joue Pierre, un homme peureux, jaloux, maniaque et rationnel. Milo McMullen, actrice-chanteuse, est la belle Marion, une femme tour à tour boudeuse, amoureuse, fière et objet (de son propre chef). Estéban, enfin, interprète avec un naturel déconcertant Rémi, un abstinent sexuel nonchalant et spontané, faisant preuve d’un déhanché sans pareil sur les tables de ping-pong de la capitale.

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Après avoir tourné un long-métrage plus conventionnel, une histoire d’amour entre Géraldine Pailhas et Christopher Thompson (« Didine », 2008), Vincent Dietschy s’est fait plaisir, on le sent, en petit comité et entre amis. Jouant sur plusieurs tableaux (l’amour, l’amitié, le sexe, la lassitude du couple, l’intrusion d’un élément perturbateur, la comparaison des existences), « La Vie parisienne » est une comédie sentimentale assurément réjouissante, l’un des moments forts de cette année, comme on vous l’annonçait en prélude. À Format Court, on sait à quel point les courts métrages souffrent d’un manque de visibilité. Alors, si vous avez l’opportunité de voir ce film aujourd’hui, dans le cadre du Jour le plus court, ne le manquez pas.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview de Vincent Dietschy, Milo McMullen et Estéban

V comme La Vie parisienne

Fiche technique

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Synopsis : Un couple, Pierre et Marion, parisiens, enseignants tous les deux, ont une existence bien réglée. Une vie rassurante et peut-être un peu… monotone. Au cours d’une sortie au square, Pierre et Marion rencontrent Rémi, un ancien camarade de CE2 de Marion. A l’époque, Rémi et Marion étaient amoureux l’un de l’autre. Que reste-t-il de ce sentiment vingt ans plus tard ? La vie de Pierre et Marion, jusque là tranquille et sans surprise, s’éclaire d’un jour nouveau.

Réalisation : Vincent Dietschy

Genre : Fiction

Pays : France

Année : 2011

Durée : 34’30 »

Scénario : Vincent Dietschy

Image : Vincent Dietschy

Son : Laurent Benjamin, Marc Parazon

Interprétation : Serge Bozon, Milo McMullen, Estéban

Production : Sombrero Films

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Rappel. Soirée Format Court n°8, ce vendredi soir au Studio des Ursulines‏‏, à l’occasion du Jour le plus court !

Une fanfare ahurissante, des paris d’ados, des petits larcins, un face-à-face devant le miroir, un rêve capillaire, une collision avec une grande rousse : vendredi 21 décembre 2012, à 20h30, à l’occasion du Jour le Plus Court, Format Court vous donne rendez-vous pour sa huitième projection de films courts, récents comme anciens, cultes comme méconnus, au Studio des Ursulines. Ce soir-là, l’entrée sera exceptionnellement libre !

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Programmation

– Symphonie bizarre de Segundo de Chomon (film muet, fiction, 1909, 4’22’’, France)
– Aglaée de Rudi Rosenberg (fiction, 2010, 19’43’’, France)
– Le Mozart des pickpockets de Philippe Pollet-Villard (fiction, 2006, 30’, France)
– L’acteur de Jean-François Laguionie (animation, 1975, 5’35’’, France)
– C’est gratuit pour les filles de Claire Burger et Marie Amachoukeli (fiction, 2009, 23’, France)
-Walking on the Wild Side de Dominique Abel et Fiona Gordon (fiction, 2000, 13’, Belgique)

Projection des films : 20h30. Durée du programme : 95′

Studio des Ursulines – 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris – BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon).
 RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée).

Entrée libre !

Infos : soireesformatcourt@gmail.com

Prochaine séance : le jeudi 10 janvier 2013 (séance anniversaire) !

Short Screens #23 “spécial comédie”: jeudi 27 décembre

Optimiste et culotté, Short Screens brave les desseins apocalyptiques de cette fin décembre pour vous proposer un programme de 8 courts métrages comiques. L’humour dans tous ses états, du rire jaune à la comédie noire, du rictus à l’éclat de rire, venez faire fonctionner vos zygomatiques au Short Screens #23! Un verre vous sera offert à l’issue de la séance.

Jeudi 27 décembre à 19h30, à l’Actor’s Studio, 17-19, rue de la Fourche, 1000 Bruxelles, PAF 5 €

Une initiative de Format Court et Artatouille asbl

Au programme :

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Bagni 66 de Diego et Luca Governatori

Dans la sélection de Vendôme, cette année, certains films avaient comme thème la transmission. Que ce soit dans « Footing » de Damien Gault, « Home run » de Lucas Davis ou dans « Bagni 66 » de Diego et Luca Governatori, le rapport au père était bel et bien présent. Si le premier film oppose deux générations sur fond de course à pied et de préjugés, le deuxième prend le parti d’un road-movie moyennement intéressant alors que le troisième confronte père et fils dans un établissement balnéaire, sur la côte adriatique.

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Diplômés de la Fémis, les frères Governatori nous avaient intrigués avec « Vita di Giacomo », leur film de fin d’études centré sur Giacomo, la figure atypique d’un jeune séminariste sur le point d’être ordonné prêtre, en pleine période de coupe du monde, en Italie. Deux images nous étaient restées en tête : la première, très percutante, entourait une ronde de séminaristes, en habits de culte, l’autre, très drôle, favorisait la rencontre entre l’un d’eux (Giacomo) et des supporters de football, à l’arrière d’un camion. Le film, lauréat du grand Prix au Festival du moyen-métrage de Brive en 2008, parlait de deux professions de foi, le catholicisme et le football, reliant les êtres humains, sur fond ultra réaliste. Les frères Governatori y avaient joué sur plusieurs tableaux : le mélange entre fiction et réel, l’interaction entre les acteurs professionnels et non professionnels, les idées préconçues sur la prêtrise, et le contact simple et humain entre des individus que tout pouvait opposer.

Après s’être penché sur l’engagement spirituel, Diego et Luca Governatori nous proposent cette fois avec « Bagni 66 », un autre type de transmission et de confrontation, le temps d’un été. Un père, Aroldo, et son fils, Elio, ne s’entendent plus quant au sort à réserver à leur petite entreprise familiale, une station balnéaire sur la côte italienne. Evoquant la crise et l’absence de vacanciers, l’aîné (interprété par le propre père des réalisateurs) ne veut plus s’en occuper, étant en quête de tranquillité. Son fils, lui, rejette l’opinion du père et souhaite reprendre l’entreprise en lui apportant de légers changements. Ce même été, Mathilde, une jeune femme française vient aider les deux plagistes.

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Comme dans le précédent film, différentes choses nous interpellent : le mélange des langues (français/italien), des scènes très belles et singulières (le père faisant du yoga sur la plage, la scène de repas, avec le passage des petites cuillers), la relation platonique entre Marc Vittecoq (Elio) et la très troublante Salomé Stévenin (Mathilde), mais aussi le lien renouvelé entre réel et fiction (les frères Governatori prennent, par exemple, le temps de filmer longuement une fête aux accents rock & roll et d’y introduire leurs personnages et leurs oppositions.

Au coeur du film, se pose les questions de la transmission filiale, de l’incompréhension entre les générations, du sort d’une entreprise familiale, du vieillissement, du désir, de la renaissance, et de la recherche d’identité. Avec ses cris, ses non-dits, ses rires, ses sourires et ses gênes, « Bagni 66 » nous séduit particulièrement. Meilleur moyen métrage de Vendôme, il rejoint d’autres films de même format nous ayant passionné cette année : « Sur la route du paradis » de Uda Benyamina, « Boro in the Box » de Bertrand Mandico et « La vie parisienne » de Vincent Dietschy, notre prochain sujet sur Format Court.

Katia Bayer

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B comme Bagni 66

Fiche technique

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Synopsis : Comme tous les étés, Elio rejoint son père en Italie pour l’aider à gérer le petit établissement balnéaire familial, le BAGNI 66, situé sur la côte adriatique. Mais les temps de crise et les conflits permanents ont usé le vieux plagiste qui ne tarde pas à faire part à son fils de sa volonté de céder le petit commerce.

Genre : Fiction

Pays : France

Durée : 54′

Année : 2011

Réalisation : Diego Governatori , Luca Governatori

Scénario : Diego Governatori , Luca Governatori

Montage : Diego Governatori , Luca Governatori

Montage Son : Pierre Bariaud

Interprétation : Marc Vittecoq, Salomé Stévenin, Aroldo Governatori

Prodcution : Les Films Hatari

Article associé : la critique du film

A comme A nos terres

Fiche technique

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Synopsis : Nicole et Auguste vivotent de leur métier d’agriculteurs, seuls en Ariège. La question se pose de la fin d’un métier, de ce corps paysan menacé.

Genre : documentaire

Année : 2012

Pays : Belgique

Durée : 22′

Réalisation :  Aude Verbiguié

Production : IAD

Article associé : la critique du film

A nos Terres d’Aude Verbiguié

Le Prix du Meilleur Documentaire au festival Media 10-10 cette année a été remporté à juste titre par « A nos terres » d’Aude Verbiguié. Ce remarquable premier film pose un nouveau regard sur un sujet qui semble être l’une des préoccupations des cinéastes belges ces derniers temps : la crise agricole ressentie de diverses manières à travers le monde.

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Comme attirée par un appel à ses racines, Aude Verbiguié revisite sa région d’origine dans le département de l’Ariège, où elle suit Nicole et Auguste, vieux couple de survivants de cette espèce menacée qu’est la classe des fermiers. Dans leurs pérégrinations quotidiennes, la vie est dure et impitoyable mais gratifiante par le contact direct avec la Nature et la Terre. Aude Verbiguié explore la problématique de l’effacement progressif de la paysannerie locale face à la globalisation, en s’invitant dans l’intimité de ce couple, en leur donnant la parole pour exprimer leur point de vue, leurs craintes et surtout leur conviction sans faille pour une vocation d’éleveurs de bêtes et nourrisseurs d’hommes. Une vocation ancienne de millénaires qui distingue l’homme moderne de son prédécesseur chasseur-cueilleur, une vocation qu’il serait à tous points de vue aberrant de vouloir supprimer au nom du progrès. Au-delà de l’apologie de l’agriculteur paysan, le film démontre la fragilité du métier et l’incertitude de son avenir face au modèle productiviste qui, depuis des décennies, provoque la libéralisation des produits les plus fondamentaux, en l’occurrence la nourriture.

Ce ‘corporatisme’ semble effectivement en inquiéter plus d’un : les multiples crises laitières en Europe et les trop nombreuses catastrophes dans les pays pauvres ont indéniablement tiré la sonnette d’alarme pour qu’une grande partie de la population mondiale commence à questionner le statut quo et à chercher des solutions alternatives au marché agricole déséquilibré. Les cinéastes s’y mettent aussi, munis de leur caméra comme outil de communication. Rien qu’en Belgique francophone, l’an 2012 a vu pas moins de quatre titres consacrés à ce sujet brûlant. Du documentaire objectif et responsable de Jean-Jacques Andrien, « Il a plu sur le grand paysage », à la fiction intelligente et sensible de Guillaume Senez, « U.H.T », en passant par le documentaire affable mais quelque peu anecdotique de Manu Bonmariage, « La Terre amoureuse », il est évident que ce retour aux sources a le vent en poupe. Et le septième art comme puissance douce relève le défi de la dénonciation et de la sensibilisation sociale et, espérons-le, politique (en tout cas le documentaire d’Andrien aborde clairement cette dimension).

Ce n’est donc pas dans le choix du sujet que le travail de Verbiguié peut prétendre à une grande originalité. Sa force est plutôt dans sa démarche documentaire, franche, personnelle et hautement humaniste, qui permet une empathie totale avec son sujet. Avec son titre équivoque entre ode et ordre, « A nos terres » se positionne à la fois comme le portrait touchant d’un monde en voie de disparition et un traité engagé, un appel à l’action et à la réappropriation équitable et respectueuse de la planète par tous ses habitants.

Adi Chesson

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U.H.T de Guillaume Senez

Qu’elle a bien changé la situation des agriculteurs en l’espace de cent ans à peine. À l’heure où l’Europe sanctionne et normalise dans un but d’harmonisation, le profil des paysans d’aujourd’hui souffre grandement d’un manque de reconnaissance. Avec « U.H.T », sélectionné à Media 10-10 notamment, Guillaume Senez s’est intéressé à la crise que vivaient ces amoureux de la Terre et livre au passage une fiction fascinante.

Contrairement à ses aînés que sont Manu Bonmariage (« La Terre amoureuse ») ou encore Jean-Jacques Andrien (« Il a plu sur le grand paysage »), Guillaume Senez a choisi de traiter du monde agricole par le biais de la fiction, en montrant un moment de la vie de Sophie et Augustin. Lui est producteur de lait. Elle le voit tous les jours se donner corps et âme pour un métier qu’il aime passionnément au point de le faire passer avant sa famille.

Si Senez opte pour une mise en scène fictionnelle, c’est avant tout parce que le vrai sujet du film n’est pas tant la crise du lait et celle du monde des paysans du 21ème siècle mais plutôt la façon dont le couple réagit à cela, la manière dont chacun se soutient dans les moments difficiles. La grande force du film est d’avoir été réalisé avec une minutie documentaire élaborée. Les gestes d’Augustin, de la traite des vaches à la conduite du tracteur, sont tellement justes qu’on y croit les yeux fermés. Dans les longs plans silencieux où il s’attarde sur les taches routinières de son protagoniste, le réalisateur semble filmer son alter-ego, son double, son complice solitaire qui combat l’aberration d’un système établi.

Plus que dans son film précédent « Dans nos veines », qui a connu un joli parcours dans les festivals belges et étrangers, Guillaume Senez a mis l’accent sur le naturalisme dans « U.H.T. », ce qui est tout à son honneur. L’interprétation sans faille de Catherine Salée et de Cédric Vieira y est certainement pour beaucoup. À la lisière des genres, « U.H.T » arrive à transmettre une certaine émotion de cinéma vérité que l’on retrouve dans le cinéma documentaire et réussit à sublimer le réel au sein d’une fiction maîtrisée . Un court métrage à découvrir assurément !

Marie Bergeret

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Article associé : l’interview de Guillaume Senez

Guillaume Senez : « Peut-être que quand je serai vieux, je ferai des films sur les vieux mais en attendant, je fais des films sur les adolescents »

Sélectionné à Media 10-10 et lauréat du Prix du Jury de la compétition nationale au FIFF, « U.H.T » compte également parmi les courts métrages pré-sélectionnés pour Les Magritte 2013. Voilà de quoi réjouir son réalisateur Guillaume Senez qui avoue avoir, à 14 ans, préféré regarder les films de Mike Leigh et de Ken Loach pendant que ses copains se ruaient pour voir « Jurassic Park ». C’est donc tout naturellement qu’il s’est dirigé vers le cinéma. Rencontre d’un passionné.

gillaume-senez

Dans tes deux films précédents « La Quadrature du cercle » et « Dans tes veines », tu as traité de l’adolescence. Or, avec « U.H.T » tu t’intéresses plutôt au couple. Pourquoi ?

Je parle des choses qui me touchent. Je ne calcule pas vraiment. J’ai réalisé « La Quadrature du cercle » parce que lorsque j’étais en première à l’Inraci (Institut National de Radioélectricité et de Cinématographie, Bruxelles), un étudiant de deuxième s’est suicidé d’une balle dans la tête. Ça m’a marqué alors j’ai voulu parler du suicide d’un adolescent. « Dans nos veines », je l’ai écrit alors que j’allais devenir moi-même père. Je me suis posé pas mal de questions sur la filiation, la place que j’avais en tant qu’enfant et celle que mon fils allait prendre. Tout ce questionnement sur la paternité a fait que j’ai voulu en faire un film. Enfin, si j’ai voulu réaliser « U.H.T », c’est parce que j’ai été témoin de la révolte agricole pendant les manifestations en 2009. Voir les paysans jeter leur lait cela a fait écho à ma propre vie. Ces gens essayent de vivre, de se battre pour exercer leur métier. C’est cela qui m’intéressait avant tout, de voir comment un couple peut résister à l’adversité. En fait, mes films s’inspirent tous en général de quelque chose que je suis en train de vivre.

Dans « U.H.T », plus que dans tes autres films, tu t’es fort attaché aux détails dans une volonté de rester au plus près de la réalité. Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire dans ce cas ?

Tout simplement parce que je ne m’y retrouve pas en documentaire. Je me sens si bien dans l’écriture fictionnelle parce que je suis maître de mes personnages, je suis maître de ce qui leur arrive. De plus, c’est plus facile pour moi de faire passer quelque chose dans un univers créé de toutes pièces. Et puis, c’est très excitant de donner vie à quelque chose, de raconter une histoire. J’aime décider de ce que l’on montre, de ce que l’on suggère. Même si j’essaye toujours de tendre vers le plus de naturel possible, j’aime l’idée que mes films restent des fictions. Et j’apprécie beaucoup le jeu avec les comédiens, travailler avec eux et les mettre en scène.

Comment t’est venu le choix des comédiens pour incarner ce jeune couple qui n’arrive pas à communiquer ?

Le choix de Catherine Salée est venu assez vite et naturellement, c’est une comédienne avec laquelle j’avais envie de travailler depuis longtemps. En ce qui concerne Cédric Vieira, c’est la directrice de casting qui m’a fait rencontrer 5 à 6 comédiens, tous aussi bons les uns que les autres mais Cédric amenait une profondeur en plus par rapport aux autres. Du coup, j’ai foncé. C’est un vrai comédien. Il est tout simplement hallucinant. Et le couple marche très bien. Ils ont d’ailleurs tous les deux obtenu le Prix d’interprétation au Festival Jean Carmet dans la section « Jeunes espoirs ». C’est une belle reconnaissance. Je suis vraiment content pour eux.

Comment s’est passé le transition de la direction d’adolescents non professionnels pour tes deux précédents films à des comédiens professionnels dans « U.H.T »?

Ca a été un peu pareil car j’ai travaillé de la même façon. Dans les deux cas, je ne leur ai pas donné mon scénario, on a travaillé sur des situations improvisées proche de celles à interpréter dans le scénario, petit à petit je les ai amené au texte. Je dirais que c’est même presque plus facile de diriger des comédiens non professionnels car ils ne sont pas imprégnés de leur technique.

« U.H.T » a été réalisé au même moment que « La Terre amoureuse » de Manu Bonmariage et « Il a plu sur le grand paysage » de Jean-Jacques Andrien, deux longs-métrages qui traitent également du monde agricole.

C’est le fruit du hasard. Je pense que c’est normal, ils sont cinéastes et que comme moi, ils ont été touchés par ce qu’il se passe chez les agriculteurs. En même temps, je précise que chez moi, l’agriculture est la toile de fond. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de montrer la difficulté de vivre de sa passion. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de non-dits dans mon film et qu’il y a beaucoup d’ellipses aussi. On n’explique pas par exemple pourquoi Augustin jette son lait à la fin du film et quand Sophie est au téléphone, il aurait été simple de montrer la conversation avec le laitier qui lui explique les choses. Mais j’ai voulu me centrer sur le couple, sur les répercussions que la crise laitière avait sur leur histoire d’amour.

gillaume-senez

Le format du court métrage est-il un format qui fonctionne bien avec ta façon de mettre tes thématiques en scène ou est-ce une étape obligatoire avant le long ?

Je ne vais pas te cacher les choses. Moi, j’ai voulu faire du cinéma pour faire du long, c’est sûr. J’ai découvert le court métrage alors que j’étais étudiant. Après, j’avoue que je me sens très à l’aise dans le court métrage parce que j’ai beaucoup plus de facilité à raconter une histoire dans le court, c’est un format que j’aime beaucoup. C’est un format en soi et j’aimerais vraiment pouvoir continuer à réaliser des courts métrages toute ma vie, et puis, c’est aussi plus facile à financer. J’aimerais pouvoir vivre de ma passion et pouvoir faire des films toute ma vie que ce soit des courts, des moyens ou des longs car c’est cela que j’ai envie de faire. Le problème est que tu ne gagnes pas ta vie en faisant des courts métrages. Si je veux en vivre, je suis quasi obligé de passer au long.

Tu as un projet de long métrage, peux-tu m’en parler ?

Oui. C’est de nouveau sur l’adolescence. Et oui, on parle que de ce que l’on connaît. Peut-être que quand je serai vieux, je ferai des films sur les vieux mais en attendant, je fais des films sur les adolescents. C’est l’histoire de deux ados de 14 ans qui sont amoureux. Et puis, la fille tombe enceinte. Tout le film se concentre sur le fait de savoir comment le gars va convaincre sa copine de garder l’enfant. C’est un film que j’ai écrit avec David Lambert, le réalisateur du long-métrage « Hors les murs ». On avait déjà collaboré pour « Dans nos veines ». Là, on est en recherche de financement. C’est très difficile de développer un premier long métrage sur l’adolescence sans têtes d’affiche. Mais bon, on continue d’y croire.

Propos recueillis par Marie Bergeret

Article associé : la critique de « U.H.T. »

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U comme U.H.T

Fiche technique

Synopsis : Sophie voit tous les jours son mari Augustin partir travailler pour sa petite exploitation laitière. Il y travaille corps et âme. Pourtant depuis quelques temps, la production de sa ferme ne suffit plus à assurer la pérennité financière de sa famille. Sophie ne se doute de rien, mais pour combien de temps encore…

Genre : Fiction

Durée : 18’

Pays : Belgique

Année : 2012

Réalisation : Guillaume Senez

Scénario : Guillaume Senez et Grégory Lecocq

Image : Elin Kirschfink

Son : Antoine Corbin

Montage : Julie Brenta

Interprètes : Catherine Salée, Cédric Vieira

Production : Iota, Ultime Razzia, Les Films Velvet

Articles associés : l’interview de Guillaume Senez, la critique du film

Le Cri du homard de Nicolas Guiot

« Je sentais un cri infini qui se passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. » Edward Munch à propos de son tableau « Le cri »

Lauréat du Prix du Premier Film au Festival de Brest et Prix du Meilleur Court métrage de fiction à Média 10-10 à Namur, « Le Cri du homard » de Nicolas Guiot, dont on ne compte plus les récompenses glanées au gré des sélections festivalières,, est également nominé pour le prestigieux César ainsi que pour le Magritte, du Meilleur Film de Court Métrage. Un succès qui se justifie pleinement tant la réalisation de ce court belge relève d’une certaine virtuosité.

Au cinéma, quand la guerre est traitée par le prisme de l’enfance, elle prend souvent une toute autre dimension, car loin du monde rationnel des adultes, l’imaginaire enfantin élève à la poésie ce qui ne serait en définitive que pure barbarie. Le regard que l’enfant pose sur la violence humaine est nécessairement teinté d’innocence même s’il ne peut empêcher la peur de naître aussi. Cette peur viscérale, c’est celle que Natalia, 6 ans, installée depuis peu en France avec ses parents, ressent à l’égard de son grand frère Boris, revenu de Tchétchénie. Il semble tellement différent du frère qu’elle a connu qu’elle préfère l’éviter.

Si Guiot fait débuter son film par un plan séquence éloquent à travers les pièces de la maison, lieu de la nouvelle vie de cette famille d’exilés russes, c’est pour mieux nous plonger dans l’histoire qu’il veut nous raconter, pour mieux faire figurer l’esprit fragile de Boris qui contraste grandement avec la candeur de Natalia. Les vieilles pierres et le soir d’été semblent bien ridicules face aux tourments qui animent le regard absent du fils prodigue. Chacun tente d’affronter la situation à sa manière. Mais très vite, l’atmosphère se gâte, une tension palpable se fait sentir. Tel le cri absent du homard que l’on plonge dans l’eau bouillante, le silence entoure la famille. Un silence pesant qui ne peut mener qu’à la tragédie.

La force du film de Nicolas Guiot réside dans une parfaite connaissance du langage cinématographique. Le producteur de « Dimanches » (Valéry Rosier), et d’« U.H.T » (Guillaume Senez) est passé à la réalisation en sachant très bien comment il veut exprimer ce qu’il a à dire et ça se voit. L’image de Jean-François Metz nous poursuit tout au long du film et bien après. Quant aux acteurs, ils sont tous plus vrais les uns que les autres et l’on s’accorde à penser que la petite Claire Thoumelou n’a certes pas volé son Prix d’interprétation à Brest.

« Le cri du homard » est un film dense et intense qui arrive à parler du traumatisme psychique d’un jeune soldat sans jamais peser car le point de vue de Guiot n’est ni politique ni militant. Ce que le réalisateur a voulu démontrer c’est la manière dont la violence mène irrémédiablement à la violence, comment il est difficile de se soustraire à ce cercle vicieux. Avec son premier film, Nicolas Guiot nous montre que la guerre est l’abnégation de l’humanité et que pour celui qui en revient, il est presque impossible de regarder la vie dans les yeux et continuer comme s’il ne s’était rien passé.

Marie Bergeret

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C comme Le Cri du homard

Fiche technique

Synopsis : D’origine russe et installée depuis peu en France avec ses parents, Natalia, six ans, attend impatiemment le retour de son frère, Boris, parti combattre en Tchétchénie. 
Le grand jour est arrivé, mais la fillette doit rapidement déchanter. 
Cet homme est-il vraiment le frère qu’elle a connu ?

Genre : Fiction

Durée : 30’

Pays : Belgique, France

Année : 2012

Réalisation : Nicolas Guiot

Scénario : Nicolas Guiot

Image : Jean-François Metz

Son : Arnaud Calvar, Aline Huber

Montage : Martin Leroy

Interprètes : Claire Thoumelou, Anton Kouzemin, Tatiana Gontcharova, Miglen Mirtchev, Jana Bittnerova, Boris Rabey

Production : Hélicotronc, Ultime Razzia Productions, Offshore

Article associé : la critique du film

Festival Média 10-10 2012

Du 13 au 17 novembre, le Festival Média 10-10 fêtait ses 40 ans, à Namur. Pour l’occasion, la Maison de la culture accueillait pas moins de 39 courts métrages répartis en deux compétitions : celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de l’OVNI (objets visuels non identifiés). Pour la seconde fois, Format Court remettait un Prix au meilleur film OVNI. Avant de découvrir le focus consacré à notre film lauréat, « Antero » de Jose Alberto Pinto, laissez-nous vous dévoiler nos coups de cœur de cette année.

media10-10

Retrouvez dans ce focus :

la critique de « U.H.T. » de Guillaume Senez

l’interview de Guillaume Senez, réalisateur de « U.H.T. »

la critique du « Cri du homard » de Nicolas Guiot

la critique de « Atomes » de Arnaud Dufeys

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et d’autres sujets dans les jours à venir!