Tous les articles par Katia Bayer

Clermont 2024, le palmarès

Voici la deuxième et dernière partie du palmarès officiel du Festival de Clermont-Ferrand, constituée des prix remis par les jurys officiels, étudiants et publics dans chacune des trois compétitions.

Grand prix international : Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni (Pologne, France, Palestine)

Grand prix national : J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski(France)

Grand prix labo : AlieN0089 de Valeria Hofmann (Chili, Argentine).

Prix spécial du jury international : Virundhu (Le festin) de Rishi Chandna (Inde)

Prix spécial du jury national : Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf (France, Liban)

Prix spécial du jury labo : Nafura de Paul Heintz (France)

Mention spéciale du jury international : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez

Mention spéciale du jury national : La Voix des autres de Fatima Kaci

Mention spéciale du jury labo : Borj El Mechkouk de Driss Aroussi.

Prix du public international : Coal (Charbon) de Saman Lotfian (Iran)

Prix du public national : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)

Prix du public labo : Wild Summon de Karni & Saul (Royaume-Uni)

Prix d’interprétation : Amira Chebli dans La Voix des autres de Fatima Kaci (France). Ruzica Hajdari dans Kafana Na Balkanu de Boris Gavrilovic (Allemagne)

Prix du meilleur film européen : 2720 de Basil da Cunha (Portugal, Suisse)

Prix de la meilleure musique originale : Committee (Rozi et Mari Mako) pour le film 27  de Flóra Anna Buda (France, Hongrie)

Prix étudiant international : The medallion de Ruth Hunduma (Royaume-Uni, Ethiopie)

Prix étudiant national : There is no friend’s house (où est mon amie ?) de Abbas Taheri (France, Iran)

Prix étudiant labo : Los rayos de una tormenta de Julio Hernandez Cordon (Mexique).

Mention spéciale du jury étudiant international : The miracle de Nienke Deutz.

Mention spéciale du jury étudiant national : Ici en silence tout hurle d’Akaki Popkhadze.

Mention spéciale du jury étudiant labo : Hito de Stephen Niels Lopez

Irène Dresel : « Je suis très attachée à l’image. Pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal »

Connue avant tout pour son travail sensoriel et immersif de la techno, Irène Drésel a marqué avec la bande originale d’À plein temps d’Eric Gravel, ses premiers pas dans la composition musicale de film. Une première incursion, qui lui valut le César 2023 de la meilleure musique, une première pour une femme dans cette catégorie. Membre du comité artistique des César aux côtés de Dominik Moll, Pierre Salvadori, Louis Garell, Frédéric Baillehaiche et Guslagie Malanda, et à présent membre du jury Labo au 46e Festival de Clermont-Ferrand, elle explore son parcours et fait entendre son point de vue sur le format court.

Format Court : D’où est venu votre entrain dans un premier temps pour la musique ?

Irène Dresel : Moi en fait, je viens avant tout de l’image, puisque j’ai étudié aux Beaux-arts et aux Gobelins et pendant longtemps, j’étais attachée aux arts contemporains. J’ai eu besoin de sortir de tout cela pour aller vers quelque chose de plus authentique et de plus spontané. J’avais ce désir-là de faire de la musique techno depuis bien longtemps et c’est pendant une soirée que j’ai fait une rencontre qui m’a poussée vers ce chemin-là. Quelqu’un qui m’a aidé, m’a guidée et c’est comme ça que ça a commencé.

Qu’est-ce qui vous intéresse tellement dans la musique électronique ?

I.D : Je fais de la musique électronique avec des influences techno et c’est toute cette matière qui en gravite autour qui me fascine. Il y a toute une dimension ludique dans la musique techno qui concerne les fréquences basses et cela produit un véritable impact sur le corps. C’est un style de musique que je trouve très physique et qui nous transporte très vite dans une autre dimension.

Vous êtes ensuite passé à la composition de film avec À plein temps. Est-ce que c’était quelque chose qui vous a toujours intéressé ?

I.D : Pas forcément, je suis arrivé sur le projet grâce à la boîte de production Novoprod qui m’a appelée parce que j’avais déjà travaillé avec eux notamment sur de la pub. Quand ils m’ont appelé pour faire cette musique, mon travail dans ce domaine se limitait à un film des années 30, Loulou, de Pabst que j’avais remis en images. Même si je viens de l’image, ce n’est pas quelque chose qui m’intéressait fondamentalement, je me souviens même de mes copains à l’école de photo qui me disait que ma musique leur évoquait vraiment des images de film, mais moi ce qui m’intéressait, c’était juste faire de la techno.

À quel moment êtes-vous arrivée sur le projet ?

I.D : Je suis arrivée deux mois avant la première projection presse, tout le tournage était terminé, il y avait encore quelques ajustements au niveau du montage avec l’ajout de la musique, mais dans l’ensemble tout était fini.

Et comment s’est passée la collaboration avec Éric Gravel ?

I.D : Très bien, c’était un travail de longue haleine sur deux mois assez intensifs, mais j’ai trouvé en Éric un partenaire très professionnel qui ne me laissait jamais dans l’attente de son retour sur mes propositions. Au final, tout cela a été très fluide.

Qu’est-ce qui a différé dans votre façon de concevoir la composition musicale ?

I.D : Quand on travaille sur un film, on répond aux attentes du réalisateur, on est là pour servir le film et toute l’équipe qui est derrière. C’est très différent du travail de composition d’un album ou là, c’est vraiment juste moi et mes goûts. J’étais là pour me coller aux intentions d’Eric Gravel qui avait une idée très précise sur ce film pour la musique de son film. Il voulait une musique très typée années 70 avec des sonorités très ambiantes évitant toutes les percussions comme les kicks et les drum, tout ce que j’utilise dans ma techno, il voulait quelque chose de sous-jacent.

Un an après votre César, quel est votre point de vue sur l’évolution de la place des femmes dans la composition musicale de film ?

I.D : Je vois une certaine évolution, déjà l’année dernière aux César, il y avait eu une sorte de scandale en ce qui concerne les femmes nommées ou récompensées ne serait-ce que dans la catégorie réalisation. Cette année, ce n’est plus pareil, on peut retrouver beaucoup de femmes nommées, même dans la catégorie meilleur musique où on trouve Delphine Malaussena pour Chien de la casse. Je pense que mon César a dû aider à faire comprendre qu’il y avait quelque chose d’anormal, même si le plus important, ce sont les musiques. Après, je pense qu’il y a aussi une sorte de manque de confiance de la part des boîtes de production envers les femmes compositrices. Mais heureusement, ça change.

« À plein temps »

Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience dans le comité artistique des César ? 


I.D : C’était assez intense, parce qu’il a fallu voir une trentaine de films et c’était surtout assez enrichissant. Cela permet d’avoir une vision d’ensemble sur ce qui se fait aujourd’hui dans le paysage audiovisuel francophone, de voir une nouvelle génération d’auteurs. Après, ce n’était pas ma première expérience, parce que j’ai été jury au festival de la Baule et au festival des Arcs, mais là, c’était plutôt du long-métrage. C’est vrai que quand on en voit une trentaine de films, ça aiguise l’œil et ça permet de voir plus facilement les coutures d’un scénario par exemple.

Vous seriez capable de travailler sur un court-métrage ?

I.D : Ca m’intéresse. Je me vois plus passer directement du côté du long-métrage et réaliser un court, mais je ne pense pas avant 10-15 ans. Je me vois bien n’en réaliser qu’un seul.

Après moi, je suis assez difficile, je ne dis pas très souvent oui à des projets et notamment en ce moment, après le César. Mais je pense que ça dépend de l’idée, de la personne qui est derrière et aussi évidemment de l’image qui sera liée à ma musique. Au final, je suis très attachée à l’image, pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal, mais j’y suis sensible.

Quel est votre rapport au court-métrage ?

I.D : Je ne me suis jamais réellement intéressée à ce format, mon premier plongeon dans le monde du court-métrage, c’était grâce aux César et au comité de sélection. Mais personnellement, je ne vois pas tellement de différence entre long et court métrage. Il y a évidemment une différence de temps qui est donnée, mais au final, on les juge de la même façon. En fait, il y a des courts-métrages qui pourraient être des longs, c’est juste un problème de temps et de budget et il y a des longs qui feraient mieux d’être des courts-métrages. Après moi, j’ai du mal avec des films qui s’étirent des fois pour rien et qui dépassent l’heure et demie. Avec le court-métrage, je m’y retrouve.

Qu’est-ce qu’on peut attendre de vos prochains projets ?

I.D : En ce moment, je suis en tournée à la suite de la sortie de mon troisième album et à côté de ça, j’ai des demandes pour des longs-métrages, mais j’essaye de ne pas dire oui à tout parce que j’ai besoin d’être transportée pour faire du bon travail.

Vous pensez que le fait d’avoir remporté un César vous pousse à devoir faire mieux ?

I.D : Non, c’est vraiment à titre personnel que j’essaye de trouver un projet exaltant, Je ne me mets pas de pression quant à mon travail. Je cherche vraiment le coup de cœur.

Propos recueillis par Dylan Librati

Clermont, les prix spéciaux

Le Festival de Clermont a attribué ses premiers prix, dotés par les partenaires. Plusieurs films ont déjà été repérés par Format Court.

Palmarès

Prix Canal + /Ciné + international : La Cascada de Pablo Delgado (Mexique)

Prix Canal + : Queen size d’Avril Besson

Prix Festivals connexion : Hito de Stephen Niels Lopez (Philippines)

Prix des effets spéciaux par Adobe : Wild Summon de Karni & Saul (Royaume-Uni)

Prix SACD du meilleur film d’animation francophone : La Saison pourpre de Clémence Bouchereau (France)

Prix SACD de la meilleure première œuvre de fiction : Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski (France)

Prix de la presse Télérama : Montréal en deux d’Angélique Daniel (France, Canada)

Prix du meilleur film VR : Empereur de Marion Burger et Ilan J. Cohen (France, Allemagne)

Prix Procirep du producteur de court métrage : Les films Norfolk pour Apnées de Nicolas Panay

Prix du meilleur film documentaire : Incident de Bill Morrison (Etats-Unis).

Prix du meilleur Queer métrage : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez (Colombie). Mention spéciale à Saigon kiss de Hong Anh Nguyên (Vietnam, Australie).

Prix du rire Fernand-Raynaud : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)

Bourse CNC/talent : Amour noir de Victor Hérault (France)

Prix YouTube du court métrage de fiction : Dragon cop de Mathieu Caillière (France).

Coup de cœur Canal+ Kids : Historien Om Bodri de Stina Wirsen (Suède)

Mention spéciale du jury Canal+ Kids : A mort le bikini ! de Justine Gauthier (Canada)

Clermont 2024. Les Prix France Télévisions du court-métrage

A l’occasion du 46ème Festival International du court-métrage de Clermont-Ferrand, le 15ème Prix France Télévisions du court-métrage, présidé cette année par le réalisateur Thomas Cailley, a été remis à Julia Kowalski pour son film J’ai vu le visage du diable, produit par Venin Films.

Ce prix est doté par France Télévisions d’une bourse de 5000 euros attribuée à la lauréate, qui bénéficie également d’un préachat pour son prochain film.

Associé à France Télévisions depuis plusieurs années sur ce Prix, UniFrance dote de 500 euros les 2 mentions d’interprétation :

– Mention d’interprétation féminine du Jury attribué à Joséphine de Meaux pour son rôle dans le film Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski (produit par Takami productions)

– Mention d’interprétation masculine du Jury attribué à Okihido Yoshizawa pour son rôle dans le film Oyu d’Atsushi Hirai (produit par MLD Films)

Guillame Brac : « Mon obsession est d’arriver au mieux à raconter qui sont les gens que je filme »

Réalisateur, producteur ou encore scénariste, Guillaume Brac s’est fait remarquer par ses différents longs-métrages, courts-métrages et moyens-métrages, à la fois de fiction et de documentaire tels À l’abordage (2020) ou Un monde sans femmes (2011). Avec Un pincement au coeur, court-métrage qui était présélectionné aux César 2024, il conte l’histoire de Linda et Irina, deux adolescentes en fin de seconde. Les vacances d’été approchent et Linda doit déménager. Une nouvelle instabilité s’instaure dans le quotidien de ces deux jeunes amies. La force et la beauté de leur lien transparaissent dans ces quelques séquences portées à notre attention par le regard de Guillaume Brac : un récit sur la jeunesse et l’amitié.

Format Court : Comment est né ce projet ? D’où est venue l’idée de vous rapprocher de ces deux protagonistes ?

Guillame Brac : C’est une commande qui m’a été passée par le BAL à Paris qui est un centre d’art qui organise des ateliers dans plein de lycées, de collèges, d’associations partout en France. Ils m’ont proposé d’aller faire un projet dans ce lycée d’Hénin-Beaumont. Ce n’est pas du tout ma décision ni mon idée d’aller filmer ces jeunes filles, c’est parti de cette proposition d’aller travailler avec des jeunes. L’idée était de faire un film. Ils étaient douze treize jeunes qui s’étaient portés volontaires dans ce lycée en seconde, on se voyait tous les quinze jours, le mercredi après-midi, pendant plusieurs mois. Petit à petit, Linda et Irina ont vraiment émergé à mes yeux. Elles me touchaient beaucoup. Je sentais qu’elles avaient une espèce de capacité à mettre les mots sur ce qu’elles ressentaient, sur leurs émotions. Une sorte de générosité dans l’expression de leurs sentiments et une maturité aussi beaucoup plus grande que leurs camarades. Elles sont arrivées au centre du projet. J’ai quand même filmé tout le groupe parce que c’était l’idée, c’était un peu le contrat d’impliquer tout le monde et c’est au montage que j’ai vraiment centré le film sur elles.

Au début, vous comptiez mettre ces rushes de tout le groupe et c’est au montage que vous vous êtes recentré sur ces deux personnages ?

G.B. : J’avais l’intuition que le film serait plus centré sur elles mais je voulais quand même laisser une chance aux autres. Plus le tournage avançait et plus je me rendais compte que c’était avec elles qu’il se passait les choses les plus fortes. Quand j’ai attaqué le montage, je savais quasiment à 100% que le film allait être sur elles et qu’il n’y aurait malheureusement pas la place pour les autres. Ce qui était beau, aussi, c’était de raconter cette relation du début à la fin du film et ça aurait été étrange de voir d’autres jeunes qui n’ont pas vraiment une vraie trajectoire comme elles autour.

Comment avez-vous abordé la caméra pendant le tournage ? Elle est souvent proche avec des cadres fixes mais par moments vous êtes aussi très éloigné des protagonistes ?

G.B. : La caméra a été introduite petit à petit. Comme je le disais, on se voyait tous les quinze jours le mercredi après-midi. Il y avait plusieurs mercredis où on a fait des petits exercices avec la caméra. Je les ai faits travailler sur la question de la sincérité et sur le fait de ne pas avoir peur, même d’être fier de parler de soi et de raconter des choses qui peuvent toucher tout le monde, d’avoir le courage d’assumer ses émotions, même si elles peuvent être négatives ou douloureuses. J’avais donc fait des exercices comme ça, pas mal autour de la question du sentiment amical ou amoureux où chacun, chacune racontait des choses assez personnelles devant tout le monde et devant la caméra. Et puis, il y a eu aussi une étape où je leur ai proposé de filmer eux-mêmes et elles-mêmes leurs camarades. La caméra devenait petit à petit un peu plus familière et rassurante. Sur le tournage, j’ai l’impression que Linda et Irina l’ont vraiment oubliée très vite, elles ne s’en souciaient pas tellement. Et c’est vrai que cette caméra, par ailleurs, bougeait assez peu. Ce qui m’intéressait était de capter des blocs de durée comme si on prélevait de la réalité un moment. Je n’avais pas forcément envie de découpage, parfois, il y en a un peu, mais c’est la plupart du temps un plan séquence. On laissait souvent tourner très longtemps la caméra, on la laissait tourner quinze, vingt, parfois trente minutes ce qui faisait qu’elles rentraient vraiment dans leurs discussions, elles rentraient dans une conversation comme si on n’était pas là, c’était assez troublant. Très souvent, c’était moi qui donnais l’impulsion de départ d’une scène mais très rapidement, c’était elles qui se la réappropriaient et ça devenait un vrai moment entre elles. Je pense que le fait qu’on soit là, que je sois là, peut-être, les poussait aussi à exprimer d’une manière plus fine, plus précise, plus approfondie les choses, à creuser vraiment ce qu’elles avaient à se dire. À chaque fois, c’était des échanges qu’elles auraient pu avoir sans nous.

Et pour cela, diriez-vous que vous vous êtes inspiré d’un certain cinéma direct dans votre vision du documentaire ?

G.B. : Je ne sais pas. Je ne connais pas exactement la définition du cinéma direct. Je ne sais pas si le cinéma direct autorise l’intervention sur le réel. Nous n’étions pas dans une logique de pure captation puisque, comme je le disais, nous prenions le temps d’installer un cadre avec la caméra et d’amorcer une scène où je pouvais leur donner le point de départ (donc pas vraiment en cinéma direct) mais en revanche, après, je n’intervenais plus du tout et la scène s’écrivait devant nous et on re-basculait dans une sorte de captation.

Comment le récit s’est-il construit pendant le tournage ? Est-ce que vous saviez quand vous avez commencé à les rencontrer que Linda allait déménager ?

G.B. : Je l’ai su assez vite. Je me suis aperçu quelques jours avant le tournage que c’était très compliqué entre elles alors même qu’elles me fascinaient. Je trouvais leur amitié très belle, elles se soutenaient énormément. J’ai eu en quelque sorte la mauvaise surprise de me rendre compte qu’elles se fâchaient, qu’à un moment donné, elles ne se parlaient plus du tout. Je me demandais comment je vais filmer leur amitié si elles ne se parlent plus. Elles se sont rabibochées juste avant le tournage et en même temps, on sentait qu’elles en avaient gros sur le coeur et que ça pouvait à tout moment ré-exploser. Ce n’était pas évident comme situation, parce que je ne voulais pas non plus être la cause d’une nouvelle explosion entre elles. Et d’ailleurs, c’est un peu ce qui s’est produit malgré moi au centre commercial où là, devant la caméra, elles se sont dites des choses très dures, ou en tout cas, Irina a dit des choses très dures à son amie Linda. C’est vrai que je me sentais un peu responsable de ça et c’étaient elles qui me rassuraient en me disant : « Mais non, ce n’est pas du tout de votre faute. Cette discussion, on aurait pu l’avoir deux jours avant, deux jours après, ce n’est pas à cause du tournage». Je devais trouver ma place, la place du film au milieu de l’histoire qui était en train de se dérouler. Il ne fallait surtout pas aggraver les problèmes entre elles, ce n’était pas non plus mon rôle de les réconcilier, même si j’en avais très envie. Leur relation a évolué jusqu’à la fin du tournage et il se trouve que la scène du centre commercial est arrivée le dernier jour. C’était assez dur parce que ce n’était pas facile de finir là-dessus. Au montage, j’ai un petit peu réécrit la réalité puisque j’ai inversé la scène du centre commercial et la scène à la plage (qui avait eu lieu la veille ou l’avant-veille) et je crois que j’ai eu raison de faire ça parce que quelques semaines plus tard, elles se sont complètement réconciliées. Par ailleurs, il se trouve que le déménagement de Linda qui était planifié a été annulé. Donc finalement, Linda est restée et leur amitié a pu se poursuivre.

Par rapport à ce que vous disiez précédemment, est-ce que vous aviez l’impression que le tournage devenait un espace de confidence pour elles ?

G.B. : Oui, je pense qu’elles avaient vraiment un grand désir et un grand besoin de parler, de se confier, d’être écoutées et entendues, et moi, je suis arrivé à ce moment-là. Je pense que le tournage leur a fait plus de bien que de mal. J’en suis même sûr d’autant qu’elles étaient extrêmement fières du résultat. Ça les a beaucoup valorisées notamment vis-à-vis de leurs professeurs, de leurs camarades et de leurs familles.

C’était très troublant pour moi. Je n’arrêtais pas de me demander, puis je me posais encore plus la question au montage quand je redécouvrais les rushes : qu’est-ce qui peut pousser des adolescentes à se confier d’une manière aussi généreuse et intime devant quelqu’un comme moi qui avait le triple de leur âge et qu’elles ne connaissaient finalement pas si bien ? C’est très troublant et très mystérieux. Je pense que parfois, on se confie mieux à des gens un peu plus éloignés paradoxalement. À la fois, elles se confiaient l’une à l’autre, étant très proches, mais en même temps, elles se confiaient aussi à moi qui était moins proche. C’est un peu le mystère du documentaire.

On retrouve des aspects documentaires même dans vos films de fiction, comment concevez-vous le cinéma documentaire ?

G.B. : J’ai un statut un peu particulier parce que je passe de la fiction au documentaire et inversement. Je pense que j’ai un rapport assez fictionnel quand je fais du documentaire c’est-à-dire que j’aime bien provoquer des situations, j’aime bien mettre les choses en scène notamment à travers le cadre ou à travers la manière dont les plans sont pensés etc.. Ca reste complètement du documentaire parce que mon obsession est d’arriver au mieux à raconter qui sont les gens que je filme et qu’après en se voyant, ils aient l’impression que quelqu’un les a compris, les a aimés etc… C’est à la fois le réel et à la fois tout autour un cadre plus fictionnel qui peut être un peu moins habituel en documentaire. Il y a tellement de manières différentes d’envisager le documentaire et c’est ça d’ailleurs qui est passionnant. Quand je fais de la fiction, j’ai besoin de m’appuyer sur le réel et d’écrire en partant des gens que je filme comme j’ai pu le faire sur À l’abordage, ou même comme j’ai pu le faire avec par exemple Vincent Macaigne que je connais très bien dans la vie.

Quand j’écris des fictions, j’ai besoin de partir du réel, des lieux, même des gens non professionnels qui viennent enrichir le film. Pour moi, il y a quelque chose de très poreux entre mon rapport à la fiction et mon rapport au documentaire. Un pincement au coeur a une construction narrative qui pourrait presque faire penser à une fiction. D’ailleurs, parfois, des gens voient le film et ont presque l’impression que c’est une fiction alors que pas du tout. Je pense qu’il y a un travail très rigoureux et assez long de montage pour arriver à cette impression de fluidité, on a presque l’impression que ce que l’on voit a été écrit et de fait, cela a été écrit mais au montage.

Avez-vous un nouveau projet en cours ?

G.B. : Oui, j’ai tourné un autre documentaire dont je suis en train de terminer le montage et qui, d’une certaine manière, est une sorte de prolongement d’Un pincement au coeur sauf que c’est d’autres personnages, d’autres protagonistes. Ce n’est pas dans le Nord de la France, c’est dans le Sud de la France et puis, elles ne sont pas en seconde, elles sont en terminale. C’est de nouveau un film sur la question du lien, de l’attachement et aussi comment les amis peuvent devenir une seconde famille pour guérir les blessures de la famille de sang. Ce que l’on sent déjà pas mal dans Un pincement au coeur : que l’une et l’autre vivent dans le manque de leurs pères, qu’elles n’ont pas eu des vies faciles et qu’elles s’accrochent l’une à l’autre pour se réparer. C’est quelque chose que je prolonge dans mon nouveau film.

Propos recueillis par Garance Alegria

Angélique Daniel. Renouer avec la charge émotive conférée aux lieux

Angélique Daniel est réalisatrice. Cette année, elle présente son premier court-métrage Montréal en deux en compétition nationale (F6) au Festival de Clermont-Ferrand. Ce film raconte, par un procédé original, le partage des différents quartiers de la ville de Montréal, par un couple venant de séparer. Également productrice au sein de sa société Naïka Films, la réalisatrice originaire du Sud-Ouest et ayant vécu une demi-décénnie à Montréal, nous raconte ses choix, ses intentions, ainsi que ses désirs de cinéma.

© Nicolas Ertzbischoff

Format Court : Comment vous est venue l’idée de Montréal en deux ?

Angélique Daniel : Il y a quelques années, après avoir travaillé au sein de différentes sociétés produisant des films de longs-métrages, j’ai eu le désir de fonder ma propre structure et de me consacrer au développement de projets de courts-métrages. À cette période, j’avais deux projets en cours d’écriture et j’échangeais régulièrement avec des amis, auteurs québécois, à qui j’avais demandé de m’envoyer des textes.

Maxime Robin (auteur, metteur en scène, réalisateur et comédien québécois) m’a envoyé Québec en deux. Il s’agissait d’une courte forme écrite pour le théâtre, six pages de dialogue sans une indication, seulement deux personnages, « UN GARÇON » et « UNE FILLE », et sur la page de garde une question : « Qu’est-ce qu’on se dit quand c’est fini ? ».

Je ne connais pas vraiment la ville de Québec, et j’ai immédiatement projeté cette bal(l)ade à Montréal, là où Maxime et moi nous sommes rencontrés. Je lui ai demandé s’il accepterait que nous adaptions le dialogue, que nous le transposions ailleurs pour en faire un court-métrage. Il a été tout de suite enthousiaste.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire de cette façon ?

A.D. : Ce qui m’a intéressée, c’est l’idée d’aborder une histoire d’amour par son envers, c’est-à-dire la rupture et tout ce qui s’y joue : le rejet, la nostalgie, la jalousie, les rancœurs, les souvenirs, l’espoir… Mais si le dialogue entre ce couple défait reflète une expérience commune, il a la particularité de s’attacher à une composante essentielle : la mémoire, et même plus particulièrement la mémoire des lieux. L’intuition de Maxime au moment de l’écriture de Québec en deux était que les lieux que l’on fréquente dans nos parcours amoureux, entre autres, portent les traces invisibles des expériences que l’on y a vécues. L’adapter supposait donc de chercher comment renouer, grâce au cinéma, avec cette charge émotive que nous leur conférons. Se demander comment chacun de nous, à sa façon, « traverse » ces lieux, les habite, et observer comment on se les approprie. C’est la raison pour laquelle, très tôt, l’idée de travailler à partir d’images documentaires de Montréal aux quatre saisons s’est imposée. Pas besoin de comédiens à l’image, pas de mise en scène. Faire le pari d’une fiction qui se déploierait au moment du montage à travers les voix, les images de la ville et ses saisons. Cette approche m’offrait une grande liberté, à toutes les étapes de la fabrication de ce film. La ville devenait ainsi un inépuisable terrain de jeu, traversé par mille et une histoires venant nourrir la fiction de ce couple qui n’en est plus un, que l’on ne voit jamais, mais que l’on projette partout.

© Naïka Films

Comment s’est passée la connexion avec les acteurs-rices qui sont les voix téléphoniques du film, notamment Tiphaine Raffier, également réalisatrice de courts-métrages ?

A.D. : La rencontre avec Tiphaine s’est faite tardivement, presque accidentellement. Cela faisait un moment que je travaillais sur le montage du film et je patinais complètement. Emilie (mon associée au sein de Naïka Films) a insisté pour que je rencontre Tiphaine et lorsqu’elle s’est prêtée à une première lecture avec Toby Andris Cayouette, j’ai eu l’impression de redécouvrir le dialogue, de l’entendre pour la première fois. Tiphaine est une personne brillante, d’une grande finesse et d’une grande générosité. Nous nous sommes donné rendez-vous au studio quelques jours plus tard et avons enregistré le dialogue en un soir, dans une atmosphère joyeuse. Concernant Toby, je l’ai rencontré à Paris à l’occasion de ce projet. À l’instar de Tiphaine, Toby a plusieurs casquettes : c’est un musicien, un compositeur, et il a également réalisé plusieurs courts-métrages dont trois en Géorgie ces dernières années. Il est très talentueux. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec eux, qu’ils me prêtent leur voix pour incarner ce « GARÇON » et cette « FILLE ».

Vous filmez Montréal, ses quartiers, ses habitants, qu’est-ce qui pour vous fait de cette ville, une ville de cinéma ?

A.D. : J’ai vécu à Montréal pendant presque cinq ans et il est évident que je n’aurais pas pu faire ce film sans cette expérience-là. Dans mon esprit, et encore aujourd’hui dans mon imaginaire, Montréal est lié au cinéma, à mon rapport au cinéma dans le sens où c’est là que j’y ai fait mes études. Mon parcours au sein de l’Université de Montréal m’a permis de croiser des professeurs, des chargés de cours, des étudiants qui tous ont nourri mon désir de cinéma. Quand je remets les pieds à Montréal, c’est avec tout cela que je renoue et je suis heureuse que mon premier court-métrage puisse être accueilli comme un hommage à cette ville. Il y a aussi une réalité : Montréal nous offre à chaque saison un visage différent, les lieux se transforment, et pour une personne qui a grandi dans une ville du Sud-Ouest de la France, il y a une véritable fascination, une curiosité intarissable à l’égard de ces mouvements et un réel plaisir à les observer.

Avez-vous eu des influences particulières, notamment cinématographiques, pour faire ce film ?

A.D. : Je me souviens qu’avant de partir pour la première session de tournage, me revenait souvent en tête L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais ou du moins, les souvenirs un peu épars que j’en avais… Il m’est arrivé de repenser parfois à La Jetée de Chris Marker. Entre deux sessions de tournage, je regardais Les amoureux de Montréal de Jacques Giraldeau, un long-métrage documentaire de 1992.

Je ne sais pas si on peut parler d’influences, mais ce sont des films qui m’ont accompagnée. Appréhender les différentes sessions de tournage de Montréal en deux n’a pu se faire sans penser au cinéma direct de la fin des années 50 – début des années 60 au Québec et à des cinéastes comme Claude Jutra, Gilles Groulx ou encore Michel Brault. Les livres ont été importants également : la lecture de Beaux Rivages et les mots de Nina Bouraoui m’ont souvent portée. Ils ont été si importants qu’ils ouvrent ce film d’ailleurs. Là où Beaux Rivages offre « la radiographie d’une séparation », Montréal en deux a vraiment été pensé comme la tentative d’une « cartographie sensible » de la ville.

C’est votre premier film en tant que productrice avec votre société Naïka Films, comment vous sentez-vous avec cette casquette de productrice ? Est-ce que vous envisagez de développer d’autres projets ?

A.D. : Assumer la production d’un film, qu’il soit de long ou de court-métrage, est une expérience à la fois exaltante et d’une grande exigence. Si le désir de poursuivre sur la voie de la réalisation est présent, celui de la production ne l’est pas moins. En revanche, je ne crois pas que je réitèrerai celle de la double casquette, ou en tout cas pas comme seule productrice. La relation réalisateur.trice / producteur.trice est bien trop précieuse, et je suis très attachée à la rencontre, qu’il s’agisse de celle avec un auteur ou avec un sujet. La perspective d’accompagner des auteurs dans leurs projets de film et de m’y immerger me plaît. C’est d’une certaine façon ce que je fais aujourd’hui, ce qui occupe la grande partie de mon temps. Au-delà de la dichotomie « réalisation » / « production » je crois que ce qui me passionne, c’est la pratique du cinéma du point de vue de sa fabrication, de ce qu’elle met en jeu.

Quels sont vos autres projets en écriture, tournage ou développement ?

A.D. : Actuellement, je travaille à la mise en production d’un projet de premier long-métrage auquel je me consacre à travers une autre structure que la mienne, et pour laquelle je me consacre depuis quelques années. C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur. J’ai également un projet, personnel cette fois, qui me fait renouer avec l’écriture et dont j’ignore encore la forme qu’il peut prendre. Mais réinvestir le champ de l’écriture m’apporte beaucoup, j’y trouve une forme d’équilibre.

Comment appréhendez-vous la forme du court-métrage ? Est-ce que vous en regardez ?

A.D. : Le court-métrage m’a toujours inspiré l’image d’un « laboratoire », un lieu d’expérimentation en quelque sorte où l’on éprouve ses premières envies, ses premières idées, où l’on s’y confronte. Il m’inspire aussi un sentiment de grande liberté, en partie attachée à son économie qui peut s’avérer très précaire et qui pousse à être toujours plus créatif, plus imaginatif, et qui nous encourage sans cesse à recomposer.

Il y a quelques années je regardais pas mal de courts-métrages et je me rendais régulièrement dans les festivals. J’aime voir des courts en salle. J’ai un goût tout particulier pour les courts-métrages d’animation (et pour l’animation en générale), ainsi que pour les courts expérimentaux qui questionnent autant qu’ils racontent. Le court demeure un lieu de création et de réflexion essentiel pour le cinéma.

© Naïka Films

Quel est votre sentiment d’être en sélection nationale au Festival de Clermont-Ferrand ?

A.D. : J’éprouve une grande joie et j’aurais adoré partager cette aventure avec les personnes qui ont collaboré à la fabrication de ce film. Je pense immédiatement à Sandy Pujol Latour, la monteuse image, qui prépare actuellement son premier court-métrage en Corse en tant que réalisatrice. C’est un crève-cœur de ne pas partager ce moment avec elle qui, en plus d’être une collaboratrice hors pair, est aussi une amie de longue date.
C’est la même chose avec Cédric Martinez, le chef opérateur, qui est en ce moment en Norvège et que je connais depuis bientôt 25 ans…

Ce projet de court-métrage m’aura offert de rencontrer Patrick Avakian (H1000), un promeneur écoutant pour reprendre l’expression de Michel Chion. Patrick est un amoureux des montagnes et propose depuis des années des randonnées sonores. Déambuler à ses côtés au sein de la ville (qui est tout sauf son environnement naturel !) a été une expérience enrichissante, et il faut absolument aller découvrir ses balades radiophoniques. La collaboration avec Thomas Huguet (monteur son, mixeur, en charge de la création sonore) m’a également beaucoup apporté et m’a permis d’explorer de nombreuses pistes quant à l’appréhension du son. Enfin, les deux comédiens ne pourront pas davantage se joindre à moi et c’est un vrai regret (Toby Andris Cayouette achève actuellement son prochain court-métrage à Tbilissi). Néanmoins, j’ai la chance de partager les premiers jours du festival avec Maxime qui fait le déplacement de Québec pour accompagner les premières projections publiques de Montréal en deux.

J’ai le sentiment d’une page qui se tourne et d’une bulle dont je m’extrais avec nostalgie. Mais au-delà de ce qui concerne la sélection de Montréal en deux en compétition nationale, Clermont-Ferrand, c’est surtout la possibilité de voir des centaines de courts venus d’horizons si divers, d’être confrontée à une multitude de regards et d’avoir la chance de rencontrer et d’échanger avec ces « regards ».

Propos recueillis par Damien Carlet

Article associé : notre reportage sur la compétition nationale du 46ème Festival de Clermont-Ferrand

Coup de projecteur sur la 46ème compétition nationale du Festival de Clermont-Ferrand

Le Festival de Clermont-Ferrand a débuté le 2 février. La plus importante manifestation cinématographique mondiale consacrée au court-métrage comme aime à le rappeler les organisateurs, propose une 46ème compétition nationale, autant que le nombre d’éditions au compteur. Celle-ci recense 45 films, mêlant animation, expérimental, fiction et documentaire, qui concourront pour se partager 6 prix.

© Naïka Films

La sélection fait la part belle à diverses formes de récit. Avec une réelle diversité de genres et d’esthétiques, la sélection nationale réserve de belles projections aux spectateurs du festival. Parmi nos coups de coeur, Montréal en deux de la réalisatrice Angélique Daniel, qui filme Montréal, ses rues, ses marchés, ses quartiers. Pas d’acteurs à l’image, simplement des gens qui marchent, patinent, jouent de la musique, se promènent, font leur courses, superposant sur ces images un dialogue au téléphone entre un homme et une femme, que l’on comprend avoir été en couple, discutant de comment se partager la ville après leur séparation pour qu’ils ne se croisent pas. La discussion évoque les souvenirs d’une relation, les endroits où ils ont pu vivre des moments ensemble. Il y est question de mémoire, de mystère, de souvenirs, de secrets, de centres d’intérêt propres à l’un ou à l’autre.

La forme proposée dans ce film est vraiment originale. Le mélange entre fiction et réalité prend ici tout son épanouissement car comme dans un documentaire, nous voyons des images réelles du quotidien des Montréalais tandis que le dialogue entre l’homme et la femme nous rappelle que nous sommes bien dans une fiction. Les images comme des cartes postales de la ville nous font voyager à travers l’histoire de ce couple, nous éclairant sur leur vécu, leur histoire. La discussion téléphonique devient l’occasion de se rappeler, de se remémorer.

Il est souvent question de départ et de retour dans cette sélection. Comme dans Rentrons de Nasser Bessalah où le réalisateur raconte l’histoire de deux jeunes adultes qui, chacun pour des raisons propres, échafaudent un plan pour quitter l’Algérie et sa Kabylie, et rejoindre la France. L’un, joué par Zine-Eddine Benyache pour aller voir sa mère en train de mourir et l’autre, interprété par Melha Bedia, pour quitter un père autoritaire. Le film va raconter leur errance, leurs déconvenues et leur relation. Peut-être que ces pérégrinations leur permettront de mieux se comprendre et se connaitre.

Ce thème du retour est aussi le point de départ du film de Yohann Kouam, Après l’aurore. Le film débute, dans un train provenant de Berlin et arrivant en France, par la conversation téléphonique d’un homme avec sa copine restée dans la capitale allemande. S’ensuivent les retrouvailles avec ses soeurs, sa mère et ses amis restés au quartier qui le questionnent sur sa vie en Allemagne, ses amours et son manque, voire son absence de nouvelles qu’il aurait pu donner. Il apprend que le père d’un de ses amis est mort. Il s’aperçoit alors que la distance et le manque participent à l’éloignement des proches. Le film tourné en pellicule raconte le parcours de deux autres personnages vivant dans le même quartier mais qui ne se connaissent pas. Un jeune garçon, Hamza, est poussé par son groupe d’amis de retrouver, dans le but de se venger, celui qui l’a sérieusement amoché dans une bagarre. On suit également la tranche de vie d’une entraîneuse de basket qui aurait pu faire carrière mais qui, arrêtée dans son envol par une blessure, s’occupe de jeunes qu’elle entraine et cherche à faire des rencontres via des applications dédiées. Chacun dans sa trajectoire est lié par l’endroit où il vit et surtout par le fait que pour tous les trois, le soleil se lèvera le lendemain. Ce moment, point culminant et magnifique final du film, nous rappelle que quoi qu’il se passe, la terre continue de tourner pour tout le monde. Le réalisateur, très influencé par la photographie, nous plonge dans une esthétique soignée pour tracer le parcours de ces trois personnages. Le grain de la pellicule et le travail de la lumière font magnifiquement exister ce quartier où les destins et les parcours de vie se croisent, s’emmêlent et se démêlent.

Un cinéma plus « social » prend sa place également dans la sélection, comme dans le remarquable Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski. L’action se passe dans un Pôle Emploi, qui est confronté à la menace d’une chômeuse désespérée planifiant de venir se suicider à l’agence. Le film, porté de bout en bout par une poignante et touchante Joséphine De Meaux, nous rappelle que le cinéma est aussi le refuge pour aborder les parts plus sombres de notre société.

© Kevin Chiorazzo

Cette atmosphère pesante, on la retrouve aussi dans Qu’importe la distance de Léo Fontaine. Le film très maîtrisé du jeune réalisateur, nous montre, comme une fable, le parcours d’une mère allant voir son fils au parloir pour la première fois. Le parcours, semé d’embuches de cette femme, nous fait voyager à travers les nombreuses péripéties qui entravent le chemin des familles devant aller rencontrer leur proches en prison.

Magnifiquement interprétée par Sylvia Homawoo, l’actrice est présente dans presque tous les plans du court-métrage, filmée en gros plan par une caméra qui ne la quitte pas. Le spectateur se trouve au plus proche de ses émotions et de ce qu’elle vit lors de son périple. Le film, extrêmement bien documenté, est le fruit d’une enquête du réalisateur, notamment auprès d’associations s’occupant d’épauler et guider des familles de détenus. Le cinéaste, déjà auteur de 4 court-métrages, nous fait vivre ce parcours par une mise en scène et un sens du montage qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière scène. La musique, composée pour l’occasion par Côme Ordas, arrive comme un contrepoint poétique, faisant de ce voyage un conte initiatique.

Damien Carlet

Interviews associés : Angélique Daniel, Yohann Kouam, Léo Fontaine (à venir)

Nos coups de cœur dans la compétition Labo du Festival de Clermont-Ferrand

La 46e édition du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand vient de s’ouvrir. En parallèle des compétitions nationales et internationales, le Labo a pour but depuis plus de 20 ans de mettre en avant un format beaucoup plus expérimental. Face à une programmation aussi stimulante et variée, nous vous livrons les films qui nous surprennent, touchent et bouleversent le plus.

De son titre « L’immémoire » qui lui est accolé par le festival, la compétition Labo et les films qui la composent montre un devoir de mémoire, un ancrage social qui se traduit par une expérimentation et une recherche visuelle. C’est toutefois le cas du documentaire Incident (L3) réalisé par l’Américain Bill Morrison. Le film reconstitue via des caméras de surveillance et embarqué l’assassinat en 2018 de Harith “Snoop” Augustus par la police de Chicago. Le film prend le parti pris de traiter cet événement par l’accumulation des points de vues via l’utilisation du split screen. De sa juxtaposition des plans, le film devient un immense montage alterné entre protestation de la foule et discours auto-rassurant des policiers. De la simplicité de son régime de mise en scène émane la puissance d’un film qui nous plonge au cœur d’un milieu policier.

Passé par le long-métrage indépendant américain, Bill Morrison revient ici au format court en mettant au cœur de son dispositif le motif du found footage. En utilisant des images aussi fortes que le corps gisant de Snoop, le film évoque évidemment tout une imagerie qui résonne très fort avec un passé américain ségrégationniste ainsi que l’assassinat de George Floyd en 2020. Des images choquantes et encore très sensibles à traiter à l’heure actuelle.

Un choc, c’est ce que propose aussi le visionnage de 512X512  réalisé par Arthur Chopin. Ce film français expérimental (L1) d’une vingtaine de minutes nous raconte le processus de documentation d’un internaute et son utilisation de l’Intelligence Artificielle dans la recherche de la reproduction du visage de Francine Descartes, la fille de René Descartes. En parlant d’IA, le film traite de la place actuelle de ce dernier et de son évolution dans notre société. Une société d’images dont nous ne pourrions bientôt plus faire confiance. Le film joue sur le visible et l’invisible, sur notre croyance et notre rapport aux images, de même qu’il joue sur la perception de l’Intelligence Artificielle envers les humains et ceci via les portraits et les nues qu’elle peut créer.

C’est ainsi que le film tombe dans le vertigineux et dans l’horreur, notamment dans une scène où tout ce qui nous est montré, nous semble vraisemblable, jusqu’à ce qu’une voix surgisse pour nous dire que rien ne l’est. Ce moment de vertige est sublimé par une mise en scène et un montage tout en abstraction, tout en retrait. Et ceci, même dans l’utilisation sporadique de la voix off.

Un motif que nous entendons aussi dans Misérables Miracles (L2) du japonais Ryo Orikasa. Adapté librement des travaux du peintre et écrivain surréaliste Henri Michaux, le film explore les limites de la poésie via l’animation. Le film nous livre un travail sensoriel et expérimental autour du mouvement, de par l’animation de ce texte qui prend appui sur les peintures et écrits d’Henri Michaux et sur l’esthétique chaotique qui en émane. En tant que spectateurs, nous sommes ici comme prisonniers d’un esprit malade où les textes animés se déploient devant nous comme un trip hallucinogène.

Une émulation créative qui passe avant tout par un travail sur le son, par un entremêlement de voix-off qui nous fait nous plonger dans cette expérience immersive. Une voix profonde et graveleuse qui nous provient d’un Denis Lavant formidable qui réussit dans son interprétation à mettre l’emphase sur la folie de son narrateur.

Une folie que l’on peut retrouver dans Hito (Phillipines, L1), réalisé par Stephen Niels Lopez. Nous suivons Jani, une fille de 14 ans qui vit dans une dystopie loufoque dénuée d’empathie où elle va se battre pour sa liberté contre une bande de criminelles à la recherche de son amie Kiefer, le poisson-chat. Au milieu d’une sélection Labo quoique angoissante, Hito nous surprend de par sa bizarrerie et son inventivité. En plaçant sa narration dans cette dystopie colorée où les poissons parlent et les chiens hypnotisent, le film nous réjouit et joue avec son spectateur, quant à notre perception de l’univers et du personnage de Jani.

Le film se livre comme une œuvre kitsch et brouillonne qui va piocher dans plusieurs influences comme le cinéma des sœurs Wachowski ou encore dans la culture manga. Un kitsch acide qui cache derrière sa dystopie une certaine anxiété envers le nucléaire et les nouvelles technologies. Un film non moins sans confusion et sans approximation, mais avec une inventivité et un entrain tels que cela nous fait avoir de la sympathie pour ce dernier.

Avec sa 46e édition, le Festival de Clermont nous montre de par sa catégorie le Labo, une pluridisciplinarité et une inventivité folles. Explorant, allant de l’animation au documentaire, du numérique à l’argentique et de l’artisanat à l’IA. Après plus de 20 ans, cette catégorie ainsi que les films qui la composent sont à l’image de leur époque : fouillis, oppressant, mais aussi réjouissant.

Dylan Librati

#Clermont-Ferrand 2024

Ce vendredi 2 février, s’est ouverte la 46ème édition du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. L’affiche signée par l’illustratrice américaine Stacey Rozich, convie les mondes, la couleur, le fantastique et la déambulation.

Jusqu’au 10 février, le festival se déclinera entre compétitions (internationale, nationale, labo), thématiques (insoumises, Eur♀Visions) et hors-compétitions (Pop-Up, Regards d’Afrique).

🌟 Notre équipe sera présente pendant le festival et vous tiendra au courant de ses coups de coeur.

Nos nouveaux sujets

Le reportage Regards d’Afrique. Regards nouveaux

L’interview de Rachel Gutgarts, réalisatrice de Via Dolorosa (compétition Labo)

L’interview de Yohann Kouam, réalisateur de Après laurore (compétition nationale)

L’interview de Azedine Kasri, réalisateur de Boussa (Regards d’Afrique)

L’interview de Léo Fontaine, réalisateur de Qu’importe la distance (compétition nationale)

– Clermont 2024, le palmarès

L’interview de Irène Drésel, compositrice, membre du jury Labo

Clermont, les prix spéciaux

Clermont 2024. Les Prix France Télévisions du court-métrage

L’interview de Angélique Daniel, réalisatrice de Montréal en deux (compétition nationale)

Coup de projection sur la compétition nationale

Nos coups de cœur dans la compétition Labo

Les films dejà couverts sur Format Court

Compétition nationale

– L’interview de Mathilde Bédouet, réalisatrice de Été 96

27 réalisé par Flóra Anna Buda 

J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski

Margarethe 89 de Lucas Malbrun

La Saison pourpre réalisé par Clémence Bouchereau

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery

La Voix des autres de Fatima Kaci

Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne

La Perra de Carla Melo Gampert

Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf

Compétition Labo

Via Dolorosa de Rachel Gutgarts

Wild Summon de Saul Freed & Karni Arieli

A kind of testament de Stephen Vuillemin

Compétition internationale

Basri and Salma in a Never Ending Comedy de Khozy Rizal

The Waiting de Volker Schlecht

Cross my heart and hope to die de Sam Manacsa

Eur♀Visions

Love, Dad de Diana Cam Van Nguyen 

Symphony no. 42 de Reka Bucsi

La vie sexuelle de Mamie de Urška Djukić et Emilie Pigeard

Insoumises 

Le cri défendu de Charlotte Abramow

Beach Flags de Sarah Saïdan

Maman(s) de Maïmouna Doucouré

L’Amérique de la femme de Blandine Lenoir

Les courts nommés aux Oscars 2024

Il y a un mois, nous vous annoncions les 45 titres des courts présélectionnés aux Oscars 2024. Il y a quelques jours, les nominations des votants de l’Académie se sont fait connaître. Un tiers des films (15 donc) reste en lice pour l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction, d’animation et documentaire. Le p’tit bonus : 2 de ces films sont visibles sur la Toile, via cette actu.

Et pour la suite ? À l’issue du deuxième tour de vote qui aura lieu du 22 au 27 février, les prix seront remis pendant la cérémonie des Oscars, le 10 mars prochain. On en reparlera.

Meilleur court métrage de fiction

The After, de Misan Harriman
Invincible, de Vincent René-Lortie
Knight of Fortune, de Lasse Lyskjær Noer
Red, White and Blue, de Nazrin Choudhury
Henry Sugar, de Wes Anderson

Meilleur court métrage d’animation

Letter to a Pig, de Tal Kantor
Ninety-Five Senses, de Jared Hess et Jerusha Hess
Pachyderme, de Stéphanie Clément
Our Uniform, de Yegane Moghaddam
War Is Over ! Inspired by the Music of John & Yoko, de Dave Mullins

Meilleur court métrage documentaire

The ABCs of Book Banning, de Trish Adlesic, Nazenet Habtezghi et Sheila Nevins
The Barber of Little Rock, de John Hoffman, Christine Turner
Island in Between, de S. Leo Chiang

The Last Repair Shop, de Kris Bowers et Ben Proudfoot

Nǎi Nai & Wài Pó, de Sean Wang

15 ans !

Apparu sur la Toile en 2009, Format Court continue de repérer de nouveaux auteurs et de nouveaux films – sans critères de durée, de genre et de nationalité – et d’en assurer la promotion sur le web. Que ce soit à travers son contenu éditorial, ses événements (projections, After Short, Festival), Format Court soutient encore et toujours la forme courte sous toutes ses formes.

Site de référence incontournable, Format Court est à la fois un magazine d’information une plateforme critique et une base de données grandissante sur le court métrage. Et ce mois-ci, c’est notre anniversaire. 15 ans, déjà.

Rendez-vous pendant notre 5ème Festival (25-28 avril 2024, Studio des Ursulines, Paris, 5e) pour une tranche de gâteau, une bougie et une séance de courts, histoire de fêter en beauté ce passage avec nous !

César 2024, les nominations des courts

Ce mercredi 24 janvier, l’Académie des Arts et Techniques du cinéma a dévoilé la liste des films et artistes nommés pour la 49ème cérémonie des César qui aura lieu le 23 février prochain dans la salle de l’Olympia à Paris. Voici les courts en lice pour le César du meilleur court-métrage de fiction, documentaire et d’animation.

Pour info, le second tour de vote pour les 4 694 membres votants s’ouvrira jeudi 1er février et se clôturera le vendredi 23 février à 16h, quelques heures avant l’ouverture de la 49e Cérémonie des César qui révélera les lauréats 2024.

Enfin, vous l’aurez peut-être remarqué : l’affiche des César de cette année est liée à un photogramme tiré de La Belle Fille et le Sorcier, un court métrage de 1992 réalisé par Michel Ocelot. Le réalisateur, connu pour Kirikou, avait lui-même remporté un César du meilleur court-métrage d’animation en 1983 pour La Légende du Pauvre Bossu avant d’avoir le César du Meilleur Film d’Animation en 2019 pour Dilili à Paris.

Nous avons interviewé plusieurs fois Michel Ocelot sur Format Court, une fois à l’occasion de la sortie de son long-métrage Le Pharaon, le Sauvage et la princesse (2022) et plus récemment au Brunch du court-métrage des César. Michel Ocelot y était Parrain de la sélection officielle des courts-métrages d’animation aux César 2024.

Films nommés aux César du court 2024

César du Meilleur court-métrage de fiction

L’attente réalisé par Alice Douard
Boléro réalisé par Nans Laborde-Jourdàa
Rapide réalisé par Paul Rigoux
Les Silencieux réalisé par Basile Vuillemin

César du Meilleur court-métrage documentaire

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard
L’effet de mes rides réalisé par Claude Delafosse
La mécanique des fluides réalisé par Gala Hernández López

César du Meilleur court-métrage d’animation

Drôles d’oiseaux réalisé par Charlie Belin
Eté 96 réalisé par Mathilde Bédouet
La forêt de mademoiselle Tang réalisé par Denis Do

Appel à réalisateurs / La Scénaristerie

Partenaire du Festival Format Court, La Scénaristerie, association créée en 2015, a lancé une nouvelle résidence : Le Labo Court-Métrage qui s’intéresse de près à la relation scénariste/réalisateur.rice.

En septembre, l’association a lancé un appel à projets destiné aux scénaristes qu’il.elle.s ne souhaitent pas réaliser eux.elles-mêmes. Elle en a retenu 4 :

– Smala, de Nathan Assouline
– L’effet Puppy Clip, de Stéphanie Chabert
– Saudade, de Rokiatou Konaté
– Boîte vocale, de Martin Lafaye

Les 4 scénaristes préalablement sélectionné.e.s ont travaillé sur leur projet de court-métrage pour aboutir à un synopsis développé.

Suite à cette première session, la Scénaristerie lance un appel à réalisateur.rice.s pour former 4 binômes de scénaristes/réalisateur.rice.s qui partiront ensemble en résidence d’écriture la semaine du 4 au 8 mars au Mans, accueillis par La Cité du Film.

Le travail se fera de façon collective et supervisé par les deux consultantes de La Scénaristerie afin d’écrire une nouvelle version de synopsis ou une première version dialoguée du court-métrage.

Le Labo court-métrage se clôturera par une présentation des projets devant des producteur.rice.s à l’occasion du prochain Festival Format Court du 25 au 28 avril 2024 à Paris.

Pour participer à cet appel à réals (deadline : 5 février !), connaître les pitchs et disposer de toutes les infos, rendez-vous sur : https://www.scenaristerie.com/copie-de-appel-à-projets-2

Mathilde Bédouet : « J’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait »

Premier film professionnel, Été 96 parle de la découverte de l’individualité du jeune Paul, le temps d’un été sur une île du Finistère. Court d’animation réalisée en rotoscopie, il est issu de l’imaginaire de Mathilde Bédouet, une jeune réalisatrice passée par les Arts Décoratifs, l’illustration, le dessin de presse et le clip. César du meilleur court d’animation 2024, il mêle souvenirs personnels, espaces vides et explosion de couleurs, dessins et jeu d’acteurs, douceur-insouciance propre à l’enfance et réalité-dureté du monde adulte.

Format Court : Tu as fait les Arts Décos en animation. Comment et pourquoi as-tu choisi ces études?

Mathilde Bédouet : J’ai commencé par une mise à niveau à Olivier de Serres, une école publique qui proposait entre autres, des BTS. J’y ai touché à tout, avant de m’orienter vers les Arts Décos car ils avaient une section animation. J’ai donc refait ma première année là-bas, ce qui m’a permis d’être sûre de vouloir faire du cinéma d’animation. Je me suis dit que si je faisais de l’animation, je saurais faire de l’illustration alors que le contraire n’est pas forcément vrai. A l’école, on a dû faire des illustrations sur des tickets de caisse enroulés : on a vite vu ceux qui étaient motivés par l’animation, et les autres qui ont été découragés par l’exercice. J’étais en contemplation devant les dessins. J’ai failli avoir les Gobelins, j’étais la première sur liste d’attente ! Mais finalement, j’ai aimé l’enseignement aux Arts Décos. Au début, je trouvais qu’il manquait de professionnalisation, mais avec le temps j’ai compris qu’on nous avait appris un certain goût, de par cette non-compréhension de la technique.

Il y a aussi l’idée répandue qu’on sait raconter des histoires individuellement lorsqu’on sort des Arts Décos, quand le travail est plus collectif aux Gobelins.

MB : Oui, aux Arts Décos, je pense qu’il y a ce côté plus “artisan”, on développe notre propre patte. C’est incroyable, on peut faire tout ce qu’on veut avec les ateliers comme de la stop-motion, du fond vert, des salles de tissage…

Quelles sont les techniques qui t’ont le plus intéressée ?

MB : J’ai fait beaucoup de dessin sur papier traditionnel au début. La pâte à modeler n’avait pas marché pour moi (rires) ! J’aime rester sur le papier, avec des crayons. Et puis je me suis mise à la rotoscopie.

Comment travaille-t-on avec le procédé de rotoscopie ?

MB : Pour Été 96, on a fait un tournage avec de vrais acteurs. J’ai imprimé le film à 8 images/seconde sur du papier, que j’ai mis en transparence sur mon bureau, comme un calque. Je dessine ensuite ce qui m’intéresse, j’interprète. J’ai fait plus de 3000 dessins pour le film.

En quoi passer par la réalité est-il pertinent pour raconter une histoire ?

MB : Je trouve ça très intéressant car on ne peut pas inventer les micro mouvements d’acteurs. Cela me permet de faire de l’animation réaliste dans le ressenti, j’aime l’idée qu’il y a une part de jeu que je ne prévois pas. A la base, je voulais me rapprocher du documentaire. Je ne saurai pas expliquer pourquoi j’aime le réalisme, et les acteurs me permettent de raconter quelque chose avec une distance. Je choisis ce que je dessine, j’interprète les couleurs, je simplifie parfois… Je laisse toujours beaucoup de blanc autour, mon style vient de choses que je ne sais pas faire. Comme je ne fais pas de décor, je peux me concentrer sur les personnages. Dans l’animation, j’aime le line-test, quand on voit le mouvement au début d’une scène sans qu’il se finisse : c’est du crayon pur sur fond blanc. Cela me touche beaucoup moins quand les décors sont ajoutés.

Tu as fait de l’illustration, du dessin de presse. As-tu l’impression que cela a nourri ton travail ?

MB : Non, c’était assez cloisonné. A l’école, on nous disait de dessiner tout le temps, ce que je faisais avec tout le monde.

Quand t’es venu le projet d’Été 96 ?

MB : Autour de 2019, le temps de réfléchir, d’avoir les aides, la production… Faire le tournage et finir de tout redessiner, cela m’a pris beaucoup de temps. On aurait pu aller plus vite si on avait embauché plus de gens. En équipe, on s’aide quand on bloque, ce qui est super inspirant. Lors de mes études, certains films d’animation m’ont inspirée comme Les Triplettes de Belleville ou Valse avec Bachir. Au lycée, on ne connaissait pas les courts-métrages d’animation, à part peut-être ceux de Pixar. C’est lors des festivals, comme celui de Clermont-Ferrand, que j’ai découvert le monde du court-métrage d’animation.

Qu’est-ce que le court-métrage t’apporte ?

MB : Dans l’animation, j’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait. Tout ce que j’imagine devient autonome. Dans le court, c’est plutôt la narration qui me plaît. J’aime beaucoup lorsqu’on me dit que mon court-métrage rappelle aux gens des souvenirs. Ce qui touche, c’est quand on touche à soi. J’ai du mal à inventer un scénario de nulle part, donc je choisis l’autobiographie. L’idée d’Eté 96 m’est venue en voyant des cassettes vidéos chez mon grand-père : d’abord, j’avais le projet d’en faire des archives documentaires familiales, puis j’y ai rajouté un peu de fiction,… J’ai fait de la fiction sur des souvenirs. On est retrouvés sur les vrais lieux, l’île Callot dans le Finistère. Pour moi, enfant, c’était l’île de la liberté au contraire de Paris où j’ai grandi en faisant attention à tout. J’ai l’image des rochers de l’île très impressionnants où l’on gambadait. Ce sont les enfants du coin qui nous y ont emmenés en bateau. Ils ont escaladé les rochers exactement comme nous avions l’habitude de le faire enfants, ils étaient sur leur terrain de jeu. C’était trop bien de les faire jouer sur un endroit qu’ils connaissaient par cœur, de faire jouer son propre rôle par des acteurs.

Tu as commencé par la réalisation de clips musicaux. Quels avantages et difficultés as-tu rencontré ?

MB : Au début, lorsque je faisais des clips, je n’écoutais pas les paroles mais le rythme. J’avais des flashs que j’essayais de lier à une histoire. Je trouve que le clip permet une liberté folle parce qu’on n’est pas obligés de raconter une histoire, on peut divaguer. L’inconvénient, c’est d’avoir des commanditaires, mais j’ai eu beaucoup de liberté à cause du manque de budget. Avec des labels plus importants, il y a des contraintes artistiques plus importantes j’imagine. Avec le clip ou le long-métrage, je pense que la question essentielle est de savoir quelle est la durée dont j’ai besoin pour raconter une histoire. J’ai horreur des films où l’on se dit : “Tiens, j’aurais bien enlevé 20 minutes ” (rires) !

L’Heure de l’été, la boîte de production qui t’a accompagnée, n’a pas l’habitude de faire de l’animation. Comment votre collaboration a-t-elle débuté ?

MB : Ça a commencé avec Ninon Chapuis, une amie d’enfance que j’ai retrouvée. Elle est venue me voir pour développer des univers qu’elle aimait, je lui ai montré les images de mes cassettes, c’était assez intime. J’aimais le grain des images, mais j’ai petit à petit abandonné les images d’archives pour faire de l’animation. Ninon a très bien compris mon travail, ça a été très simple. La production m’a trouvé des gens pour le tournage, là où j’avais le plus besoin d’aide.

Qu’est-ce qui détermine ton envie de mettre autant de couleurs dans ton travail ?

MB : Bonne question (rires) ! Je travaillais beaucoup en noir et blanc, puis j’ai switché sans vraiment savoir pourquoi.

Dans les crédits, tu remercies Faber-Castell, la marque de crayons de couleur.

MB : Oui, ils nous ont sponsorisé en nous fournissant des crayons. On a passé un an à leur écrire, ils étaient débordés mais au final ils étaient très contents de nous aider. A la différence des personnes sur leur ordinateur, j’ai un budget de consommables énormes, avec les crayons, les feuilles, les taille-crayons, les gommes, l’impression… J’usais environ une dizaine de crayons par semaine, ce qui est énorme sur le long terme.

As-tu été tentée de travailler sur ordinateur ?

MB : J’ai déjà travaillé avec deux animateurs en Bretagne que je n’avais jamais vus, et avec qui cela s’est très bien passé. Je leur envoyais des cartons avec les dessins et des indications : sur papier, ça marchait très bien. J’en ai marre de l’ordinateur, le crayon me manque par rapport au stylet. Gagner du temps ne m’intéresse pas, j’adore dessiner chaque dessin.

Que ressens-tu quand tu dessines ?

MB : Du calme, de l’apaisement, presque comme une sorte de méditation. Je passe toujours beaucoup de temps à chercher les premières images, les couleurs et le style des personnages. Mais quand j’ai l’idée en tête, je peux en dessiner des dizaines à la suite. Si je m’attelle au long-métrage, j’en aurai pour 7 ans minimum (rires) !

Quels sont tes projets pour le futur ?

MB : On a eu une aide du CNC, on va bientôt déposer une demande de soutien en région. L’histoire que je veux raconter dans mon prochain court-métrage sera plus longue, aux alentours de 20 min, avec des adolescents cette fois-ci, toujours avec de la rotoscopie. Certaines techniques vont changer, je vais adopter d’autres méthodes de tournage dans la direction d’acteurs par exemple. Diriger des adolescents est un défi plus conséquent, que je maîtrise moins mais qui m’excite beaucoup. Je trouve l’énergie d’une équipe technique très inspirante et très surprenante.

Avec Été 96, tu as des archives et des souvenirs personnels, des images de tournage, et du dessin. Que fais-tu des images de plateau ?

MB : Pour moi, c’est du matériel qui m’aide au travail final, mais le plus important est le mélange à la fin. J’aimais qu’on rigole d’une scène mais qu’on réalise en même temps le mal-être et la solitude d’un enfant. Je parle beaucoup des transitions, de ces moments flottants où l’on se constitue face aux autres.

Le comité de présélection des César 2024 a choisi ton film parmi d’autres. Comment l’as-tu vécu ?

MB : C’était une grande surprise et une énorme joie. Avec Ninon, on s’est dit que faire les choses avec le cœur a fini par payer. Mais je me dis que je n’ai pas vraiment de contrôle dessus. C’est super encourageant, on se dit qu’il n’y a pas que ses parents qui regardent le film ! Le film bouge et touche des gens. Il y a tellement d’énergie que ça me donne beaucoup de force et de confiance pour en refaire un. J’ai mis longtemps à me considérer comme réalisatrice, après avoir été un peu lâchée dans la nature. Avec les César et la sélection au Festival de Clermont-Ferrand que j’aime beaucoup, ça me donne du courage pour me lancer encore plus loin.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Mona Affholder

S comme Les Silencieux

Fiche technique

Synopsis : Jorick est l’un des cinq membres d’équipage d’un petit chalutier. Après quatre jours d’une campagne de pêche infructueuse, il se retrouve face à un dilemme cornélien : rentrer les cales vides ou décider, contre l’avis d’une partie de l’équipage, de partir braconner en zone interdite.

Genre : Fiction

Durée : 20’

Pays : Belgique, France, Suisse

Année : 2022

Réalisation : Basile Vuillemin

Scénario : Basile Vuillemin, Blandine Jet

Montage : Christophe Evrard

Décors : Pierre Guerin

Image : Olivier Boonjing

Son : Theo Viroton

Interprétation : Arieh Worthalter, Thierry Barbet

Production : Blue Hour Films

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Les Silencieux de Basile Vuillemin

En mer, personne ne vous entend crier ; seul le silence prend le dessus. C’est dans ce silence, au milieu de nulle part, que des hommes, une bande de cinq marins, vont essayer tant bien que mal de se battre contre les éléments. Poussé par Jorick, un personnage incarné par Arieh Worthalter, le groupe décide, le temps d’une nuit, d’aller dans une zone protégée où la pêche semble bien meilleure. Ce n’est qu’après la joie de voir des poissons par centaines sur leur chalutier que le groupe remarque quelque chose qui va les stopper net : le corps d’un enfant. C’est avec cette histoire que Basile Vuillemin nous signe son premier court-métrage produit, après son dernier film auto-produit, Dispersion. Récompensé par le prix du public au festival Paris Court Devant 2023, Les Silencieux est aussi la première incursion dans la présélection des César pour un auteur tel que Basile Vuillemin, qui met autant à mal notre moralité en tant que spectateur.

De son postulat et de son dispositif claustrophobique visant à suivre, sur plusieurs heures, la vie de ces hommes, il en résulte avec Les Silencieux un objet organique. Et ceci dès le début du film, de par la succession de gros plans sur le filet de pêche et sur cette rouille. Cette rouille qui semble avoir pullulé sur tout le bateau et sur nos marins. De cette crasse qui prend possession de leurs corps fatigués, voûtés et marqués par un dur labeur. Le film, par son introduction, joue sur les corps, leurs sudations comme marque d’un métier et d’un système de production où ces hommes finissent broyés. De tout cela, émane une vraisemblance qui nous fait adhérer et nous attacher à la réalité de ces personnages que nous suivons durant le film. Un parti-pris de narration toutefois assez simple, mais qui, au fil des minutes, se verra perverti, notamment via le climax.

Ainsi, le film trouve une certaine efficacité en plaçant ces hommes au centre de son dispositif, notamment le personnage de Jorick. Incarné par Arieh Worthalter, ce dernier nous est montré dès le début comme quelqu’un à part, comme un marginal au sein des marginaux. Mais aussi comme une figure contestataire, étant le seul personnage qui ne nous est pas introduit dès le début du film par sa fonction de marin, mais plutôt par une musique. Un personnage merveilleusement interprété par un Arieh Worthalter méconnaissable et totalement impliqué, qui troque sa longue barbe pour un duvet mal taillée. Avec dextérité, il ajoute énormément à ce personnage, notamment dans sa fluctuation entre des moments de furie et de pur mal-être en silence.

Ce même silence qui prend une part énorme dans le film et qui lui donne son titre. Ici, Basile Vuillemin traite ce silence comme un véritable motif de cinéma, de deux façons distinctes. Dans un premier temps, il est imposé par un environnement hostile dans lequel ces marins essaient de le recouvrir avec de la musique, une musique aux sonorités country, comme une fenêtre sur le monde et un moyen de s’échapper. Dans un second temps, il est traité comme un élément choisi face à un dilemme moral. Ainsi, Basile Vuillemin fait du silence un élément de tension et de suspense. Il joue avec le spectateur, avec notre propre injonction morale envers la situation et les actes de Jorick. Et ceci à travers un climax géré au cordeau qui nous laisse, dans ces derniers instants, avec des hommes qui essaient d’affronter le déni, d’affronter un silence devenu assourdissant. Un parcours initiatique qui se laisse retranscrire à travers le personnage de Malo, jeune matelot, pris sous l’aile de Jorick et qui finira à la fin les yeux dans le vide, comme la totalité de l’équipage.

Ainsi, le film se distingue de par son sujet et son ancrage politique qui lui sont accolés. En abordant la vie de ces travailleurs qui doivent commettre des actes illégaux simplement pour pouvoir payer leur essence, le film place au centre de son sujet des questions liées à l’écologie et à la misère sociale. On pouvait donc s’attendre à un film flirtant avec un certain misérabilisme en plongeant tête première dans la fable sociale. Cependant, ce n’est pas ce que fait Basile Vuillemin avec Les Silencieux.

En effet, on peut y voir un réel travail de la part de Basile Vuillemin et de sa co-scénariste Blandine Jet pour se réapproprier ce sujet à travers le prisme du genre. Le film pose la question en préambule de comment gérer autant de tension dans un endroit aussi isolé qu’un chalutier au milieu de nulle part. De cette question, nous pouvons y voir une sorte de réitération des « 12 hommes en colère » de Sidney Lumet en pleine mer. Un film d’autant plus vénéneux qu’il utilise son ancrage politique comme un vrai outil dramaturgique pour nous laisser, en tant que spectateurs, totalement pantois. Rien qu’à travers ce personnage de Jorrick, précédemment cité et qui, dans son traitement de gros dur, qui s’avère finalement détruit de l’intérieur, va lorgner du côté du thriller. En empruntant notamment chez Michael Mann et chez son archétype de personnage mutique.

Cette réappropriation passe par la mise en scène et la position de Basile Vuillemin, qui se place ici comme un réel auteur formaliste. Sans être programmatique, la mise en scène réussit avec un certain pudisme quant à la condition de ses hommes, à traiter de leur mal-être et de leur ambivalence morale. Un formalisme qui se mêle à la morale sans pour autant être moraliste, c’est là que se trouve la réussite du film et de cette mise en scène maîtrisée.

Dylan Librati

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Article associé : l’interview du réalisateur

Lkhagvadulam Purev-Ochir : « Les acteurs avec qui je travaille sont ceux qui ne peuvent pas cacher ce qu’ils ressentent »

Trois mois avant la sortie française de son long-métrage Un jeune chaman (City of Wind) dévoilé en septembre dernier à la Biennale de Venise (et récompensé du Prix d’interprétation masculine pour l’acteur Tergel Bold-Erdene), la réalisatrice mongole Lkhagvadulam Purev-Ochir revient pour Format Court sur son parcours et son court-métrage Snow in September, actuellement en compétition pour les César 2024 après une très belle carrière en festivals (Prix du meilleur court à Venise, Toronto, Palm Springs, Format Court, …).

Format Court : Comment est-tu tombée dans le cinéma ?

Lkhagvadulam Purev-Ochir : De façon très naturelle je pense, pour être honnête, et en même temps très radicale. Je dis cela parce que j’ai passé mon enfance à voir des films, c’était vraiment une grande grande source de divertissement… Non, pas de divertissement : d’évasion pour moi. Maintenant, j’essaie de me comprendre davantage […] et je commence à réaliser que ce n’est pas seulement que j’aimais le cinéma, voir des films. Je pense que j’avais vraiment besoin de m’évader, de me libérer des choses angoissantes qui avaient cours dans ma vie d’enfant puis d’adolescente.

Je suis née et j’ai grandi en Mongolie jusqu’à l’âge de 10 ans où mon père est allé étudier aux Etats-Unis. On est parti avec lui et on revenu quand il a eu son diplôme. C’est drôle, on est est resté 5 ou 6 ans aux Etats-Unis mais mon père ne nous emmenait qu’à la bibliothèque/médiathèque. Et seulement parfois, si on voulait sortir avec des amis, il nous emmenait au cinéma. À la bibliothèque, on pouvait emprunter 12 ou 14 livres par semaine et peut-être 7 films, donc on y allait pour rendre les précédents et en emprunter de nouveaux et on passait le week-end à lire et regarder des films chez-nous. C’était ça, mon expérience américaine. C’était comme ça que je passais tout mon temps.

Ensuite, on est retourné en Mongolie et j’ai réalisé que toutes mes références étaient issues des films. Si je voulais décrire quelque chose, j’utilisais des références de scènes de films et les gens commençaient à se dire à chaque fois : « Ah, elle va encore dire quelque chose à propos d’un film ». A mon retour en Mongolie, à 16 ans, les adolescents là-bas avaient leur propres références, blagues et façon de communiquer qui n’étaient pas les miennes; moi, j’étais au milieu d’eux. Ils relevaient vraiment cela de moi et je crois que c’était là, pour la première fois, que j’avais remarqué que j’avais sans doute beaucoup trop d’heures de visionnage de films au compteur.

Puis, je suis allée en Turquie pour ma licence, il y avait ce programme scolaire d’échange entre la Turquie et la Mongolie. J’ai passé un an à apprendre la langue et à la fin de ce cursus, on était supposé faire un choix d’orientation professionnelle. On devait lister trois universités et si notre niveau scolaire le permettait, on pouvait en intégrer une. Ma mère est médecin, je m’étais toujours dit que j’allais en être une aussi mais, à ce moment de ma vie où j’avais passé un an loin de ma famille, je commençais à me sentir indépendante et je me demandais : pourquoi est-ce que je n’étudierais pas le cinéma ? Est-ce que ça existe, est-ce que c’est au moins possible ? Enfant, je ne pouvais même pas en rêver, c’était un fantasme. Quand on vient du milieu dans lequel j’ai grandi, on devient médecin, on exerce un métier sécurisant. Je crois que c’est là, loin de mes parents, que j’ai eu pour la première fois l’idée de devenir cinéaste. J’ai mis mes trois choix en parcours de cinéma [et c’est comme ça que je suis arrivée en Europe].

Et le cinéma, en Mongolie, quelle forme il avait pour toi ? Est-ce que tu pouvais avoir accès à autant de films qu’aux Etats-Unis ?

L. P-O. : C’était la télévision, seulement la télévision quand j’étais enfant. Je n’ai jamais été au cinéma avant de partir aux Etats-Unis. Il y avait quelques cinémas à Oulan-Bator [ndrl : capitale de la Mongolie] mais mes parents ne m’y emmenaient jamais. Je suis née en 1989 et à partir de cette époque, les choses ont changé drastiquement là-bas, les cinémas ont fermé puisqu’avant bien sûr, c’était un bien de l’Etat. Je pense qu’il n’y avait pas de business model ni l’expérience encore pour gérer [la privatisation]… En fait, je n’ai aucune idée d’où étaient les cinémas pendant mon enfance. Je ne voyais des films qu’à la télévision.

Y a t-il un film qui durant ton enfance ou ton adolescence a particulièrement résonné en toi et qui, peut-être, t’a donné inconsciemment ce goût du cinéma et cette envie de faire des films plus tard ?

L. P-O. : Je pense que j’ai eu deux expériences marquantes. La première, c’est quand j’étais toute petite, je devais avoir 5 ou 6 ans, en 1995. Le maître à l’école nous avait apporté la cassette d’un film de Bollywood. Il y avait plein de nouvelles choses qui arrivaient à cette époque en Mongolie, des soap-opéra, dont Bollywood. Tous les enfants de l’école, tous les professeurs, avaient été réunis à la cantine pour projeter le film VHS sur un petit écran de télévision. Ce film ! Je ne pourrai jamais l’oublier. C’était du pur bollywood. Il y avait une histoire d’amour… La femme est tuée : une maison était en train d’être construite et le corps de la femme était ensevelie dans le mur qu’on avait repeint ensuite. J’étais terrifiée. À chaque fois que la caméra passait devant ce mur, je me souviens de mon envie de crier. Il y avait cette idée de présence qu’on ne pouvait pas voir mais qu’on savait être là. Ça a été mon premier souvenir fort d’image.

La première fois que j’ai conscientisé le cinéma, les intentions de création, c’était en Amérique. J’ai emprunté Un tramway nommé désir d’Elia Kazan et ce film m’a absolument bouleversée. Je crois que je devais avoir 14 ans. Je n’avais jamais vu une femme comme Blanche avant. Elle était dans un tel désespoir, j’en étais choquée. Mes amis m’avaient même acheté le DVD pour mon anniversaire tant j’en parlais.

Au début, je faisais ma sélection de films selon les nominations, les prix. J’avais ce snobisme de la personne qui ne regarde les films que lorsqu’ils avaient eu un Oscar [rires]. En voyant Un tramway nommé désir, je m’étais rendue compte que, peu importe les récompenses, il y avait quelque chose de plus important dans les films.

Tu as d’abord écrit ton premier long Un jeune chaman [City of wind] à la suite de quoi tu as réalisé tes deux courts Mountain Cat et Snow in September. Ce n’est pas le chemin habituel.

L. P-O. : J’ai écrit mon long-métrage parce que j’étais venu en Europe [Portugal] pour mon master d’écriture de films (2016). Deux ans avant d’y aller, j’avais rencontré un chaman, que l’on voit dans City of Wind. Je m’étais mis à beaucoup le fréquenter. Je n’avais pas vraiment d’expérience d’écriture de film avant, j’avais écrit quelques courts mais pas sérieusement, comme des exercices scolaires.

En Mongolie, j’avais cherché un scénariste pour m’aider à raconter mon histoire avec le chaman mais il n’y avait personne là-bas à cette époque et pas encore d’études d’écriture de films. Je le sais parce que j’ai enseigné à l’université du cinéma là-bas. Il n’y avait pas de scénaristes professionnels, juste des acteurs qui écrivaient des rôles pour eux-mêmes, des réalisateurs qui écrivaient leurs films rêvés… En Mongolie, le cinéma, c’était principalement un petit groupe d’amis, de gens qui se connaissent et qui faisaient des films ensemble. Je me suis dit que j’allais essayer d’aller étudier en Europe pour faire écrire mon film.

Quand j’ai eu mon diplôme, je me suis retrouvée avec cette première version de scénario de long dans les mains, mais rien d’autre. Je veux dire que je n’avais fait aucun court-métrage, je n’avais aucune expérience de festivals. Avant de venir en Europe, je n’avais d’ailleurs absolument aucune idée de cet univers des festivals, de ce qu’ils représentent en tant que puissance motrice pour avancer dans le cinéma et faire des films. J’avais ce scénario mais personne ne me prenait au sérieux parce que je n’avais rien fait.

C’est comme ça que Mountain Cat est arrivé [ndrl : le premier court-métrage de la réalisatrice]. Je l’ai fait à la pirate : j’ai écrit le film et un mois après, je le tournais. J’ai réuni tous mes amis en Mongolie, je tirais toutes les ficelles… Les films du poisson rouge [société de production britannique] sont arrivés après avoir vu les rushes.

Mountain Cat est allé à Cannes…

L. P-O. : Oui c’était incroyable ! L’année de la pandémie mais c’était incroyable d’être reconnue et ça a été un énorme tremplin. À partir de là, je pouvais montrer mon film, il avait beaucoup circulé en festivals et il était lié à mon long-métrage.

Comment as-tu commencé à travaillé avec la France, plus précisément avec Aurora Films qui a produit ton long-métrage mais aussi ton court Snow in September ?

L. P-O. : C’est drôle, j’ai rencontré Katia [ndrl : Katia Khazak, productrice à Aurora films] à Locarno quand le festival avait mis en place sur trois ans ce programme de portes ouvertes dédié à la Mongolie. Notre première rencontre a duré moins de 10 minutes et elle s’est mise à suivre mon projet. On a ensuite eu une réunion pour décider de travailler ensemble et, au cours de cette réunion, j’ai eu l’email de Cannes qui annonçait la sélection de Mountain Cat.

Katia est une travailleuse acharnée, elle a pris le projet d’Un jeune chaman et c’était parti ! Le financement a été relativement rapide, on a trouvé une co-production rapidement également. Peut-être aussi parce que j’avais fait le Laboratoire du scénario, les portes ouvertes de Locarno… Ces programmes m’ont mis le pied à l’étrier et m’ont aidé à me faire remarquer.

Revenons à Snow in September. Ce qui m’a marqué dans ton film, c’est le traitement de l’intimité. Tu présentes un rapport à la sexualité, chez un adolescent, qui est soudainement brusqué, violenté. Est-ce que tu peux nous en dire davantage sur la façon dont tu as construit cette histoire ? Quels ont été tes enjeux à ce niveau au cours de l’écriture ?

L. P-O. : L’histoire est basée sur une conversation que j’ai eue avec un ami qui a vécu quelque chose de similaire. Il m’a dit avoir commencé son expérience sexuelle quand il était très jeune, peut-être à 11 ou 12 ans. Il était gardé par une babysitter qui était dans sa vingtaine. Elle a profité de son ascendant sur lui. Cette histoire m’a fortement marquée parce que, si les genres avaient été inversés, il n’en aurait pas parlé de façon aussi « décontractée ». C’est une histoire vraiment terrible.

Dans la première version, j’avais écrit une scène bien plus violente : la femme tirait l’adolescent vers elle, montait sur lui, elle enlevait son haut… C’était bien plus explicite sur ce qu’il lui arrivait. Katia, ma productrice, trouvait cela trop fort. Quand j’ai commencé à réécrire et à réfléchir en termes de réalisation, de position de caméra, je me suis rendue compte en effet que c’était impossible de filmer ainsi cette scène de viol. Je ne savais pas où poser la caméra, ni depuis quel point de vue… Ca m’a mise face à face avec l’idée que la caméra était une arme et qu’il fallait savoir l’utiliser. Je crois que j’ai pu passer à la séquence suivante dans le film à partir du moment où j’étais assurée que c’était explicite pour le spectateur qu’elle abusait de lui. C’est vrai que ça a été un enjeu de plus en plus important tout au long du développement du film.

Le personnage vit cela davantage à travers ses expressions que par ses répliques, il reste relativement silencieux. Comment s’est passé le travail avec ton comédien (Sukhbat Munkhbaatar), pourquoi l’avoir choisi, lui ?

L. P-O. : Il avait alors 18 ou 19 ans, il allait commencer à prendre des cours de jeu. Il avait une petite expérience de plateau sur des vidéos en ligne, des séries TV. En Mongolie, on commence souvent par être assistant sur des plateaux avant de jouer; il voulait devenir acteur. Il est excessivement beau et il le sait. Lors de son casting, il me disait : « Tu sais je suis grand, ça peut te plaire… », des choses de ce style.

Je l’ai choisi parce que je n’avais pas spécialement besoin qu’il joue, ce n’est pas un film dramatique. En fait, même dans Un jeune chaman, le jeu n’est que dans les expressions du visage. C’est drôle que tu parles d’expressions parce que c’est vraiment ce que je recherche. Les acteurs avec qui je travaille, pas seulement Davka mais en général, sont ceux qui ne peuvent pas cacher ce qu’ils ressentent, ça transparaît immédiatement sur leurs visages. C’est une qualité que peu de gens ont. Certains arrivent à très bien dissimuler.

Avec Davka, certes, il n’avait peut-être pas d’expérience, sans doute qu’il était un peu trop beau, qu’il voulait devenir acteur tout ça… Mais il y avait quelque chose de tellement triste dans son expression et c’était quelque chose qu’il ne contrôlait pas. Il souriait, il parlait, il était content mais quand il se taisait pour écouter, son expression devenait triste, il avait cet air très mélancolique.

Cette tristesse était importante dans cette idée d’expérience transitoire et violente entre enfance et adolescence…

L. P-O. : Absolument, il devait y avoir cette couche d’émotion en lui qu’il ne pouvait pas cacher. Il a peu de dialogues, il doit juste être, écouter attentivement et son visage doit réagir. Quand je répétais avec lui, je le voyais vraiment écouter ce que je lui disais, écouter avec tout son corps.

À la fin du casting, il restaient deux garçons. L’un était un très bon acteur mais cachait tout de lui, tout, il montrait beaucoup d’émotions mais tout était du jeu, on ne pouvait rien lire sur le visage. C’était très intéressant. J’ai beaucoup appris des castings avec cette expérience.

Est-ce que peux tu nous en dire plus sur la construction du personnage de cette femme mystérieuse qui abuse de Davka ? Elle est dans un entre-deux, à la fois réaliste dans l’histoire et en même temps elle a ce côté fantomatique, peut-être un personnage symbolique ou métaphorique. Elle apparait de nulle part, disparait, personne ne la connaît…

L. P-O. : C’est intéressant, on me demande souvent si c’est une sorte de rêve, de fantasme… Honnêtement ce n’était pas l’intention. J’ai essayé à mon sens d’en faire un portrait réaliste mais j’aime ces interprétations de fantômes… J’imagine que c’est l’impression que ça laisse quand on vit un évènement comme ça, avec le non-dit, l’impossibilité de le communiquer et cette nécessité d’avancer, de faire avec, comme si ça n’était jamais arrivé même si ça devient un feu qui ravage tout autour de soi.

Je voulais montrer que ça pouvait être une rencontre parfaitement normale a priori [ndrl : la femme mystérieuse croise l’adolescent dans les escaliers de l’immeuble et entre chez-lui sous le prétexte de passer un coup de téléphone parce qu’elle s’est enfermée au-dehors] mais qui est complètement nouvelle pour le personnage. Davka ne peut se raccrocher à rien parce qu’il n’y a aucun passif dans leur relation. Comme il est adolescent, si en face de lui il avait eu une babysitter de 20 ans, on aurait pu projeter un crush pour elle de sa part mais ça aurait engendré une toute autre dynamique. Là, je voulais vraiment une rencontre nouvelle et neutre : quelqu’un qu’il ne connaisse pas mais qui veut donner l’impression d’être proche de son environnement : une voisine qu’il aurait pu ne jamais voir.

Ça devait être une première rencontre parce que c’est un court métrage. Si je faisais un long sur le sujet, j’explorerais peut-être la relation du personnage avec quelqu’un qu’il connait bien. Mais pour le bien du court, je voulais une relation fraiche, nouvelle, parce que je ne pouvais pas explorer l’intimité d’une longue relation.

Comment as-tu initié ce travail avec la comédienne [Enkhgerel Baasanjav] ? On parle d’une femme adulte qui doit être mue par une volonté de séduire un adolescent.

L. P-O. : J’avais besoin d’abaisser la séduction en fait. On parlait beaucoup avec la comédienne de cette rencontre et surtout du vécu de son personnage, de sa toile de fond. Cela n’apparaît pas dans le film mais on a créé une histoire mentale : une femme qui trompe son mari dans un appartement de l’immeuble en question. On imagine qu’elle vient de faire face au rejet de son amant et tandis qu’elle descend les escaliers de cet appartement, elle rencontre ce jeune homme.

On avait besoin qu’il y ait cette histoire réaliste pour que la comédienne puisse comprendre qui était son personnage, pourquoi il se trouvait là, pourquoi il mentait, ce qu’il cherchait. C’est une femme dont on s’est servi et donc qui veut se servir en retour, c’est son moyen de reprendre le contrôle. C’est en fait une femme très triste.

Un peu comme Blanche (Un tramway nommé désir) … [sourire]

L. P-O. : Oui ! Ce qui me lie vraiment à Un tramway nommé désir, c’est bien Blanche et son passé; à quel point elle est triste et comment à partir de cela, elle essaie de prendre l’ascendant, en particulier sur les hommes autour d’elle. Si on se souvient bien, elle est rejetée de sa ville parce qu’elle a couché avec un lycéen. Je n’avais jamais fait cette connexion avant… Quand je parlais avec l’actrice, j’essayais toujours de lui donner cette histoire de fond : une femme qui souffre et qui veut ressentir le contrôle, le pouvoir. C’est pour ça qu’elle fait irruption de la vie de cet adolescent.

Qu’est-ce qui a porté ton choix vers cette comédienne ? Elle porte particulièrement bien cette dimension ambivalente et intriguante.

L. P-O. : En vérité, la mère et la femme mystérieuse ont toutes les deux été castées pour les deux rôles. J’ai longtemps hésité à faire jouer quoi à qui. L’actrice qui joue la mère aurait été plus directement liée, pour les spectateurs, à ce côté séducteur parce que dans la vraie vie, elle dégage beaucoup … d’énergie [sourire].

L’actrice qui a finalement joué la femme mystérieuse est actrice de métier mais aussi professeure de jeu. Elle a quelque chose qui se situe davantage dans l’apparence d’une mère typique. À la fin, on a inversé tout ça, je voulais que la femme mystérieuse ait l’air la plus « normale » possible, même en ce qui concerne ses habits, je voulais les affadir… Je ne voulais pas de maquillage mais quelque chose de complètement naturel, rien où la séduction puisse se loger, contrairement à ce qu’il y avait dans le scénario où je l’avais affublée de vernis à ongles rouge etc… Parce que dans le scénario on doit laisser des indices pour faire comprendre ce qui est à l’oeuvre. J’ai gardé au montage les prises où l’actrice était le moins possible dans la séduction.

Peux-tu nous dire un mot sur le décor et le rôle qu’il tient dans le film ? Ces immeubles soviétiques vétustes t’étaient-ils familiers ?

L. P-O. : En fait, c’est là où j’ai grandi. Pas l’exact appartement mais la configuration, l’architecture, tout est identique à ce que j’ai connu. Même la chambre de Davka : je la voulais exposée plein Nord comme la mienne à l’époque, je voulais qu’elle soit sombre, il fallait qu’elle porte cette atmosphère de quasi donjon.

Dans le cinéma mongol, cette partie d’Oulan-Bator est rarement montrée, les réalisateurs préfèrent explorer la vie moderne, la ville moderne, pourtant ce type d’architecture est présent partout dans les anciens pays soviétiques. C’est aussi ma façon de documenter ces endroits avant qu’ils ne soient complètement transformés […]. Même l’appartement dans lequel on a tourné avait été rénové mais par chance, il avait toujours l’air vieux.

Comment as-tu abordé ces lieux avec ton chef opérateur Amine Berrada ? Quels sont les défis que vous y avez rencontrés ?

L. P-O. : Le travail avec Amine était très fluide. Il est très talentueux, très intuitif, c’était un bonheur. Mon but était que l’image, la lumière, ne soit pas réaliste, parce que pour moi, le réalisme ne concerne pas tellement le cinéma, mais je voulais qu’on aille vers un naturel, qu’on sente quelque chose d’organique mais qui ne soit pas poussé. Avec Amine, on essayait de travailler dans une idée de minimalisme au niveau de la lumière. On voulait utiliser l’espace tel qu’il était pour raconter cette histoire. Le gros défis du tournage, c’est avant tout que j’étais enceinte de 5 mois, on n’avait pas de talkies, je devais courir de partout pour parler aux acteurs… !

Un jeune chaman était à Venise en septembre, il sortira en France en avril chez Arizona … Est-ce que tu œuvres déjà à de nouveaux projets ?

L. P-O. : Oui, je commence à écrire un deuxième long. C’est une nouvelle aventure, très différente, où j’explore de nouvelles émotions. Ça se concentre sur la relation entre un père et ses fils [sourire, elle n’en dira pas plus.]

Propos recueillis par Gaspard Richard-Wright

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Julia Kowalski : « Je n’avais pas envie de montrer du doigt et de critiquer bêtement »

Julia Kowalski est réalisatrice. Elle a réalisé en 2023 J’ai vu le visage du diable, un court-métrage qui suit une jeune femme, Majka, torturée par son homosexualité, qu’elle perçoit comme un signe de possession. Elle décide alors de se faire exorciser. Ce film, qui s’inspire de la réalité des pratiques d’exorcisme en Pologne, mêle esthétique documentaire et surnaturel. Il fut présenté à de nombreux festivals, dont Cannes à la Quinzaine des Cinéastes, a remporté le Prix Jean Vigo du court-métrage et est en lice aux César 2024. Rencontre.

Format Court : Quel est le point de départ de ton travail sur cette fille que l’on voit se battre contre son homosexualité ? Est-ce cette dimension qui t’a intéressée ou la question de l’exorcisme ?

Julia Kowalski : Depuis quelques années, je prépare mon deuxième long-métrage : c’est l’histoire d’une jeune fille qui est convaincue d’être possédée. Dans ce film, il y avait initialement un exorcisme. Afin d’écrire ce film, j’ai donc enquêté sur le sujet et je me suis rendue compte de cette manière que la pratique de l’exorcisme était ultra répandue en Pologne de nos jours. Je me suis donc dit : « Incroyable ! Je vais enquêter un peu plus là-dessus en profondeur ! ». Au départ, je voulais en faire un documentaire, évidemment avec mon prisme principal, qui est qu’une jeune fille est convaincue que son homosexualité est quelque chose de démoniaque.

J’ai rencontré des dizaines de filles qui étaient passées par là et des prêtres qui étaient partants pour être filmés, mais je me suis retrouvée confrontée à un mur, qui était la hiérarchie ecclésiastique : il y a une confrérie des exorcistes de Pologne qui dépend du Vatican ; on ne peut pas faire ce qu’on veut. Quand j’ai fait les démarches officielles, je me suis retrouvée confrontée à ce mur : le nouveau coordinateur en chef des exorcistes de Pologne s’est révélé assez inaccessible et quand je l’ai rencontré, il m’a dit : « Je suis d’accord pour que tu fasses un film, mais pas celui que tu veux ! » Il était presque partant pour que je fasse un film de propagande, quoi ! Ce n’était évidemment pas mon sujet et donc, avec mes producteurs, on s’est dit : « Bon bah, on passe à la fiction ! ». C’est donc devenu un film de fiction, mais qui est très empreint du documentaire, parce que, à part les deux personnages principaux, ce sont des gens qui jouent leurs propres rôles. On a évidemment filmé dans les vrais lieux où ça se passe. Les paroissiens sont de vrais paroissiens, on a plein de scènes dans le film qui sont des scènes documentaires, mais les scènes d’exorcisme sont fausses.

Par ailleurs, dans une autre vie, j’ai été JRI [Journaliste Reporter d’images] pour Arte et j’ai fait un documentaire sur l’homophobie en en Pologne. J’ai donc découvert les exorcismes et thérapies de conversion et, depuis, ça m’habite pas mal.

L’idée première était donc l’exorcisme, la question de l’homosexualité est donc venue après, en creusant ?

J.K. : Tout à fait !

L’exorcisme est effectivement un service officiel du Vatican, qui existe ailleurs qu’en Pologne : est-ce que tu as l’impression qu’il y est si important, que c’est si massif, ou que ce sont uniquement des îlots ?

J.K. : Non, non, c’est extrêmement massif. Mon premier rendez-vous avec un exorciste, c’était il y a un peu moins d’un an. Il avait un sanctuaire de santé, qui avait parfaitement pignon sur rue. Quand je suis sortie, il y avait des dizaines de personnes qui attendaient pour des séances d’exorcisme l’heure d’après. Il y a vraiment des centaines de personnes par semaine qui se font exorciser.

Après, ça a effectivement été fait dans le monde entier : mon film, par exemple, cartonne au Brésil, parce que c’est un pays très pratiquant où l’exorcisme est très fréquent. C’est très méthodique, on ne fait pas n’importe quoi : il y a un rituel très précis. Il y a d’abord la litanie des saints, des questionnaires psychologiques… J’ai essayé dans le film de respecter ça, même si j’ai « squeezé » des étapes. Mais ça se fait comme ça de manière très ritualisée et ordonnée.

Est-ce que les personnes qui ont recours à l’exorcisme le font essentiellement pour des questions d’orientation sexuelle ou d’identité de genre ou pour des raisons beaucoup plus diverses ?

J.K. : Moi, c’était mon axe. Après, je n’ai pas les statistiques en tête, parce que je n’ai pas fait de travail sociologique, mais j’ai quand même rencontré beaucoup de gens et tout le monde trouve ça normal quand je fais des festivals. En Pologne, il y a même des gens qui ne voient pas la dimension critique du film. Ici, les gens trouvent normal que des gens fassent un exorcisme pour des questions de sexualité. Mais ce n’est pas l’unique raison.

Après, de ce que j’ai vu dans mes repérages, il y a deux types d’exorcistes : ceux qui disent que tout est bon à exorciser et ceux qui disent que les cas de possessions sont rares. Il y a des gens qui viennent pour tout type d’addiction (alcool, drogue, adultère…). Après, on peut évidemment y voir du charlatanisme, mais moi j’ai vu des choses quand même qui dépassent l’entendement. C’est pour cela que je n’avais pas envie de montrer du doigt et de critiquer bêtement : ça n’avait aucun intérêt et je trouve le film beaucoup plus fort si chacun peut se positionner par rapport à ça. La plupart des prêtres que j’ai pu rencontrer étaient des gens qui pensaient véritablement faire le bien en faisant des actes de torture. Je trouvais cela beaucoup plus fort de montrer des gens qui font des choses horribles en étant convaincus du bien que ça provoquerait.

Comment a évolué l’écriture du scénario, notamment sur la question de cette relative neutralité du film, qui ne conclut pas à la place du spectateur ou de la spectatrice ?

J.K. : Très vite, j’ai écrit dans ce sens. J’avais autant besoin qu’on s’attache au prêtre et à l’héroïne. Qui suis-je, moi qui viens de l’extérieur pour dire : « Oh là ! là ! Quelle bande de connards qui exorcisent des jeunes filles ?! ». Ce serait une position bien prétentieuse et je n’avais pas du tout cette volonté-là. Dans l’écriture, j’ai instauré ce doute avec mon héroïne, qui se pose la question de savoir si elle vit ça réellement ou si c’est un fantasme. C’était très important pour moi qu’elle ne soit pas si bête, qu’elle se pose aussi des questions de distance par rapport à tout ce qu’elle vit, que tous les personnages soient intelligents.
Par ailleurs, je pense que, qu’elle soit possédée ou non, ce n’est pas le sujet du film. Le sujet, c’est la croyance, l’auto-conviction et l’auto-endoctrinement.

L’autre chose qui permettait de garder cette distance, c’était le casting. Pour Majka, je n’ai pas du tout hésité, mais pour le prêtre, j’avais un premier comédien, qui me plaisait beaucoup, mais qui avait une forme de perversité qui n’était pas nécessaire et même était contre-productive. De toute façon, en voyant un prêtre qui pratique un exorcisme et qui se retrouve seul avec un enfant de cœur, tout le monde peut se poser plein de questions. Il fallait donc quelqu’un qui incarne une immense bonté et quelqu’un qui avait aussi une faille en lui. On a donc construit toute une backstory du personnage du père Marek, qui n’apparaît pas du tout dans le film, avec une histoire d’enfant qu’il n’a pas pu sauver, une fracture qui le rendait touchant et qui faisait qu’il devenait évident pour lui qu’il devait sauver Majka. C’était très important d’avoir des personnages doubles, qui ne sont ni bons, ni mauvais, mais qui font ce qu’ils doivent faire.

Ensuite, le tournage s’est déroulé très très vite. On a décidé en automne 2022 de faire une fiction. J’ai rencontré Maria Wróbel[qui joue Majka] en novembre et on a commencé le tournage le 3 ou le 4 janvier, pendant huit jours. Le 3 mars, on l’a envoyé à Cannes ; le 5 mars, on savait qu’on était à la Quinzaine [des Cinéastes]. Ca a été très vite financé par le CNC : on a eu la contribution financière du premier coup et on s’est dit : « Ok, ça suffit, on ne cherche pas plus d’argent » et on a tourné très très vite.

Pour la direction d’acteurs, je n’ai pu voir Maria physiquement que 3 fois en deux mois. Donc on a instauré, en plus des répétitions en présentiel, des vidéos qu’elle devait m’envoyer chaque semaine avec chaque fois un nouveau « devoir à faire ». Je trouve que ça désinhibe vachement. Qu’elle se filme seule dans sa chambre lui permettait d’aller hyper loin, ce qu’elle n’aurait peut-être pas osé faire devant moi. Maria et Wojciech Skibiński [qui joue le père Marek] avaient plein de choses à faire, mais on s’était vraiment énormément préparé, d’autant plus qu’on n’avait que huit jours de tournage, avec de la pellicule donc pas beaucoup de prises.

À ce propos, pourquoi le choix de la pellicule ?

J.K. : Je trouve que ce n’est vraiment pas du tout la même chose que le numérique. Il y a quelque chose d’organique, de vivant, de grouillant, qui était pour moi nécessaire à ce film-là, parce que cette histoire de possession, c’est ce qui grouille dans sa tête. Ça rendait le film beaucoup plus charnel et viscéral. J’ai aussi un attachement personnel à la pellicule et je pense que ce n’est pas du tout un surcoût. Je suis un peu psychorigide du découpage, j’ai des idées très précises en tête et, du coup, finalement, sur le plateau, on ne tourne pas beaucoup de plans.

Est-ce qu’on peut revenir sur le choix des personnes non actrices ? La foule des messes était des personnes qui était déjà là ?

J.K. : Alors, nous avons filmé deux messes : la première messe, c’est une vraie messe que nous avons filmée en documentaire. Pour la deuxième, on a proposé à tous les paroissiens de la première messe de venir. Ils sont venus massivement : c’était de vrais paroissiens locaux.

Les paysages autant que les personnages participent aussi de l’ambiguïté du film. Comment as-tu choisi les lieux ?

J.K. : Les lieux, pour moi, sont aussi importants que les acteurs. Je suis partie trois semaines en repérage. Je vais d’abord chercher les églises : j’en ai visité une centaine. Il fallait les trouver les deux bonnes, puisque c’est un binôme d’églises, avec la paroisse principale où il y a les messes et la chapelle où se déroulent les exorcismes. Ces chapelles sont vraiment des endroits qui sont un peu hors du temps, un peu paumés.

Ensuite, j’ai cherché les paysages naturels, avec cette dimension grouillante et vivante qui pour moi est aussi à l’image de ce qui l’habite [Majka]. Ce qui l’habite, c’est le vivant, c’est son désir homosexuel, c’est la vie, comme la nature. Après, il y a un plan où j’ai fait venir des lamas ! Peu de gens les voient. C’est un peu le grand jeu des projections : « Qui a vu les lamas dans le film ? » Je voulais des animaux bizarres, qui n’avaient rien à faire là. Il se trouve que des fermiers pas loin avaient des alpagas. Ils les ont amenés sur la montagne en charrette, c’était complètement fou ! Je trouve ça génial qu’on ne les voit pas vraiment. Je ne voulais pas que ce soit des évidences, je voulais qu’on se dise « Est-ce que j’ai bien vu ce que j’ai vu ? ».

Sur la question de la nature, il faudrait aussi parler du traitement des couleurs, qui participe aussi du côté mystérieux et magique du film…

J.K. : C’est encore une fois la pellicule qui permet des camaïeux de gris, de bleu… Il y a deux types de pellicules. Il y a de la T 500, qui est la pellicule basique de Super 16 ; on avait aussi deux bobines de pellicule inversible. On changeait le magasin de la caméra chaque fois que l’on voulait faire des plans destinés aux scènes oniriques. Parfois, on doublait la prise. On n’avait que des deux pellicules de trois minutes [d’inversible], donc on avait très très peu de rushes. On n’a pas pu tester et on ne savait pas quel serait l’effet. On pensait avec mon chef op [Simon Beaufils] que ce serait un traitement croisé des couleurs et que ce serait vraiment plus flashy. Au final, c’est presque la même chose. C’est un poil plus poussé, un poil plus saturé, mais ce n’était pas grave, tout ne résidait pas là-dessus. Au départ, on avait vraiment imaginé que le rendu de ces rushes-là serait vraiment très différent, mais je suis quand même très contente du rendu.

Quelle a été la réception du film ?

J.K. : C’est assez démentiel ! Le film cartonne partout ! Depuis la première projection à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, il enchaîne les projections dans le monde entier. C’est assez fou : il a plein de prix. Moi, je ne l’accompagne pas trop parce que j’ai envie de me consacrer sur la suite, c’est-à-dire le long-métrage dont était issu ce film au départ. Ce n’est pas l’histoire de Majka, mais c’est quand même une jeune femme qui est convaincue d’être possédée : c’est une famille polonaise en France, dans la campagne française. Donc ce n’est pas exactement la même histoire, mais c’est la même esthétique, avec la même comédienne principale. On tourne en fin d’année 2024 : vous découvrirez donc ça bientôt !

Propos recueillis par Julia Wahl

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Basile Vuillemin : « J’ai besoin de l’altérité pour me questionner et me remettre en question »

Apparu à l’écran dès son plus jeune âge dans le film Roberto Succo de son parrain aux César, Cédric Kahn, Basile Vuillemin, maintenant diplômé de l’IAD en Belgique, est passé derrière la caméra et nous livre avec Les Silencieux un thriller au cordeau sur un équipage de marins qui, l’histoire d’une nuit, vont voir leur existence être bouleversée. Un film qui, malgré un tournage et une préparation en plein Covid, est à l’heure actuelle présélectionné aux César 2024. À travers cette conversation, Basile Vuillemin nous parle de la genèse de son œuvre ainsi que de son passage de devant à derrière la caméra.

Format Court : Tu viens à l’origine d’une famille de théâtre. Qu’est-ce qui t’a motivé à te tourner vers le cinéma ?

Basile Vuillemin : C’est amusant, je ne me suis jamais réellement posé cette question. J’ai l’impression que cela fait partie de moi depuis mon enfance sans que je ne le sache. Quand j’étais petit, c’était l’un des jeux que je pratiquais avec mes amis, de prendre mon petit caméscope mini-DV et réaliser des parodies, refaire des séquences de films. Sans m’en rendre compte, c’était déjà un pas vers la réalisation dès mon enfance. Mes parents m’ont toujours destiné à une carrière d’acteur depuis que je suis tout petit. A la fin du lycée, j’ai dû réaliser un court-métrage pour un projet personnel et il y a eu une évidence. Je me suis senti beaucoup plus à ma place derrière la caméra, en tant que réalisateur. Ça s’est imposé à moi et c’est ainsi que j’ai voulu ensuite intégré une école de cinéma.

Pour toi, c’était important de passer par une formation pour devenir réalisateur ?

BV : Je pense que, de manière générale, ce n’est pas nécessaire. On peut apprendre en autodidacte. Pour ma part, je sais que cela m’a aidé, car j’avais besoin, à l’époque, d’une structure. C’est un métier laborieux et rigoureux, et je pense que l’école m’a permis d’acquérir ces compétences. Cela m’a également donné l’occasion de rencontrer ma génération de cinéastes et de développer un réseau avec des personnes qui sont actuellement des professionnels du milieu. Je considère que l’école est un peu comme un accélérateur, une promesse de pouvoir réaliser des films de manière plus encadrée.

Si tu pouvais présenter Les Silencieux à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

BV : Pour faire court, c’est un huis clos dans lequel nous suivons un équipage de cinq marins le temps d’une nuit qui va littéralement changer leur existence.

Pour revenir sur ton passé en tant qu’acteur, tu as notamment travaillé avec Cédric Kahn dans le film Roberto Succo. Qu’est-ce que cela t’a apporté en tant que jeune acteur ?

BV : J’avais 9 ans à l’époque du tournage de Roberto Succo, et c’est la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de cinéma. C’était une expérience totale qui m’a passionné, étonné, bouleversé. Cela est dû notamment à mon rôle, qui était secondaire, mais qui, sur le temps de ces scènes, était vraiment central. En fait, j’interprète un enfant qui est kidnappé avec sa mère par Roberto Succo. Le fait d’être au centre du cadre m’a permis de voir toute une équipe qui se mettait en place tout autour de moi. Cette expérience a dû planter une graine en moi, sur une certaine magie du cinéma. Cependant, je ne pense pas que cela m’ait conditionné dans ma façon de réaliser. J’étais très jeune, et j’en garde avant tout un très bon souvenir de tournage. Je pense que je prendrais maintenant beaucoup de plaisir à voir Cédric travailler sur un plateau et à apprendre de cela, mais avant tout en tant que réalisateur.

D’où est venue ton envie de parler dans Les Silencieux d’un métier aussi peu représenté que celui de pêcheur ?

BV : Premièrement, d’une découverte de ma part, je ne connaissais pas ce milieu et ce métier. C’est en apprenant et en regardant travailler les pêcheurs qu’est née une fascination en moi. C’est de là que je me suis dit qu’il y avait un potentiel cinématographique dans un huis clos en mer, d’autant plus dans un endroit aussi claustrophobique qu’un chalutier. Je me suis dit qu’une situation qui dégénère sur un bateau était une promesse cinématographique adaptée à la forme du court-métrage. Petit à petit, d’autres thématiques ont été ajoutées, comme la thématique autour de l’écologie. Mais l’initiative venait du métier des pêcheurs pour parler de décisions et de dilemmes moraux.

Comment as-tu conçu ta mise en scène dans un espace aussi confiné que ce chalutier ? Et comment s’est passé le tournage ?

BV : C’était l’un des gros enjeux de la conception de ce film, c’était ce décor qui était à la fois un cadeau en termes de beauté visuelle, mais aussi un endroit très hostile pour un tournage. Ce sont des bateaux faits pour protéger les hommes de la mer et pas pour stocker toute une équipe de tournage. On a travaillé avec Olivier Boonjing, mon chef opérateur, pour trouver un découpage qui puisse jouer sur des moments de tension tout en étant relativement pudique pour rester dans l’intimité de ces hommes. Un travail qui a été assez fastidieux parce que le bateau sur lequel on a pu faire les repérages et sur lequel on a basé tout notre découpage nous a lâchés deux jours avant le tournage. Du coup, on a dû tout réinventer la veille du tournage sur un bateau différent.

Le personnage de Jorick est interprété dans ton film par Arieh Worthalter, qui est plus connu pour le long métrage que pour le court. Qu’est-ce qui t’a intéressé chez cet acteur ?

BV : Je trouve qu’Arieh a quelque chose d’incroyable déjà à travers son regard, il y a une force qui s’en dégage. Juste à travers son regard, il a cette capacité à nous raconter beaucoup de choses. Il m’a aussi dit que dans sa vie, il faisait du bateau, et je pense qu’Arieh est vraiment un aventurier. Assez tôt dans le processus d’écriture, son incarnation s’est imposée, nous avions sa référence pour créer le personnage. Il a accepté le film un an et demi avant le tournage, et c’était génial d’avoir un comédien aussi investi. Il arrivait chaque matin avec des suggestions pour les séquences que nous allions tourner, et même si c’était un court métrage, il avait une implication totale dans ce projet. Il essayait toujours d’aller plus loin, et c’était vraiment exaltant d’avoir quelqu’un comme ça sur le plateau.

Est-ce que ton passé en tant qu’acteur a déterminé selon toi tes relations avec ces derniers ?

BV : Je pense que cela fait partie de l’appétit que je peux avoir de les diriger, de savoir combien il est difficile d’être laissé tout seul devant une caméra. Pour moi, c’est l’un des éléments les plus importants, de travailler avec ces comédiens, de chercher avec eux la justesse et d’aller dans l’exploration. Le fait aussi que mes parents soient comédiens a, je pense, aussi conditionné mon rapport avec mes acteurs.

Comment s’est passée la conception du scénario et quelle était l’envie derrière ?

BV : J’ai tout d’abord collaboré avec une scénariste bretonne qui s’appelle Blandine Jet, et on a écrit ce scénario à quatre mains. On discutait pendant des heures pour, au final, écrire en parallèle souvent les mêmes séquences que l’on finissait par échanger pour pouvoir alimenter l’écriture de l’autre. Dans le travail, j’avais besoin de l’altérité, de quelqu’un à qui parler et qui pouvait me permettre de raconter ce qu’il y avait en moi, tout en me questionnant et en me contredisant. Cette collaboration m’a vraiment permis, avec Blandine, de pousser la réflexion. Avec ce film, nous avons vraiment voulu dépasser ce côté social qui nous était donné par son sujet et en faire un vrai objet de cinéma qui agrippe le spectateur.

Tu as pu officier du côté du documentaire à la sortie de l’IAD, est-ce que ça t’a inspiré pour Les Silencieux ?

BV : Je pense que ce que je garde du documentaire pour Les Silencieux, c’est le processus de préparation, notamment pendant l’écriture du scénario et le tournage. Cependant, avec ce film-là, je ne voulais pas être dans un cinéma réalité, je voulais m’approcher plus d’un cinéma spectacle proche du thriller. En piochant dans des éléments du réel pour les accoler à de la fiction, pour parler de la réalité de mes personnages.

Quel a été l’impact de la pandémie sur le film ?

BV : Comme tous les films sortis dans ces années-là, le Covid a vraiment complexifié les choses. Le fait que je sois un réalisateur belge et que le film ait été tourné en France faisait que les déplacements étaient compliqués, ce qui a conditionné la période de casting qui s’est déroulée en grande partie par Zoom. Il y avait aussi la complexité des gestes barrières et des masques dans un endroit déjà assez petit. Cependant, on a eu de la chance pendant la diffusion du film, d’arriver à un moment où les festivals proposaient de plus en plus d’offres en public. Je me sens très chanceux de ne pas avoir eu à projeter mes films via un écran d’ordinateur.

Est-ce que le fait d’avoir un budget plus large a été libérateur pour toi ?

BV : Je ne sais pas si c’était libérateur, mais c’était une étape importante, du moins pour aller ensuite vers le long-métrage. J’ai pu faire plusieurs courts métrages auto-produits, sans budget, et je pense qu’à ce moment-là de ma carrière, j’avais besoin de me confronter à un budget conséquent avec ses responsabilités et ses possibilités. Ce budget nous a offert du temps et nous a permis de prendre notre temps pendant la production et la post-production, de ne pas nous contenter de la première idée.

Propos recueillis par Dylan Librati

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F comme De la folie des hamsters

Fiche technique

Synopsis : Quittant son père et sa ville d’enfance, Inès, idéaliste et maladroite, fait tout pour convaincre sa sœur de la garder dans son petit appartement parisien. Esseulée et en perte de repères, elle se lie d’amitié avec un hamster qui ne cesse de tourner en rond.

Genre : Fiction

Durée : 40’

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Juliette Marrécau

Scénario : Juliette Marrécau, Mathilde Cadrot

Image : Charles Lesur

Musique : Pierre Fourchard

Son : Matthis Goldfain

Interprétation: Anaëlle Fournier, Juliette Savary

Production : GREC – Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques

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