T comme Tempête dans une chambre à coucher

Fiche technique

Synopsis : Suzan et Duayne Cleveland ont tout pour être heureux. Tout… sauf une vie sexuelle épanouie. En désespoir de cause, ils décident de partir dans le désert pour un voyage initiatique sensé raviver leur flamme. Pendant qu’ils sont partis, leurs deux employés chargés de s’occuper de la maison vont connaître une passion torride dans leur chambre à coucher… d’où la tempête.

Genre : Animation

Durée : 11’25 »

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Juliette Marchand et Laurence Arcadias

Scénario : Juliette Marchand et Laurence Arcadias

Marionnettes : Cédric Mercier, Viviane Altman et Milan Jancic

Décor : Hugues Brière

Image : Stephen Barcelo et Cyril Maddalena

Montage : Agnes Mouchel

Musique : Evgueni et Sacha Galperine

Illustration sonore: Yan Volsy

Effets spéciaux : Olivier Esmein et Pierre-André Sauvageot

Production : Amorce Films et JPL Films

Article associé : la critique du film

Les Magritte du cinéma. Deuxième cérémonie prévue le 4 février

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Les Magritte du cinéma ne sont pas une énième occasion de s’auto-congratuler entre professionnels. Leur but est de braquer un projecteur sur tous ceux qui assurent la réputation du cinéma belge à l’étranger, ravissent ici quelques connaisseurs, mais qui sont trop souvent ignorés du grand public.

21 récompenses seront attribuées en 2012, lors de la deuxième Cérémonie, par les membres de l’Académie André Delvaux. Elles seront remises le 4 février prochain au Square, à Bruxelles, aux meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur film flamand en coproduction, meilleur film étranger en coproduction, meilleur scénario original ou adaptation, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur acteur dans un second rôle, meilleur espoir féminin, meilleur espoir masculin, meilleure image, meilleur son, meilleurs décors, meilleurs costumes, meilleure musique originale, meilleur montage, meilleur court métrage et au meilleur documentaire de l’année.

Voici les quatre nominés pour le court métrage :

Dimanches, Valéry Rosier
Dos au mur, Miklos Keleti
La Version du loup, Ann Sirot et Raphaël Balboni
Mauvaise lune, Méryl Fortunat-Rossi et Xavier Seron

Site: Académie André Delvaux

O comme As Ondas

Fiche technique

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Synopsis : A l’intérieur de moi, des paysages de belles côtes portugaises, pour toujours liées à ces images, à ma jeunesse, à mon paradis perdu.

Réalisation : Miguel Fonseca

Scénario : Miguel Fonseca

Genre : Fiction

Durée : 22’

Année : 2012

Pays : Portugal

Image : Mário Castanheira

Son : António Figueiredo

Montage : Sandro Aguilar

Interprètes : Alice et Andreia Contreiras

Production : O Som e a Fúria

Article associé : la critique du film

As Ondas de Miguel Fonseca

« C’est ailleurs seulement que la mer est belle. Celle que nous voyons nous donne toujours la nostalgie de celle que nous ne verrons jamais… » Fernando Pessoa

Il règne dans le dernier film de Miguel Fonseca une sorte de vague à l’âme que l’on retrouve dans les accords lancinants du Fado. “As Ondas” porte en lui une dimension contemplative, presque ésotérique qui lie l’homme et la nature, la vie et la mort comme les deux visages d’une même réalité.

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Andreia et Alice sont soeurs jumelles. Andreia est atteinte d’insuffisance respiratoire et dépend d’une machine qui lui permet de s’oxygéner. Alice, quant à elle, pratique le surf, sort, rencontre des gens. Bien que différentes en raison de la maladie qui a conditionné le quotidien d’Andreia, les sœurs semblent ne pas pouvoir vivre l’une sans l’autre. Un lien étrange et peu compréhensible les unit. Car celle qui a le plus besoin de l’autre n’est pas la moins valide. C’est bien Alice qui supplie sa jumelle malade de ne pas la laisser toute seule alors que cette dernière doit partir le lendemain à Lisbonne pour se faire soigner.

Nous l’avions remarqué avec “I Know You Can Hear Me” (Prix Format Court au dernier Festival Media 10-10), le réalisateur portugais aime utiliser une forme particulière pour suggérer un fond de préférence fictionnel et non-narratif. Dans “As Ondas”, il a recours à des plans d’ensemble qui plongent le spectateur dans le décor idyllique et paradisiaque des côtes portugaises, lieu de référence à la jeunesse du réalisateur d’une part et à la genèse d’un monde toujours en création d’autre part. La nature est alors omniprésente et domine l’homme de sa grandeur et de sa puissance. A cela s’ajoute une bande-son particulièrement sensorielle (bruit des vagues, du vent, des mouettes) sur laquelle repose le rythme du film.

L’approche du cinéaste navigue entre réalité et fiction, les protagonistes (les sœurs Contreiras, célèbres mannequins) portent leurs prénoms dans la vie, certains plans sont pris sur le vif de la réalité montrant le temps qui passe. L’argument, en revanche, on peut s’en douter, est fictif. La démarche de Fonseca est, semble-t-il, de mettre en rapport l’infiniment petit à l’infiniment grand et le lien d’interdépendance existant entre les différents éléments. L’être humain vit et interagit dans une architecture configurée, il a besoin de l’autre comme complément de ce qu’il est et devient (relation entre les jumelles), enfin, il dépend de sa condition physique pour continuer à agir (maladie d’Andreia). Au-delà des apparences, c’est bien un film existentialiste que réalise Miguel Fonseca. Un court essentiel.

Marie Bergeret

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I Know You Can Hear Me de Miguel Fonseca

Prix Format Court du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié), I Know You Can Hear Me est un véritable tour de force. A partir d’une double citation, Miguel Fonseca déploie une narration neuve et non tributaire de ses composantes initiales drôlement antinomiques : l’ “action hero”-isme américain des années 80 et le haut Romantisme de Chopin.

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Les deux premières études du maître polonais (op. 10 nos. 1 et 2) encadrent des scènes de « First Blood » (Rambo I) de Ted Kotcheff : courses-poursuites avec un chien de chasse, explosions dans la forêt et des stations-services, fusillades urbaines… Les images choisies sont chaqune totalement dépourvues de présence humaine au point d’être méconnaissables : on ne se rend compte de la source des séquences que lors du générique final. Le travail de l’image se veut brut et le réalisateur laisse les bruits de fond de la bande-son originale ainsi que des bribes de dialogue limite compréhensibles interférer avec la musique de Chopin. Celle-ci offre un écho au dualisme entre les images de violence et les idylles verdoyantes. La première étude (communément baptisée “Cascade”) est sulfureuse et écrasante, le virtuose primant de loin sur l’expressif, tout comme la mise en scène spectaculaire prime sur la narration dans l’image. La deuxième pièce, en revanche, est plus douce, basée sur une mélodie chromatique frénétique. Deux facettes qui définissent parfaitement le dilemme romantique entre l’artiste tourmenté, à la fois rêveur et révolutionnaire, poussé jusqu’au bout par les compositeurs du XIXe siècle (notamment Schumann qui était déchiré entre la persona du Florestan explosif et celle de l’Eusebius docile).

Improbable donc à première vue, le lien entre l’image rambo-esque et la musique chopinesque apparait graduellement plus plausible. Après tout, ne pourrait-il pas s’agir de deux faces de la même médaille? Ne pourrait-on pas percevoir une continuité logique entre le Romantisme humaniste du XIXe, le Rêve américain du XXe et finalement l’héroïsme extrême qui a rendu la société d’Oncle Sam humanicide et corrompu le cinéma américain depuis tant de décennies? Partant de cette idée, on pourrait effectivement voir dans « I Know You Can Hear Me », comme dit le sous-titre de Fonseca,  “un film d’amour dans un film de guerre”.

Adi Chesson

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Alpha de Miguel Fonseca

Premier court métrage du réalisateur portugais Miguel Fonseca, Alpha est une exploration futuriste de la faculté émotive de l’Homme. Sorte de « 2008, Odyssée terrestre », non sans rappeler « A.I. », le film aborde la notion de l’humanité et la façon dont nous la gérons.

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Sans la grandeur ou l’exhaustivité philosophique du visionnaire Kubrick et loin de la mégalomanie ostentatoire de Spielberg, Fonseca opte pour une sobriété efficace. Faisant librement appel à la Willing Suspension of Disbelief, il dresse le portrait d’Alpha et de Beta, deux androïdes destinés à accompagner des personnes solitaires ou ayant besoin d’aide, tels des chiens guides. Programmés pour assumer la lourde responsabilité de leur fonction, les protagonistes sont des êtres en devenir, des créations déambulant, s’interrogeant sur la nature humaine, munies de la quasi totalité du savoir détenu par l’Homme mais, comme des vitamines artificielles, dépourvues de la dimension naturelle qui, elle, ne s’invente pas.

« Alpha » se révèle être un film bien plus complexe que ne laissent initialement supposer son rythme posé, son scénario minimaliste et son jeu d’acteurs retenu. Jonglant entre sa description cynique de l’abandon dans la société individualiste et l’idée optimiste que l’amour et le dévouement pourraient être appris même par des machines, Fonseca montre, dès son premier court, la propension humaniste et réflexive qui traverse toute sa petite filmographie.

Adi Chesson

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A comme Alpha

Fiche technique

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Synopsis : Ce qui commence comme expérience en laboratoire mène vers le développement d’êtres artificiels capables d’exécuter les tâches les plus variées et complexes. Avant de les livrer à leurs  clients, le fabricant développe un contrôle de qualité, surveillé par un technicien, dans lequel certaines compétences (comme l’apprentissage de la langue du client) sont améliorées. Cette étape de la procédure se produit dans un environnement clos qui simule celui du client. Alpha et Beta sont deux de ces êtres artificiels, sur le point d’être livrés à leurs clients japonais.

Genre : Fiction, expérimental

Année : 2008

Pays : Portugal

Durée : 28′

Réalisation : Miguel Fonseca

Scénario : Miguel Fonseca

Image : Mário Castanheira

Son : António Pedro Figueiredo

Montage : Sandro Aguila

Interprétation : Sara Carinhas, João Nicolau, Manuel Mesquita. Avec les voix de Marta Morais et de Gen Ebato

Production : O Som e a fúria

Article associé : la critique du film

Miguel Fonseca et la volonté d’expérimenter librement

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« Je veux essayer de m’exprimer, sous quelque forme d’existence ou d’art, aussi librement et aussi complètement que possible, en usant pour ma défense des seules armes que je m’autorise à employer » James Joyce

Il n’est pas commun de rencontrer un jeune cinéaste portugais nous proposant d’associer une citation de James Joyce à son interview comme il n’est pas hasardeux d’avoir primé son court métrage « I Know You Can Hear Me » au Festival namurois Media 10-10 en novembre dernier. Quand Miguel Fonseca se livre au jeu de questions/réponses.

Qu’est-ce qui t’as amené vers la réalisation? As-tu étudié dans une école de cinéma?

Non, j’ai étudié la philosophie. En 2001, j’ai commencé à travailler dans la boîte de production qui produit mes films O Som e a Fúria.

Quelles sont les influences artistiques que l’on peut remarquer dans tes films?

Peut-on toujours dire avec certitude parmi les choses qui nous entourent celles qui nous influencent le plus? Je ne pense pas même si je dois bien avouer que “Le Parrain” de Coppola, “2001 Odyssée de l’espace” de Kubrick, “La Ligne Rouge” de Malick, “Magnolia” d’Anderson et “Gran Torino” d’Eastwood m’ont fortement influencé.

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I Know You Can Hear Me

Au dernier Festival Media 10-10, à Namur, Format Court a primé « I Know You Can Hear Me ». Dans quel contexte ce film a-t-il été réalisé ? Comment t’est-il venu l’idée d’utiliser des images du film « First Blood » de Ted Kotcheff (1982)?

Le projet était très simple, en fait. Il s’agissait de réaliser un film où Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone se rencontrent par le biais de la technique du Footage en utilisant des images de tous les films où ils étaient la vedette. J’ai commencé avec « First Blood » dans lequel Stallone joue John Rambo pour la première fois. J’ai décidé d’assembler, en respectant la chronologie du film, tous les plans où personne n’apparaissait. Le résultat était si mystérieux et intéressant que j’ai décidé d’en faire un film à part entière. Et c’est ainsi qu’est né « I Know You Can Hear Me ».

Pourquoi as-tu choisi la musique de Chopin pour ta réinterprétation du film?

Parce que cela fonctionne. Je pense que cela donne un ton dramatique et mystérieux au film.

Comment expliques-tu le sous-titre du film : Un film d’amour dans un film de guerre ?

« I Know You Can Hear Me » est fait de chaque plan « vide » de « First Blood ». Il en résulte une atmosphère très étrange. On peut avoir le sentiment, surtout dans la première partie, que l’on regarde les choses à travers les yeux de quelqu’un d’autre. Le film comporte deux parties. Dans la première, on suit quelqu’un qui cherche quelque chose ou quelqu’un d’autre. Pourquoi je pense qu’il est à la recherche de l’amour ou de quelqu’un qu’il aime ? Regardez la seconde partie du film et voyez ce qu’il se passe quand il ne trouve pas ce qu’il recherche. C’est le chaos le plus complet. Seul un amour « introuvé » peut causer un tel désespoir. « I Know You Can Hear Me » est un film d’amour.

« I Know You Can Hear Me » a été sélectionné à Namur dans la compétition OVNI (Objets Visuels Non Identifiés). Peut-on rapprocher ce film et ton cinéma du terme « expérimental » ?

Je pense que l’on peut dire que ce film est un film expérimental. Si par là on entend la volonté et l’habileté d’expérimenter librement des choses sous différentes perspectives et idées, alors oui, mon cinéma est expérimental et j’espère que cela continuera. J’ai hâte de réaliser d’autres OVNIS !

Te vois-tu réaliser des longs-métrages dans un futur proche ?

Oui, j’en ai naturellement l’intention. Donc pour le moment, j’écris, j’écris et j’écris pour un projet de long!

Propos recueillis par Adi Chesson et retranscrits par Marie Bergeret

Miguel Fonseca, Prix Format Court au Festival Média 10-10 2011 : l’humanisme dans l’expérimental

Diplômé en philosophie de la Universidade Clássica de Lisboa et auteur de trois courts métrages, Miguel Fonseca a marqué l’equipe de Format Court lors du dernier Festival Media 10-10 de Namur où le jury composé de Marie Bergeret, Adi Chesson et Bibiana Vila a décerné le Prix du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié) à “I Know You Can Hear Me”, le deuxième film du réalisateur portugais. Nous posons ici un regard sur le travail interpellant de cet artiste humaniste.

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Retrouvez dans ce focus :

L’interview de Miguel Fonseca

La critique de « Alpha »

La critique de « I Know You Can Hear Me »

La critique de « As Ondas »

Bisclavret d’Emilie Mercier

Une fois n’est pas coutume. La critique d’un film, fidèle à son histoire, s’exprime en rimes.

Achevé à Folimage, l’année passée
Un studio proche de l’image animée
Bisclavret, le premier film d’Emilie Mercier
Est librement adapté d’un lai réputé

Ce joli poème de Marie De France
A récupéré à Bruz deux récompenses
Le grand prix Média, le Prix Emile Reynaud
À la clôture, avant le rituel pot

C’est un conte charmant et un peu féroce
Qui narre en vers le destin bien atroce
D’un suzerain se transformant en loup-garou
Les soirs de pleine lune, à l’insu de tous

Ces évènements se passent en Bretagne
Découvrant cette vérité, sa compagne
Ecoeurée de vivre avec un animal
Révèle son secret à un chevalier rival

Ils s’entendent pour lui voler ses affaires
Et l’homme loup, trahi, est condamné à l’enfer
Mais son absence inquiète son ami, roi
Qui, ne l’oublions pas, représente la loi

Cette fable, proche du conte du Loup-garou
De Michel Ocelot, l’auteur de Kirikou
Mêlant féminisme et infidélité
Est très moderne pour être aussi datée

Bisclavret séduit pour sa jolie musique
Et naturellement pour son esthétique
Le film joue beaucoup sur l’aspect décoratif
Grâce au vitrail, à la couleur et au motif

Le film fait penser à des tableaux illustrés
Par ses aplats, sa narration et sa clarté
Avant d’opter à Saint-Luc pour l’animation
Emilie Mercier faisait de l’illustration

Ce choix a payé tant ce film est réussi
Dix ans ont été requis pour lui donner vie
Le charme pare son univers visuel
Unique dans l’animation actuelle

Katia Bayer

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview d’Emilie Mercier

B comme Bisclavret

Fiche technique

Synopsis : Une dame, épouse d’un Baron, s’aperçoit que son mari s’absente souvent et le questionne : il lui avoue qu’il se dénude et devient Bisclavret. Transformé en loup, il saccage, pille et tue. Effrayée et prise de dégoût, la dame révèle ce secret à un chevalier qui lui fait la cour depuis longtemps…

Genre : Animation

Durée : 14′

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Emilie Mercier

Scénario : Emilie Mercier

Son : Hervé Guichard, Luc Thomas, Christian Cartier

Décors : Gaël Brisou

Musique : Olivier Daviaud

Interprétation : Jean-Pierre Yvars, Laure Josnin, Cécile Auxire-Marmouget, Christophe Mirabel

Production : Folimage Valence Production

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Emilie Mercier

Jean-François Laguionie : « Quand on fait des longs, la maîtrise est différente qu’en court. On dirige le film comme un chef d’orchestre mais on ne peut plus se permettre de jouer de tous les instruments »

C’était l’invité discret, attentif et incontournable du festival d’animation de Bruz. Venu avec sa compagne, la scénariste Anik Le Ray, présenter leur film commun, « Le Tableau », sorti en salle en novembre, Jean-François Laguionie, bien connu en courts (« La demoiselle et le violoncelliste », « Une bombe par hasard », « L’acteur », « La Traversée de l’Atlantique à la rame », …) et en longs (« Gwen ou le Livre des Sables », « Le Château des singes », L’île de Black Mór ») est revenu sur sa rencontre avec Paul Grimault, le travail du mime, l’importance de l’animation, de l’émotion et du dessin libre.

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Comment, vous qui étiez plus intéressé par le théâtre à la base, vous êtes-vous retrouvé dans l’animation ?

C’est souvent les circonstances qui font qu’on s’oriente vers un mode d’expression plutôt qu’un autre. C’est vrai que je me destinais plutôt à faire du décor de théâtre, en étant à la rue Blanche (ndrl, Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques du Théâtre, ENSATT), à Paris. Il y avait là un petit théâtre en marionnettes à l’école qui permettait aux étudiants d’apprendre la machinerie du théâtre, sauf qu’il ne servait pas. Avec un collègue, on l’a investi pour organiser des petits spectacles pour les autres élèves.

Comment cela se passait ? Y avait-il un spectacle une fois par semaine ?

Non, c’était complètement anarchique. Quand on avait mis un spectacle au point, on mettait les affiches partout, entre les cours. Ce n’était vraiment pas sérieux, ce qui l’a été un peu plus, c’est la rencontre avec Paul Grimault à ce moment-là.

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Il est venu à un spectacle ?

Après les arts appliqués, j’ai fait 4 ans d’école de dessin, avec Jacques Colombat, un réalisateur de courts et de longs, qui avait délaissé les cours plus tôt que moi et qui avait été travailler chez Grimault. On s’est revu et il m’a emmené à une projection du « Petit soldat » au cinéma La Pagode, à Paris. Le film m’a absolument sidéré par la poésie qui se dégageait de l’histoire. Jaques m’a montré le film qu’il avait fait chez Grimault, « Marcel, ta mère t’appelle » et m’a dit : “Tu sais, en ce moment, Paul est d’une disponibilité terrible (rires), il est en train de se battre pour essayer de racheter le négatif de « La Bergère et le ramoneur » vu que le film a été terminé sans lui. Si tu veux t’y mettre, vas-y”. Intimidé, j’ai débarqué chez Grimault avec la petite histoire que j’avais préparée et il m’a dit : “Tu n’y connais rien à l’animation. Le seul moyen de l’appréhender, c’est de faire un film”.

C’était quoi, cette histoire ?

« La demoiselle et le violoncelliste » qui devait être un spectacle d’ombres chinoises. Il y avait une caméra dans un coin qui ne servait à personne, il m’a encouragé. C’est comme ça que ça s’est passé. Jacques m’a montré des rudiments de papier découpé, la manière d’articuler un petit pantin, et voilà. Je ne connaissais rien à l’animation, il n’y avait pas d’école à ce moment-là – on était en 62 – et j’ai fait le film.

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Pourquoi ne pas avoir raconté cette histoire en ombres chinoises, comme prévu ?

Ca me tentait beaucoup moins. Grâce à ma rencontre avec Paul, je me suis rendu compte que l’animation, c’était avant tout du cinéma et pas seulement de la très belle image. « Le Petit Soldat », je l’ai vu dix fois, pareil pour « La Bergère et le Ramoneur » qui est devenu « Le Roi et l’oiseau », quand Paul a réussi à le terminer.

Est-ce que vous aviez aussi envie de travailler la couleur et le mouvement, ce que ne permet pas l’ombre chinoise ?

Oui. Je me sentais beaucoup plus apte à faire du cinéma avec de la couleur que de l’ombre chinoise, j’avais besoin d’espace, même si dans “La demoiselle…”, l’espace est assez restreint. Je ne sais pas, je l’ai revu l’autre jour.. (rires).

…Et ?

Je suis plus indulgent avec mes premiers films qu’avec les plus récents. Il y a une sorte de maladresse, presque une ingénuité, quelque chose de sympathique.

Cela veut-il dire qu’avec les années, vous ne vous permettez plus d’être maladroit, parce que vous ne travaillez plus seul et que vous avez acquis de l’expérience ?

Non, parce que je suis passé au long métrage. Le passage au long métrage, selon moi, vous fait complétement changer de métier. Vous passez d’un travail solitaire à une création collective, et il faut l’envisager comme ça sans penser qu’on va être maître de tout.

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C’est quelque chose qui vous manque de ne plus maîtriser vos films ?

Le travail à la main, seul, je suis en train de le redécouvrir avec le long que je suis en train de faire, « Louise en Hiver ». Quand on fait des longs, la maîtrise est différente. On dirige le film comme un chef d’orchestre mais on ne peut plus se permettre de jouer de tous les instruments. Le cinéma, c’est ça, un travail d’équipe, forcément, c’est autre chose qu’en court métrage, d’ailleurs ça explique aussi le malentendu qui s’est produit sur mon premier long. Je n’avais pas compris cette différence de métier. Je l’ai compris après, sur le deuxième film, en travaillant différemment.

Je voudrais revenir à Grimault. On l’évoque souvent comme animateur, scénariste ou réalisateur, mais rarement comme producteur. Vous laissait-il une liberté totale sur vos trois premiers films qu’il a produit ?

On ne peut pas appeler ça de la production. Il payait la pellicule, les frais de laboratoire et d’enregistrement du son, mais tout le reste était à notre charge. On avait un accord selon lequel on n’était pas payé mais on faisait son film avec une liberté totale. Ca se passait comme ça et c’était formidable.

Il lisait le scénario en amont, il vous donnait des conseils ?

Je n’avais pas de scénarios, j’avais des histoires et des images. Il lisait mais il n’avait pas envie d’intervenir. Quand j’y repense, je crois qu’il avait envie d’avoir quelqu’un à ses côtés parce qu’il était dans une grande solitude à ce moment-là. « La bergère et le ramoneur » a été un moment très douloureux pour lui, il passait son temps à essayer de recoller les morceaux qui ne lui plaisaient pas dans le film ou bien il rachetait les droits au producteur qui voulait lui piquer son film. J’avais une liberté totale, je lui montrais les rushes quand ils sortaient du laboratoire, en général, il trouvait ça très bien même quand c’était vraiment mal fichu. Il disait : « Ce n’est pas grave. L’animation, ce n’est pas une question de virtuosité ou de savoir-faire. C’est une question de sentiments ». J’ai gardé tous ces conseils-là en moi, et ce sont encore les mêmes aujourd’hui. L’animation doit venir de l’intérieur et non pas de l’extérieur.

A cette époque, je faisais un peu de mime, et j’ai toujours pensé que ça m’a beaucoup aidé pour faire de l’animation. Mon professeur de mime, Maximilien Decroux (le fils du grand Etienne Decroux qu’on voit dans « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné) a la même théorie dans le mime : “Vous faites le geste mais ce n’est pas l’extérieur qui compte, c’est l’intérieur. Ce que vous mettez dans le geste doit venir du centre”. Pour moi, l’animation, c’est ça. Il faut être dans l’épure, être le plus simple possible en fonction de ce qui est essentiel à exprimer. Il faut que tout ait un sens, donc ce n’est pas la peine d’en faire trop.

Dans certains de vos films, s’exprime la narration personnalisée : un personnage raconte des histoire sur des images. C’est quelque chose qui vous a fait peur au début, de couper votre histoire, de distraire le spectateur à travers une voix ?

Oui, c’est pour ça que mes premiers films sont muets, je me méfiais vraiment des voix, je trouvais qu’elles avaient un caractère de réalisme qui ne pouvait pas se mixer, s’inclure dans un dessin, dans une image alors qu’une musique pouvait parfaitement le faire. Grimault trouvait très bien que le film soit muet donc j’ai fait mes trois films sur ce principe-là. Je pouvais très bien raconter mes histoires sans texte, sans dialogue, sans monologue. C’est venu plus tard, les films dialogués. Qu’est-ce qui m’a fait changer ? Je n’en sais rien. Mais c’est vrai que mon grand plaisir, en animation, c’est de travailler sur les voix, c’est le contact avec les comédiens. Quand j’étais à la rue blanche, je laissais très souvent tomber les décors pour aller écouter les comédiens qui passaient (rires) ! Je suis fasciné par les acteurs…

Vous ressentez une nostalgie par rapport à cette époque où il n’y avait pas d’écoles, où on apprenait sur le tas, où on cherchait, où on expérimentait ?

Je n’ai pas la nostalgie de cette époque, car je continue à travailler comme ça. Quand j’ai fais « Le Tableau », j’ai travaillé deux ans seul à partir du scénario d’Anik (Le Ray), et j’ai retrouvé la maladresse, l’ingénuité, le non savoir-faire qui était le mien, parce qu’à chaque fois que je commence un film, je ne sais absolument pas comment je vais le faire et quelle technique je vais utiliser. Quand je dessine, le film n’est qu’une succession de petits croquis de sentiments, d’expressions, de dramaturgies, de rythmes. (…) Le plus important, si je voulais résumer mon boulot, ma responsabilité (rires), ça serait que je garde jusqu’à la fin du film les émotions que j’ai essayé de mettre au début, avec mes croquis. Un film, ce sont des rapports de choses, de sons, de dessins, de musiques, de mouvements. C’est du cinéma.

Vous vous positionnez plus comme cinéaste que comme animateur. Qu’est-ce que la prise de vues réelles vous a appris sur l’animation ?

J’ai toujours voulu faire de la prise de vues réelles. Pour moi, c’est une façon de se détacher de l’image graphique, que je trouve parfois encombrante. J’ai un gros bagage graphique, j’ai fait cinq ans d’école de dessin. A l’époque, on dessinait énormément, beaucoup plus que maintenant dans les écoles. Aujourd’hui, c’est la technique qui prend le pas sur le temps de dessin. Ce que j’appelle dessin, c’est le dessin libre, c’est ça qui donne la vie dans un film.

Pour moi, c’est une facilité de dessiner, de composer une belle image, d’obtenir quelque chose de beau à l’écran. Mais de temps en temps, j’ai envie de m’en détacher, de faire quelque chose de plus dur. J’ai fait un petit peu d’image réelle à travers mes courts, je trouve ça formidable. Le problème, c’est que je suis trop timide pour diriger une équipe de 30 personnes sur un tournage. Mais si on me donnait le temps et une équipe très réduite, je pense que je pourrais faire des films en prise de vues réelles avec autant de soin qu’en animation.

Certains de vos films se rejoignent par leur style très pictural. Qu’est-ce qui vous a plu dans la peinture avant d’aborder « La demoiselle et le violoncelliste », « Une bombe par hasard », et même « Le tableau » ?

Les surréalistes comme Giorgio de Chirico, la peinture naïve, je trouvais que ça collait bien avec ma façon de raconter. Il y avait une espèce de lenteur, d’enchaînement, de logique absurde, un peu décorative, et surtout pas réaliste qui me plaisait dans la peinture.

acteur

Pourriez-vous me parler de « L’acteur », un film à part dans votre travail ?

Comme je vous le disais, je suis fasciné par les acteurs. Un comédien m’avait raconté une histoire similaire avec Pierre Blanchar, un grand acteur des années 40, qui procédait un peu de la même manière que dans mon film. Je suis aussi fasciné par la vieillesse, par la façon dont on lutte pour rester en vie. Le film que je suis en train de préparer reprend d’ailleurs cette histoire via le conte d’une veille dame qui va retrouver une force de vie extraordinaire au moment où on l’a abandonnée. Pour « L’acteur », je me suis octroyé une petite curiosité artistique grâce à la peinture animée. Tous mes films jusque là avaient été faits en papier découpé, là, j’avais envie de quelque chose de plus fluide, de plus sensuel, de moins raide, et la peinture à l’huile peinte sur le verre offre cela de manière extraordinaire.

Vous avez adapté certaines de vos nouvelles. Vous faites une différence entre les mots et les images ?

Pour moi, cela ne fait aucune différence, c’est toujours lié à moi, sauf dans le cas du « Tableau ». C’est l’histoire d’Anik, mais je m’en suis emparée. Elle m’a dit : “Il faut que tu t’appropries cette histoire pour être libre, pour avoir l’impression que c’est la tienne”. C’est comme ça que je l’ai prise. Quand j’adapte une de mes nouvelles, à partir du moment où je prends un crayon, l’histoire devient le film à ce moment-là. Quand j’écris, c’est un rêve en images, je n’ai pas envie de dessiner. Les mots, j’ai découvert ça quand je suis passé du cinéma muet au cinéma parlant. Ils sont devenus aussi importants pour moi que les images.

Propos recueillis par Katia Bayer

Carte blanche Format Court @ Paris !

Mardi 31 janvier, bon nombre d’entre vous auront peut-être envie de voir du court métrage à Paris. Cela tombe bien : nous vous proposons une nouvelle projection de courts, après celle, bien chouette, de l’Entrepôt, organisée le 21 décembre dernier. Collectif Prod, proche du cinéma émergent, et l’Espace Beaujon, centre d’animation du 8ème arrondissement, nous accueillent, en effet, le temps d’une soirée et d’une carte blanche. Jazz, couleurs, hommes-objets ,angoisse, humour, consumérisme et voyeurisme au programme.

Films programmés

Dripped de Léo Verrier. Animation, 8′10″, 2010, France

Synopsis : New York, 1950. Passionné de peinture, Jack écume les musées à longueur de journée. Il y vole des tableaux qu’il cache ensuite chez lui pour…

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Csicska de Attila Till. Fiction, 20′, Hongrie, 2011

Synopsis : Istvan Balogh, agriculteur hongrois, a le contrôle total de sa femme, de sa famille et de son esclave. Les personnages croisent leur destin tragique à cause de leurs relations extrêmes. Ce film a été inspiré par les souvenirs de personnes qui ont survécu à de telles situations.

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Conversation piece de Joe Tunmer. Expérimental, Fiction, 7′, 2009, Royaume-Uni

Synopsis : Un dimanche matin, Jean remarque que son vase préféré a été ébréché. Elle accuse Maurice, son mari, qui nie en bloc. Mais Jean veut absolument savoir ce qui s’est passé. Dans cette extraordinaire comédie musicale, chaque syllabe prononcée correspond à une note précise de “Conversation piece”, un morceau improvisé en 1966 par le cornettiste de jazz Rex Stewart.

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La inviolabilidad del domicilio se basa en el hombre que aparece empuñando un hacha en la puerta de su casa d’Alex Piperno. Fiction, 7′ 2011, Uruguay-Argentine

Synopsis : Dans le jardin d’un pavillon de campagne, une série d’événements implique un homme, une femme et un groupe d’individus aux convictions particulières.

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Fais croquer de Yassine Qnia. Fiction, 24′, France, 2011

Synopsis : Yassine, jeune cinéphile passionné, veut tourner un film dans sa cité. Il souhaite associer ses amis d’enfance à son projet. Mais l’amitié a parfois ses travers…

Un homme, en chemin vers le travail, est plongé dans un monde où l’utilisation de gens en tant qu’objets fait partie du quotidien.

El Empleo de Santiago Grasso. Animation, 6’19’’, 2008. Argentine

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Casus Belli de Yorgos Zois. Expérimental, fiction. 11’11’’, Grèce, 2010

Synopsis : Toutes sortes de gens, de nationalité, de classe, de sexe et d’âge différents, font la queue dans sept files d’attente. La première personne de chaque file devient la dernière de la suivante, formant une gigantesque chaîne humaine. Mais au bout de la queue, le compte à rebours commence.

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Infos pratiques

Mardi 31 janvier, 20h

Espace Beaujon : 208, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris. Métro : Ternes, Charles de Gaulle – Étoile

PAF : 5 euros, 3 euros tarif réduit. Verre offert après la séance.

Réservation obligatoire : contact@collectifprod.net

Bruz 2012, la compétition professionnelle

C’est en terre bretonne, dans la petite ville de Bruz située à quelques kilomètres de Rennes, que le Festival National du Film d’Animation a eu lieu du 7 au 13 décembre. Entre deux séances, on a pu assister à une apéroterview, une leçon de cinéma ou encore aux secrets de fabrication de films courts. Des professionnels qui expliquent leur démarche, des amateurs curieux, des écoliers, et des lycéens constituant le jury « jeunes » du festival, tel est le public que l’on rencontre dans l’enceinte du Grand Logis de Bruz.

En compétition nationale, trente-quatre films de fin d’études et trente courts métrages professionnels nous ont été proposés. Arrêtons-nous ici sur ces derniers, et découvrons cette programmation faite de lignes et de courbes soigneusement tracées, d’étonnantes matières dont on ne soupçonnerait pas le potentiel expressif et de diverses ambiances chromatiques et sonores. Car c’est bien de tous cela que le cinéma d’animation est fait !

Des formes et des couleurs étranges, on en trouve tout d’abord dans « Planet Z », film expérimental de Momoko Seto dans lequel on découvre une planète inconnue qui se couvre sous nos yeux d’une curieuse végétation. Exploration de la matière végétale et de sa décomposition, « Planet Z » filme le dépérissement des aliments de notre quotidien et transforme cette exploration des effets du temps en véritable voyage dans l’espace.

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Autre curiosité comestible, « Là où meurent les chiens », de Svetlana Filippova, met en mouvement des grains de café, et nous transporte dans un univers poétique où les grains, évoquant ceux de la pellicule, se séparent et s’assemblent pour révéler les liens qui se nouent entre l’homme et son compagnon à poils longs. Le jeu qui lie les personnages se transforme en souffrance lorsque la séparation devient inévitable, et lorsque la silhouette du chien disparaît à jamais, nous n’avons plus qu’à nous demander où meurent donc les chiens…

Parmi les surprises de cette compétition, « La Détente » de Pierre Ducos et Bertrand Bey, qui a remporté le Prix de la Jeunesse, nous plonge dans un univers en noir et blanc par un long travelling avant à l’intérieur d’une tranchée de la première guerre mondiale. La caméra se dirige vers le visage d’un jeune soldat figé par la peur puis, sans répit, plonge dans l’œil de cet homme paralysé et nous emporte dans un univers coloré peuplé de jouets qui ressemblent de près aux playmobiles de notre enfance. Car c’est bien dans le monde de l’enfance et du jeu que l’on se retrouve pris au piège; un monde édulcoré et caricatural où le jeune soldat de plastique glisse et virevolte avec entrain. Pas de « détente » possible, les mouvements continus et les déplacements frénétiques de la caméra, ainsi que la musique entraînante, ne nous laissent pas de répit.

On se trouve emporté dans le mouvement incessant d’un véritable parc d’attraction où l’on joue à la guerre et où les soldats paradent de façon ridicule lorsque d’un seul coup, l’attraction dans laquelle on nous fait entrer avec le personnage se referme. Soudain le rythme change, les couleurs s’assombrissent et la musique et les jouets prennent des allures menaçantes. Lorsque dans une explosion, surgissent comme des flashs, des morceaux de corps filmés en image réelle, la réalité reprend peu à peu le dessus et nous glace le sang. Explosion soudaine d’une réalité inavouée à laquelle le soldat comme le spectateur ne peut plus échapper, le film prend tout à coup toute sa signification. Ces images, frappantes, fracassantes, bouleversent l’univers surfait du dessin animé 3D qui repose souvent sur des prouesses visuelles et tente de nous en mettre plein la vue, pour révéler une profondeur déconcertante.

Certainement engagé trop jeune dans un conflit dont il ne perçoit pas les enjeux, le soldat anonyme ne prend sa forme humaine qu’au moment où il se trouve confronté à une mort certaine et ne peut plus reculer; le moment où le jeu est terminé. Cette chute étonnante, ce film de guerre aux couleurs agressives qui cachent une nature sombre, a en tout cas trouvé son public parmi les adolescents qui constituaient le jury « jeune ». Film choc qui retient son souffle jusqu’au bout, « La détente » ne révèle qu’à la fin sa véritable nature : un jeu, certes, mais un jeu qui met l’accent avec effroi sur la naïveté des hommes et l’horreur de la guerre.

La programmation professionnelle nous a offert également un peu de tendresse et d’humour avec « La douce » de Anne Laricq, adaptation libre de « Douchetchka » de Tchékhov ayant obtenu le Grand Prix du court-métrage professionnel ainsi que le Prix SACEM de la meilleure création musicale originale. Le film s’ouvre sur un générique dont les mots en couleurs pastelles viennent s’inscrire sur un arrière-plan aux tons doux et une musique aux sonorités étranges et lointaines. On ne sait trop si cette toile de fond aux formes abstraites représente une carte ou un tableau de paysage, mais petit à petit, des formes viennent s’y ajouter, à commencer par un poisson. Serait-ce un premier vestige de la vie de Douchetchka?
Douchetchka, diminutif affectueux de « Doucha », âme, peut se traduire par « ma mignonne », « ma chérie », mais Anne Laricq a fait le choix de « la douce », et c’est ce choix de la douceur qui constitue une sorte de fil rouge par lequel on se laisse porter tout au long du film. L’héroïne de « La douce » change d’homme comme de chemise, et adopte à chaque fois le mode de vie et les pensées de celui qu’elle aime, ne devenant qu’un double de l’homme, légère et heureuse, à l’image de ces femmes que Tchékhov, quelque peu misogyne, aimait tant dépeindre. L’aspect malléable de l’héroïne trouve par ailleurs son écho dans ce tableau abstrait qui refait surface à chaque fois que l’homme aimé disparaît pour laisser place à un autre. Le tableau de la vie de la Douce prend forme petit à petit et est tout aussi malléable que la femme dont il dessine le chemin. Le poisson que l’on voit au début serait bel et bien un premier souvenir qui vient trouver sa place dans le tableau des vestiges, suivi par le chien de son deuxième amant, la vache du troisième, et pour finir, un lion provenant d’un cirque.

Mais qui sont donc ces mystérieuses femmes vêtues de voiles et de robes noires dont les voix délicates, formant un chœur, hantent la vie de la Douce ? Sortes de messagères annonciatrices de mort, ces femmes deviennent plus nombreuses chaque fois que la Douce perd son amant. Tandis que les formes étranges du tableau s’accumulent, dans une sorte de pause narrative au sein du mouvement perpétuel de la vie de la Douce, ces femmes en noir, sorte de doubles de Douchetchka, semblent porter le deuil pour elle, afin de permettre à la femme aimante de continuer à s’épanouir dans cette légèreté et cette tendresse qui est la sienne. A chaque fois, ce sont les éléments naturels qui se déchaînent sur elle : la roche, l’eau puis le vent, comme si la nature elle-même refusait à la Douce d’aimer et la condamnait à la solitude. Mais Douchetchka ne désespère pas, rien ne semble pouvoir l’empêcher de tomber à nouveau amoureuse.

Le film de Anne Laricq met en avant l’aspect humoristique de l’œuvre de Tchékhov. Après avoir utilisé le poisson de son ancienne vie comme friandise à donner au chien, le poil de ce dernier lui sert de tapis dans sa prochaine vie. Anne Lericq confère un poil de cruauté à Douchtchka la douce, pas si innocente que ça. La réalisatrice ne s’attarde pas sur la douleur du deuil et permet à la Douce, le personnage et le film, de s’épanouir dans une certaine apesanteur. Car le personnage principal ne marche pas mais plane, porté par l’amour, et se frotte la jambe en se tenant en équilibre sur un pied à chaque fois qu’elle tombe amoureuse. Petite manie presque attachante, la Douce ne vit plus que sur un pied et repose sur un équilibre fragile qui peut basculer à tout moment.

Cette légèreté de l’être trouve son parallèle dans la légèreté du trait qui caractérise le dessin, et la douceur des couleurs. Tout ici semble doux, sauf le poids du destin qui s’acharne sur la pauvre Douchetchka, véritable héroïne tragique. Pour finir, les formes du tableau, reprenant les éléments qui ont parcouru la vie de cette héroïne, s’amoncellent et suggèrent une histoire sans fin, sur le point de déborder du cadre, formant sous nos yeux un tableau de la vie qui rappelle les tableaux animés, colorés, et maculés de tâches du peintre Miró, et qui devient de plus en plus abstrait. Comme un écho au célèbre peintre, dont la représentation du corps féminin traverse toute l’œuvre, « La Douce » explore les formes et les couleurs pour représenter le corps et les émois d’une femme.

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Et puisqu’on parle de peinture, la programmation de courts professionnels proposait également des films comme « Dripped » de Léo Verrier ou encore le sombre et intriguant « Apnée » de Flora Molinié. Le premier rend hommage à ce médium, plus particulièrement à travers l’œuvre du peintre américain Jackson Pollock, tandis que le second met la peinture en mouvement. « Apnée » nous plonge dans l’univers suffocant d’une jeune femme qui se cherche dans le miroir d’une salle de bain. Est-ce à travers la connaissance du corps que l’on peut se comprendre ? Peut-on s’en libérer ? La répétition des mouvements et des images ne fait qu’accentuer cette impression d’étouffement, d’aliénation. La jeune femme retient sa respiration tandis que les images peintes qui se succèdent dégoulinent progressivement à l’écran et perdent leur substance. On se demande si la lente destruction de ces images est une libération, tellement toute échappée semble ici impossible. « Apnée » se déploie au rythme de la respiration, de l’écho formé par l’eau et les gouttes qui s’échappent des robinets, des voix inquiétantes qui grouillent et des murmures insondables. Mais finalement, c’est la reprise du souffle, et ces images et ces sons cauchemardesques cessent enfin pour laisser place au vide et peut-être, permettre d’atteindre la sérénité.

La musique n’était pas en reste non plus, avec plusieurs clips musicaux comme « Miss Daisy Cutter » de Laen Sanches, sur la musique des Veils, « I Own You » de Romain Chassaing, sur la musique de Wax Tailor feat. Charlie Winston, et « The Waterwalk », autoproduction de Johannes Ridder, sur la musique de Violent Femmes, « Jesus Walking on the Water », véritable hymne à la bonne humeur qui permet de commencer, comme le personnage que l’on suit tout au long de ce film-promenade, la journée du bon pied. Avec une programmation variée et de nombreux évènements autours des films, le Festival National du Film d’Animation a su animer la petite ville de Bruz et égayer, à base de matières, de couleurs et de musiques, le ciel gris de ce mois de décembre.

Agathe Demanneville

Consulter les fiches techniques de « Là où meurent les chiens »,« La détente »« La douce », « Apnée »

L comme Là où meurent les chiens

Fiche technique

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Synopsis : On dit que les chiens ne veulent pas causer de chagrin à leurs maîtres et qu’ils quittent leur maison quand ils sentent leur mort approcher. Personne n’a jamais vu où meurent les chiens. Où vont-ils ? Nul ne le sait.

Réalisation : Svetlana Filippova

Genre : Animation

Durée : 12′

Année : 2011

Pays : France

Scénario : Svetlana Filippova

Image : Svetlana Filippova

Son : Arseniy Troickiy

Montage : Svetlana Filippova

Décoratrice : Svetlana Filippova

Production : Sacrebleu Productions

Article associé : Bruz, la compétition professionnelle

D comme La Douce

Fiche technique

Synopsis : Adapté d’une nouvelle « Douchetchka » de Tchekhov. Au gré des intempéries, La Douce perd et trouve de nouveaux compagnons. Si la perte de l’un la désempare sincèrement, elle se console très vite avec un autre. Tous font l’affaire, ce qu’elle cherche avant tout, c’est de pouvoir s’oublier et ressembler à l’autre.

Réalisation : Anne Laricq

Genre : Animation

Durée  : 8’50 »

Pays : France

Année : 2011

Son : Christophe Héral

Scénario : Anne Larricq

Image : Anne Larricq

Son : Christophe Heral

Montage : Yves Françon

Décors : Anne Larricq

Musique : Christophe Heral

Production : Les Films à Carreaux

Article associé : Bruz, la compétition professionnelle

D comme La Détente

Fiche technique

Synopsis : Au fond d’une tranchée de la Première Guerre Mondiale, un soldat paralysé par la peur tente de s’évader en transposant la guerre dans un monde jouets.

Réalisation : Pierre Ducos, Bertrand Bey

Scénario : Pierre Ducos, Bertrand Bey

Genre: Animation

Pays: France

Année : 2011

Durée : 8’30 »

Son : Patrick Stemelen, Damien Perrollaz

Musique : Patrick Stemelen

Production : Kawa Animation

Article associé : Bruz, la compétition professionnelle

Festival de Bruz 2012

Reflet de la diversité de la production française, le Festival national du film d’animation de Bruz (petite ville située pas bien loin de Rennes) s’occupait il y a un bon mois de faire découvrir, aux pros et amateurs d’animation, des créations imagées récentes et plus anciennes, telles que « Le Tableau » de Jean-François Laguionie, des sélections de courts, des programmes thématiques, des visites des studios d’animation, et des secrets de fabrication, pour ne citer que ceux-ci. Pour la deuxième année, Format passait sa tête courte au festival.

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