Sortie de « Les Héroïques » de Maxime Roy, ce mercredi 20 octobre 2021

Habitué de nos sections coups de cœur, Maxime Roy sort aujourd’hui son premier long-métrage Les Héroïques, présenté cette année à Cannes en sélection officielle, en séance spéciale. Le film est produit par TS Production et Marianne Productions et distribué par Pyramide Films, très sensible aux premiers longs. François Créton, habité par le personnage de Michel, l’incarne avec une facilité déconcertante tant sa vie a inspiré l’écriture du scénario qu’il co-signe aux côtés du réalisateur. Si l’esquisse dépeinte dans le court Beautiful Loser, réalisé en 2018, était prometteuse, le long est à la hauteur des attentes.

Mi-anar, mi-paumé, sans emploi ni diplôme, Michel a l’air juvénile mais le visage émacié par des années de défonce désormais derrière lui. Les démons ne sont jamais vraiment loin et la récente arrivée de son deuxième fils Arnaud le questionne davantage sur sa position dans une société qui le place toujours plus à la marge. Son ex-compagne Hélène, jouée par Clotilde Courau ne veut plus de lui et lui demande de grandir, son fils plus âgé Léo – dont il squatte les soirées et les envolées rap – cherche à s’affirmer seul et à rendre son père autonome. Richard Bohringer complète le tableau dans le rôle du père périclitant de Michel, cherchant lui aussi à conserver les apparences et surtout à renouer un lien familial affaibli par les rancœurs et les non-dits. Affublé de son vieux perfecto flanqué “Loser”, et de sa frêle carcasse, Michel tente de faire au mieux, d’élever un bébé malgré ses angoisses et ses craintes de paternité. Dans son dessein, le collectif (les héroïques) s’impose. Face aux gros plans qui isolent régulièrement les personnages dans leurs relations ou leur fragilité, la parole sera toujours ce lien vers un autre possible. Meilleur, de surcroît. Habitué des formats courts (Beautiful Loser, Sole Mio, Des gens bien), Maxime Roy signe un premier film réussi sur la quête d’identité et une peur sans doute de s’avouer au monde tel que l’on est.

Bonnes infos : Maxime Roy participe ce soir à notre After Short spécial Cannes 2021, en compagnie de sa productrice Alice Bloch, et son dernier court métrage Des gens bien est en compétition officielle de la troisième édition de notre festival Format Court.

Léa Vezzosi

Festival Format Court 2021

La 3ème édition de notre festival se déroulea au Studio des Ursulines (Paris 5) du 23 au 28 novembre 2021. Les infos relatives au festival seront publiées régulièrement sur notre site internet et notre événement Facebook dédié. A vos agendas !

A retrouver dans ce focus :

Le palmarès de cette 3ème édition

Le programme de cette édition 2021 (PDF)

Festival Format Court, programmation & invités

Swann Arlaud, parrain du 3ème Festival Format Court

Les 24 films retenus en compétition officielle

L’affiche du festival, signée Marie Larrivé

Nouvel After Short spécial Cannes, mercredi 20.10 !

En juin dernier, nous avons organisé, en partenariat avec l’ESRA, un After Short sur Zoom valorisant les premiers longs-métrages de réalisateurs dont la plupart sont issus du court-métrage. Cet événement virtuel avait lieu au moment de la réouverture des salles, en présence de 12 équipes (réalisateurs, producteurs, scénaristes, chef op).

A l’occasion de la rentrée et moins de 2 mois avant son festival, Format Court développe son intérêt pour le court mais aussi les premiers longs en se focalisant cette fois sur le Festival de Cannes ayant eu lieu cette année au mois de juillet.

Mercredi 20 octobre prochain, nous aurons ainsi le plaisir d’accueillir plusieurs équipes de courts et de premiers longs sélectionnés à Cannes, toutes sections confondues. Cette soirée marquera le temps des retrouvailles puisqu’elle sera l’occasion de se revoir, d’échanger autour d’un verre et d’en savoir plus sur les parcours et films de nos invités. Pour info et rappel, il n’y aura pas de projection des films représentés ce soir-là.

Cette soirée aura lieu à partir de 19h30 à l’ESRA (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 quai de Grenelle 75015 Paris). Un cocktail aura lieu à la fin de la présentation des équipes. Les pass sanitaires et les inscriptions sont obligatoires.

Gratuite pour les étudiants et les anciens de l’ESRA (inscription ici), elle demeure accessible et payante (4€) aux autres personnes intéressées, dans la limite des places disponibles. Si vous désirez assister à cet événement, contactez-nous.

Comme d’habitude, nous partagerons les liens des courts disponibles sur le Net ainsi que les bios et photos de nos intervenants sur notre event Facebook dédié ainsi que notre compte Instagram.

11 films seront représentés lors de cette soirée.

Côté courts

– Adrian Moyse Dullin, réalisateur de Haut les Coeurs (Sélection Officielle, Punchline Cinéma)

– Adèle Vincenti-Crasson, réalisatrice de King Max (Cinéfondation, La Fémis)

– Mathilde Chavanne, réalisatrice de Simone est partie (Quinzaine des Réalisateurs, Yukunkun Productions)

Côté longs

– Maxime Roy et Alice Bloch, réalisateur et productrice (TS Productions) de Les Héroïques (Sélection Officielle, séance spéciale)

– Pierre Menahem, producteur de Feathers de Omar El Zohairy (Semaine de la Critique)

– Alexandre Perrier, co-producteur (Kidam) de Rien à foutre de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre (Semaine de la Critique) et de Aya de Simon Coulibaly Gillard (ACID)

– Yohan Manca, réalisateur de Mes frères et moi (Un certain regard, Single Man Prod)

– Thomas Lambert, co-producteur (Tomsa Films) de Piccolo Corpo de Laura Samani (Semaine de la Critique)

– Nicolas Peduzzi, réalisateur de Ghost Song (ACID, GoGoGo Films)

Festival Format Court 2021, l’affiche signée Marie Larrivé !

Après Lucrèce Andreae et Agnès Patron, c’est au tour de la réalisatrice et illustratrice Marie Larrivé de signer l’affiche de la 3ème édition de notre Festival Format Court qui aura lieu du 23 au 28 novembre prochain au Studio des Ursulines (Paris 5è) !

Ne manquez pas les infos relatives au festival sur notre site internet et notre événement Facebook dédié.

L’équipe du festival

César 2022, les 24 courts en lice côté fiction

Ce mercredi 29 septembre, les membres du Comité Court Métrage Fiction ont présélectionné les 24 films de court métrage qui vont concourir au César 2022 du Meilleur Film de Court Métrage de Fiction. En voici les titres.

80 000 ANS réalisé par Christelle Lheureux

ABADA réalisé par Jean-Benoit Ugeux

L’ÂGE TENDRE réalisé par Julien Gaspar-Oliveri

LES CRIMINELS réalisé par Serhat Karaaslan

LE DÉPART réalisé par Saïd Hamich

DES GENS BIEN réalisé par Maxime Roy

DIEU N’EST PLUS MÉDECIN réalisé par Marion Le Corroller

DUSTIN réalisé par Naïla Guiguet

L’EFFORT COMMERCIAL réalisé par Sarah Arnold

L’HOMME SILENCIEUX réalisé par Nyima Cartier

I AM AFRAID TO FORGET YOUR FACE réalisé par Sameh Alaa

L’INSPECTION réalisé par Frédéric Bas et Caroline Brami

LOVE HURTS réalisé par Elsa Rysto

LA MAISON (PAS TRÈS LOIN DU DONEGAL) réalisé par Claude Le Pape

MALABAR réalisé par Maximilian Badier-Rosenthal

LES MAUVAIS GARÇONS réalisé par Élie Girard

PETIT POUSSIN réalisé par Nadia Anebri

POUR ELSA réalisé par Carmen Leroi

RETOUR À TOYAMA réalisé par Atsushi Hirai

ROMANCE, ABSCISSE ET ORDONNÉE réalisé par Louise Condemi

LE SANG DE LA VEINE réalisé par Martin Jauvat

SOLDAT NOIR réalisé par Jimmy Laporal- Trésor

THE NIGHTWALK réalisé par Adriano Valerio

TIMOUN AW réalisé par Nelson Foix

Actu liée : César 2022, les 12 courts animés retenus

César 2022, les 12 courts animés retenus

Les César 2022 prennent forme.Les membres du Comité Court Métrage Animation ont sélectionné hier, mercredi 29 septembre, les 12 films de court métrage qui seront en lice pour le César 2022 du Meilleur Film de Court Métrage d’Animation.

CE QUI RÉSONNE DANS LE SILENCE réalisé par Marine Blin

COMME UN FLEUVE réalisé par Sandra Desmazières

EASTER EGGS réalisé par Nicolas Keppens

EMPTY PLACES réalisé par Geoffroy de Crécy

FOLIE DOUCE, FOLIE DURE réalisé par Marine Laclotte

LE MONDE EN SOI réalisé par Jean-Charles Finck et Sandrine Stoïanov

PRÉCIEUX réalisé par Paul Mas

LE RÉVEIL DES INSECTES réalisé par Stéphanie Lansaque et François Leroy

RIVAGES réalisé par Sophie Racine

SOUVENIR SOUVENIR réalisé par Bastien Dubois

THE HANGMAN AT HOME réalisé par Michelle Kranot et Uri Kranot

TRONA PINNACLES réalisé par Mathilde Parquet

Actu liée : César 2022, les 24 courts en lice, côté fiction

Festival Format Court 2021, les films en compétition !

En route pour la troisième édition du Festival Format Court !

Vous avez été très nombreux à nous envoyer vos films que notre comité de sélection a pris soin de visionner ces derniers mois. Bravo à toutes et tous pour ces pépites ! Ça n’a pas été une mince affaire mais à la suite de discussions et débats enflammés, nous avons porté notre choix sur 24 films, tous différents et singuliers, reflétant un esprit de diversité cher à Format Court avec des courts-métrages animés, en prises de vues réelles, documentaires, expérimentaux, produits ou plus indépendants, français comme étrangers.

Sans plus attendre, voici la liste des films qui seront projetés en compétition officielle, du mardi 23 au dimanche 28 novembre prochain au cinéma Le Studio des Ursulines (Paris 5e) :

Sprötch, de Xavier Seron (Fiction, Belgique)
La Chamade, d’Emma Séméria (Fiction, France)
Bestia, d’Hugo Covarrubias (Fiction animation, Chili)
Maalbeek, d’Ismaël Joffroy Chandoutis (Documentaire, expérimental, France)
I am afraid to forget your face, de Sameh Alaa (Fiction, France, Egypte)
L’homme silencieux, de Nyima Cartier (Fiction, France)
Brutalia, days of labour, de Manolis Mavris (Fiction, Grèce, Belgique)
Le Départ, de Saïd Hamich Benlarbi (Fiction, France, Maroc)
Hold me tight, de Mélanie Robert-Tourneur (Animation, Belgique, France)
Hadrien & Nathalie, de Philibert Gau (Fiction, France)
Sidéral, de Carlos Segundo (Fiction, France, Brésil)
Timoun Aw, de Nelson Foix (Fiction, France)
Mom, de Kajika Aki Ferrazzini (Animation, France)
Pedar, de Ferdos Mandana (Docu-fiction, France)
Dustin, de Naïla Guiguet (Fiction, France)
La Veuve Saverini, de Loïc Gaillard (Fiction, France)
Pacifico Oscuro, de Camila Beltran (Expérimental, France, Colombie)
Des gens bien, de Maxime Roy (Fiction, France)
Frère et Sœur, de Coralie Lavergne (Fiction, France)
Aïcha, de Zakaria Nouri (Fiction, Maroc)
Nuits sans sommeil, de Jérémy van der Haegen (Fiction, France, Belgique)
On n’est pas des animaux, de Noé Debré (Fiction, France)
Je me suis mordue la langue, de Nina Khada (Documentaire, Tunisie)
L’Inspection, de Caroline Brami et Frédéric Bas (Fiction, France)

Nous sommes impatients à l’idée de vous présenter ces films qui seront cette année soumis aux regards de nos 3 jurys professionnel, presse et jeune, dont les compositions vous seront bientôt révélées. Le prix du public sera également attribué à l’issue du festival : ce sera à vous de jouer !

Ces séances de compétition ne seront pas les seules du festival : quatre programmes thématiques et rétrospectifs ainsi que des séances scolaires jalonneront cette semaine que nous souhaitons riche en découvertes, en échanges et rencontres.

Un grand merci à vous toutes et tous pour votre participation. Vive le court-métrage ! Ne manquez pas les infos relatives au festival sur notre site et notre événement Facebook dédié !

L’équipe de Format Court

Tang Yi : « Faire des films revient à faire la paix avec moi-même »

Jeune chinoise vivant à New York, la réalisatrice Tang Yi a réalisé le film All the Crows in the World. Celui-ci a comme particularité d’avoir remporté la Palme d’or du court cette année à Cannes. Cet été, nous l’avons longuement interrogée via Zoom sur son parcours, son travail d’écriture, ses défis et ses doutes. Encore étudiante à la NYU Tisch School de New York, elle évoque aussi le low-budget, la comédie sombre, les erreurs à commettre, les revendications qui l’anime et l’influence du réel sur ses films.

Format Court : Vous êtes encore étudiante à NYU et All the Crows in the World est votre deuxième film…

Tang Yi : Oui, je suis encore en train de faire le montage de mon film de mémoire. Je travaille déjà sur le quatrième film. Je développe aussi mon long-métrage, mais j’ai besoin de plus d’expérience de plateau, en tant que réalisatrice. Plus j’en ai, mieux c’est.

Vous avez réalisé des clips. Le cinéma n’était pas votre premier choix. En quel sens travailler en plateau est-il important pour vous ?

T.Y : All the Crows in the World n’est que mon deuxième court-métrage et je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin avec. Évidemment, je peux encore voir mes défauts quand je réalise ou quand j’écris. C’est pour ça que je continue à faire des demandes de subvention et que je continue à réaliser des courts-métrages. J’ai besoin de continuer à travailler avec des acteur·ices, avec une équipe, pour pouvoir explorer des choses différentes. Par exemple, mon mémoire ressemble à un drame romantique, et un autre court-métrage davantage à une comédie noire. Je veux essayer différents styles et différentes approches. Les courts-métrages me permettent d’explorer mon langage cinématographique avec peu de budget. J’apprends encore et les courts-métrages sont comme des exercices pour moi. Ils sont l’opportunité de rater. Si je ratais un long-métrage, ça serait plus dur à accepter. Il faut donc que je m’entraîne plus. Pour mon long-métrage, je travaille actuellement sur une version longue de All the Crows in the World. Je pense que c’est un univers qui mérite d’être davantage exploré.

C’est sans doute cette envie d’exploration qui vous a conduite au Népal pour votre premier plateau, Black Goat, où vous avez travaillé dans une langue étrangère, avec des animaux mais aussi des enfants !

T.Y : Oui (rires), beaucoup d’enfants !

Pourquoi s’imposer autant de difficultés pour un premier court-métrage dans une grande école renommée ?

T.Y : Parce que je ne savais rien, j’étais juste courageuse et naïve (rires) ! En fait, j’ai fait trois courts-métrages pendant ma première année à l’école, mais c’était plus des exercices de réalisation. On n’a pas de grosse équipe, de conception sonore ou de mixage… Ça ne se passe pas comme ça. Pendant la première année, on écrit et on tourne beaucoup de choses différentes, avec très peu d’argent, dans des appartements ou dans des parcs. J’ai donc fait les deux. Ce n’est pas comme si Black Goat était ma première expérience de tournage. J’ai dû m’entraîner avant d’en arriver là. Quoiqu’il en soit, la raison pour laquelle j’ai choisi le Népal est que j’y avais déjà été il y a onze ans, avec ma classe, et nous sommes restés dans un monastère pendant une semaine. Des moines plus jeunes s’occupaient de nous. Ils nous réveillaient chaque matin, nous amenaient manger mais ils ne communiquaient pas beaucoup avec nous. Ils étaient très timides. Mais un jour, j’ai vu un moine, de 13, 14, peut-être 15 ans, et il se cachait avec un téléphone. J’ai trouvé ça intéressant. Je l’ai vu prendre des selfies (elle imite le geste) et sélectionner les meilleures photos. Et puis sa sonnerie de téléphone, c’était Baby de Justin Bieber. C’est là où je me suis vraiment sentie connectée avec lui et avec son groupe d’adolescents, moines et nonnes. Je me suis dit que, même si on avait des expériences et des vies très différentes, on avait quelque chose en commun. À partir de là, j’ai commencé à devenir amie avec eux, je les ai ajoutés en amis sur Facebook et on est resté·e·s en contact au fil des années.. Pendant ma deuxième année à NYU, j’avais l’opportunité de tourner à l’étranger, en dehors des États-Unis. Le premier pays qui m’est venu en tête était le Népal, plutôt que la Chine ou Hong Kong. J’y suis donc allée pendant un mois, dans le même monastère, mais beaucoup de choses avaient changé. Parce que j’étais une femme réalisatrice, ils ne pensaient pas que je devrais raconter des histoires à propos de moines. D’un autre côté, il me semblait que tourner un film dans la nonnerie serait plus difficile à cause des normes sociales locales. Les vies des nonnes bouddhistes sont gardées secrètes, elles n’aiment pas être filmées. Ça ne me semblait pas possible. Votre question est intéressante, parce qu’à ce moment-là, je n’avais pas idée que ce serait si difficile. Sur le moment, je ne me posais pas la question, j’essayais juste de faire mon travail.

J’ai été très chanceuse. On m’a présenté Anila Troindroma, qui avait fondé la nonnerie. C’est une chanteuse connue à l’international, mais elle est aussi une nonne bouddhiste. En fait, dans cette nonnerie, les filles n’apprennaient pas que le bouddhisme, elles s’apprêtaient à entrer à l’université et à étudier l’ingénierie ou le droit, tout en étant des nonnes. J’ai trouvé ça incroyable. Anila m’a demandé quel genre de film je voulais tourner avec elles, et je me suis dit que je voulais repousser les limites. Je ne voulais pas faire un autre film sur le Népal, comme on en voit partout. Je lui ai dit que je voulais raconter une histoire sur l’expérience menstruelle des nonnes bouddhistes. La honte des règles a toujours été un problème dans la culture asiatique. Adolescente et bouddhiste, quand j’avais mes règles, j’entendais ma mère me demander de ne pas aller au monastère. Elle trouvait ça irrespectueux parce qu’elle considérait que je n’étais pas propre. Mais au Népal, la situation est parfois encore pire. Dans certains endroits à l’ouest du pays, on mettait les personnes qui ont leurs règles dans des huttes loin de chez elles. Les filles étaient mordues par des serpents, attaquées par des animaux sauvages, voire violées par des étrangers, tout simplement parce qu’elles étaient seules dans une hutte plutôt qu’avec leur famille. Cette honte des règles est toujours un problème au Népal. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes qui voulaient repousser ces limites et les remettre en question avec moi. Quand j’ai proposé cette idée, la fondatrice de la nonnerie m’a dit oui tout de suite, à la seule condition que je devais gagner la confiance des autres filles. Alors je suis restée à la nonnerie et je suis devenue amie avec elles, jusqu’à ce qu’elles me fassent assez confiance pour tourner ensemble. La fondatrice a aussi accepté que je tourne sur place à la condition que toute l’équipe créatrice soit composée de femmes. Sauf qu’au Népal, l’industrie cinématographique est dominée par les hommes, ça ne leur semble pas possible que les femmes occupent certaines fonctions. J’ai dû faire venir des chefs opératrices depuis les États-Unis. C’était le plus souvent mes camarades de classe. J’ai aussi fait venir deux femmes ingénieurs du son de Mumbai, en Inde.

Est-ce que l’école vous a donné de l’argent pour le film ou est-ce que vous avez dû faire du crowd-funding ?

T.Y : Oh non, mon Dieu non ! Pour ce film, on m’a donné vraiment peu d’argent. Le film m’a coûté 23.000 dollars et l’école m’a donné quelque chose comme 2000 dollars. Beaucoup de mes camarades passaient par le crowd-funding, mais pas moi. Comme je travaillais sur un sujet religieux, ça me semblait déplacé. En fait, ma mère m’a donné de l’argent, par soutien. Mais pendant la post-production, il m’en a manqué de l’argent. C’était vraiment compliqué. Et puis je ne parlais pas la langue, j’ai dû travailler avec les locaux et être consciente de mon regard d’étrangère. En tant qu’étrangère, je ne voulais pas juger la culture des autres, en travaillant sur le scénario, je savais qu’il fallait que je raconte une histoire très personnelle. Mon public n’est pas seulement étranger à l’histoire. J’ai senti que tourner un film donnait aux nonnes une certaine estime d’elles-mêmes. J’aime ce pouvoir qu’a le cinéma de contribuer à se construire une estime de soi et une confiance en soi, particulièrement pour des gens qui pensent que leur vie doit rester secrète, loin des regards. C’était vraiment super d’avoir cette opportunité. Mais au-delà, Black Goat m’a permis d’obtenir les financements pour mes autres courts-métrages.

Vous aimez créer vos personnages et vos histoires. Pourquoi choisir de filmer des adolescents, avec lesquels il est plus difficile de travailler ?

T.Y : Je suppose que c’est juste ma curiosité envers le monde. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je fais des films : je suis curieuse à propos de certains sujets, certains groupes de personnes. Par exemple, la honte des règles a toujours fait partie de ma vie. En réalisant Black Goat, je voulais véhiculer l’idée d’une reprise de pouvoir au sujet des règles. Je ne veux plus qu’on en ait honte, et c’est pour ça qu’en faisant ce film, j’ai construit ma propre narration et j’ai repris le pouvoir dessus. Ça me plait. Et puis, pour All the Crows in the World, l’histoire du film m’est en réalité arrivée personnellement, même si ça n’est pas évident pour les autres. J’étais ado à l’époque, j’apprenais l’anglais à l’internat afin de pouvoir aller à l’université. Un soir, j’étais dans une autre ville et mon oncle m’a amenée à un dîner. Mes parents n’étaient pas là et quand je suis arrivée à cette soirée, mon oncle avait deux maîtresses, assises à ses côtés. J’étais perdue. Et puis il m’a demandé de boire avec lui. Je ne savais pas dire non aux adultes à l’époque alors j’ai bu avec lui. Puis, il m’a alors demandé de boire avec toute la table. C’était des hommes d’âge mûr, gros et fortunés. Ils étaient répugnants. Mais à l’époque, j’essayais de ne pas penser au fait qu’ils l’étaient, je crois que je les voyais juste comme les amis de mon père ou de mon oncle. Je faisais tout ce qu’ils me demandaient de faire parce que c’était les amis de mon père. Je leur faisais confiance et je ne me rendais pas compte que ce n’était pas normal. Personne ne me l’avait dit. Et puis après le dîner, mon oncle m’a demandé si je voulais aller au karaoké. J’étais à l’internat et je m’ennuyais grave, alors je lui ai dit oui. Tout était bon pour éviter l’école ! Mais en fait, ce n’était pas un karaoké, c’était un bordel. J’étais en train de choisir des chansons sur une machine de karaoké quand trois rangées de femmes sont entrées. Les amis de mon oncle ont commencé à choisir des femmes pendant que je choisissais des chansons. Certaines des filles avaient clairement mon âge. L’adolescente du film représente la réalité que je vivais à l’époque. Il m’a fallu deux semaines pour parler à mon père de ce qui s’était passé avec mon oncle. Comme beaucoup de pères chinois, il se souciait surtout de savoir si je n’avais pas été agressée sexuellement. Mais ça s’arrêtait là, il n’allait pas chercher à aller tabasser mon oncle. Je ne l’ai plus jamais revu, mais en devenant adulte, j’ai commencé à me sentir mal à cause de ça. Cette nuit-là aurait pu se passer encore plus mal. Je crois que je suis restée traumatisée par cette expérience pendant un bout de temps.

Est-ce que vous avez pensé à l’approche documentaire pour vos deux sujets de films ? L’idée de partir filmer toute seule avec votre caméra, à la rencontre de personnes qui auraient eu la même expérience vous a-t-elle tentée ?

T.Y : Oui, bien sûr ! J’ai fait un documentaire pour m’entraîner mais il est difficile pour moi de contrôler les limites quand je filme le réel. Je risque de devenir trop proche avec la personne, je ne me sens pas capable de garder le contrôle. J’admire les gens qui savent faire des documentaires. J’ai beaucoup tourné de choses proches du format documentaire, mais ce sont surtout des outils pour écrire mes scripts.

À quoi ressemblent vos scénarios ? Comment avez-vous écrit celui de All the Crows in the World ?

T.Y : Au début, le film ressemblait à un drame chinois traditionnel, parce que je suis une grande fan de Dead Uncle, et le scénario y ressemblait pas mal. Ce film était ma référence, et je voulais faire un drame sérieux parce que je n’y étais jamais parvenue jusque-là. Mais plus j’écrivais, plus j’avais l’impression de victimiser ma protagoniste. (…) Ces ébauches de script m’ont contrariée. Je n’étais pas à l’aise avec la tournure que prenait le personnage. Et puis comme j’écrivais à propos de moi-même, je me suis sentie vraiment impuissante. Pour moi, une part importante quand on fait un film, c’est d’acquérir un pouvoir et de revendiquer son récit. Quand j’ai vu les comédies noires du réalisateur japonais Takeshi Kitano, j’ai vraiment aimé son humour décalé et j’ai voulu partir dans cette direction. En me levant le lendemain, j’ai décidé de laisser mes personnages réellement libres. Dans All Crows, les hommes se prendraient par exemple à aboyer dans le bordel, et la protagoniste commencerait à parler de sa vie sexuelle à table. L’équipe du film était un peu contrariée que je change le script, mais après avoir lu la nouvelle ébauche, ils se sont dit : “Oui, celui-là, c’est vraiment toi”. Du coup, j’ai fait les changements. Trouver la tonalité du script a vraiment été le plus gros challenge pendant la réalisation de ce film, mais ce sont ces éléments que j’ai ajoutés au film qui le rendent plus intéressant.

Dans vos films, les thématiques sont abordées avec beaucoup de transparence : les règles dans Black Goat, la sexualité dans All the Crows in the World… Pensez-vous que la sexualité est un sujet qui doit être abordé de manière plus positive ou amusante comme vous le faites ?

T.Y : Je ne m’interroge pas trop sur les films des autres, mais surtout sur les histoires que j’ai envie de raconter. Je crois que je suis une personne très inhibée sexuellement (rires) et j’ai grandi dans un environnement où les gens voyaient le sexe comme quelque chose de honteux. En parlant de sexe et de sexualité dans mes films, j’ai l’impression de revendiquer mon pouvoir. Pour moi, faire des films revient à faire la paix avec moi-même. Les gens qui ont des problèmes deviennent réalisateurs, n’est-ce pas ? C’est ma façon de faire de l’art tout en me réparant moi. Je pose des questions dans mes films et alors je me sens plus en confiance. Je ne pense pas trop à ce que font les autres dans leurs films, et d’ailleurs je ne regarde pas beaucoup de films. Je fais partie de celles et ceux qui regardent le moins de films dans mon école, même si j’ai commencé à en regarder de plus en plus.

Pour quelle raison en regardez-vous moins que les autres ?

T.Y : Je pense que c’est parce que j’étais autrice-compositrice-interprète avant de venir à Tisch. J’avais signé avec le label Universal Hong Kong. Je n’ai pas réussi et je n’ai fait qu’un album. J’avais choisi de faire de la musique parce que j’étais inspirée par les vidéos du Saturday Night Live. À l’époque, j’étais vraiment fascinée par le trio Lonely Island et j’aimais beaucoup la chanson de Justin Timberlake qui s’appelait Dick in a box. C’était vraiment déplacé et le clip vidéo était vraiment stupide. Ça parle d’un mec qui met son « paquet » dans une boîte et l’offre à la femme qu’il aime à chaque célébration. C’est un scénario très idiot, mais c’est drôle. J’ai appris que Dick in a box avait remporté un Emmy Award et j’ai trouvé ça très inspirant. Je me suis dit : “Waouh, être choquant peut t’apporter un prix de l’autre côté du globe, c’est incroyable !”. Du coup, j’ai commencé à écrire des chansons très similaires qui parlaient de ma vie, et j’ai été signée. J’ai réalisé des clips vidéos et j’ai candidaté à Tisch avec mon propre clip vidéo. La chanson s’appelle Why Am I Bad et parle de la fois où j’ai surprise ma collocataire en train de faire l’amour avec son copain dans mon lit. J’ai fait un clip musical très dramatique et j’ai été prise à Tisch.

Vous n’avez pas eu un Emmy mais vous avez eu une école (rires) !

T.Y : Oui, j’ai même eu une école avec une bourse… (rires) ! Et puis, pendant l’entretien, j’ai compris que j’étais très différente des autres jeunes. Les autres venaient faire des films parce qu’ils en avaient envie. À l’époque, mon idée était plutôt de faire des clips musicaux avec de la narration, comme Lonely Island. C’est ce que j’ai dit à mon entretien, et quand on m’a demandé qui était mon réalisateur préféré, j’ai répondu Ben Stiller, parce qu’il n’y a que lui qui peut réussir à faire jouer David Bowie comme juré lors d’un défilé de lingerie masculine dans Zoolander. Il n’y a que lui aussi qui peut faire danser un Tom Cruise chauve dans Tropic Thunder. C’était incroyable, j’ai adoré. Je voulais faire la même chose, et les professeurs ont vu quelque chose de différent chez moi. Bien sûr, en allant à Tisch, j’ai compris ce qu’était vraiment la réalisation et j’ai commencé à regarder des films sérieux. J’ai appris que c’était un monde très profond. Je n’y connaissais rien. Alors j’ai rattrapé certaines lacunes, mais mes amis sont des nerd, ils ont vu presque tous les films du monde. Je ne sais pas comment ils font.

Dans une interview, il est mentionné que vos professeurs ne comprennent pas toujours vos choix parce que vous allez contre leurs recommandations…

T.Y : En réalité, mon école vous apprend vraiment à faire des courts-métrages réussis. Ça vous aide à intégrer les festivals plus rapidement et à lancer votre carrière. Si vous regardez les films réalisés dans mon école, vous trouverez beaucoup d’histoires sur le passage à l’âge adulte qui se concentrent sur un personnage. L’objectif est rapproché et on trouve beaucoup de plans subjectifs. C’est super. Quand j’ai eu l’opportunité de réaliser All the Crows in the World, puisque j’avais échoué à rédiger la version Dead Uncle de mon scénario, j’ai essayé de suivre ce que j’appelle l’ “approche NYU” (rires). Mais ça ne me convenait pas alors j’ai décidé d’essayer toutes les choses qui déplaisaient à mes professeurs : beaucoup de personnages, de scènes de groupe… Je voulais seulement voir si ça fonctionnait. En réalité, pour s’opposer aux règles, il fallait déjà les connaître. La chose la plus encourageante que mon professeur, Todd Solonz, nous ait dit, c’est qu’on allait tous faire des erreurs, et que nous devions tourner et échouer magnifiquement. Je pense que c’est très important d’essayer des choses et de ne pas rester dans sa bulle de confort.

Particulièrement, à NYU, vous recevez des évaluations très dures sur vos courts-métrages. En gros, 15 professeurs sont assis dans une pièce et ils critiquent votre film. Vous recevez des commentaires très sévères. La première fois, j’ai pleuré, parce que je ne réussissais pas à les intégrer, c’était trop pour moi. Au fil de l’année, je crois que j’ai appris à me blinder. Parfois, les professeurs ont raison, mais pas toujours. J’ai appris à identifier ce qui m’aide le plus. C’est ça qui est important, parce qu’on se fait rejeter régulièrement dans l’industrie et il faut s’y préparer. L’école m’a apporté un très bon entraînement à ce sujet.

Quels conseils sont les plus précieux pour vous ?

T.Y : Parfois, on vous conseille d’être plus sérieuse. Ce n’est pas le genre de conseils que je veux parce que je souhaite faire de la comédie noire. Je continuerai toujours à en faire. J’ai envie de conseils qui vont m’aider à être plus sombre, plus drôle et plus extrême. Les conseils utiles sont ceux qui vont dans ce sens, pas ceux qui essaient de vous amener dans une autre direction. Il faut apprendre à se détacher de ceux-là. Ça m’a permis de mieux comprendre ce que je voulais.

Quel regard portez-vous sur votre situation d’étudiante ayant reçu une Palme d’or du court-métrage à Cannes ?

T.Y : Mon film n’est pas un film réalisé dans le cadre de l’école. Une des conditions pour obtenir de l’argent de la part de la fondation Hong Kong Arts Development Council pour laquelle j’ai postulé était de réaliser un film au sein d’un programme académique. Déposer une demande ne coûte rien, alors je l’ai fait. Quand ça a été accepté, je tournais mon film de validation, et c’était un scénario beaucoup plus difficile. J’aimais All the Crows in the World, et je l’ai envoyé à certains de mes professeurs, qui ne l’ont pas apprécié. Ils se disaient : “Mais qu’est-ce que c’est ? Je ne comprends pas ce film”. Je l’ai quand même proposé à Cannes et ailleurs.. Je ne m’attendais pas à ce que Cannes veuille vraiment de mon film. Je me suis sentie très chanceuse d’être prise à Cannes, mais je ne m’attendais vraiment pas à gagner.

Comment ce film va-t-il vous aider à l’avenir ? Au-delà de la confiance en soi et de l’encouragement que le prix représente, comment voyez-vous cette récompense ?

T.Y : Je n’avais pas assez d’argent ou de moyens pour engager une équipe suffisante quand je faisais mes courts. Quand j’entrais en contact avec des personnes plus puissantes pour demander leur aide, ils ne me prenaientt pas toujours au sérieux. Avec All the Crows in the World, qui se base sur ma propre expérience, j’ai pris toutes les décisions moi-même, et je n’avais pas beaucoup de budget. J’ai été entièrement vraie avec moi-même. Gagner une récompense à Cannes est comme une confirmation : si la réalisation de film sera toujours difficile, je m’en sortirai si je reste fidèle à moi-même.

Propos recueillis par Katia Bayer et Anne-Sophie Bertrand. Mise en forme : Eliott Witterkerth

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

N comme Noir-soleil

Fiche technique

Synopsis : Suite à un tremblement de terre, le corps d’un homme est découvert dans la baie de Naples. Alors que Dino et sa fille Victoria se rendent en Italie pour un test ADN, le passé les rattrape.

Durée : 20′

Pays : France

Année : 2021

Réalisation : Marie Larrivé

Scénario : Marie Larrivé

Animation : Lucas Malbrun, Marion Auvin, Ambre Decruyenaere, Romane Granger, Cécile Ladaveze, Morgane Le Péchon, Jean Baptiste Peltier, Chloé Sorin

Son : Pierre Oberkampf

Montage : Vincent Tricon

Musique : Maël Oudin, Pierre Oberkampf

Voix : Marc Barbé, Clémence Quélennec, Olivia Corsini

Production : Eddy Production, Respiro Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Noir-Soleil de Marie Larrivé

Avec Noir-Soleil, sélectionné à la Semaine de la Critique au festival de Cannes 2021, Marie Larrivé nous livre un premier film très réussi. Fidèle à son genre, le film noir, ce court-metrage a toute la densité d’un long. Il est aussi étonnant par sa poésie et la sensibilité de l’écriture et des dessins. Noir-Soleil est un polar fait tout en aquarelles de couleurs tendres. Tantôt écrasée par la lumière de la Campanie, tantôt noyée dans un passé sombre, l’image est intimiste et nous guide avec les personnages dans leur quête. Un père et sa fille sont réunis par des circonstances funestes lors d’un voyage en Italie, la découverte du corps du présupposé grand-père à la suite d’un tremblement de terre. Tous deux appelés par la police, ils se retrouvent pour se confronter à des tests ADN. C’est en vérité leur filiation qu’ils vont redécouvrir ensemble.

Dès l’ouverture, le Vésuve, plaie béante de la terre, annonce ainsi la couleur et crache une épaisse fumée noire. C’est le passé qui rejaillit des entrailles de la terre. Mais à Naples, on déverse sans vergogne du ciment sur une terre ancestrale. Dans ce paysage changeant, où l’Histoire est sans cesse recouverte par des nouvelles constructions, le père ne reconnaît plus son enfance. Il refuse avec mutisme l’enquête alors que sa fille, plus avide de tisser le lien familial, cherche à comprendre. Elle balade sur ce pays un regard inquisiteur. Dans un étrange face-à-face avec les statues d’un temple, les regards sont perçants mais scrutent le vide. Loin des vestiges grandioses et autres antiquités romaines, son enquête s’attarde plus sur les corps calcinés des brûlés de Pompéi. Ceux qui sont immobilisés dans leur dernier instant, arrachés à leur vie et immortalisés à jamais dans le silence. Ils lui rappellent le corps de son grand-père, remonté à la surface et figé dans le temps de sa disparition. Sans doute Marie Larrivé s’inspire-t-elle de Rossellini (cette scène fait écho à une autre scène de Voyage en Italie où un couple de pompéiens surpris par la lave dans un moment de tendresse saisit Ingrid Bergman). Les paysages sont les mêmes, ceux d’une terre emplie de morts ancestraux et conservés. On y retrouve aussi une certaine tendance aux non-dits. Le silence, utilisé comme nœud de l’action, empêche sans cesse les personnages de se retrouver.

Enfin, les confidences subitement révélées, jaillissent comme a jailli de la mer le corps d’un homme. Un père remonte à la surface et avec lui, tout ce qui a été passé sous silence. Il bouscule les mystères du passé mais peu à peu la parole se libère et rétablit le lien entre le père et la fille. Ce sont alors de nouveaux paysages que le père s’autorise à découvrir, ceux d’une Italie jeune et en vie. C’est aussi et surtout sa fille qu’il voit et qu’elle voit enfin. Lorsque les épais nuages noirs se découvrent, le soleil d’Italie, astre intraitable, révèle le monde tel qu’il est. Noir-Soleil raconte ce temps des changements, celui de la réconciliation avec le passé et de la reconstruction du futur.

Agathe Arnaud

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

Diffusion Palmarès / 2ème Festival Format Court / Jeudi 23 septembre aux Ursulines !

Après avoir organisé notre deuxième festival sur la Toile en novembre passé et en prévision de notre troisième édition (23-28 novembre 2021), nous sommes ravis de vous annoncer que le palmarès de notre festival 2020 sera diffusé en intégralité le jeudi 23 septembre prochain au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Cette séance bénéficie du soutien de Wallonie-Bruxelles International.

Les 7 films primés par nos 2 jurys, professionnel et presse, seront tous diffusés le même soir, en présence des équipes et jurés. Il sont répartis en 2 séances, l’une à 18h30, l’autre à 20h30. Un pot de festival organisé au bar Les Ursulines, aura lieu à l’issue de la dernière séance. Rejoignez-nous !

18h30, séance 1, Durée : 67′

Machini de Frank Mukunday et Tétshim. Animation – 9’48 – Congo, Belgique – Picha, Twenty Nine Studio & production, Atelier Graphoui. Prix de la meilleure création sonore & Mention spéciale du jury presse

Par la force des choses et surtout des machines, nous sommes devenus des êtres somnambules, des damnés de la terre, des cobayes de l’histoire et de la machine.

Désirée de Eloïse Guimard. Animation – Fiction – 5’23’’ – France – Autoproduction. Mention spéciale Jury pro. En présence de la réalisatrice

À la fois portrait et autoportrait, ce film, sous l’aspect d’un documentaire animé, apporte un témoignage de la violence des secrets de famille et de leurs conséquences.

En faire le tour, Philippe Ulysse. Fiction – 30’ – France – GREC. Prix de l’image. En présence du réalisateur

Deux jeunes gens mènent une vie marginale dans une ville portuaire. Ils sont plus proches que ne le devraient être des frères et sœurs. Lui perçoit le monde à sa manière : saturée de couleurs et de sons qui floutent la réalité. Un jour, il aperçoit une jeune fille. Il l’observe. Ils se rencontrent.

Sole Mio de Maxime Roy. Fiction – 22’ – France – TS Productions. Prix du public & Prix d’interprétation pour Jackie Ewing. En présence de Jackie Ewing et Gall Gaspard

Daniel gère tant bien que mal le désespoir de sa mère restée sans nouvelles de son père. Quand ce dernier débarque chez lui à la veille de son opération pour devenir une femme, Lisa, il doit forcer son père à afin annoncer la vérité.


20h30, séance 2. Durée : 63′

Notre territoire de Mathieu Volpe. Documentaire – 21’07 – Belgique – Luna Blue Film, Gsara asbl. Prix de la presse, Mention spéciale du Jury pro. En présence du réalisateur

Quand je suis arrivé à Rignano, les habitants du Ghetto m’ont dit : « Il ne faut pas garder des images de nos vies dans ces maisons précaires. Tu ne dois pas montrer ce désespoir, il ne t’appartient pas». La misère du Ghetto, c’est la première chose que j’ai vue, la première chose que j’aurais voulu montrer.

L’aventure atomique de Loïc Barché. Fiction – 26’- France – Punchline Cinéma. Prix du scénario. En présence du réalisateur

Algérie, 1961. Alors que la France vient de faire exploser sa quatrième bombe atomique, un groupe de sept soldats est envoyé jusqu’au point d’impact afin d’y effectuer des prélèvements et des mesures de la radioactivité. Mais plus ils avancent, plus le Capitaine, un vétéran de guerre d’une cinquantaine d’années, se voit confronté aux paradoxes d’un monde qui change.

Genius Loci de Adrien Mérigeau. Animation -16’20 – France Kazak Productions. Grand prix & Prix d’interprétation pour Nadia Moussa. En présence du réalisateur et de Nadia Moussa

Reine, une jeune femme mystérieuse et mutique, déambule à travers une banlieue endormie et rencontre Rosie, sa voisine musicienne, qui l’aide à se libérer progressivement de l’emprise néfaste d’un esprit.

Infos pratiques

– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

– Tarif unique, réduit : 6,80 €/séance

– Réservations : soireesformatcourt@gmail.com

– Pour info, pour accéder au cinéma, il faudra se conformer aux règles sanitaires en vigueur (test négatif/antigénique de moins de 72h / certificat de vaccination / certificat de rétablissement)

Evénement Facebook : https://www.facebook.com/events/227724569176026

Manolis Mavris : “J’ai besoin de soulever des questions un peu plus profondes que ma vie”

Rencontré quelques temps après avoir remporté le Prix Canal+ du court-métrage à la Semaine de la Critique 2021, le jeune réalisateur grec Manolis Mavris revient sur son parcours et l’histoire de Brutalia, Days of Labour qu’on pourrait intituler “Douze refus puis Cannes”. Au cours de cette discussion, on retrouve chez lui les qualités de son film : drôle, observateur, curieux, engagé et profondément humaniste. Un réal à suivre.

Format Court : On a regardé votre très court métrage Skin ce matin et on a adoré ! Pouvez-vous nous en parler ? 

Manolis Mavris : Je considère Skin comme un film expérimental. C’est basé sur un cauchemar de ma mère. Elle m’a raconté être à un moment où le stade subconscient et la conscience se mélangent et durant lequel nous ne savons pas différencier la réalité du rêve. Elle se coupait la main, et les phalanges repoussaient. Puis elle a eu ce sursaut “: Attends, cela ne peut pas arriver. Si nous coupons un membre, cela ne peut pas repousser. Les choses restent comme elles sont, c’est définitif.” J’ai trouvé ce cauchemar extrêmement poétique. Alors j’ai écrit ce film avec une voix off qui simule notre voix interne, cogitant sur le sens de notre propre existence. Pour ce film, j’ai travaillé avec un danseur avec qui on a créé un univers qui donne l’impression d’atterrir dans un champ lunaire.

C’est déroutant parce que cela semble à la fois surréaliste et un peu étrange, en même temps si vrai. On pense directement aux monuments grecs. C’est très beau mais assez anxiogène.

M.M : Oui, le film a été tourné dans une carrière de marbre en Grèce. Les parois blanches sont ahurissantes. Je ne sais pas si je les décrirais comme bizarres, mais on a l’impression d’être sur une autre planète. Puis ce personnage apparaît et nous ne savons pas quels sont ses pouvoirs ou simplement ce qu’il va faire. Il perturbe cet environnement assez lisse. Mais pour être honnête, nous n’avions pas un récit aussi fort, nous ne sommes pas allés aussi loin dans le scénario. Mais j’ai toujours aimé ce film comme un simple projet. Pour moi, c’était une recherche importante avant Brutalia, Days of Labour. Je souhaitais approfondir la manière de visualiser l’essaim. Comment se déplace une masse ? Que pourrais-je en extraire ?

Et alors, quelle a été votre conclusion ?

M.M : Je pense qu’il y a encore un champ de recherche très important ! Au final, Brutalia est un mélange assez étrange de faux documentaire avec quelques parties musicales, avec une chorégraphie puis un thriller et une black comedy.

Finalement, ce mélange fonctionne bien…

M.M : Je n’en étais pas totalement sûr (rires) ! J’avais besoin d’un gros budget pour réaliser ce film. Il nous a fallu beaucoup de temps pour avoir les financements. Je pense que nous avons eu environ 12 refus. 12, c’est beaucoup !

Vous avez du coup collaboré avec de nombreux co-producteurs pour ce film…

M.M : Avion films est la société principale. Elle est basée à Athènes. C’est une société de production avec laquelle je collabore sur des films publicitaires. Je connais la productrice Annabelle Aronis depuis assez longtemps maintenant. Je savais qu’elle avait la capacité de comprendre cette production complexe et comment la réaliser. Ensuite, son équipe a été rejointe par Stathi Twins (Grèce, Royaume-Uni & USA) et Tarantula (Belgique).

Comme pour tout le monde, le défi a été de rassembler le budget. C’est pourquoi la concrétisation du film a pris si longtemps. J’ai travaillé sur Brutalia pendant presque trois ans et demi. Pour un court métrage, c’est long. Au début, j’étais presque certain que je n’irais pas au bout. Je n’ai jamais été aussi heureux que lorsque que nous avons finalisé le film. Je ne pensais même pas aux festivals à ce moment-là. Aujourd’hui, je suis très ému que le film ait été programmé à La Semaine et présenté pendant Cannes. Le Prix Canal+, c’est évidemment bouleversant. Je suis très content.

Les financements sont-ils la seule raison pour laquelle vous avez mis trois ans et demi pour faire ce film ?

M.M : Non, bien sûr. L’idée principale est née lorsque j’effectuais mon service militaire qui est obligatoire en Grèce. J’avais l’impression de vivre dans un pays différent, qui fonctionne avec des règles différentes. C’est comme une société parallèle. Nous étions tous enfermés dans un lieu dans lequel nous devions cohabiter, un univers uniquement masculin. J’ai écrit trois scripts pendant cette période. La plupart de mes amis ne voulaient pas s’enrôler. Pour moi, ça s’est révélé être un véritable terreau créatif.

C’est vrai que de nombreuses scènes dans Brutalia sont issues de défilés et de chorégraphies militaires.

M.M : J’ai toujours voulu écrire un film sur la Corée du Nord, sur la manière de décrire un groupe de personnes emprisonnées et piégées dans une zone géographique définie. Mais je ne voulais pas centrer toute l’histoire sur un sujet socio-politique spécifique. C’est pourquoi j’ai préféré m’appuyer sur l’organisation des abeilles. Et à partir de ce moment, l’idée est devenue universelle.

C’est cet élément qui est intéressant dans votre film. On comprend que c’est une critique sociétale. Mais c’est aussi une analyse assez fine des comportements individuels : la jalousie, l’envie… Nous jouons tous un rôle dans un système établi. Il y a une scène très troublante : le vol nuptial. C’est un épisode sexuel durant lequel la reine se fait féconder par les faux-bourdons. Mais à la fin de la scène, on ne sait pas comment définir l’acte : viol ou pas ? Souffre-t-elle ou retire-t-elle une certaine fierté d’avoir accompli ce que le protocole attend d’elle ?

M.M : Exactement. C’est le mot juste : le protocole. C’est ce qu’on attend d’elle. Elle y va donc volontairement. Est-ce facile ? Pas vraiment.

Son expression faciale la trompe, surtout ses yeux. On dirait que les regards jouent un rôle important dans votre film. On comprend souvent les émotions de vos personnages par cet intermédiaire, et de nombreux changements de plans s’enchaînent avec le mouvement des yeux. 

M.M : Je n’y ai jamais pensé de cette façon (rires). C’est un film observatoire : les abeilles font face à quelque chose de terrible. Elles ne prennent aucune position. Ce que j’aime dans ce film, c’est que tout le monde est piégé dans une prison personnelle. La reine gouverne évidemment tout, mais là encore, elle n’est pas libre car elle a besoin de donner naissance à des milliers de larves par jour. Tout est orchestré pour le bien commun. Le bien commun est l’unique but. Sous ce prisme, tout est possible. Les faux-bourdons veulent uniquement se reproduire, mais meurent juste après. Le véritable commentaire est : pourquoi le système militaire est-il encore un modèle pour nos sociétés ? C’est censé être un système parfait où tout fonctionne correctement, mais quid de la moralité ? A quel point l’identité personnelle doit-elle se conformer pour servir le bien commun ?

Dans Skin, il y a une réplique assez marquante : “I don’t want to see, I want to have a vision” (Je ne veux pas voir ; J’ai besoin d’avoir une vision). Dans Brutalia, Anna – le personnage principal qui est une nouvelle abeille – ne semble pas accepter tout cet orchestre. Elle semble, elle aussi, vouloir construire sa propre vision… Vous pourriez revenir sur ce concept ?

M.M : C’est assez vaste. Pour moi, ça signifie que si l’on caractérise spécifiquement les choses qui nous entourent, elles deviennent alors très condensées. C’est hyper réducteur et on perd la forme organique. Alors qu’en s’intéressant à une vision au sein d’un tout, cela ouvre l’esprit et on peut comprendre et accepter plus de choses.

Dans Brutalia, c’est finalement tout le contraire que vous dépeignez.

M.M : Je pense que les personnes qui regarderont ce film comprendront très vite où je veux en venir. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler. J’avais écrit une deuxième fin au cours de laquelle Anna prend pleinement part à l’organisation de la ruche. Mais finalement, je ne l’ai pas retenue car je la trouvais trop dure.  Ça fonctionne mieux avec la touche comique, car l’histoire s’inscrit ainsi à plusieurs niveaux. Par exemple, les faux-bourdons apparaissent de façon assez drôle. Un faux-bourdon chante une chanson, avec une voix lyrique, sur les arbres et leurs formes; et il les prie. Il trouve la beauté dans des choses très simples de la vie, et parfois ça fait aussi du bien d’en parler ! Je pense qu’en mélangeant différentes choses, je donne une perspective plus large sur cet univers qui n’est pas seulement sombre, mais aussi humoristique et charmant.

Tous les personnages ont l’air un peu absurdes, mais tous sont en fin de compte attachants.

M.M : On joue avec ça. Même avec les costumes. Pour la petite histoire, nous n’avions pas assez d’argent pour acheter les perruques des abeilles. Elles ne sont pas de très bonne qualité, et tout le monde peut le voir. Alors durant le tournage, on s’est dit que puisque c’était si évident qu’elles étaient fausses, on demanderait aux actrices de les retirer à un moment. Ça a donné lieu à la scène de la salle de bain durant laquelle Anna défait sa perruque. À ce moment, elle redevient humaine. Puis elle remet sa perruque et l’abeille refait surface. C’est cruel et à la fois pathétique.

On a d’ailleurs l’impression que le danger est davantage psychologique, pas totalement lié à une violence physique directe.

M.M : On voit tellement de violence dans les films que malheureusement on s’y habitue. Mais c’est vrai, dans Brutalia, c’est surtout une tension psychologique, donc c’est de la violence détournée. Certaines scènes sont évidentes : la lapidation et la scène de viol sont longues et très présentes. C’était d’ailleurs les scènes les plus difficiles à tourner à la fois par le sujet mais également techniquement car ce sont des plans de foule. Je n’avais pas l’expérience d’un plateau aussi massif. Mais finalement on s’en est pas trop mal sorti !

Et pendant la post-prod, vous avez beaucoup coupé ?

M.M : Non très peu car je storyboarde tout avant de tourner.

Vous laissez-vous une part d’improvisation ?

M.M : Je ne suis pas trop dans l’improvisation. C’est à la fois l’atout et l’inconvénient dans ma manière de travailler. Tout est prévu, je n’ai pas vraiment de surprise. En même temps, je n’aime pas vraiment les mauvaises surprises, donc ça m’arrange. Mais du coup, je ne me laisse pas l’opportunité d’avoir de belles surprises notamment au montage non plus. C’est souvent comme je le voulais dès le départ.

C’est peut-être lié à votre formation en graphisme et animation ? Vous n’avez pas envisagé d’en faire d’ailleurs ?

M.M : Au départ, je n’imaginais pas du tout ma carrière dans le cinéma. Je voulais devenir agent d’illustrateurs. J’ai suivi une formation artistique, et j’ai toujours dessiné. J’adore ça, c’est mon lieu de sécurité ! Tu te plonges dans le dessin et il n’y a personne autour, tu peux te concentrer à souhait. Mais à un moment, plus je dessinais, plus je travaillais, plus j’avais besoin d’approfondir le sujet. Non pas pour aller dans une autre direction, mais pour progresser encore plus et donner une autre ampleur à mon travail.

L’animation a été la deuxième étape. Je faisais une série de dessins, puis les compactais en une minute. Ça me donnait la possibilité de présenter pas mal de planches en une seule minute. Puis j’ai eu besoin d’ajouter une touche plus réelle. J’ai alors réalisé mon premier film Blue Train alors que j’étudiais la communication visuelle en Angleterre. Le projet de mon master est devenu un film, j’étais le seul de ma promo à avoir fait ce choix. J’avais vraiment envie de faire de nouvelles expériences et d’explorer ce médium.

Plus j’ai tourné, plus j’ai réduit la partie animée. Ça fait un bon moment que je n’ai pas dessiné, ça me manque un peu d’ailleurs ! J’ai perdu le côté “hand-on”. Maintenant, j’écris et je vois ce que ça donne, c’est plus ennuyant (rires) ! Mais j’ai le privilège de collaborer avec tous les métiers : la direction artistique, la pré-production, la mise en scène, le montage… Mes compétences et mon regard se nourrissent de tous ces métiers, de tous ces échanges : la lumière, le cadrage… Je développe différentes connaissances sur différents sujets qui se combinent directement, et je suis comblé ! J’adore tourner car il y a quelque chose de magique. Tout est possible. Ça semble toujours surréaliste d’avoir pu en faire mon métier, et je pense que c’est cette émotion qui pousse les gens à faire des films et du cinéma.

Comment voudriez-vous que les gens parlent de votre travail ?

M.M : Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question. Au début, je faisais des films plus pour moi. Plus je progresse, plus j’ai envie de communiquer avec le public. La narration est super importante pour engager le spectateur même dans les courts-métrages. Si j’explore juste ma vie, ce n’est pas très intéressant. J’ai besoin de soulever des questions un peu plus profondes qui touchent à la société et à la politique. Mais ça doit être un truc de famille (rires) : mon père est analyste de la vie politique. C’est comme ça qu’il a rencontré ma mère. Je ne sais pas faire autrement. Par exemple, la scène de lapidation que j’ai filmé découle d’une histoire vraie qui s’est passée il y a quelques années en Grèce. L’homme s’appelait Zach, il a été roué de coups par la foule en plein centre d’Athènes. Il en est mort. Ses agresseurs ont compris qu’il fallait le tuer et faire justice, sans savoir quelles étaient les accusations à son encontre. Comment peut-on s’engager dans une telle brutalité sans demander et savoir ce qui s’est vraiment passé ? Ils se sont tous dit que c’est un voleur junkie, point. C’est une situation cauchemardesque mais pourtant bien réelle. Ça ne me laisse pas indifférent.

L’influence du groupe, c’est ce que vous décrivez dans le film à travers Anna. Elle hésite, mais finalement prend quand même part au groupe sans comprendre.

M.M : Anna est nouvelle dans la formation, alors elle y participe. Elle a déjà bien compris comment fonctionne la société, mais si elle sait qu’elle n’y trouvera pas vraiment sa place. Elle est en quelque sorte quand même poussée à participer, et elle devient vraiment violente. Elle trouve du plaisir dans la lapidation elle-même, mais à la fin, elle n’arrive plus à se détendre et à s’intégrer. Elle est très pessimiste.

Ce jeu entre violence extrême et ironie, c’est assez fin parce que vous ne sermonnez finalement personne. 

M.M : Non, parce que c’est quelque chose que je déteste bien que les spectateurs soient guidés dans la perception du bien et du mal. C’est un peu caché. Mais pour moi c’est encore trop évident. Dans mon prochain film, j’aimerais réussir à être totalement neutre.

Ce film se passera-t-il encore dans un monde parallèle ? 

M.M : Je pense parce que c’est ce que je préfère. Ça me donne beaucoup de liberté, ce n’est pas limité à un langage. Ça peut être n’importe où, n’importe qui. Je pense que ça n’empêche pas de réfléchir, bien au contraire. Ça me permet de rester vraiment libre dans l’histoire et de ne pas être bloqué à un moment donné.

Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

All crows in the world de Tang Yi

Dans All crows in the world, film de quatorze minutes qui a reçu cette année la Palme d’Or du court-métrage en sélection officielle à Cannes, la réalisatrice Tang Yi dépeint une jeunesse chinoise à la fois audacieuse et réservée qui questionne certaines pratiques sociales qui semblent redondantes et dépassées. C’est d’ailleurs de son histoire personnelle que la réalisatrice a puisé l’inspiration pour ce film, qui sous des allures de comédie laisse apparaître une évaluation plus acerbe du rapport aux relations et à la sexualité en Chine.

Zhao Shengnan, le personnage principal, est assis à la table d’un restaurant avec son amie, elle souhaite commander une soupe. Le restaurateur décline sa demande préférant aller passer du bon temps avec sa femme. Les deux amies ne manifestent pas un grand étonnement, le pari est pris : montre en main, leur moment ensemble ne durera pas plus de dix minutes. Elles ont raison, ça ne durera pas bien longtemps. L’acte sexuel est désacralisé. C’est aussi drôle que pathétique. L’homme aurait mieux fait de servir sa soupe. Mais ceci n’est que la mise en bouche.

Zhao est par la suite invitée par sa cousine de quelques années son aînée à une soirée business. A ce repas, assistent des hommes plus âgés, plus ou moins bon chic bon genre, du moins de ce qu’on veut bien en percevoir. Sa cousine l’invite à chanter une chanson traditionnelle et l’installe à la table. Elle la présente comme un petit joyau, meilleure école, enfant prodige. Elle reçoit de sa part un hóngbāo, une fameuse petite enveloppe rouge. L’homme qui préside la tablée réplique le don, appuyant son geste d’un proverbe taoïste “aussi rapide qu’un lapin, aussi calme qu’une vierge » (quick as a rabbit, quiet as a virgin), référant au fait que l’adolescente n’est pas mariée, de fait chaste. Les autres hommes font de même, la soirée donne lieu à une profusion d’offrandes et de compliments sur la beauté et l’horoscope de la jeune femme. Un homme à l’autre bout de la table, un peu pataud, met fin à cette situation en annonçant le plat.

Comme s’il s’agissait d’une transaction financière, on propose à l’adolescente la main d’un fils et l’opportunité de partir étudier aux Etats-Unis. La jeune femme ne décline pas directement l’offre mais admet que ses précédents petits amis non ni satisfaits ses résultats scolaires ni ses besoins sexuels. Stupéfaction. Tous se tournent vers le moine de la table. Pas vierge ? Apparemment tant que son horoscope est bon, ça passe. Un toast pour l’occasion. Il faut prendre son courage à deux mains, shot d’alcool, bienvenue dans le monde adulte, Zhao. Les sous-entendus et les mains baladeuses ne tardent pas à faire leur entrée. Les proverbes cités, les grands rêves et le comportement des hommes attablés sont forcés et exagérés aussi bien dans le fond que dans la forme. Difficile de les prendre au sérieux, pourtant tous deviennent effrayants.

C’est sous les néons d’un club de plaisir que l’on retrouve notre petite troupe. “Aujourd’hui, je suis l’homme le plus heureux du monde” s’exclame le chef de meute ayant choisi sa douce avant de se mettre à croasser de manière totalement inattendue, suivi par les autres. L’homme pataud que l’adolescente n’appréciait pas vraiment devient son refuge, mais lui se met à hurler tel un loup. Les corbeaux se retrouvent face au loup. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec les croyances spirituelles de la Chine ancienne. C’est paradoxal et dérangeant comme les grands écarts entre réalité, humour et sarcasme qui occurrent tout au long de ce film. Face caméra silencieuse, l’adolescente se demande où elle a atterri, et nous aussi.

Les adultes vont poursuivre leur petites affaires, l’adolescente est remerciée. Elle reprend place à côté de l’homme qui la rassurait. Les rôles s’inversent, elle devient l’adulte face à cet individu qui ne semble pas totalement se fondre dans la masse. Puis retentit Disappointing de John Grant et le loup devient l’ange de sa soirée. Une sensibilité là aussi exacerbée, loin de tous les stéréotypes masculins. Les deux individus dansent ensemble une chorégraphie aussi risible qu’attachante qu’on a bien envie de reproduire dans notre salle de bain. Ils redeviennent des adolescents intrépides qui se jouent des adultes et de leurs jeux.

Retour au restaurant de départ. La soupe cette fois-ci servie. Comme si de rien n’était ? Pas vraiment. La fin de ce film laisse entrevoir de nouvelles possibilités et de nouvelles normes qui passent par le regard d’une jeunesse beaucoup plus mature et en marge du comportement de ses aînés.

Si le court-métrage de Tang Yi n’est pas révolutionnaire dans la forme, il a le mérite de faire passer un message clair par le biais de l’absurdité. De quoi patienter avant de voir ce que donnera dans le futur le long métrage adapté de All crows in the world, signé par WME grâce au succès de Cannes.

Anne-Sophie Bertrand

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

A comme All crows in the world

Fiche technique

Synopsis : Une aventure nocturne pousse Shengnan, lycéenne de 18 ans, à faire son entrée dans le monde adulte.

Durée : 14′

Pays : Hong Kong

Année : 2021

Réalisation : Tang Yi

Scénario : Tang Yi

Image : Li Shiyu

Son : Qi Liu

Montage : J.Him Lee

Musique : Lemon Guo, Guyshawn Wong

Interprétation : Baohe Xue, Xuanyu Chen

Production : Fresh Wave, Hong Kong Arts Development Council

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Marie Larrivé. Le retour à la narration et à l’émotion

Après un passage par les lettres, les Arts Décoratifs et le clip, la réalisatrice et peintre Marie Larrivé signe un premier film professionnel marquant, Noir-Soleil, programmé à la dernière Semaine de la Critique. Lors de cet entretien effectué à Cannes, la jeune femme travaillant actuellement sur le prochain film de Claude Barras, évoque l’émotion, le père parti, la peinture, l’apprentissage et le désir de fiction. Rencontre.

Format Court : Quel est ton lien à l’animation ? Comment es-tu arrivée aux Arts-Déco ?

Marie Larrivé : Dès le lycée, j’ai eu envie de faire quelque chose de créatif, de transmettre des émotions par la fiction. Je n’avais pas d’idées très précises sur la manière de le faire, que ce soit par le cinéma ou le dessin par exemple. Ça s’est construit par hasard. J’ai commencé des études de lettres, j’ai rencontré une fille qui était aux Arts-Déco et ce qu’elle m’en a dit m’a donné envie de me lancer. À ce moment, j’avais perdu le désir de fiction, je faisais beaucoup d’analyses, je ne ressentais plus de plaisir face au roman. Du coup, ce côté libre et ludique que j’avais perdu dans la façon dont j’étudiais la littérature me faisait rêver.

J’ai eu très envie d’entrer dans cette école parce que ça offrait plein de possibilités mais je n’étais pas décidée sur ce que j’allais faire. Le secteur de l’animation m’a paru être celui où je pouvais expérimenter un peu de tout.

À l’école, j’ai fait des films plus expérimentaux. Le gros de mon secteur, c’était l’animation mais je faisais de la peinture à côté. J’aimais bien l’idée de ne pas me contraindre à une narration, de jouer plus avec la matière et la lumière. Depuis l’école, je me suis rendue compte que j’avais plus envie de revenir à la narration qui correspondait plus à mes études antérieures.

Les aspects visuel et narratif marchent assez bien dans ton film. Qu’est-ce qui s’est passé depuis ta sortie en 2013 ? Est-ce que le sujet de ton film réclamait du temps ?

M.L. : Quand je suis sortie, j’avais envie de faire beaucoup de choses très vite. On m’a proposé du clip, de la commande. Le clip, c’est pas mal parce que ça permet de réaliser rapidement, c’est une durée courte, maintenant, il y a des aides du CNC pour ce format. J’ai fait pas mal de clips, ça m’a aidée techniquement. Aux Arts-Déco, on n’apprend pas assez la technique du coup, on ne se sent pas assez légitime pour y aller, du coup, ça m’a décomplexée. Après avoir fait un certain nombre de choses courtes, je me suis dit que je pouvais prendre le temps pour faire un film long, je n’étais plus dans l’urgence de produire pour produire. J’avais besoin de prendre du temps pour écrire.

C’est quoi la limite du clip ?

M.L. : On ne peut pas aller au bout de son travail créatif. On reste toujours en surface par rapport à la narration. Même si y a une histoire, on est quand même limité par la musique. On essaye d’être cohérent avec le travail préexistant, on est au service du musicien mais on ne peut jamais aller jusqu’au bout et même le format de 3 minutes, c’est court. On doit quand même rester dans quelque chose de visuel et c’est dur de transmettre des vraies émotions. Il y a des frustrations qui donnent envie de faire un film quelques années plus tard !

Quel a été le point de départ de ton film ?

M.L. : À un moment, j’en ai eu marre du clip, je me suis remise à la peinture. J’ai fait toute une série « Eldorado » et je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter à travers les images de paysages idylliques du sud de l’Italie. À cette époque, un volcan qui commençait à gronder, il me semblait qu’il y avait une histoire à raconter. Je voulais aller plus loin, insérer de de la musique, transmettre une émotion plus précise que juste illustrer l’émergence d’une catastrophe. (…) Le film s’est construit dans le temps car l’écriture a été très longue. Au début, j’avais envie de retranscrire des émotions assez floues liées à des souvenirs de vacances et à des histoires familiales. Petit à petit, ça s’est entremêlé et au fil du temps, je me suis rendue compte que l’histoire traitait aussi d’hommes absents, qui s’étaient enfuis…J’ai fait beaucoup d’aller-retour entre des idées visuelles et la mélancolie. J’avais envie de raconter l’absence du père. (…) Je pense que Noir-Soleil comporte plusieurs couches : le film de genre, le film intimiste, le film très visuel,… .

Ton titre oppose la lumière et l’ombre, le tragique et l’idyllique, …

M.L. : Le titre, c’était un horizon d’écriture. Je me suis dit que j’allais essayer d’écrire autour de cette alternance. Je me suis un peu inspirée de vacances avec mes parents, en Italie. A 12 ans, à Palerme, on a visité les Catacombes des Capucins, c’est un endroit où des corps sont conservés, momifiés. Il y a une petite fille qui a l’air endormie. Ça m’avait fort marquée, ce côté sous-terre, dans l’ombre, mystérieux, ça ne m’a pas rebutée, je trouvais ça beau quelque part, je m’étais demandée quelle était l’histoire de cette petite fille. Ensuite, on remonte, il fait très chaud, c’est la vie. J’avais envie de raconter cette émotion-là.

Comment as-tu construit ton image ?

M.L. : Je suis retournée à Naples pour faire beaucoup de repérages. J’avais besoin de décors concrets, de savoir où mes personnages allaient, ce qu’ils faisaient. Je regarde énormément de peintures au quotidien, j’ai l’habitude de regarder les paysages par le biais de la peinture. J’ai articulé le film comme un carnet de voyage en peinture. J’aime partir sur des bases photo pour m’imprégner des lieux et garder la peinture pour plus tard, quitte à transformer ce que je dessine.

Quelles difficultés as-tu rencontrées sur ce film ?

M.L. : À la moitié du travail, j’ai senti que j’étais trop gentille avec les personnages. Je n’osais pas rendre le personnage du père dur. C’était ma première expérience d’écriture, malgré moi je voulais faire bien. Je souhaitais que quelque chose de positif ressorte du film, j’allais vers des trucs un peu clichés. J’ai dû lutter contre la tendance du happy end, de la conclusion trop fermée, j’ai dû apprendre à composer avec les dits et les non-dits.

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court ?

M.L. : Ça permet d’aller au bout de ce qu’on veut visuellement parce qu’on n’a pas la contrainte d’un long-métrage où on doit faire davantage de sacrifices. C’est aussi une étape vers le long.

Qu’as-tu le sentiment d’avoir appris avec ce film ?

M.L. : Aux Arts-Déco, on a une vision assez conceptuelle de l’animation et du court-métrage mais on n’a pas vraiment de cours de scénario du coup, je ne me sentais pas capable de raconter une histoire. En travaillant, je me suis rendue compte que maintenant que j’en suis capable et que ça m’ouvre plein de portes.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

Reprise Festival Format Court 2 à Bruxelles !

La rentrée s’annonce sympa pour Format Court. Notre 3ème festival est prévu du 23 au 28 novembre au Studio des Ursulines, à Paris (on y travaille). Avant cela, nous diffuserons le palmarès de notre 2ème édition (en ligne) le jeudi 23 septembre en salle à Paris, en présence des équipes et des jurés.

Fin août, notre 2ème édition sera déjà mise en avant puisque Short Screens, une association bruxelloise défendant avec enthousiasme le court sur grand écran depuis de nombreuses années, a choisi de programmer ses coups de cœur de notre dernière édition avec des courts métrages « primés, engagés, endiablés ». Cette belle séance aura lieu le vendredi 27 août à 21h30 dans le cadre du 3ème festival Shorts d’été, le mini festival organisé par Short Screens du 26 au 28 août 2021 au Cinéma Aventure, Galerie du Centre 57 (1000 Bruxelles).

Programmation

Danse macabre / Philip Jenner / Canada / 1940 / animation / 7’32. Issu du programme Lobster Films

Les défunts et les squelettes, sortis de terre, se livrent à de facétieux entrechats sur la musique de Camille Saint-Saëns, et se réjouissent de la terreur qu’ils inspirent.

Genius Loci / Adrien Merigeau / France / 2019 / animation / 16’20. Grand Prix Festival Format Court et Prix d’interprétation à Nadia Moussa

Une nuit, Reine, jeune personne solitaire, voit dans le chaos urbain un mouvement vivant et brillant, une sorte de guide.

Homesick / Koya Kamura / France, Japon / 2018 / fiction / 27’26. Compétition 2020.

Deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, Murai brave le danger et arpente la no-go zone afin de retrouver et rendre à leurs propriétaires, les objets de valeur laissés derrière eux pendant l’évacuation.

Machini / Frank Mukunday, Tétshim / Belgique / 2019 / docu-animation / 9’. Prix de la meilleure création sonore Festival Format Court 2020, Mention spéciale du jury presse

Par la force des choses et surtout de la machine, nous sommes devenus des êtres somnambules, privés de bon dieu, des damnés de la terre et par-dessus le marché les cobayes noirs de l’histoire.

Notre territoire / Mathieu Volpe / Belgique / 2019 / documentaire / 21’. Mention spéciale du jury et Prix de la presse Festival Format Court 2020. En présence du réalisateur

Le retour du réalisateur au pays de son enfance dans le sud de l’Italie, à la rencontre de ceux qui étaient absents de ses souvenirs : les migrants d’Afrique centrale, réunis pour la cueillette dans les plantations de tomates, loin des cartes postales.

Une soeur / Delphine Girard / Belgique / 2019 / fiction / 16′ /  Compétition 2020. En présence de la réalisatrice

Une nuit. Une voiture. Une femme en danger. Un appel.

En pratique

Projection : Coups de coeur Festival Format Court 2020, vendredi 27 août à 21h30 

Cinéma Aventure : Galerie du Centre 57 (1000 Bruxelles).

PAF : tarif plein : 9€, tarif réduit : 7€

Event Facebook : https://www.facebook.com/events/303106164889814/

B comme Brutalia, Days of Labour

Fiche technique

Synopsis : Des filles identiques, en tenue militaire, qui se tuent au travail. Une société matriarcale et oligarchique. Que se passerait-il si nous remplacions les abeilles par des humains ? Anna une abeille ouvrière, ne pouvant souscrire à la violence qui l’entoure, sera conduite à prendre une décision radicale.

Genre : Fiction

Durée : 26′

Pays : Grèce, Belgique

Année : 2021

Réalisation : Manolis Mavris

Scénario : Manolis Mavris

Image : Manu Tilinski

Son : Alexis Koukias

Montage : Thodoris Armaos

Musique : Panagiotis Melidis aka Larry Gus

Interprétation : Elsa Lekakou, Kora Karvouni, Chara Mata-Giannato

Production : Avion Films, Stathi Twins, Tarantula Belgique

Article associé : la critique du film, l’interview du réalisateur

Brutalia, Days of Labour de Manolis Mavris

Dans l’effervescence des films montrés au Festival de Cannes cette année, Brutalia, Days of Labour a particulièrement retenu notre attention. Présenté lors de la Semaine de la Critique 2021, ce court-métrage du réalisateur grec Manolis Mavris a d’ailleurs remporté le prix Canal +.

Il est difficile de classer le genre de Brutalia : film de genre, docu-fiction, surréalisme ou réalité poignante ? Dans ce court-métrage, Manolis Mavris nous emmène à la découverte d’une ruche dont on ne peut évaluer ni l’époque ni le lieu. Nous rentrons dans cet environnement au son des coups de pioche et du bruit – quelque peu anxiogène – d’un essaim. Anna est l’une des abeilles de la ruche. C’est elle que l’on suit pendant les 26 minutes du film. On la retrouve seule, souvent isolée dans son environnement ou simplement par la caméra. À certains moments, au contraire, elle est totalement emportée par la logique de groupe, exécutant ce que l’on attend d’elle, enfin plutôt de ce que l’on attend des abeilles de manière générale. La ruche est un régime matriarcal, régi par la Reine. Cette dernière est facilement identifiable : assez grande, les cheveux longs, elle est généralement vêtue d’habits d’apparat, majestueux. Elle a de nombreux pouvoirs, notamment celui de lire les pensées de ses « filles » et de les priver du droit de donner naissance.

Les abeilles, quant à elles, s’organisent hiérarchiquement autour de la reine. Elles portent des tenues militaires et des perruques noires avec une coupe au carré et une frange. De loin, il est impossible de les différencier. Elles sont standardisées. Et même de près, elles sont impassibles, concentrées sur les tâches qui leur sont confiées : servantes, bâtisseuses, nourrices, gardiennes ou glaneuses… La vie de chacune d’entre elles est d’ailleurs relative au nombre de tâches qui leur ont été confiées. Les faux-bourdons, eux, apparaissent oisifs et un peu patauds. Mais pareil, ils n’ont qu’une seule mission : être en bonne condition physique et mentale pour féconder la Reine. Ainsi, tous les protagonistes s’activent à la préservation de l’organisation de cette société. Après tout, comme l’explique la voix-off : “Chaque abeille est responsable de la vie sur la planète.”

Les plans de Manolis Mavris sont millimétrés et s’enchaînent à la perfection comme les ballets et les parades de ces abeilles. Ce qui est intéressant dans ce court-métrage, c’est que la satire est amenée par le biais du cadrage, de l’expression corporelle du personnage principal et de l’absurdité exagérée de certaines séquences. La musique joue d’ailleurs un rôle prépondérant dans ces dernières et renforce le côté risible de la situation – à l’instar des cartoons – comme par exemple Les Indes Galantes dans un moment de procession ou Hummelflug lors d’une compétition entre faux-bourdons. On ne peut pas s’empêcher de sourire de ces moments; ni à l’inverse de faire le rapprochement avec nos sociétés contemporaines. Cette empathie est permise par les gestes et réactions d’Anna qui, elle, semble beaucoup plus “humaine”. Malgré une volonté de se conformer au groupe, de répondre au protocole et aux règles, son regard et ses émotions la trahissent. Ses mouvements sont toujours en contretemps de ceux du groupe. Elle n’a pas le même tempo que ses semblables, passant du ralenti à l’accélération, à la lassitude et à la mélancolie ou au contraire à la violence orchestrée. Certaines scènes se révèlent désarmantes : les accouchements, l’élection de la nouvelle reine, la reproduction, la lapidation ou simplement le port des armes et de l’uniforme montrent une société dans laquelle il n’y pas de place pour la compassion et les sentiments, où tout n’est que masque et rôle. Une société dont l’extrême brutalité ne semble servir qu’au maintien d’un équilibre précaire. Mais jusqu’où peut-on le supporter ?

Brutalia, Days of Labour est assez remarquable par son esthétisme très léché, Manolis Mavris ne laissant aucun plan au hasard. Le récit – assez bien ficelé – permet de questionner de nombreux thèmes de société. Les ramifications sont intéressantes car implicites, ce qui laisse la totale possibilité au spectateur de mûrir une réflexion singulière par rapport à son propre vécu.

Anne-Sophie Bertrand

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview du réalisateur

L’Enfant salamandre de Théo Degen

C’est une légende : la salamandre ne résiste pas au feu, elle brûle comme tout autre amphibien et préfère même les zones humides à la chaleur. Pourtant, le garçon mi-homme mi-salamandre de L’Enfant salamandre brûle, lui, de vraies flammes. Le film de Théo Degen enflamme le nitrate de la pellicule pour nous transporter loin de notre monde.

Premier prix à la Cinéfondation qui récompense les films d’école depuis 1998 au Festival de Cannes, L’Enfant salamandre nous vient de Belgique et, plus précisément, de l’Insas où son réalisateur, Théo Degen, a fini ses études. Il nous livre un film comme un conte de fées, rempli de mystères et dont on ressort avec l’envie d’y croire encore. Le film nous emmène dans ce monde à la fois familier et lointain de l’enfance où l’on aime se raconter des histoires qui font peur ou qui rassurent. Celle-ci est à propos d’un enfant qui perd son père, il peut se transformer en salamandre et communiquer avec les morts à travers les flammes.

Dans L’Île aux songes, son précédent court-métrage, Théo Degen partait en voyage sur le rivage d’un territoire onirique et explorait avec malice l’étrangeté des rêves des enfants. Parfois amusant, parfois inquiétant, ce monde proche de nous mais étranger dérange et plaît. De la même façon, il situe son dernier film dans le village belge dont il est originaire. Habitant de notre monde, dans une banlieue pavillonnaire dont on reconnaît les paysages et la faune locale, l’enfant salamandre n’est pourtant pas tout à fait de chez nous et semble vivre dans un autre pays. Un pays imaginaire ? Un pays étrange au nôtre. Le film voyage dans un monde où il ne fait ni jour ni nuit, on y entre par la fenêtre (dans un travelling avant qui n’est pas sans rappeler celui du “no trepassing” de Citizen Kane). Notre héros est un traverseur, un voyageur des espaces. Il est comme Charon qui traverse la frontière entre le pays des morts et celui des vivants, à la seule différence que l’enfant salamandre ne voyage pas sur l’eau mais dans les flammes. Notre héros est aussi un métamorphe : un peu monstre, super-héros et magicien, pas tout à fait enfant ni adulte. Il a la sévérité des premiers qui croient en la magie et aux pouvoirs des rituels, il a la candeur des seconds qui veulent retrouver ceux qui sont partis. Le film nous raconte ce moment du deuil où les disparus ne sont pas encore complètement disparus. Le corbillard est encore garé devant la maison, pourtant papa est déjà dans l’au-delà.

L’enfant salamandre n’est pas le seul à posséder des pouvoirs magiques. Théo Degen se place dans la lignée des grands débuts du cinéma alors qu’il était un objet de prestidigitation, source d’émerveillements et d’inquiétudes. Le réalisateur belge ne se prive pas d’en utiliser sa magie : métamorphoses de l’image en ralenti, surimpressions et apparitions sont autant d’outils du fantastique. Théo Degen parvient à créer des images magiques, des images où tout est possible. Si une petite fille veut être Batman et veut disparaître dans un nuage de fumée, elle peut. C’est du cinéma et qu’est-ce que c’est réconfortant d’y croire.

Agathe Arnaud

Consulter la fiche technique du film

E comme L’enfant salamandre

Fiche technique

Synopsis : À 15 ans, Florian pense pouvoir communiquer avec les morts par l’intermédiaire du feu. Cette obsession en fait la risée de son village, perdu dans la campagne belge. Un jour, à force de s’entendre dire qu’il est un monstre, Florian en devient un.

Genre : Fiction

Durée : 26′

Pays : Belgique

Année : 2020

Réalisation : Théo Degen

Scénario : Théo Degen

Image : N’gare Falise

Son : Armance Durix

Montage : Laureline Maurer

Interprétation : Florian Villez, Elsa Blero, Vincent Villez, Alexandre Remson
Camille Mc Laferty, Tristan Melain

Production : INSAS

Article associé : la critique du film