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The Lee Families de Seo Jeong-mi

The Lee Families fait partie des films d’écoles de la Cinef 2023. Le court métrage est réalisé par la jeune sud-coréenne Seo Jeong-mi, à l’occasion de son projet de fin d’études à Université Nationale des Arts de Corée.

Après la mort du patriarche de la famille Lee, ses descendants se disputent pour sa maison de campagne. Dans son testament, le père l’avait laissée en héritage à son fils unique, également décédé, ce qui transfère les droits à Tae-seok, le petit-fils et seul homme entre les héritiers. Sook-hyun, la fille aînée et sœur du disparu, s’engage dans une bataille verbale, physique et judiciaire pour des droits à la propriété mais son neveu reste obstiné à ne pas la partager avec ses tantes.

Le film montre quelques coutumes de la société coréenne. La tradition indique que, habillées en hanbok à l’enterrement, les femmes doivent exprimer de la tristesse et du désespoir face au décès d’un être cher pour affirmer son importance, pendant que les hommes restent sérieux. Plus élevé est le statut social du décédé, plus longue est la période de deuil. Les nouvelles générations, pourtant, adhèrent à des comportements plus discrets, comme Young-seo, fille de Sook-hyun, qui préfère garder le calme par rapport aux actions de sa mère. Le chagrin de la protagoniste n’est pas seulement fruit des règles sociales, mais de sa douleur, qu’elle gère avec insouciance.

Devant une situation tragique, la réalisatrice dépeint des personnages comiques qui rendent le film plus léger. L’humour se construit à travers le comportement de cette mère instable, échevelée, qui crie, jure, donne des coups de pieds et grimpe aux murs littéralement et métaphoriquement. En contrepartie, sa fille, aussi désorientée, veut la soutenir mais essaie de garder les pieds sur terre. Seo Jeong-mi utilise aussi sa mise en scène pour faire rire le public. En accentuant les scènes de conflit par des ralentis accompagnés de musique orchestrale, la réalisatrice construit une ambiance ironique qui fait appel à des scènes de guerre classiques. Cependant, cette bataille se traduit dans son univers par une famille dysfonctionnelle en perte de contrôle.

À travers l’humour, The Lee Families traite du sujet du deuil et des façons de lui faire face. Le film ne porte aucun jugement de valeur sur ses personnages, mais démontre différents points de vue sur les attitudes extrêmes et les motivations qui peuvent amener les individus à les adopter.

Bianca Dantas

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Margarethe 89 de Lucas Malbrun

Lucas Malbrun nous confronte dans Margarethe 89 à la violence psychologique du régime d’Allemagne de l’Est. Dans ce court métrage d’animation sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, Margarethe, jeune punk contestataire, se fait interner en hôpital psychiatrique après avoir brûlé ses affaires et celles de son petit ami. Dans ce contexte, le climat social et politique est intrinsèquement lié aux questions de l’identité et de la santé mentale.

Le régime autoritaire de la RDA semble triompher à Leipzig en 1989 comme l’illustrent les images de parades militaires accompagnées de chants communistes. Margarethe est internée et fait face à la froideur et à la rigidité des médecins et des autres patients. Le régime exerce une intense surveillance à toute opposition politique en passant notamment par un contrôle des corps. Margarethe est enfermée, contrainte de travailler dans des fours à charbons et d’ingérer des médicaments. Cette “Zersetzung” (dissolution) vise à briser la santé mentale des opposants.

Margarethe trouve un échappatoire dans ses pensées, son imagination, en pensant à ses retrouvailles avec son petit ami Heinrich. Cependant, c’est annoncé des le début du film, Heinrich est un mouchard et collabore avec la Stasi.

Cette histoire d’amour et d’imposture révèle les paradoxes et les tiraillements internes des individus. Heinrich aime sincèrement Margarethe mais pactise toutefois avec le régime. Lucas Malbrun s’inspire de l’histoire d’amour dans Faust de Goethe où la trahison mène à la folie. Ce n’est toutefois pas une vision manichéenne des individus puisque le personnage de traître n’est pas accablé par ses actes. L’imposture de l’amour dans Faust est par ailleurs amenée par un pacte avec le diable, ici la RDA.

Le film met en scène les méthodes du régime pour épuiser et anéantir l’opposition. Ces individus en marge, dans la sous-culture punk notamment, font face à la méfiance et la paranoïa que répandent les mouchards.

Les traits fins aux couleurs douces des crayons feutres de Lucas Malbrun contrastent avec la violence de l’époque. Les plans rapprochés, aux mouvements doux et fluides, où l’on perçoit la fragilité des personnages, s’opposent aux plans larges et statiques dont la symétrie et les lignes droites révèlent l’autorité du régime.

L’attention portée au son et aux sensations révèle toutefois une certaine tendresse dans la froideur du climat social. Certains passages frôlent l’onirisme, les couleurs bleutés et violettes d’une mer où les biens aimés se retrouvent apportent une grande douceur dans l’agitation anxieuse des opposants politiques.

Si le régime ne perdure pas après 1989, année qui marque la chute du mur de Berlin, et que la lutte pour éliminer l’opposition perd de son sens, les traumatismes et la mémoire du régime persistent. Margarethe représente cette lutte, par sa sensibilité et son engagement, et ainsi le souvenir d’une contre culture émancipatrice.

Rose Delafosse

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M comme Margarethe 89

Fiche technique

Synopsis : Leipzig, 1989. Margarethe, une jeune punk contestataire du régime est-allemand, est internée en hôpital psychiatrique. Elle tente de s’enfuir pour rejoindre Heinrich, un chanteur punk dont elle est amoureuse. Mais alors que le régime vit ses dernières heures, la Stasi répand plus que jamais ses mouchards.

Réalisation : Lucas Malbrun

Genre : Animation

Durée : 18’

Pays : France, Allemagne

Année : 2023

Voix : Anna Hedderich, Franz Liebig, Lucas Prisor, Jochen Hägele

Scénario : Lucas Malbrun

Image : Lucas Malbrun

Son : Quentin Romanet

Décors : Marie Larrivé

Montage : Clara Saunier, Vincent Tricon

Musique : Maël Oudin

Production : Eddy Production

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Hole de Hwang Hyein

Hole est un court métrage de vingt-quatre minutes réalisé par une jeune cinéaste coréenne du nom de Hwang Hyein. Ce court-métrage d’horreur produit par la Korean Academy of Film Arts, est porté par son actrice principale Lim Chae-Young en jeune policière. Présenté dans la sélection de la Cinef de Cannes 2023, le travail de la jeune Hwang Hyein nous impressionne par sa maîtrise et par son élégance.

Si l’histoire débute comme un thriller ou un film noir, deux genres emblématiques du cinéma coréen, elle dérive et nous emmène dans le secteur du surnaturel. Ainsi, le synopsis se résume en ces mots : une jeune enquêtrice investigue sur des cas de maltraitance d’enfants et se rend dans une maison délabrée pour y faire la rencontre de deux enfants laissés seuls. Très vite, elle se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond dans cette maison lugubre au papier peint déchiré. Dans ce décor parfait de film d’épouvante, une succession de petits évènements va survenir : des enfants muets aux visages sombres, des bruits inquiétants, une porte qui claque et vous enferme dans une pièce, et un trou béant.

Tout le récit s’articule autour de ce trou que découvre la jeune policière en soulevant une plaque de métal. Au milieu de l’une des pièces de la maison se trouve un trou noir, comme un puit sans fond, que les enfants regardent fixement. Quand la policière demande aux enfants où sont leurs parents, ils répondent que les ténèbres les ont mangés et désignent des yeux ce trou comme le coupable de leur ravissement.

Hwang Hyein nous offre avec son court métrage Hole un récit d’horreur tout en tension prouvant que l’économie est parfois le meilleur outil de la peur. La raison du succès de la simplicité est que le plus grand générateur de la peur est l’imagination. Nul besoin de gros monstres aux dents pointues pour terroriser un public, il suffit de suggérer l’inimaginable pour qu’il s’installe dans nos esprits et nous hante. C’est sur ce principe que la jeune réalisatrice a basé son court-métrage à l’articulation assez simple qui respecte quasiment les règles ancestrales de la mise en scène : unité de temps, de lieu et d’action.

C’est donc en huis clos que l’histoire de la capture d’une femme par une maison malsaine nous est racontée, une capture d’autant plus terrifiante qu’elle est insidieuse. Chaque élément qui compose le lieu est étrange, ses habitants ne se soustrayant pas à la règle, comme contaminés. Même les enfants qui sont supposés être les victimes à sauver, petites choses innocentes, nous glacent le sang par leur froideur, leur soi-disant maladresse qui manque de faire tomber la jeune policière dans le puits sans fond.

Le travail des lumières et des couleurs, malgré un certain académisme, est particulièrement remarquable. L’image s’assombrit à mesure que les ténèbres envahissent la pièce, libérée par ce trou qui ne veut plus se refermer. Le trou noir, qui revet quasiment une dimension métaphysique, engloutit tout ceux qui se trouvent autour de lui : les personnages et les spectateurs avec. Nous nous retrouvons entièrement à la merci de cette force inquiétante qui, inarrêtable comme la mort, vient vous chercher inexorablement.

Le personnage principal s’affiche comme une jeune femme en prise à une profonde terreur mais qui tente de rationaliser les évènements auxquels elle assiste. Tout dans l’histoire est fait pour nous faire hésiter entre le réel et l’irréel, et créer chez nous des questionnements qui persistent jusqu’à la fin. Comme elle, nous tentons de nous rassurer par le rationnel mais l’escalade de l’étrange nous dissuade au fur et à mesure et le destin de la policière nous semble scellé.

Somme toute, le premier projet de Hwang Hyein est une belle réussite. Le spectateur est vite plongé dans l’histoire qui nous accroche et nous fait attendre la suite dans une angoisse grandissante. Le film nous accroche par l’intensité de son suspense et se scelle par un dénouement qui nous intrigue davantage.

Anouk Ait Ouadda

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C comme Contadores

Fiche technique

Synopsis : Lors des négociations dans l’industrie métallurgique en 1978, un groupe d’activistes libertariens défendent leur vision radicale en opposition à leurs camarades d’usine, et deviennent les témoins désenchantés de l’atomisation du mouvement ouvrier.

Genre : Fiction

Durée : 19’

Année : 2023

Pays : Espagne

Réalisation : Irati Gorostidi Agirretxe

Scénario : Irati Gorostidi Agirretxe

Image : Ion de Sosa

Son : Iosu González

Montage : Sergio Jiménez

Interprétation : Santiago Fernández de Mosteyrín, Jaume Ferrete, Claugia Pagès, Iskandar Rementeria, Maite Ronse, Natalia Suárez, Marina Suárez

Production : Apellaniz & de Sosa, Pirenaika, Tractora

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Contadores de Irati Gorostidi Agirretxe

En sélection à la Semaine de la Critique, Contadores nous entraîne dans le mouvement ouvrier espagnol des années 1970 et nous conduit à nous interroger sur la force du collectif.

Produire et militer

Avril 1978, Guipuscoa, Pays basque espagnol. Des doigts sur des tours, d’autres sur des machines à écrire. Le principal syndicat d’une usine de compteurs d’eau vient, après des semaines de négociation, de signer un accord salarial avec la direction. Les ouvriers et ouvrières se divisent sur la démarche à suivre : accepter les accords ou continuer la mobilisation ? À l’usine comme à la maison, les débats s’enchaînent.

Le film de Irati Gorostidi Agirretxe rend un bel hommage au travail des métallurgistes, en filmant au plus près les mains sur les machines. En écho à ce travail de précision, des mains semblables tapent des tracts à la machine à écrire. Produire ou militer, ces gestes semblent les deux faces d’un même métier, qui épuisent celles et ceux qui l’exercent. D’où le dilemme qui vient diviser les ouvriers et ouvrières.

L’un des intérêts du film est de montrer l’inversion du rapport de domination, non pas entre l’ouvrier et son patron, mais entre l’ouvrier et son outil. Ce dernier est filmé en plans rapprochés, entouré de doigts qui semblent le servir plus que s’en servir. Qu’il s’agisse du tour ou de la ronéo, les gestes sont précis, mais répétitifs, et les mains s’agitent sans laisser de place aux corps qui les animent. Les ouvriers sont anonymisés, fondus dans un collectif qui laisse peu de place à l’individualité. Les bleus de travail se succèdent, des plans fixes captent des visages uniformes, difficiles à discerner.

Unité ou uniformité ?

Cette apparente uniformité est battue en brèche par les divergences stratégiques du mouvement ouvrier. Si Contadores s’ouvre sur les doigts d’un ouvrier qui a repris le travail, le plan suivant saisit ses collègues sillonnant l’usine en silence et à pas lents, en signe de protestation. L’immobilité des un.es s’oppose au mouvement des autres, qui se déplacent dans les ateliers à la manière d’un gigantesque serpent. Un plan fixe fait défiler les visages, peu identifiés, des réfractaires, à la manière d’une marche funèbre.

Le seul moment où les personnages se singularisent est celui qui rassemble, dans la chambre d’un appartement, quelques militants et militantes qui débattent de l’issue de leur mouvement. Les deux espaces du film, l’appartement et l’usine, fonctionnent en effet en miroir inversé : alors que l’usine est sombre et baignée dans des tons froids, le papier peint et la lumière de l’espace intime crée un univers chaud dominé par l’ocre. Le son des machines, seul bruit perceptible sur le lieu de travail, laisse place aux voix humaines qui débattent. Ainsi, l’espace intime semble véritablement celui de l’humanité, de la revanche des êtres humains sur la réification dont ils sont l’objet au travail. La caméra fait quelques plans rapprochés sur les visages, avant de se focaliser à nouveau sur des doigts qui manient la ronéo avec souplesse. Cette scène a quelque chose de La Chinoise, une Chinoise sobre et humble, qui montre sans fioriture les questions qui divisent le monde ouvrier.

L’objet de ce film était de rendre compte de l’atomisation d’un monde ouvrier désenchanté, qui ne parvient plus à s’entendre sur ses revendications et reprend le travail malgré des semaines de mobilisation. L’uniformisation créée par les plans fixes devient cependant polysémique : si elle peut signifier la réification des travailleurs et travailleuses induite par le travail à la chaîne, elle nous montre aussi, par-delà les différences tactiques, un monde qui reste unifié. L’uniformité peut alors céder la place à l’unité.

Une esthétique documentaire

La réalisatrice espagnole Irati Gorostidi Agirretxe avait également réalisé, avec Mirari Echávarri, San Simón 62, un film documentaire sur la retraite de leurs mères dans une communauté new age de Navarre, peu après la mort de Franco. Ce film de vingt-neuf minutes se singularisait également par sa grande précision dans la façon de filmer les gestes. Dans San Simón 62 comme dans Contadores, Irati Gorostidi Agirretxe montre un grand intérêt pour la période de l’après-Franco et pour le genre documentaire. Dans Contadores, en effet, les plans rapprochés sur les mains des ouvriers et les outils qu’ils manient participent d’une impression de film documentaire, comme si la réalisatrice avait mis à jour des archives. De même, des photos de presse de l’époque sont exhibées comme autant de documents qui viennent informer les luttes ouvrières de l’époque. L’image de Ion de Sosa, toute en simplicité, s’inscrit dans ce registre.

Contadores vaut essentiellement pour cette précision et cette opposition entre les espaces intime et public. La sobriété et le refus de l’esthétisation des luttes participent de cette esthétique documentaire, qui nous fait suivre avec attention les débats qui divisent les ouvriers et ouvrières métallurgistes.

Julia Wahl

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I promise you paradise de Morad Mostafa

Morad Mostafa est un réalisateur égyptien dont les trois premiers courts-métrages, What we don’t Know about Mariam (2021), Khadiga (2021) et Ward et la fête du henné ont été sélectionnés à Clermont-Ferrand. Son quatrième film, I promise you paradise, est présenté à la Semaine de la Critique 2023. Fidèle au chemin tracé par ses trois films précédents, Morad Mostafa nous livre ici un court-métrage fort et sobre, aux enjeux sociaux sublimés par la beauté formelle.

Eissa vient d’Afrique subsaharienne. Sans un mot, il sillonne une ville d’Egypte, à la recherche d’une embarcation qui permettra à sa compagne et sa fille de traverser la Méditerranée, promesse d’un avenir meilleur.

Sur cette trame relativement simple, Morad Mostafa nous fait suivre quelques heures du parcours du jeune Eissa. Un parcours semé d’embuches : il se relève tout juste d’une bagarre qui a valu la mort à trois personnes et a à charge un bébé qu’il s’agit de faire traverser la Méditerranée. Pourtant, si le décor multiplie quelque peu les marqueurs de pauvreté – murs qui s’effritent, carcasses de voitures abandonnées… -, le réalisateur évite l’écueil du film au thème éculé, qui ne tiendrait que grâce à son sujet.

Silence et immobilité

La gageure de réussir, à partir d’un tel pitch, un film qui séduit surtout par sa beauté formelle repose en grande partie sur les épaules du personnage et acteur principal Eissa/Kenyi Marcelino. La caméra s’accroche à son visage impassible, qui n’exprime ni doute ni douleur. Le court-métrage débute ainsi par un long plan fixe sur ce visage hiératique, qui aimante avec une belle simplicité le regard du public. Plus loin, son corps se détache des murs qui l’entourent comme s’il sortait de l’image.

Ce hiératisme et cette immobilité traversent finalement tout le film. Alors que l’on aurait pu imaginer fébrile l’attente des migrant.es, nous voyons Eissa et sa compagne on ne peut plus calmes, déterminé.es à accepter ce que le destin leur réserve. De même, la caméra les suit avec tranquillité, quand elle ne se contente pas de capter leur image en longs plans fixes.

Cette stabilité s’articule au silence des personnages : si bande son il y a, Eissa reste coi tout au long du film, et seule l’imagination du spectateur et de la spectatrice permet de lui prêter une intention. Seul parle un prêtre qui lui propose – ou enjoint – de lui confier son enfant. Ce refus des paroles rend ambiguës les actions des personnages, mais surtout ce titre, I promise you paradise : le paradis dont il est question est-il l’Europe ou celui promis par le religieux ?

Contraste et opposition

Si le charisme de l’acteur explique en grande partie l’importance qui lui est accordée, sa présence à l’écran est renforcée par le travail du décor et de la photographie. Celui-ci repose en effet sur une opposition subtile entre les scènes d’intérieur, baignées dans un rouge vermillon, et l’extérieur, où le ciel est d’un bleu soutenu.

Ce travail du contraste, au cœur de l’esthétique de Morad Mostafa, apparaît également au sein d’un même plan : la grotte sombre qui abrite un immense lieu de prières s’ouvre sur un ciel clair et dégagé, quand l’attente des migrant.es sur la plage d’Alexandrie a lieu sur une plage au sable blanc, qui s’oppose au bleu chargé du ciel. Ce travail d’opposition est toutefois toujours subtil, jamais trop prononcé, et apparaît sous nos yeux avec l’évidence de la simplicité.

Ce quatrième court-métrage, plein de promesses, nous engage à suivre de près Morad Mostafa, qui prépare son premier long, Aisha ne s’envolera plus.

Julia Wahl

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I comme I promise you paradise

Fiche technique

Synopsis : Après un violent accident, Eissa, un jeune migrant de 17 ans venu d’Afrique se bat contre la montre en Égypte pour sauver ses proches, peu importe le prix à payer.

Genre : Fiction

Durée : 25′

Pays : Egypte, France, Qatar

Année : 2023

Réalisation : Morad Mostafa

Scénario : Morad Mostafa, Sawsan Yusuf

Image : Moustafa El Kashef

Montage : Mohamed Mamdouh

Son : Moustafa Shaaban

Interprétation : Kenyi Marcellno, Kenzy Mohamed

Production : Bonanza Films, Wrong Films, Film Clinic

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S comme La saison pourpre

Fiche technique

Synopsis : Aux abords d’une mangrove, un groupe de filles vit au rythme du climat et des oies sauvages alentours. Elles s’observent vivre et grandir à des âges différents. Le temps passe, des tensions naissent et des rivalités s’installent.

Réalisation : Clémence Bouchereau

Genre : Animation

Durée : 10′

Année : 2023

Scénario : Clémence Bouchereau

Image : Nadine Buss

Son : Pierre Sauze, Régis Diebold

Montage : Catherine Aladenise

Production : Bandini Films

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La Saison pourpre de Clémence Bouchereau

Le court-métrage de la réalisatrice française Clémence Bouchereau La Saison pourpre, sélectionné à la Semaine de la Critique, est un film animé qui nous fait suivre une bande d’enfants dans la mangrove.

Un écran d’épingles

Clémence Bouchereau aime varier les techniques d’animation. Ses films précédents (Aux Gambettes gourmandes – 2012, Ride away – 2014 et le très beau Chloé Van Herzeele – 2019) reposaient ainsi sur du sable animé. Si, dans Chloé Van Herzeele, l’animation des grains de sable donnait vie à des pellicules de films, le traitement était tout autre dans Aux Gambettes gourmandes, qui nous racontait les fantasmes de deux client.es d’un restaurant, qui imaginaient leur rencontre. La fluidité des corps et des gestes naissaient des mouvements du sable, dont la labilité faisait apparaitre un bras ici, ou un sein là.

La technique du pinscreen, ou « écran d’épingles », que Clémence Bouchereau utilise pour La Saison pourpre, permet la même fluidité des gestes. Le pinscreen est un écran perforé d’épingles qui dépassent plus ou moins. Eclairées obliquement, ces épingles font apparaitre des zones blanches, grises et noires : plus elles dépassent, plus la zone est sombre. La présence des épingles donne toutefois aux parties blanches une impression de tremblé, de surface crayonnée qui participe d’une impression de flou : le blanc complet n’existe pas.

Ainsi en est-il de La Saison pourpre. Le prétexte narratif est simple : une bande d’enfants, menée par une jeune adolescente, survit seule dans la mangrove. Loin de nous embarquer dans un univers misérable, le film nous présente une bande joyeuse, qui chasse les oies à l’aide d’un arc et les mange en riant. Au fil du temps, les enfants grandissent et atteignent également l’âge de la puberté.

En effet, les corps des enfants entament progressivement leur mue vers l’âge adulte : si les premières images nous montrent le pubis de la jeune fille qui mène le groupe, les suivantes nous présentent plutôt des fragments de corps enfantins, tous semblables dans leur candeur. Ce n’est qu’à la fin du film que l’une des enfants aperçoit un liquide noirâtre entre ses jambes : le court-métrage de Clémence Bouchereau a bien quelque chose du récit initiatique.

La dialectique du visible et de l’invisible

Ce fil narratif minimal permet à la réalisatrice de faire montre des possibles esthétiques du pinscreen. Plus que la survie des enfants, c’est en effet cette technique qui semble le sujet principal du film. Aussi les corps des enfants, font-ils, comme dans Aux Gambettes gourmandes, l’objet d’un traitement particulier : un pied apparaît, tandis que le reste du corps se perd dans le gris clair du reste de l’écran ; plus loin, c’est une tête qui surnage seule, comme si son corps avait disparu.

La maîtrise technique de Clémence Bouchereau rend ce jeu sur l’exhibé et le dissimulé très subtil : grâce à un dégradé de gris, la séparation entre le pied visible et le reste invisible est floue, comme si nous étions dans un rêve où le réel reste confus. La fluidité entre les deux univers du visible et de l’invisible a partie liée avec le thème de la puberté, ou le corps évolue sans solution de continuité et où le désir naît de l’évanescent.

Un élément vient toutefois perturber cet univers onirique. Il s’agit là de l’eau, dont la surface, au contraire du camaïeu dû à la technique du pinscreen, crée une nette séparation entre l’humide et le sec. De fait, les enfants plongent et nagent sans cesse dans cette eau transparente, jouant à faire des bulles et à sauter de la rive. Si des traits relativement nets distinguent clairement l’air de l’eau, c’est surtout au son qu’est dévolu le rôle de de la précision.

La netteté des bruitages de Pierre Sauze s’oppose en effet à l’évanescence du dessin. Le bruit des bulles, le cri des oies ou les bourrasques du vent sont ainsi rendus sans confusion, accompagnant clairement ce que l’on voit à l’écran. La bande son s’y résume, puisque les personnages ne parlent pas. Savent-ils parler ou leur vie sauvage les a-t-elle privés de parole ? Nous ne le saurons pas et, en réalité, peu importe : les sourires et les éclats de rire suffisent à transmettre les émotions.

La Saison pourpre vaut essentiellement pour son jeu de dialectique entre le noir et blanc, entre le visible et l’invisible permis par la technique du pinscreen. La peinture de la relation entre la nature et l’humain induite par l’espace et les personnages vaut essentiellement comme prétexte à cette très belle animation. Le court-métrage s’inscrit dans la continuité de Aux Gambettes gourmandes pour son jeu avec l’évanescence.

Julia Wahl

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

C comme Il compleanno di Enrico

Fiche technique

Synopsis : Décembre 1999. Je me souviens que, au milieu de l’angoisse du bug de l’an 2000, je suis allé à l’anniversaire d’Enrico, un enfant qui vivait avec sa famille dans une vieille ferme isolée.

Genre : Fiction

Durée : 17’16’’

Pays : France, Allemagne

Année : 2023

Réalisation : Francesco Sossai

Scénario : Francesco Sossai

Image : Giulia Schelhas

Son : Sebastian Pablo Poloni, Artiom Constantinov

Montage : Francesco Sossai

Musique : Non voglio che Clara

Interpretation : Nicola Cannarella, Matthias Tormen, Denis Fasolo, Elia Luciani, Luisa Trigilla, Livio Pacella

Production : Kidam, DFFB (Académie allemande du film et de la télévision de Berlin)

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Il compleanno di Enrico de Francesco Sossai

Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes de la 76e édition du Festival de Cannes, le court-métrage Il compleanno di Enrico retrace un souvenir d’enfance du réalisateur Francesco Sossai en Italie à la fin des années 90. Tourné en pellicule, ce conte étrange guidé par des regards et des silences se déroule à la fête d’anniversaire d’Enrico à laquelle Francesco est invité. C’est dans cette ferme, dans les montagnes, qu’il est témoin de la disparition de la grand-mère de son ami.

Un trajet en voiture ouvre le film. Francesco, jeune garçon aux cheveux noirs et au visage couvert de taches de rousseur, fait part à son père de sa peur du bug de l’an 2000. Le récit se construit à travers son regard. Francesco observe attentivement tout ce qui l’entoure et nous fait part de l’expérience subjective et sensorielle d’un enfant. Des lors, tout semble prendre des dimensions importantes.

Francesco découvre la famille de son ami et ses dynamiques. Une sensation de malaise est perceptible dès son arrivée. Face aux autres enfants, à l’atmosphère familiale mais aussi face au regard d’Enrico. Le jeune garçon à la longue queue de rat ne semble pas ravi de sa présence et l’ignore sur le terrain de foot. Francesco entretient une relation ambiguë avec lui. Il imite sa coupe devant le miroir mais avoue également le détester alors qu’il joue avec sa nouvelle voiture télécommandée. Cette relation de haine et d’admiration dénote de la contradiction de l’enfance, à la fois sensible et cruelle. Une relation que semble entretenir Enrico avec son propre père, figure inquiétante qui viens interrompre le bruyant chahut des enfants. Les yeux cachés sous sa casquette, il tend simplement un cadeau à son fils, attend qu’il le remercie puis s’en va. Cette figure paternelle participe à un certain malaise présent tout au long du film.

La mise en scène réaliste par sa longueur et ses silences est parfois entrecoupée de cut brutaux – une balle de foot qui tape bruyamment sur un plaque métallique ou un téléphone qui sonne soudainement – brisant ainsi la pesanteur de la narration. Le calme gênant du récit et interrompu par ces images surprenantes et violentes qu’observe Francesco.

L’attention particulière portée sur l’image et le son créée ce point de vue subjectif et donne une impression de gêne et de crainte constante. Les plans statiques et les nombreux hors champ participent à cette atmosphère, comme si un drame allait avoir lieu.

Un noeud tragique se développe en effet, pas entre les enfants ou entre les parents mais autour du personnage de la grand-mère. Créature immobile et ridé qui ne s’exprime que par de plaignants gémissement. C’est après son interaction avec Francesco qu’elle disparaitra. La fête d’anniversaire est écourtée, les enfants s’en vont les uns après les autres et Francesco repart avec son père dans la nuit.

Francesco Sossai nous donne à voir un étrange événement autobiographique dont l’image, au grain marqué, nous reste en tête. Le film de se clôt sur le regard de Francesco, témoin d’une disparition comme celle d’un vieux monde auquel le bug de l’an 2000 viendrait se substituer.

Rose Delafosse

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P comme Pleure pas Gabriel

Fiche technique

Synopsis : Gabriel va mal, le monde va mal, tout va mal. Heureusement, des fois, les âmes en peine s’aimantent. Ainsi Margot embarque dans la nuit de Gabriel.

Genre : Fiction

Durée : 24′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Mathilde Chavanne

Scénario : Mathilde Chavanne

Image : Pauline Doméjean

Son : Valentine Gelin

Montage : Gabriel Gonzalez, Mathilde Chavanne

Musique : Lëstërr

Interprétation : Dimitri Doré, Tiphaine Raffier, Martine Chevallier

Production : Apache Films

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Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne

Présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, Pleure pas Gabriel confronte deux voisins esseulés et déprimés : Gabriel (Dimitri Doré) et sa voisine Margot (Tiphaine Raffier). Mathilde Chavanne, la réalisatrice, avait signé un premier court Simone est partie, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2021.

L’impératif domine dans ce bas monde : pleure pas, lâche pas, maîtrise-toi. Gabriel, lui, ne va pourtant pas bien. Prof d’art plastique, il craque suite à un incident doublé d’une insulte d’un ado nommé Merlin. Son oeil en prend un coup, son moral aussi. Le soir, il avale quelques médocs et appelle les secours. En finir ? Non, pas vraiment. Plutôt mettre de côté sa solitude et attirer l’attention. « Pourquoi je suis tout seul, si seul ? », se met-il à chanter, avant d’être embarqué par les pompiers. Sa voisine du dessous, Margot, le croise à ce moment et l’accompagne, sur un coup de tête, aux urgences. Malgré les étages qui les séparent, ces deux-là se reconnaissent et se comprennent, le temps d’une nuit.

Simone est partie, le film précédent de Mathilde Chavanne abordait déjà la question de la solitude, sous l’angle de la vieillesse : des comédiens s’échangeaient des répliques des grands-parents de la réalisatrice, ils travaillaient leurs voix et leurs corps pour paraître bien plus vieux qu’ils n’étaient. Dans son nouveau film, elle aborde avec justesse, mélodie et humour le thème de la dépression et de la grande solitude avec ses deux comédiens : Tiphaine Raffier, également réalisatrice, auteur et metteur en scène, qu’on avait découvert avec son court La Chanson (Quinzaine des Réalisateurs 2018) et Dimitri Doré (foudroyant dans Bruno Reidal de Vincent Le Port).

On aime bien ce film pour plusieurs raisons. La déambulation dans un Paris nocturne, vide, l’intervention discrète et jolie de Blandine, la grand-mère de Margot (jouée par Martine Chevallier), la douceur et la tendresse du film, son mélange de chansons et de textes, la perception très fine de la solitude et de l’écart avec les autres. « Le monde brûle-t-il ? » apparaît à un moment sur une bannière d’écran télévisé. Peut-être que le monde va mal, mais heureusement, il reste encore quelques espoirs pour le raccommoder.

Katia Bayer

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#TikTokShortFilm à Cannes

Pour la deuxième fois consécutive TikTok s’invite au Festival de Cannes. La plate-forme d’origine chinoise, qui s’est imposée dans le monde entier ces dernières années, ne cache plus son ambition d’atteindre les sphères artistiques. Le concours TikTok Short Film en est l’incarnation ; en partenariat avec le festival cannois, la plateforme met en place un concours en ligne qui récompensera les meilleurs films courts réalisés par les participants.

Le principe est simple, il suffit aux utilisateurs de poster un petit film racontant une histoire, de thème libre, en respectant cependant un format particulier : vidéo vertical, format court de plus d’une minute. Les participants doivent rendre leur contenu public et inscrire le hashtag #TikTokShortFilm dans la description en plus de remplir un formulaire en ligne. Ainsi, depuis janvier des dizaines de vidéos ont fleuri sur la plateforme, relevant de différents genres : horreur, thriller, romance, humour..

Trois prix seront décernés : le prix du « Grand Gagnant », suivi d’un chèque de 10.000 € et les prix secondaires du « Meilleur script » et de la « Meilleur réalisation » accompagnés tous deux d’un chèque de 5.000 €. Les lauréats seront ensuite invités à Cannes pour la cérémonie du TikTok Short Film ce mardi 23 mai. Les jurés devront choisir les gagnants parmi les participants représentant 44 pays dans le monde.

Cette initiative s’inscrit dans une politique de diversification et d’ouverture aux arts que la plate-forme, devenue ultra populaire, affiche depuis 2022 lors de la première édition du Short Film Festival et du lancement de la « TikTok Académie des créateurs » en partenariat avec l’école nationale supérieure Louis Lumière. La plateforme se caractérise justement par sa popularité aux deux sens du terme, son utilisation massive (1.7 milliards d’utilisateurs actifs dans le monde) en fait un média extrêmement puissant, mais qui reste de l’ordre du divertissement fait de manière « artisanale ».

Le rapprochement de TikTok avec le festival de Cannes se fait en même temps que l’annonce des cinéma MK2 de vouloir diffuser certains contenus présents sur YouTube. Il semble que la hache de guerre entre le cinema et les anciens modes de diffusion (salles de cinéma et télévisions) et les nouvelles plateformes (principalement les réseau sociaux et Youtube) soit enterrée et que l’heure soit à la réconciliation et à l’entre aide. Les différents supports ont visiblement choisi la collaboration dans le but d’apporter à l’autre ce qui lui manque: pour certain du crédit et de la reconnaissance et pour d’autre de la visibilité et une vague de fraîcheur.

Au-delà de la querelle des médias le « TikTok Short Film » représente une nouvelle démocratisation de l’art et de l’accès à la création. La plateforme a vraisemblablement l’intention de jouer sur son format court au rythme rapide et aux effets inventifs pour mettre en avant la plus-value d’une création artistique faite à partir de ses moyens. Comme Vine et Youtube avant elle, l’application entend montrer que la création filmique est accessible à tous. Longtemps portée par des initiatives individuelles et cantonnée à la récréation, la création sur TikTok se structure et tente de s’institutionnaliser, comme le démontre la création de sa propre académie et de son festival. Autant de démarches qui font miroiter une possible professionalisation des utilisateurs passionnés et inscrivent TikTok comme possible passerelle vers le 7eme art.

Anouk Ait Ouadda

V comme Via Dolorosa

Fiche technique

Synopsis : Entre toxicomanie, premières découvertes de la sexualité et état de guerre permanent, la cinéaste cherche sa jeunesse perdue en errant dans les rues de Jérusalem.

Durée : 11′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Rachel Gutgarts

Scénario : Einat Gaulan, Rachel Gutgarts

Image : Noam Horowitz, Rachel Gutgarts

Montage : Albane du Plessix

Son : Aviv Stern

Musique : Dunam, Deaf Chonky, Klangfarben

Production : Miyu Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Via Dolorosa de Rachel Gutgarts

Via Dolorosa, c’est le chemin douloureux du Christ qui porte sa croix, mais aussi celui d’une jeune femme qui raconte son adolescence à Jérusalem : une route de souvenirs teintée de gris et de noir. Dans son court-métrage présenté à la 62ème Semaine de la Critique, la réalisatrice israélienne Rachel Gutgarts semble rendre hommage au passé tout en demandant un pardon particulier.

La confusion naît derrière des chuchotements et une image tremblante de lèvres agitées, qui demandent pardon de manière impérative. Au début du film, la distinction entre le passé et le présent est fine. Des personnages grisâtres veulent savoir ce que fait la réalisatrice : un « documentaire » sur sa jeunesse dans la ville.

Tout se mélange, et quand quelqu’un rappelle la mémoire d’un endroit, le spectateur plonge dans la vie de la nuit de Jérusalem il y a quelques années. La mémoire nous enveloppe et on se laisse emporter par la poésie incorrecte de la narratrice, comme lorsqu’elle urine dans les rues de Jérusalem et que nos yeux arrivent jusque sous sa jupe, où sa chatte se transforme progressivement en médaillon représentant la Vierge Marie et son fils.

La réalisatrice, spécialisée en sérigraphie animée, possède une identité graphique forte qui s’imprime dans la tête du spectateur. Cette image, sombre et tremblotante, donne autant l’impression d’archives de vieux films que de la frénésie de la fête. Sur fond de hard metal, motifs hallucinatoires et personnages au mouvement robotique, les drogues et le sexe sont abordés de manière subtile. On voit partiellement l’adolescente, qu’on suit dans la ville grâce à ses mains aux ongles vernis de noir et à la bouche remplie de bagues. L’ado agit, l’adulte parle, malgré l’importance de faire silence soulignée au début du film, ou plutôt celle de « se taire ».

L’animation prend alors l’allure d’un songe, parlant de lui-même sur cette jeunesse perdue et aux griffes de la violence. Rachel Gutgarts semble rendre une sorte d’hommage torturé à sa ville de jeunesse. On plonge dans les mémoires de boîtes de nuit, transports en commun ou encore monuments qui font la gloire de la ville, comme le mur des lamentations, auprès duquel on peut aussi bien pisser qu’arracher les mots coincés dans la pierre.

Rachel Gutgarts n’inscrit pas seulement son action dans la ville, mais dans un contexte politico-religieux violent où les crimes quotidiens sont de plus en plus banalisés. Derrière les prières de rabbins se cachent les discussions entre des jeunes, bastons ou viols marqués d’abord par la surprise, puis le rire de certains. Le silence fait écho aux paroles de la narratrice. Sa recherche du temps perdu pourrait mal se digérer, mais donne la justesse d’un recueil de souvenirs personnels et douloureux. On découvre, à l’image du film, une jeunesse dont la couleur est absente, marquée par la fête et le conflit, ou plus justement l’insouciance et la violence.

Car Via Dolorosa serait à Jérusalem le chemin de la Passion du Christ, on peut imaginer que Rachel Gutgarts prendrait aussi un chemin désolé (celui des souvenirs) pour rendre hommage à sa ville. Le chemin ici est profondément humain, insistant autant sur le pardon que sur la faute (l’erreur de jeunesse), voire le blasphème – une double face donnant toute la profondeur à ce court-métrage .

Amel Argoud

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

M comme Midnight Skin

Fiche technique

Synopsis : Fanny est une jeune infirmière dans un grand hôpital public. Chaque nuit, elle sombre dans le même cauchemar obsessionnel où elle assiste à sa propre métamorphose en arbre. Son quotidien rodé et solitaire vacille à mesure que le rêve empiète sur la réalité.

Genre : Fiction

Durée : 40′

Année : 2023

Pays : Grèce, France

Réalisation : Manolis Mavris

Scénario : Manolis Mavris

Image : Manu Tilinski

Son : Panagiotis Papagiannopoulos, Stelios Koupetoris

Montage : Thodoris Armaos

Interprétation : Romanna Lobach, Katerina Zisoudi, Alexandros Logothetis, Dimitris Kitsos, Grigoris Ballas, Aggeliki Noea, Lida Koutsodaskalou, Konstantinos Samaa, Chara Tzoka

Production : Paraiso Production, Avion Films, Akran Creative Company

Article associé : la critique du film

Midnight Skin de Manolis Mavris

Instant suspendu de la réalité, où s’exercent librement nos fantasmes et les méandres de notre imagination, le sommeil constitue cette porte, ce passage vers un au-delà proche et irréel. Ce voyage est si fragile qu’il s’arrête au moindre clignement de cils. Fanny, l’infirmière protagoniste de Midnight Skin, fait toutes les nuits, le même rêve étrange. Transportée dans une forêt trouble, elle se transforme petit à petit en arbre. L’obsession tourne au cauchemar, le cauchemar en réalité ; à son réveil, ce n’est pas le drap chaud qu’elle retrouve, mais de la terre, des branches et des racines. À ses pieds, dans sa bouche, poussant sur son dos. Présenté à la Semaine de la Critique 2023 en séance spéciale, Midnight Skin est un court-métrage de 40 minutes réalisé par le Grec Manolis Mavris.

Oscillant entre le drame, l’horreur et le fantastique, le réalisateur condense un fait surnaturel (une femme se transformant en arbre) dans une oeuvre organique, anxiogène et poétique. Les violons stridents dans les plans couverts de feuillages nous font douter du caractère inoffensif de ce sommeil dans lequel Fanny se plonge d’abord avec tant de facilité. Hypnotisante, la forêt pénètre en nous par son tronc devenu ventre respirant et par l’angoisse provoquée par la vue de Fanny, désorientée, en pyjama, errant dans les bois. La solitude est un thème se révélant particulièrement frappant dans ce court-métrage ; Fanny est seule, déambulant dans les couloirs de l’hôpital public où elle travaille ou encore dans sa cuisine froide où elle se cloître le soir.

Le tragique provient ainsi de l’impossibilité de se confier, d’être soutenue dans cette inexorable métamorphose qui la contamine de jour en jour. Midnight Skin est un magnifique hommage au genre même du fantastique, dans sa subtile sobriété ; le surgissement de l’extraordinaire dans la banalité d’un quotidien. La tension ne réside pas de la recherche d’une cause rationnelle, mais se creuse progressivement quant à l’incertitude du moment de ce surgissement ; étant infirmière, Fanny est au contact direct et vital avec les patients, alors même qu’elle porte la mort en elle. Et puis le cauchemar commence à contaminer la réalité, dans le lit, dans le corps, face à la table d’opération.

Cette perte d’identité avait déjà été développée dans le court-métrage de Manolis Mavris, Brutalia, Days of Labour, présenté à la Semaine de la Critique 2021. Si l’utilisation de split-screens et d’une voix off contraste avec le silence de Midnight Skin, Brutalia met en scène des jeunes filles travaillant sans relâche telles des abeilles dans une ruche où les liens entre l’organique et le psychique façonnent les thèmes obsessionnels plus tard retrouvés dans Midnight Skin.

Le rythme lent de la narration aggrave ce passage vers cette idée obsédante qui prend racine dans le dos de Fanny, à chaque fois qu’elle s’endort. Le film joue néanmoins sur des enjeux troubles, basculant subtilement dans un récit empreint de poésie dans ces plans de nuit où Fanny erre seule dans les rues festives de la ville ; l’absence de dialogue et la relation étrange entre le corps de Fanny et les éléments organiques environnants nous embarque dans un voyage onirique d’une grande justesse. De la toile menaçante du Cauchemar de Füssli à la Métamorphose de Daphné en laurier narrée par Ovide et sculptée par Bernini, Manolis Mavris rend hommage aux mythes littéraires et picturaux de l’Histoire par un court-métrage fantastique, dans tous les sens du terme.

Mona Affholder

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Cannes 2023

Bien que le festival cannois soit usuellement associé aux paillettes et aux divas de la Croisette, l’évènement qui rassemble chaque année des milliers de festivaliers n’en demeure pas moins un bastion du cinéma français et international. Malgré un élitisme de plus en plus décrié, en s’éloignant un peu du vacarme éblouissant qui entoure le tapis rouge, nous découvrons des sélections qui se soucient de diversité des genres, des identités et des formats cinématographiques.

Le court-métrage est notamment mis à l’honneur dans plusieurs sélections : la Semaine de la Critique, la Quinzaine des cinéastes, la Selection officielle et la Cinef consacrée aux films d’écoles. Ces deux dernières catégories seront évaluées par un jury, présidé par la réalisatrice hongroise Ildikó Enyedi, qui récompensera les projets les plus aboutis ou les plus prometteurs. Car le festival est, au-delà de la consécration professionnelle qu’il représente pour la plupart, aussi un gage de promesse. En effet, beaucoup de réalisateurs.ices repérés par leurs courts reviendront à Cannes avec leurs longs.

Format Court s’intéressera, comme d’habitude, à ces premiers pas en vous délivrant ses coups de coeur parmi les courts-métrages et certains premiers longs présentés dans les différentes sélections.

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Anouk Ait Ouadda

Côté interviews

Fatima Kaci, réalisatrice de La Voix des autres, Prix Lights on Women

Clémence Bouchereau, réalisatrice de La Saison pourpre (France, Semaine de la Critique)

Flóra Anna Buda, réalisatrice de 27, Palme d’or du court-métrage 2023 (France, Hongrie)

Shlomi Elkabetz, réalisateur, comédien, scénariste et producteur israélien, membre du Jury des courts-métrages et de la Cinef

Côté critiques

27 de Flóra Anna Buda, Palme d’or du court-métrage 2023 (France, Hongrie)

Boléro de Nans Laborde-Jourdàa (Queer Palm, Prix Canal + et Découverte Leitz Ciné à la Semaine de la Critique)

La Perra de Carla Melo Gampert (Compétition officielle, Colombie)

As it was d’Anastasiia Solonevych & Damian Kocur (Compétition officielle, Pologne, Ukraine)

Basri and Salma in a Never Ending Comedy de Khozy Rizal (Compétition officielle, Indonésie)

– Wild Summon de Saul Freed et Karni Arieli (Compétition officielle, Royaume-Uni)

The Lee Families de Seo Jeong-mi (La Cinef, Corée du Sud)

Margarethe 89 de Lucas Malbrun (Quinzaine des Cinéastes, France, Allemagne)

– Hole de Hwang Hyein (La Cinef, Corée du Sud)

– Contadores de Irati Gorostidi Agirretxe (Semaine de la Critique, Espagne)

– I promise you paradise de Morad Mostafa (Semaine de la Critique, Egypte, France, Qatar)

La Saison pourpre de Clémence Bouchereau (Semaine de la Critique, France)

Il compleanno di Enrico de Francesco Sossai (Quinzaine des Cinéastes, France, Allemagne)

Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne (Semaine de la Critique, France)

Via Dolorosa de Rachel Gutgarts (Semaine de la Critique, France)

Midnight Skin de Manolis Mavris (Semaine de la Critique, Grèce, France)

Carnet actus

Concours. Reprise des courts de la Semaine de la Critique à la Cinémathèque

– La Palme d’or et la Mention spéciale du court 2023 !

Cannes, les premiers prix du court

#TikTokShortFilm à Cannes

– Cannes 2023, la sélection des courts-métrages et de la Cinef

Quinzaine des Cinéastes, la sélection 2023

Semaine de la Critique, la sélection des courts 2023