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B comme Boro in the Box

Fiche technique

Synopsis : De sa conception épique à sa mort cinématographique, le portrait fantasmé et fictif du cinéaste Walerian Borowczyk (dit Boro). Boro-in-the-Box découvre un monde cruel et obscène, de la Pologne à Paris, au cœur d’un abécédaire fantasmagorique.

Genre : Fiction

Durée : 41’

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Bertrand Mandico

Scénario : Bertrand Mandico

Image : Pascale Granel

Montage : George Cragg, Laure Saint-Marc

Son : Laure Arto

Décors : Benoît Serre, Stéphane Rosenbaum, David Artigala, Laurent Fayard

Musique : Erwan Eyck, Frédéric Acquaviva

Interprétation : Elina Löwensohn, Thierry Benoiton, Jacques Malnou, Elise Hôte, Laure Lapeyre, Benoît Serre.

Voix off : Elina Löwensohn

Production : Parisienne de production

Article associé : la critique du film

Boro in the Box de Bertrand Mandico

« Boro in the Box » de Bertrand Mandico, réalisateur habitué du Festival International de Clermont-Ferrand, fait partie de ces œuvres en compétition nationale qui ne vous laissent pas de marbre. Présenté cette année à la Quinzaine des Réalisateurs, le film nous fait pénétrer dans l’univers surréaliste du cinéaste polonais Walerian Borowczyk, et dresse le portrait de cet homme dans un abécédaire répertoriant les grands thèmes qui ont rythmé sa vie et ont déterminé sa carrière d’artiste. Il est le résultat d’une rencontre entre deux cinéastes, parce que la rencontre réelle n’a jamais eu lieu, il s’agit d’une rencontre cinématographique, fantasmée et d’une sorte d’hommage de la part de Bertrand Mandico. Le récit prend la forme d’un témoignage d’outre-tombe d’un artiste oublié, auquel l’actrice roumaine Elina Löwensohn prête sa voix douce et profonde.

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Boro grandit à l’intérieur d’une boîte avec un simple trou en guise d’ouverture sur le monde extérieur. Enfermé dans un corps, lui-même emprisonné dans un cocon familial, le jeune homme n’est d’abord qu’un témoin passif des vices d’une famille aux mœurs douteuses, avant de quitter cet univers asphyxiant et de s’exercer comme créateur, non plus en Pologne mais en France. Se forgeant un regard conditionné par le format de sa boîte, un regard limité par un cadre, Boro semblait destiné à ne voir le monde qu’à travers l’œil d’une caméra. Ne pouvant s’échapper, celui-ci déclare avoir d’abord voulu explorer l’intérieur des choses, et cette boîte semble jouer le rôle d’une caméra qui permet à Boro de s’épanouir, ne faisant plus qu’un avec l’objet, pénétrant ainsi dans les entrailles du cinéma, captant une société à l’écart du monde.

Portrait d’un cinéaste exilé, « Boro in the Box » dépeint une Pologne désolée, terre d’aliénation. La boîte dans laquelle naît et meurt le narrateur est une métaphore qui sert à évoquer l’enfermement et le conditionnement du regard pour l’artiste polonais. Bertrand Mandico allie le fond à la forme, utilisant le découpage sous forme d’abécédaire pour mieux enfermer le récit dans une structure rigide, faisant écho au personnage enfermé dans sa boîte. Filmé en noir et blanc, le film revendique une certaine authenticité tout en ayant recours à des procédés modernes, notamment lorsqu’il s’agit des mouvements de caméra ou de la bande-son, un échantillonnage qui réunit divers sons évoquant plus une Pologne fantasmée qu’une Pologne réelle.

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Le film développe un regard à la recherche d’une essence, explore l’univers visqueux et humide du corps humain, qui laisse s’échapper toutes sortes de fluides comme la salive du père, le lait de la mère, toutes sortes de sécrétions comme les « larmes salées » du grand-père, ou celles de la femme désirée et le sang de Boro lui-même. L’accumulation de gros plans sur les visages qui semblent marqués par la souffrance révèle une recherche de profondeur. On questionne le regard des hommes, figures de l’autorité, afin de découvrir ce qui se cache derrière leur apparente bestialité.

Le corps est au centre de cette œuvre qui provoque à tour de rôle le rire et le dégoût. « Boro in the Box » est un film de contrastes. La bestialité et la poésie se côtoient ici dans une valse par laquelle on se laisse porter, mais qui parfois dérange. Les corps violentés s’affrontent, s’accouplent, et ne font plus qu’un avec l’animal. La perversité des figures paternelles, l’allusion aux attouchements, le voyeurisme, sont finalement réutilisés sous une forme poétique par celui qui, d’abord victime, recherche sa propre jouissance dans l’exploration des corps et redonne une certaine dignité à la femme ; la mère et la muse.

Cependant, le contraste le plus frappant est celui qui confronte les images, la bande-son et le discours de la voix-off. Les paroles du narrateur sont bien souvent empreintes de joie et de naïveté, reflétant le regard innocent de l’enfant sur les adultes qui l’entoure, et viennent contredire des images parfois violentes. Bertrand Mandico nous montre avec subtilité que dans un pays où le discours officiel et les faits s’opposent, il faut garder les yeux bien ouverts et les sens en éveil.

Il n’y a pas de dialogues dans « Boro in the Box », mais cette absence est comblée par la présence d’une bande-son très soignée, mêlée d’extraits de discours en polonais, de chants traditionnels, de riffs de guitares tonitruants, d’une musique sombre et angoissante et de toutes sortes de bruits. Cette bande-son, évoquant la noirceur et la souffrance, prend elle aussi à contre-pied le discours du narrateur, jusqu’à ce que le déclin de sa carrière et la mélancolie s’emparent de lui, faisant ainsi se rejoindre le discours, la musique et les images, bouclant ainsi le récit de Walerian Borowczyk.

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« Boro in the box » révèle la maîtrise de son réalisateur qui dresse un portrait à la fois fascinant et dérangeant d’un artiste méconnu. En 2008, Bertrand Mandico, influencé par le cinéma de l’Est, plus particulièrement le cinéma tchèque, a travaillé sur l’œuvre de Walerian Borowczyk dans le cadre de l’exposition organisée à Varsovie en l’honneur du cinéaste disparu en 2006. Lors de cette exposition, la totalité des films et travaux plastiques de Borowczyk ont été présentés en Pologne pour la première fois. Le parallèle entre les carrières de Borowczyk et Mandico, qui se sont tout deux exercés dans l’animation, le cinéma expérimental, la recherche graphique et une esthétique surréaliste, est frappant, et fait de « Boro in the Box » une œuvre extrêmement riche et très personnelle.

Le travail de Bertrand Mandico relève très certainement d’une forme de fascination pour le cinéaste disparu, qu’il parvient à nous transmettre avec succès. C’est dans l’histoire d’un homme, de sa naissance à sa mort, que l’on traverse de A à Z, à travers des mots comme « bestialité », « enfermé », « jouir », « Kafka », « lanterne magique » ou « pornographie », que le film prend toute son ampleur. On est partagé entre la perplexité, l’incompréhension et la fascination, des réactions propres aux œuvres surréalistes. Ce qui fait la force de « Boro in the Box » c’est sa nature profondément poétique, d’une beauté indéniable, à partir de faits, comme le viol, les attouchements, la guerre ou la censure qui, eux, relèvent plutôt de l’horreur et de la souffrance.

Agathe Demanneville

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C comme las camas solas

Fiche technique

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Synopsis : En prévision de l’arrivée d’un ouragan, un immeuble de la Havane est évacué : les habitants quittent les lieux en ne laissant que les lits derrière eux.

Réalisation : Sandra Gómez Jimenez

Scénario : Sandra Gómez Jimenez

Texte : Rolando Colla

Genre : Documentaire

Durée : 14’

Année : 2006

Pays : Suisse, Cuba

Image : Sandra Gómez Jimenez

Montage : Rolando Colla

Mixage son : Gregor Rosenberger et Michael Schwarz

Musique : Roberto Perdomo et Elena Pedrazzolli

Chant et voix off : Beatriz López

Production : Peacock Film

Article associé : la critique du film

T comme Tierra roja

Fiche technique

Synopsis : Petit portrait d’une femme latine émigrée en Europe.

Réalisation : Heidi Hassan

Scénario : Heidi Hassan

Texte : Heidi Hassan

Genre : Fiction

Durée : 18’

Année : 2007

Pays : Suisse

Image : Gregory Bindschedler

Son : Cédric Fluckiger

Montage : Heidi Hassan

Mixage son : Adrien Kessler

Voix : Heidi Hassan

Production : HEAD (Genève)

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P comme Pucha vida

Fiche technique

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Synopsis : Pucha est une révolutionnaire exemplaire ; elle mène une vie heureuse, dans un décor qu’elle a elle-même aménagé, et chaque chose qu’elle possède a sa place dans l’univers qui est le sien. Néanmoins, il y a conflit entre ses idéaux et la réalité. Sa petite-fille adorée est partie vivre dans le pays de l’ennemi et a changé de nationalité.

Réalisation : Nazly López Díaz

Scénario : Nazly López Díaz

Genre : Documentaire

Durée : 12’

Année : 2007

Pays : Cuba

Image : Nazly López Díaz

Son : Nazly López Díaz et Diego A. Mondaca

Montage : Fabricio Deza

Mixage son : José Romel Tuñón

Musique : Rafael Cavalcanti

Production : EICTV

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F comme El futuro es hoy

Fiche technique

Synopsis : La vie à la Havane, une espèce d’attente. Sept personnages qui fréquentent l’esplanade du Malecon s’expriment, de manière complémentaire et contradictoire. Ils vivent dans l’attente d’un avenir – certains voudraient que les choses continuent comme elles sont ; d’autres rêvent de changement.

Réalisation : Sandra Gómez Jimenez

Scénario : Sandra Gómez Jimenez

Genre : Documentaire

Durée : 35’

Année : 2009

Pays : Suisse, Cuba

Image : Sandra Gómez Jimenez

Son : Alban Henriquez Hernandez

Montage : Rolando Colla

Montage son : Michael Schwarz

Production : Peacock Film

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V comme 20 años

Fiche technique

Synopsis : Une femme, dont l’amour pour son mari a résisté à vingt ans d’indifférence et de mépris, va tenter l’impossible pour attirer de nouveau l’attention de ce dernier.

Réalisation : Barbaro Joel Ortiz

Scénario : Barbaro Joel Ortiz

Genre : Animation

Durée : 14’42’’

Année : 2009

Pays : Cuba

Image : Barbaro Joel Ortiz

Animation : Barbaro Joel Ortiz

Montage : Alain Garcia

Musique : Harold López-Nussa

Voix : Omara Portuondo

Production : ICAIC

Article associé : la critique du film

O comme Oda a la piña

Fiche technique

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Synopsis : Parodie musicale du poème « Oda a la Piña », une œuvre qui a forgé l’identité culturelle cubaine. L’histoire d’une danseuse de cabaret qui perd soudain le rythme.

Réalisation : Laimir Fano Villaescusa

Scénario : Laimir Fano Villaescusa

Genre : Fiction

Durée : 10’

Année : 2008

Pays : Cuba

Image : Alvaro Rodriguez

Son : Marco Toledo

Montage : Aldo Álvarez

Musique : Elvira Peña

Interprètes : Verónica Díaz , Mario Guerra Ferrera , José Antonio Rodriguez , Limara Menezes

Production : EICTV

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P comme The Pub

Fiche technique

Synopsis : Un jour dans la vie d’un pub du nord de Londres.

Année : 2012

Durée : 6’50 »

Genre : Animation

Pays : Royaume-Uni

Réalisation : Joseph Pierce

Animation : Joseph Pierce

Scénario : Joseph Pierce

Image : Vanessa Whyte

Son : Dominic Fitzgerald

Montage : Robbie Morrison

Interprétation : Jonathan Jaynes, Danny Kirrane, Aneta Piotrowska, Nick Haverson

Production : 59 Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

The Pub de Joseph Pierce

Le Britannique Joseph Pierce est de retour avec son dernier court, fraîchement sorti du four et déjà candidat pour le très recherché trophée du Labo à Clermont Ferrand. Après Stand Up et A Family Portrait, le roi de la rotoscopie nous livre The Pub, une vision grotesque, glauque et, il faut croire, réaliste de la scène nocturne londonienne au travers du portrait d’une jeune patronne de bistrot d’origine étrangère.

Le style de Joseph Pierce est désormais d’emblée reconnaissable. Son principal charme réside dans la capacité du réalisateur à mélanger inextricablement dessins et live action, non pas par opposition ou par juxtaposition, mais en fusionnant les deux couches de manière interactive et en dépassant les limites de cette ingénieuse technique d’animation par rotoscopie.

Le récit tourne autour d’une soirée typique dans un pub, pendant laquelle la jeune patronne a droit à toutes sortes de clients : ivrognes (d’office), grossiers, niais, lourdingues et même violents. S’ensuit alors frénétiquement une flopée d’incidents anecdotiques mais peu agréables pour la protagoniste. Encore une fois chez l’animateur anglais, forme et fond se rencontrent intelligemment. L’image joue un rôle à la fois esthétique et narratif, le dessin semble avoir une vie autonome, il gicle, s’élance, tremblote. Aussi rythmé que le sujet, il exprime subrepticement l’état psychologique des personnages indépendamment de l’action. Aux côtés de l’évident, surgit le non-dit : la signature d’un accusé de réception destiné à un livreur qui drague l’héroïne indique « pas intéressée », les faces ridées des habitués du bar se transforment en racines, les clients difficiles prennent des formes bestiales. Cette manière inimitable de narrer indirectement se confirme bel et bien être une caractéristique du jeune auteur.

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En ce qui concerne le contenu, Pierce réussit à réunir en quelques sept minutes une multitude de thèmes, privilégiant la suggestion à la description explicite. Monde mafieux, harcèlement moral, xénophobie : le scénario ambitieux est riche en matière sans être surchargé. Le côté plausible du récit quasi documentaire y est sans doute pour beaucoup, malgré le fait qu’il s’agit entièrement d’une mise en scène.

Avec un regard perspicace sur la société britannique et un travail formel remarquable qui s’affine au fil de ses films, Pierce s’affirme indubitablement comme une personnalité importante dans le milieu de l’animation internationale. Véritable délice, The Pub semble être embarqué, comme ses ancêtres, dans la joyeuse tournée des festivals.

Adi Chesson

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Soy Cuba

À Clermont-Ferrand en ce mois de février, aux côtés des traditionnelles compétitions nationale, internationale et Labo, l’amateur du format court peut également profiter des nombreuses sections parallèles proposées par le festival auvergnat. Cette année, le Panorama offre, entre autres, une jolie vue sur l’archipel cubain avec « Hoy Cuba », une programmation de pas moins d’une quarantaine de courts métrages contemporains.

Des jeunes artistes posent un regard personnel, audacieux et parfois cynique sur leur pays et leur époque. Alors que Cuba comptabilise 50 ans d’embargo américain, que Fidel Castro, figure emblématique de la Révolution, a confié le pouvoir à son frère Raúl, l’heure est à la transition. Voyage en six courts à travers un cinéma ambitieux.

Las Camas solas de Sandra Gómez

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En même pas deux films, la jeune Sandra Gómez, diplômée de l’EICTV (Escuela Internacional de cine, televisión y video) de San Antonio de los Baños dans la section Image, s’est imposée sur la scène du documentaire cubain, dès « Las Camas solas », son premier film. La vidéaste affiche un goût pour un montage sensible et poétique qui suggère plus qu’il n’explique. A la Havane, à deux pas du Capitole, il existe des constructions aux fissures apparentes qui abritent des familles aux revenus modestes. A l’approche de cyclones dangereux, les habitants des ces fragiles édifices sont obligés de déménager, le temps que passe la tempête. Et tels des escargots, on les voit transporter leur frigo ou encore leur télévision pour ne laisser que les lits (d’où le titre : les lits seuls). La réalisatrice les écoute, les filme chez eux et les comprend. Elle laisse ainsi transparaître la compassion qu’elle ressent pour ces hommes et ces femmes condamnés à l’incertitude. Composé d’images empruntes d’un certain lyrisme et de témoignages sensibles et filmé dans un lieu un peu hors du temps, ce premier film multi primé évoque l’espoir d’une vie meilleure, récurrence dans le cinéma cubain contemporain.

Tierra roja de Heidi Hassan

L’originalité du film de Heidi Hassan est de mettre en place un dispositif documentaire pour raconter un récit fictionnel. Avec « Tierra roja » on s’immerge dans le quotidien d’une immigrée cubaine à Genève. En rapprochant le factuel (images objectives de l’héroïne au travail, dans la rue, avec ses amis) de l’émotionnel (les lettres lues à haute voix que la protagoniste envoie à sa famille, le monologue intérieur, ses considérations sur sa condition d’étrangère), la réalisatrice arrive à nous faire vivre l’immigration. On se retrouve dans la tête du personnage qui se demande pourquoi il faut payer si cher le prix de l’envie d’une condition plus acceptable. Elle se rend également compte que malgré les efforts fournis pour effacer les différences entre elle et les autres autochtones, elle restera toujours à l’extérieur du monde qu’elle convoite, parce qu’elle ne se pose pas les mêmes questions aux moments opportuns, parce que le souvenir et la nostalgie l’emportent sur les raisons économiques, parce que le manque de la famille se cache derrière le sourire docile, parce que « ses sujets de conversation sont restés là-bas », à Cuba. Très justement, la réalisatrice nous fait prendre conscience de la précarité du statut d‘immigré.

Pucha vida de Nazly López

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A San Pablo de Yao, dans la Province de Granma vit Rogelia Gómez, alias Pucha, une octogénaire habitée par l’idéal révolutionnaire de Fidel. Le film de Nazly López est un témoignage touchant qui tente d’esquisser le portrait d’une personne qui a toujours vécu pour ses idées. Encore pleine de vie et d’enthousiasme malgré son âge avancé, Pucha demeure seule depuis le décès de son mari dans une maison construite de leurs propres mains. Elle vit principalement de culture et d’élevage. Et même si elle ne possède presque rien, elle se considère millionnaire avec Fidel Castro au pouvoir. Loyauté, patriotisme et courage sont les valeurs qui animent cet être lumineux dont la douleur principale est la décision de sa petite-fille de partir vivre aux Etats-Unis et de prendre la nationalité de son mari italien. Ainsi, la réalisatrice montre deux facettes de Cuba, la vieille génération, ancrée et fidèle aux idées de Castro et la jeune qui préfère aller tenter sa chance extra-muros pour accéder à une vie plus confortable.

Oda a la Piña de Laimir Fano Villaescusa

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Avant d’être un court métrage de Laimir Fano Villaescusa, « Oda a la Piña » est un célèbre poème lyrique de Manuel de Zequeira y Arango qui vante les qualités de Cuba, de sa nature et de son fruit emblématique, l’ananas. Romantique à souhait, le poète et sa poésie participent du mouvement de « cubanisation » qu’a connu le pays vers la seconde moitié du 19ème siècle. Villaescusa met en perspective la lecture en voix off d’extraits significatifs de ce texte fondateur avec une fiction qui met en scène une danseuse qui ferait tout pour vivre décemment et être reconnue. L’effet de contrepoint est garanti. Les premières images montrent la jeune fille en tenue digne du Crazy Horse, arborant un ananas en guise de coiffure (la piña c’est elle). Dans sa cuisine, en préparant le petit-déjeuner pour sa famille, elle répète des pas de danse. En un contraste symbolique, le cinéaste démontre en un clin d’œil ironique les splendeurs et la misère du peuple cubain. Alors que l’étoile file à une audition, elle se retrouve au milieu de dizaines d’autres filles qui rêvent de la même chose qu’elle et quand le chorégraphe la corrige et l’humilie devant tout le monde lui demandant où est passé son rythme, à elle de répondre qu’elle l’a perdu et de s’enfuir à travers une Havane agitée. Les plans larges qui suivent noient la « star » dans la banalité de la réalité, et la cadence tant convoitée se retrouve dans la rue, lieu où se niche le vrai rythme de Cuba, semble nous confesser ce diplômé de l’EICTV. Les derniers vers de la poésie (« La Pompa de mí patria » qui pourraient se traduire comme « la fierté de mon pays ») viennent achever l’ananas qui s’effondre au milieu d’une foule dansante. Insolent et provocateur, « Oda a la Piña » appelle les clichés pour mieux les démonter.

20 años de Bárbaro Joel Ortiz

Dans un tout autre registre, l’animation de Bárbaro Joel Ortiz, premier prix à un concours de scénario et sélectionné au Festival Anima en 2011, décline joliment le thème de l’amour qui s’effrite au fil du temps. 20 ans de vie commune et une indifférence qui s’installe. La femme se rend compte qu’après toutes ces années, elle n’est utile qu’à servir sa moitié. Elle fera tout son possible pour se faire remarquer de celui qu’elle a épousé des années plus tôt. La chanson « 20 años » interprétée par Maria Teresa Vera et Lorenzo Hierrezuelo fait ressentir toute la nostalgie que peuvent engorger deux décennies de vie conjugale. Les prouesses techniques, l’animation des poupées, la musique font de ce film un petit bijou du genre qui pourrait, sans doute se regarder comme la métaphore du déclin d’un certain idéal cubain.

El futuro es hoy de Sandra Gómez

On le disait au début de ce reportage, Sandra Gómez est un phénomène. Avec « El futuro es hoy », son deuxième film documentaire, elle confirme ses talents de réalisatrice et son intérêt pour le réel. Avec son titre oxymorique (« le futur, c’est aujourd’hui »), le film pourrait être en quelque sorte le revers documentaire de l’enthousiaste fiction, « Ça commence aujourd’hui » de Bertrand Tavernier. La documentariste livre un film choral qui présente le quotidien de quelques personnes qui vivent aux abords du Malecón, le front de mer le plus célèbre de Cuba. Film de montage où Gómez balaie 7 témoignages : du pêcheur à l’écrivain dissident en passant par la jeune gothique et l’ancienne couturière clamant les bienfaits du régime socialiste, « El futuro es hoy » rend surtout compte de la réalité cubaine, celle d’hommes et de femmes, toutes générations confondues, d’origine socio-économique variée, incapables de concevoir leur avenir ni celui de leur pays. A ce manque de projection répondent des attitudes de fuites hédonistes, de refuges épicuriens pour éviter de penser à demain. Entre la croyance en un système désuet et la volonté d’ériger des libertés individuelles, les Cubains vivent un moment de transition qui ne peut se faire sans douleurs ni victimes. Et lorsque la cinéaste s’éloigne des gens, c’est toujours vers la mer qu’elle se dirige, espoir d’un ailleurs heureux et belle geôlière, c’est vers elle que sont adressés les espoirs les plus fous, les désirs les plus inavoués. Et quand sur les murs de la ville on peut lire « Patria o Muerte » aux côtés d’autres citations du leader de la Révolution de 1959, on est à même de questionner le futur d’un pays encore tellement figé dans son passé. « Así eres, Cuba ».

Marie Bergeret

Consultez les fiches techniques de Las camas solas, Tierra roja, Pucha vida, El futuro es hoy, 20 años et Oda a la piña

Scenes from the Suburbs (V2) de Spike Jonze

Fragments d’une métamorphose

La fine fleur du clip est réunie cette année dans la sélection “Décibels” du 34e Festival de Clermont Ferrand. Parmi les heureux élus, on note la présence de « The Shrine / An Argument » (Fleet Foxes) réalisé par Sean Pecknold, « Cecelia & Her Selfhood » (Villagers) réalisé par Adrien Merigeau, de « The bench » (Sissi Lewis Kitty) réalisé par Crowther et Bruno Salamone, mais aussi de « Oofplane //Selekt the machine » (Dj Oof) réalisé par Frédéric Jaîs Elalouf.

Ce programme comporte également un film déjà présenté l’année dernière au Festival de Berlin, « Scenes from the Suburbs » de Spike Jonze (qui avait déjà fait l’objet d’une critique). En voici, près d’un an plus tard, une V2, à l’occasion de la projection du film en France et de la disponibilité du film en ligne.

Bercé par la musique du groupe canadien “Arcade Fire”, ce court métrage aux faux airs de clip vidéo explore les souvenirs éparses de l’adolescence d’un jeune homme, Kyle, sur le point de passer à l’âge dit “adulte”.

Après “Where the Wild Things Are”, Spike Jonze poursuit ici son étude de l’enfance et de l’adolescence en nous livrant une oeuvre sincère, forte et subtile. Il réussit à créer une profonde osmose entre la musique (c’est à dire l’album “The Suburbs” de Arcade Fire) et les images, nous faisant entrer dans le quotidien et l’intimité d’adolescents d’une banlieue pavillonnaire. Cette alchimie s’explique en partie par le fait que deux des membres de Arcade Fire, Will & Win Butler ont participé avec le réalisateur à l’écriture du scénario. Pour la petite histoire, les frères Butler ont eux mêmes grandi dans la banlieue de Houston au Texas et reconnaissent volontiers avoir puisé dans leurs souvenirs d’enfance pour écrire cette histoire.

L’image de la banlieue proprette est immédiatement contrebalancée par l’utilisation du format d’image Scope qui donne une ampleur et une beauté habituellement inappropriée à ce genre de décor, le format “CinemaScope” étant en effet habituellement utilisé au cinéma pour filmer les grandes étendues et notamment les westerns.

En quelques plans, le réalisateur de “Being John Malkovich” se joue de “l’image d’Épinal” qui colle aux banlieues américaines et installe une menace peu ordinaire dans ce genre de lieu : un climat de guerre urbaine. Ce choix scénaristique permet d’inscrire le récit dans une atmosphère inquiétante à double titre : d’une part, la tension évidente liée à la présence de soldats cagoulés et armés au beau milieu de maisons résidentielles aux façades fleuries et ensoleillées; d’autre part le trouble intérieur et latent ressenti par un adolescent qui voit terminer son enfance et commencer sa vie d’adulte.

Les adultes n’apparaissent d’ailleurs pas ici sous leur meilleur jour : ceux que l’on peut voir sont soit des policiers en faction soit des soldats violents (y compris le grand frère de Winter, en permission). Les seuls adultes civils que l’on peut apercevoir quelques instants sont mise en joue par les soldats, l’un d’entre eux est même abattu sans sommassion. Au beau milieu de ce climat de guerre civile, les adolescents semblent finalement être les seuls à conserver le goût de la vie.

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Le film se construit sur le postulat énoncé par la voix off de Kyle dans les premiers instants du film : « When I think back about that summer, I don’t think much about the army. There was always some sort of conflict going on (…) So now, what I really try and think about are my friends from back then. (…) I wish I coud remember every little moment. But I can’t. »/ « Quand je me rappelle de cet été, ce n’est pas à l’armée que je pense. Il y avait toujours de la tension dans l’air (…) Ce que j’essaye maintenant de faire c’est d’essayer de me souvenir de mes amis (…) J’aimerai pouvoir me souvenir de chaque instant. Mais je ne peux pas ».

“Scenes from the suburbs” s’articule autour d’instants rescapés de la mémoire de Kyle, pleins d’ellipses et d’impressions furtives. Une des réussites du film réside dans son aptitude à retranscrire avec authenticité et justesse le ressenti d’un petit groupe d’adolescents. Refusant d’idolâtrer l’adolescence, Spike Jonze parvient à trouver le ton juste chez ses jeunes comédiens et à maintenir l’équilibre fragile entre vague à l’âme et effervescence.

Julien Beaunay

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Actu associée : Décibels/la programmation des clips en ligne !

Le Songe de Poliphile de Camille Henrot

En 2010, le Centre Pompidou a eu la judicieuse idée d’envoyer des artistes français en Inde en leur donnant carte blanche pour revenir avec leur vision forcément singulière de ce gigantesque pays, finalement encore assez méconnu par l’Occident. Les œuvres réalisées ont donné lieu à une exposition – couronnée de succès – baptisée Paris-Delhi-Bombay à Beaubourg au printemps 2011.

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Camille Henrot, jeune artiste protéiforme, a fait le voyage – son premier en Inde – et a imaginé un film comme un tunnel souterrain entre l’Orient et l’Occident. Il a été présenté en mai à la Quinzaine des Réalisateurs, en juillet à Paris Cinéma et le voici arrivé au labo de Clermont. Car oui, il s’agit bien d’un film dit « expérimental », de ce terme un peu vague dont on retiendra surtout l’expérience du spectateur face à cette œuvre courte, tendue et fiévreuse. Rythmé par la musique sur mesure de Joakim, c’est le genre de film qui vous hypnotise et ne vous lâche pas.

Le choix qu’à fait la cinéaste pour raconter son Inde a été de partir de ses propres idées reçues et de la sensation de peur et d’étrangeté que lui inspirait ce territoire construit sur un imaginaire tout particulier, celui de la traditionnelle opposition Orient /Occident. Pourtant, le film aborde le sujet par le biais de ce qui rapproche ces deux cercles si différents en apparence.

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A travers le motif du serpent, propre aux deux cultures, Camille Henrot tisse habilement un lien entre l’Inde et l’Europe. A la fois symbole prophylactique et danger réel, l’animal est ici montré sous toutes ses formes, réelles et (ré)inventées. Du serpent du « Livre de la jungle » à celui accroché à la croix du pharmacien en passant par ses multiples représentations dans la peinture ou la sculpture, il apparait comme omniprésent, incarnant à la fois la mort et la survie. Outre la musique, le film tire également sa force de fascination d’un montage d’images très efficace -qui joue quasiment sur un effet de persistance rétinienne- les unes venant se superposer aux suivantes, accumulation de symboles religieux, médicaux ou simplement sauvages qui forment un tout étrange et cohérent. L’image d’un homme sortant la tête d’une tombe qu’il était en train de creuser achève le sort qui nous est jeté.

Dans « Le songe de Poliphile » rédigé en 1467, Poliphile s’endort au pied d’un arbre au cœur d’une forêt obscure et se retrouve transporté en songe dans un monde merveilleux, jonché de débris antiques et où il rencontre monstres, déesses, allégories et faunes. Camille Henrot aurait pu être une Poliphile du 21e siècle tant son rêve filmé nous emporte avec elle.

Amaury Augé

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S comme Le Songe de Poliphile

Fiche technique

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Synopsis : Comme une enquête inspirée par cette proposition de Karl Jung: l’Inde est «un pays comme celui des rêves»; énoncée également par le psychanalyste indien Sudhir Kakar: «L’Inde est l’inconscient de l’Occident». Le film tresse la relation entre des séquences d’activités humaines (un pèlerinage, la fabrication d’un anxiolytique, l’extraction du venin des serpents), toutes liées à des stratégies de défense de l’homme contre la peur.

Genre : Expérimental

Durée : 10 min

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Camille Henrot

Image : William O Callaghan, Camille Henrot

Montage : Yann Chapotel

Son : Joakim

Musique : Joakim

Production : Mahajara films

Article associé : la critique du film

Les courts métrages nominés aux César 2012

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Ce vendredi, l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a dévoilé les films nominés pour les César 2012 dont la cérémonie se déroulera le vendredi 24 février 2012.

Comme l’année dernière, le César du meilleur film d’animation sera attribué à un film sans tenir compte de sa durée, puisque sont nommés dans cette catégorie 2 courts métrages et 3 longs métrages.



Les nominations pour le Meilleur film de court métrage

L’ACCORDEUR réalisé par Olivier Treiner produit par Thibault Gast, Matthias Weber

LA FRANCE QUI SE LÈVE TÔT réalisé par Hugo Chesnard produit par Pierre-François Bernet, Pauline Seigland

J’AURAIS PU ÊTRE UNE PUTE réalisé par Baya Kasmi produit par Antoine Gandaubert

JE POURRAIS ÊTRE VOTRE GRAND-MÈRE réalisé par Bernard Tanguy produit par Bernard Tanguy, Benoît Blanchard

UN MONDE SANS FEMMES réalisé par Guillaume Brac produit par Maya Haffar, Guillaume Brac, Nicolas Nonon

Meilleur film d’animation :

LE CHAT DU RABBIN réalisé par Joann Sfar, Antoine Delesvaux produit par Antoine Delesvaux

LE CIRQUE réalisé par Nicolas Brault produit par Pascal Le Nôtre

LA QUEUE DE LA SOURIS réalisé par Benjamin Renner produit par Annick Teninge

LE TABLEAU réalisé par Jean-François Laguionie produit par Armelle Glorennec, Eric Jacquot

UN MONSTRE A PARIS réalisé par Bibo Bergeron produit par Luc Besson

In Loving Memory de Jacky Goldberg

Présenté en compétition nationale au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (programme F6), le quatrième court métrage de Jacky Goldberg ouvre une fenêtre très personnelle sur un thème cher au cinéma : la mémoire.

« In Loving Memory » est un titre comme un hommage sans adresse, dans une version anglaise qui sonne, et résonne sans doute plus que sa traduction dans la langue de Molière. « In Loving Memory » est un film sur le souvenir, la filiation et le manque.

Les neuf minutes du court métrage suffisent à transporter les spectateurs dans l’univers de Jacky Goldberg. Entre images pop, tournées en super huit, symboles d’une période inspirante (les sixties) et voix off féminine anglophone, on retrouve ici tout l’imaginaire du réalisateur déjà esquissé dans son précédent film « Far from Manhattan ». D’ailleurs, les deux films semblent se répondre aussi bien formellement que dans leur contenu. L’image d’une femme fragile en quête de sa vie, un rôle délicieusement incarné par la comédienne Cassandre Ortiz dans les deux films, ainsi que la figure du héros/monstre enfermé dans une armure/carapace sont deux récurrences qui suggèrent, si ce n’est la construction figée d’un diptyque, un travail dans la continuité, une recherche thématique autour de l’accomplissement personnel.

L’oubli et le souvenir

Dans la première partie du film, la narratrice raconte, avec une certaine résignation, l’Evènement fondateur de son histoire, un évènement qui fait partie de ceux qui construisent un caractère et déterminent une personnalité. Il s’agit ici d’un « accident » dont on ne saura guère plus, ni la cause ni le contexte. En revanche, ce moment marque tragiquement et radicalement la fin d’une époque, celle du bonheur familial, celle des images de vacances et de liesse qui défilent à l’écran. La narratrice évoque ainsi comment sa mère a dû faire un choix irrévocable qui l’a conduite à effacer littéralement de sa mémoire sa vie d’avant l’Evènement. Une table rase nécessaire qui inclue inévitablement le souvenir de sa famille et donc de sa fille.

Dans la seconde partie du film, la narratrice replace le récit en fonction de son propre ressenti, celui d’une fille oubliée, effacée, anéantie de la mémoire de sa mère. Le désenchantement dans sa voix se fait plus présent même si le texte dit toute sa volonté à retrouver une place dans le cerveau d’une mère amputée d’une partie de réalité.

La magie du sensible

Cinéphile averti et cinéaste inspiré, Jacky Goldberg prend le parti d’une réalisation sensible qui ne bouscule pas. Ici, rien de brusque ou de vif, les tons sont doux tant dans les images que dans la voix-off en anglais, calme et mélodique. Le spectateur entre dans un monde qui a quelque chose de flottant, qui semble osciller entre un temps révolu et un espace moderne.

En utilisant le super 8, Jacky Goldberg joue sur les sentiments provoqués par des images appartenant au passé. Elles sont ici les traces d’un temps heureux mais révolu et provoquent inévitablement une certaine nostalgie. Evoquer visuellement la parenthèse enchantée des années soixante et opposer auditivement celle-ci à une modernité plus douloureuse, via la voix-off, permet au réalisateur de faire résonner le monde fini et le monde réel. Techniquement, la perméabilité d’un espace sur l’autre est retranscrite par l’usage du datamoshing. Les images se superposent, s’entrelacent comme pour combler les trous dans la mémoire de la mère. Le processus d’oubli est inversé, la narratrice force le souvenir à se reconstruire.

Le film propose un point de vue de prime abord assez critique qui opposerait la beauté et la candeur d’un passé radieux à une modernité noire et sans humanité où la vie peut être tronquée sous couvert d’un accès à une survie dont il faudrait se contenter. Pour autant, l’idée majeure restera celle de la force de la volonté personnelle, la capacité humaine à ne jamais oublier tant qu’elle souhaite maintenir en vie le souvenir. Entre expérimentation et conte Markerien, « In Loving Memory » est un film extrêmement moderne et universel porté par une réalisation qui joue sur la corde sensible sans tomber dans la sensiblerie.

Fanny Barrot

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Article associé : l’interview de Jacky Goldberg

Décibels/la programmation des clips en ligne !

En parallèle de la triple compétition officielle, la programmation de Clermont-Ferrand contient également une sélection de clips baptisée « Décibels ». Nous vous invitons à découvrir la douzaine de vidéos sélectionnées cette année, les unes plus créatives que les autres, sur place si vous êtes dans la capitale auvergnate ou sur la toile si vous nous suivez de loin.

Programme 1

Shabazz Palaces/Black Up/Kahlil Joseph (Etats-Unis)

Do I Have Power/Timber Timbre/Carlos de Carvalho (France)

L’Affaire Ghinzu/L’Atelier Collectif (Belgique)

Jazzed Out Session #01/Jeremiah (France)

Björk/Crystalline/Michel Gondry (France)

Villagers/Cecelia Et Her Selfhood/Adrien Merigeau (France)

Programme 2

RIP Rich/Yoram Savion (France, Etats-Unis)

The Stone Bench/Colin Solal Cardo (France)

Le banc/Kitty Crowther, Bruno Salamone (France)

Colin Stetson/The Stars in His Head/Isaac Gale, Dan Huiting (Etats-Unis)

The Delano Orchestra/Not an Ending/Alexandre Rochon (France)

Fleet Foxes/The Shrine/an Argument (Sean Pecknold (Etats-Unis)

Selekt The Machine/Frédéric Jaïs Elalouf (France)

TV On The Radio/Second Song/Michael Please (Royaume-Uni)

Oh Willy… d’Emma de Swaef et de Marc Roels

L’homme à l’épreuve de la nature

« Oh Willy… », ce titre, à prononcer comme un soupir, évoque le surgissement du souvenir, et la mélancolie qui caractérise le personnage éponyme du film d’Emma de Swaef et Marc Roels. Projeté en avant-première en compétition nationale au Festival International de Clermont-Ferrand, « Oh Willy… » nous plonge dans un univers délicat et poétique, une véritable quête des origines.

Après « Zachte Planten », film de fin d’études réalisé en 2008, Emma de Swaef, accompagnée de Marc Roels, se lance à nouveau dans l’animation de laine et d’étoffes, et réinvestit les thèmes et motifs qui alimentaient le premier film : l’homme, la rêverie et son possible retour à l’état de nature. « Oh Willy… » est le résultat de la rencontre de deux univers singuliers, associant les textures chaudes et  » pelotonneuses » d’Emma de Swaef au cinéma déroutant de Marc Roels, qui a remporté le prix spécial du jury au festival de Clermont-Ferrand en 2008 avec son court métrage « Mompelaar ».

On retrouve dans chacun de ces deux films cette forêt traversée par la lumière, des personnages étranges et des situations insolites et une douceur alliée à la violence et à la confusion. Bref, on se perd avec un certain plaisir dans l’univers mystérieux d’Emma de Swaef et Marc Roels.

Willy est un homme d’un certain âge ; lorsque sa mère tombe gravement malade, il revient s’installer dans la communauté naturiste où il a grandi. Confronté à la mort et hanté par les souvenirs d’enfance, entre la douceur maternelle et la violence du monde extérieur, Willy perd peu à peu ses repères et se laisse envahir par la mélancolie. Une nuit, il s’enfuit dans la forêt, pour ne plus jamais revenir. Après une chute, Willy ne peut plus faire demi-tour, et préfère se livrer au bon vouloir de la nature, figure maternelle de substitution. Âme vagabonde entre passé et présent, Willy se perd pour mieux se retrouver. Ne devenant plus qu’un corps errant, planant, sa chute dans une forêt obscure est moins un voyage dans l’espace qu’un voyage dans le temps, un retour aux origines, au commencement du monde.

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Dans une caverne, à demi-nu, homme à l’état de nature, Willy fait la rencontre d’un être étrange, sorte de yeti venu tout droit d’un conte fantastique, d’une histoire qui se situe dans des temps plus anciens ou d’une autre dimension. C’est une nouvelle figure maternelle que Willy aura trouvée ici, faisant le choix d’une communion avec la nature plutôt que d’un naturisme communautaire.

« Oh Willy… » touche par son onirisme, la douceur des textures, et la mélancolie qui habite le film. La délicatesse du vent qui vient souffler légèrement sur les marionnettes et les décors, faisant bouger discrètement chaque fil qui constitue la chevelure de Willy, où faisant voler les pâles rideaux de la maison familiale, instaure un climat de sérénité et de nostalgie, et la musique, discrète mais puissante, accompagne avec justesse le récit. « Oh Willy… » s’apparente à un conte sans paroles dans lequel la musique, les bruits, la lumière et les textures portent toute la force émotionnelle du film. L’absence de dialogue ne fait que mettre en avant l’importance du touché. Willy caresse la main de sa mère, effleure les arbres et les fleurs, et nous spectateurs, aimerions également pouvoir frôler ces mystérieuses créatures de laine.

Emma Swaef a effectué un travail minutieux sur les décors, des pièces de la maison à la végétation et aux montagnes dans lesquelles Willy se retire. Ceux-ci semblent plus aboutis que dans « Zachte Planten », les contours sont plus précis, et le visage rondouillet de Willy plus expressif que celui du personnage principal du premier film. Les portes et fenêtres viennent constamment envelopper l’action, on perçoit les évènements à travers ces cadres qui viennent accentuer l’enfermement de la communauté naturiste, une communauté qui revendique une libération par la nudité, mais qui est obligée de s’isoler entre des grilles. Ces grilles et ces fenêtres forment un contraste avec les plans de paysages sublimés que l’on découvre au fur et à mesure. La monumentalité des paysages offre des moments de grâce, de contemplation de l’homme dépourvu de tout, qui, comme le montre un plan qui filme Willy au bord d’une falaise, n’est rien face à l’immensité de la nature.

Mais « Oh Willy… » se termine sur ce plan étrange et mystérieux d’une nature colossale perçue à travers l’encadrement d’une fenêtre : tout ceci n’était-il qu’un rêve, un voyage intérieur qui n’a finalement pas dépassé les murs de la maison familiale ?

Agathe Demanneville

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Article associé : l’interview d’Emma de Swaef

O comme Oh Willy…

Fiche technique

Synopsis : À la mort de sa mère, Willy retourne dans la communauté de naturistes au sein de laquelle il a grandi. Rendu mélancolique par ses souvenirs, il décide de fuir dans la nature où il trouve la protection d’une grosse bête velue.

Genre : Animation

Durée : 16’52’’

Pays : Belgique, France, Pays-Bas

Année : 2011

Réalisation : Emma de Swaef et Marc Roels

Scénario : Emma de Swaef et Marc Roels

Image : Marc Roels

Montage : Emma de Swaef , Marc Roels , Dieter Diependaele

Son : Bram Meindersma

Décors : Emma de Swaef

Musique : Bram Meindersma

Voix : Edo Brunner

Effets spéciaux : Raphael Thiebault

Production : Beast Animation & Polaris Film, co-produit par Vivement Lundi

Articles associés : la critique du film, la critique du DVD, l’interview d’Emma de Swaef