Michaela Pavlátová : « Parfois, j’ai l’impression que mes films n’ont rien en commun, à part mon nom au générique »

Projeté il y a une dizaine de jours à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs, « Tram » s’insère dans un projet collectif, Sexpériences, qui conjugue animation et érotisme au féminin. En entretien, Michaela Pavlátová, la réalisatrice, d’origine tchèque, convoque travail en solitaire, réalisme et exagération, et lien “diamanté” au court.

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Format Court : Comment est né « Tram » ?

Michaela Pavlátová : « Tram » fait partie de Sexpériences, un film omnibus, composé de courts métrages et d’univers très différents, réalisé par des femmes. Dans cette collection, tous ces épisodes seront connectés entre eux par le biais d’une conductrice de métro qui s’arrêtera à tous les arrêts, et où les femmes se livreront à leurs fantasmes. « Tram » a été fini, les autres films sont en cours.

Initialement, j’avais fait quelques dessins, et esquissé une situation poétique où une femme était couchée, touchée par une multitude de mains animées. C’était assez sensuel mais la production m’a incité à tenter autre chose, à aller plus loin. Très vite, l’idée de « Tram » est apparue.

« Tram » comporte moins de personnages et couleurs que dans vos films précédents et votre trait est très différent. Est-ce qu’il y a eu une évolution dans votre travail ?

M.P. : Parfois, j’ai l’impression que mes films n’ont rien en commun, à part mon nom au générique. Chaque fois, le film est un peu différent, et ma façon de dessiner aussi. « Le Carnaval des animaux », parle de la joie de vivre, et est aussi très influencé par les dessins et les couleurs de mon mari, peintre. Dans « Words, words, words », le travail sur les couleurs et le dessin diffère aussi.

Ce film-ci est dessiné très simplement. Je voulais que le dessin fasse penser à quelqu’un qui ne savait pas dessiner ou qui dessinait mal, je voulais m’éloigner du réalisme à cause de l’histoire racontée, légèrement ridicule. Si « Tram » avait été très beau et que la conductrice de métro était apparue sous des traits plus réalistes, le film n’aurait pas marché de la même façon.

Vous avez beaucoup travaillé en court. Pourquoi avoir oeuvré autour de ce format depuis la fin de vos études ?

M.P. : Pour moi, le court métrage est un diamant qu’il faut couper et polir de façon très précise et attentive. On peut dire beaucoup en une durée courte, si on veut que les gens comprennent ce qu’on a à dire, il faut le faire de manière très rapide et claire. Pour moi, c’est un grand challenge, c’est aussi pour cela que je n’aime pas trop les longs métrages d’animation.

Pourquoi ?

M.P. : Parce que c’est une discipline tout à fait différente. Vous avez un temps additionnel : vous ajoutez des histoires, des personnages, des dialogues. C’est beaucoup plus risqué. En plus, en long, c’est très difficile de travailler seul. Personnellement, je ne fais pas souvent de films. J’ai envie de profiter de chaque étape, j’aime bien tout contrôler. Quand il y a d’autres personnes, il faut préparer le travail pour elles, ce qui veut dire qu’au début, on est censé savoir où on va. Quand vous travaillez seule, au milieu du film, vous pouvez subitement avoir une meilleure idée et refaire ce que vous avez fait auparavant.

Quelles meilleures idées avez-vous trouvé pendant « Tram » ?

M.P. : Quelque chose que mon mari, Vratislav Hlavatý, m’a suggéré. Quand je lui ai montré des tests, il m’a dit que c’était érotique mais indécent et ça m’a intriguée. Il m’a conseillé d’exagérer plus les choses, parce qu’au début du film, c’était trop réaliste : quand la femme se mettait à fantasmer, les manettes qu’elle manipulait étaient des pénis. Il m’a suggéré de les transformer, dans leur couleur et dans leur forme, et de les faire terminer par des poignées rouges. Soudainement, cette idée a pris du sens et marchait beaucoup mieux dans le film car elle avait une connexion avec la conduite du personnage féminin.

Votre apprentissage se poursuit-il encore dans vos films ?

M.P. : J’ai tellement d’enfants, pourtant, je ne me souviens pas de chacun d’entre eux ! On apprend toujours de film en film. Personnellement, je n’ai toujours pas appris à faire de grands mouvements et des actions compliquées, comme des courses poursuites. Dans mes scénarios, je préfère ôter toute action, c’est plus simple ! Je privilégie la simplicité pour montrer visuellement les pensées de mes personnages, surtout quand mes films ne comportent pas de dialogue, mais ce n’est pas toujours facile de trouver la bonne traduction.

Votre désir d’animation est-il resté le même depuis vos débuts ?

M.P. : Je constate un grand changement depuis que j’ai commencé. Une fois mes études terminées, c’était facile de poursuivre en animation. C’était une époque socialiste où les films n’étaient pas encore considérés comme des produits dans notre pays. Nous avions de grands studios de productions de courts et de documentaires, les films étaient financés par l’Etat, et nous n’avions pas à penser aux producteurs et aux distributeurs qui ne pouvaient pas vendre nos belles idées. Nos films, documentaires comme animés, pouvaient se permettre d’être artistiques et ils étaient montrés dans les cinémas, avant les longs métrages. Il y avait une forme de besoin, une forme de motivation à faire des films. Les étudiants pouvaient poursuivre, après leurs films de fin d’études, ils avaient la force de développer leur art. Pendant 3 ou 4 ans, la vie semblait si longue que moi aussi, je pouvais poursuivre. Les films prennent tant de temps que si vous en faites, vous avez besoin de public. Maintenant, j’hésite à consacrer du temps à faire des films que personne ne verra, qui iront dans certains festivals, qui n’auront aucune publicité, qui ne compenseront pas le temps perdu. C’est un peu frustrant. Ce qui me pousse pourtant à poursuivre, c’est que j’aime énormément ça et qu’à côté, je fais aussi de la fiction.

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La République tchèque aide-t-elle suffisamment les gens à faire des films ?

M.P. :Oui, mais ce n’est jamais assez. Si on a de la chance, on reçoit la moitié du budget prévu, mais on doit encore trouver l’autre moitié. C’est très difficile de convaincre les productions parce qu’il n’y a pas de marché. Heureusement, d’anciens étudiants montent des sociétés de productions qui s’entraident pour des séries et des longs métrages composés de courts. Mais si vous voulez faire des courts métrages en solitaire, ça reste très compliqué.

À l’époque, pouviez-vous raconter tout type d’histoire ?

M.P. : Sûrement pas, certaines histoires étaient interdites, comme Obři (“Giant”) auquel mon mari a participé, qui comportait des métaphores politiques très fortes et qui n’est sorti qu’en 1981. Certaines films recevaient des prix à l’étranger mais étaient contrôlés à l’intérieur du pays. Moi, je suis apolitique, je fais des films sur les relations humaines. J’ai terminé l’école quand les choses étaient bien plus faciles.

Propos recueillis par Katia Bayer

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One thought on “Michaela Pavlátová : « Parfois, j’ai l’impression que mes films n’ont rien en commun, à part mon nom au générique »”

  1. J’ai vu ce film par hasard à la télévision, il m’a surpris et beaucoup plus! Beaucoup d’érotisme amené avec tact et humour.
    Très dommage qu’on ne trouve pas d’endroit ou en acheter une copie comme on achèterait un morceau de musique.

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