Jean-Charles Mbotti Malolo : « La providence m’a permis de faire mon film. Quand je m’y suis attelé, j’avais envie de m’attaquer à quelque chose de difficile, avec de nombreux enjeux »

Issu de la double culture du hip-hop et de l’animation, Jean-Charles Mbotti Malolo a réalisé « Le Sens du toucher », lauréat de notre premier Prix Format Court au Festival de Villeurbanne. Présélectionné aux César de l’animation et projeté ce jeudi 8/1 lors de la séance anniversaire de Format Court aux Ursulines, ce premier film subtil et vibrant, à la croisée du mouvement, des couleurs et des sentiments, convie langue de signes, ondes visuelles et relations amoureuses. À Villeurbanne, Jean-Charles Mbotti Malolo est revenu sur son parcours, son intérêt pour la danse, son passage par Emile Cohl, sa collaboration avec la chanteuse Camille et les enjeux de son film, notamment par rapport à la notion de bruit.

Jean-Charles-Mbotti-Malolo

En découvrant ton travail, que ce soit ton film de fin d’études (« Le Coeur est un métronome »), un exercice sur iPad (« Le Paon ») ou ton court le plus récent, « Le Sens du toucher », on remarque que le mouvement et l’absence de paroles vont souvent ensemble. Les liens entre non verbal et gestuelle t’intéressent à ce point ?

C’est assez particulier. Pour « Le Sens du toucher », je ne voulais pas m’enfermer dans la communication corporelle. Au tout début, je voulais faire un film dialogué, sans mouvement ni communication. C’est revenu malgré moi, j’ai lutté pour essayer de contrôler ça, mais je me suis rendu compte que j’avais encore des trucs à creuser autour du non verbal et du mouvement. L’idée de surdité, de langue de signes, de travailler avec des sourds, me plaisait beaucoup. « Le Coeur est un métronome » est la première utilisation de la danse et de l’animation, je pense qu’à l’époque, je n’étais pas allé assez loin.

En termes d’histoire ?

Oui. C’est mon film de fin d’études. J’avais besoin d’encore travailler là-dessus.Dans ma manière d’aborder le cinéma, les choses passent beaucoup plus par la posture, la gestuelle, le corps, l’acting, le mouvement que les mots. Pour mon prochain film co-réalisé avec Simon Roussin, « Please Please Please », écrit par Nicolas Pleskoff, je franchis une étape intéressante. Il s’agit d’un film sur James Brown, l’idée de mouvement et de danse est toujours là mais le projet est très dialogué. Amaury Ovise (Kazak Productions) m’a proposé de travailler sur ce film; ce qui me plaît, c’est cet enjeu du dialogue, ça fait longtemps que j’ai envie de m’y confronter.

please-please-please

L’envie de faire de l’anim’, c’est lié à quoi ?

Quand j’étais petit, je dessinais beaucoup. J’ai vu un reportage sur l’école des Gobelins, j’ai voulu faire de l’animation. Je faisais beaucoup de portraits, j’avais un dessin assez réaliste. Je n’étais pas doué pour créer des choses et inventer des univers à partir de mon imaginaire.

Est-ce que tu avais essayé d’animer tes dessins, de faire bouger tes feuilles ?

Étrangement, oui. Juste après avoir vu ce reportage, à l’âge de 12-13 ans, je l’ai fait une fois, ça m’a amusé 5 secondes. Je n’avais pas d’ordinateur, du coup, je n’avais pas les moyens techniques pour faire de l’animation.

Les Gobelins, tu as essayé ?

Non. Très vite, je me suis rendu compte qu’aller à Paris pour faire les Gobelins et y vivre était juste impossible pour mes parents. L’aspect financier m’a freiné. À Cohl, l’année coûtait cher mais au moins, j’étais chez mes parents et je n’avais pas de frais. J’ai travaillé, je suis allé à la fac, j’ai fait des fresques, des décorations de magasin pour mettre des sous de côté. Quand j’ai commence à m’impliquer dans le dessin, c’était aussi pour le graffiti.

Et ton goût pour la danse ?

La culture hip-hop m’a influencé. Le dessin et le hip-hop sont deux choses qui vont ensemble, qui m’ont toujours porté. J’ai dessiné très tôt et je me suis toujours dandiné. J’ai sans cesse glissé de la danse au dessin.

Comment fonctionne l’enseignement à Emile Cohl ?

L’école propose une formation en 4 ans. Les deux premières années sont communes, les deux dernières sont spécialisées en animation, BD, illustration ou infographie. Je suis resté en animation. Avant, même quand je faisais du graffiti, je ressentais la frustration d’être un dessinateur de portraits plutôt doué pour recopier des trucs; j’étais un peu bloqué pour créer et développer des univers à part. En arrivant à l’école, j’ai réussi à débloquer ça et à aller vers quelque chose de plus personnel.

dessin-jean-charles

Entre ta sortie de l’école et « Le Sens du toucher », qu’as-tu fait ?

J’ai travaillé sur des longs-métrages. En 2008, quand j’ai commencé sur « Kérity la maison des contes », on m’a dit que si j’avais une prétention d’animateur-réalisateur, il ne fallait pas que je la perde de vue. C’était facile de faire ses heures et de travailler sur les travaux des autres. Après mon film de fin d’études, je voulais très vite refaire un film mais je n’avais pas forcément quelque chose à raconter à ce moment-là. L’idée du « Le Sens du toucher » n’est pas venue tout de suite, le projet est né en 2009.

Est-ce que tu as eu envie d’y mettre des choses que tu n’avais pas pu creuser dans le précédent ?

C’est exactement ça. Sur mon film de fin d’études, mon scénario n’avait pas été validé. Je l’ai relu il n’y a pas longtemps et j’ai compris pourquoi. Je m’étais lancé dans un truc pseudo-politique étrange et je pense que je n’avais pas la maturité pour écrire des trucs engagés il y a sept ans. Ça n’avait ni queue ni tête. On m’a demandé de ne pas le faire tel, l’égo a joué, j’ai eu du mal à me positionner. Benoît Chieux qui gère cette section m’a conseillé faire de l’illustration, j’ai essayé de lui montrer que j’étais motivé et que je voulais faire de l’animation. J’avais une semaine pour faire des images. Il m’a demandé ce qui me plaisait dans la vie en dehors du dessin. Je lui ai parlé de la danse, je lui ai montré des vidéos. Il m’a dit : “Fais ça, fais de la danse”.

Comment ton premier film professionnel s’est-il fait ?

Au printemps 2010, Benoît Chieux m’a appelé pour travailler sur les décors de « Tante Hilda ». Je voulais rester concentré sur mon projet de court, mais je ne pouvais pas me permettre de refuser un projet de long chez Folimage. Je pensais mettre mon film entre parenthèses pendant un an. Deux mois après, des personnes de l’école de la Poudrière ont lu mon projet. Le comité artistique de Folimage a voulu le lire aussi. À ce moment, je me préparais pour présenter le projet de concours d’Annecy. Arte m’a primé et Folimage est devenu le producteur principal. La providence m’a permis de faire ce film. Quand je m’y suis attelé, j’avais envie de m’attaquer à quelque chose de difficile, avec de nombreux enjeux.

Qu’est-ce que tu as appris finalement sur ce film-là ?

Je pense que j’apprends beaucoup sur moi en travaillant au contact des gens. Grâce à ce film, je suis devenu beaucoup plus fort en dessin, j’ai appris à mieux animer et à dessiner. La rencontre avec Camille (qui a signé la musique originale du film ndlr) m’a aussi appris beaucoup de choses sur moi. C’est quelqu’un d’assez direct, qui sait ce qu’elle veut et qui arrive à dire les choses sans trop se prendre la tête. Au début de l’écriture, j’écoutais sa musique, des choses me touchaient. Sa façon d’écrire et de chanter créait des images en moi J’ai bizarrement connecté mon écriture aux émotions qu’elle me procurait. Mon film est allé vers sa voix. Je me suis dit que ce serait bien qu’elle fasse la musique, je ne voulais pas demander à une musicienne de l’imiter. J’ai réussi à la contacter et elle a accepté de participer au projet. Au début, je souhaitais aussi travailler avec Sly Johnson, un beatboxer qui fait des rythmes avec la bouche et qui avait déjà travaillé avec elle. Le premier jour de l’enregistrement, il n’est pas venu. Je me suis retrouvé confronté à Camille. Ça n’a pas été facile. Je me suis liquéfié sur place. Je n’ai pas su tout de suite la rattraper pour la ramener vers moi. Elle m’a dit : “Mec, réveille-toi, c’est toi le réalisateur, c’est ton film !”. Image_LSDT_Festival_009 copie_905

Vous avez donc fait le film qu’à deux. Il est différent du point de départ ?

Il est mieux, car au début, j’avais prévu de faire quelque chose de bruitiste, de faire la musique et tout l’univers sonore à la bouche comme les personnages ne parlent pas. Au début, elle devait endosser le rôle de la femme. Camille aime les bruitages à la bouche, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai dû changer mon fusil d’épaule et faire des bruitages très réalistes.

Tu as donc une série de bruitages de la bouche de Camille !

Oui. Parfois quand je mets iTunes en mode aléatoire, je tombe sur des trucs très bizarres (rires) !

Pour le film, tu as aussi collaboré avec Mathilde Combes, une comédienne sourde qui a fait le travail des voix. C’était important pour toi d’aller au bout de ta démarche ?

De manière générale, travailler avec des personnes en situation de handicap peut être très vite emprunté. Tu n’as pas forcément la légitimité en tant que valide et entendant. Je suis très sensible à ça. J’ai toujours souhaité raconter ce genre d’histoire avec des pincettes. Je suis allé voir Emmanuelle Laborit pour discuter du projet. Elle fédère la communauté sourde et avait deux points de vue sur le film à la fois comme actrice et sourde. Elle a tout de suite répondu à ma demande. Je lui ai montré l’animatique, elle m’a fait un retour sur le film. Malgré ma bienveillance et mes connaissances, j’avais peur que mon point de vue sur la communauté sourde l’emporte. Elle a mis le doigt sur ce qui manquait et ce qui avait besoin d’être retravaillé, mais elle m’a dit que ça allait de manière générale et ça m’a beaucoup rassuré. Mathilde a vu l’animatique aussi, elle a été très touchée par le propos et l’idée de mettre en place des ondes visuelles. J’ai fait également une formation en lange de signes pour comprendre l’univers des sourds et dans quoi je mettais les pieds.

Image_LSDT_Festival_013 copie_905

Beaucoup de gens m’ont dit en voyant le film que le son et les bruits étaient bizarres, qu’il y avait un problème d’enceinte dans la salle. Mais il faut savoir que les sourds ne sont pas forcément muets et dans la langue des signes, les mimiques, la posture de la bouche et l’expression du visage expriment beaucoup de choses différentes, Les sourds sont très bruyants dans leur manière de s’exprimer avec leurs voix, leurs cordes vocales, ils font du bruit avec leurs verres et leurs chaises car ils ne se rendent pas compte de ses effets. La notion de bruit ne fait par exemple pas partie de leur monde du tout et ça n’a pas été évident de restituer cette idée.

Tu as encore envie de travailler autour du handicap ?

Pour le moment, je suis en train de faire un court d’une minute sur la Grotte Chauvet qui abrite les plus vieilles peintures rurales du monde. C’est une collection d’une quinzaine de courts soutenue par Arte. Travailler sur un film d’une minute me change du « Le Sens du toucher » qui fait 15 minutes, une durée importante pour un film d’animation. La question du handicap a fait partie de ma vie. Je pense que ça reviendra à un moment dans mon travail.

Propos recueillis par Katia Bayer

Articles associés : la critique de « Le Sens du toucher » , le reportage Jean-Charles Mbotti Malolo, en deux courts & deux mouvements

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *