Compétition nationale au FIFF : L’art d’aimer chez les Belges

Si les voies du Seigneur sont, dit-on, impénétrables, celles de l’amour quant à elles, sont innombrables. En visionnant les 19 courts métrages sélectionnés dans la compétition nationale du festival du film francophone de Namur, il est intéressant de constater qu’une grande majorité des films aborde les sentiments amoureux. Et les cinéastes d’aujourd’hui le savent aussi bien que de Musset à son époque : on ne badine pas avec l’amour !

Cela est d’autant plus vrai qu’à l’heure actuelle s’impose le constat déconcertant de l’amour consommable, libéré de toute contrainte sociale (ou presque), de l’amour minuscule, émasculé de ces voluptueuses majuscules mensongères, l’amour désabusé qui porte en son sein les marques d’une libération sexuelle pas (encore) tout à fait assumée. Ce n’est plus un secret, dans notre société occidentale, les amoureux portent tous les stigmates des échecs de la passion. Démonstration en six courts.

Vertiges de l’amour

L’un des premiers symptômes de l’état amoureux serait entre autres cette sensation tenace et certainement inévitable qu’est la jalousie. Lorsque vous sentez que l’être aimé attache un peu trop d’importance aux attentions d’une tierce personne, l’esprit est prêt à toutes les dérives, à tous les excès. C’est de façon tout à fait délicieuse et drôle que le tandem Ann Sirot et Raphaël Balboni l’ont représentée dans « Fable domestique », un film séduisant se démarquant de tous les autres par sa fraîche originalité.

Adrien visite une maison avec sa femme qui arrive en retard. Durant la visite, il la surprend à sourire à un inconnu. Piqué au vif, jaloux sans se l’avouer, il reçoit une curieuse convocation pour une nouvelle visite. Mais cette fois-ci, il se rend seul à la maison où son nom est curieusement inscrit sur la sonnette. Après « La Version du loup », le couple de scénariste-réalisateur développe un univers théâtral, rappelant celui du 19ème siècle par le choix d’un phrasé châtié, du port de costumes d’époque et d’une mise en scène quelque peu vaudevillesque. Les comédiens Laurent Cappelutto et Sandrine Blancke mettent leur amour à l’épreuve non pas par les méandres du vice et de l’érotisme comme dans le fiévreux « Eyes Wide Shut » de Kubrick mais par un astucieux jeu de devinettes. La mise en scène s’axe sur une certaine verticalité : Adrien descendra jusqu’aux cuisines (les tréfonds de son âme) pour mieux remonter aux étages. Et ce ne sera que dans la pièce du milieu que les époux pourront enfin s’affronter, accepter de dialoguer et faire ressortir leurs sentiments.

Maxime Feyers et Mathieu Bergeron, eux, ont une approche aussi classique que délicate de l’amour dans « Come What May ». Un film contemplatif qui pose une réflexion sur la longévité des sentiments et du couple. Lynne et Moreau sont à la retraite. Lynne a un rendez-vous chez le médecin. À sa sortie, elle appelle Moreau pour lui annoncer quelque chose d’important. Quand il vient la chercher, au lieu de dévoiler ce que le médecin lui a dit, elle veut à tout prix partir à la campagne pour profiter d’un moment avec son compagnon de vie, devenu un peu trop bourru à son goût. Dans ce film, de longs plans travaillés s’arrêtent sur les gestes de tendresse derrière lesquels on devine les épreuves de la vie. Pour leur premier film, Feyers et Bergeron ont le mérite de livrer une œuvre touchante et juste, dans cette façon précieuse de filmer le temps qui passe.

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De son côté, « Atomes » d’Arnaud Dufeys montre, lui, le désir homosexuel latent et palpable qui naît entre Hugo, éducateur dans un internat et Jules, l’un de ses étudiants. Dufeys mêle révolte insolente et pure innocence dans une mise en scène maîtrisée à laquelle s’ajoute l’interprétation à fleur de peau de Vincent Lecuyer.

L’amour à mort

Aimer à en perdre la raison car le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. Aimer n’est pas toujours synonyme de luxe, calme et volupté. Les Phèdre et les Hermione, les Pyrrhus et les Oreste se sont travestis, ont traversé le temps pour demeurer immortels. C’est ce que l’on constate dans certains films comme « A New Old Story » d’Antoine Cuypers, Prix du Meilleur court métrage de la compétition nationale, qui revisite le mythe de l’amour toujours et de l’amour impossible. En victime de la passion, le chanteur-acteur Arno rayonne, assurément.

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Dans la même veine (ce n’est pas étonnant car on retrouve Antoine Cuypers au scénario) et dans le même souci de la forme, « Que la suite soit douce » d’Alice De Vestele parle de la douleur d’aimer sans être aimé en retour, de la difficulté de se reconstruire après une rupture. L’amour est cette chose tenue qui nous rend fragile et vulnérable. De Vestele et Cuypers jouent tous deux sur les frontières et les limites de ce sentiment qui nous emmène parfois, à la dérive, sur le chemin de la folie. Les personnages se perdent dans les labyrinthes de leur passion. Ils se rencontrent et s’affrontent avec violence. Dans les deux cas, la forme (caméra très mobile, musique, jeu d’acteurs) sert l’histoire et se fait l’écho de l’énergie paradoxale qui anime l’émotion amoureuse.

Avec « Les corps conducteurs », le jeune Zeno Graton s’attaque de son côté au déchirement des êtres, des âmes et des corps dans une mise en abyme envoûtante, volontairement clipesque. Deux acteurs répètent un texte. Elle lui demande de le lui faire répéter, il s’exécute parce qu’il a justement un peu de temps devant lui. Le texte de la pièce devient le sous-texte de ce que vit le couple au même moment. Les deux situations fusionnent pour ne faire plus qu’une dans un crescendo violent, fruit des non-dits et des frustrations accumulées. A nouveau, la forme reflète le trop plein (à la dispute du couple, répond une utilisation de la musique originale et pertinente) et montre la volonté d’affirmer un style qui rompt avec les codes traditionnels.

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre

L’amour serait-il mort ? La compétition nationale du FIFF, de cette année, nous démontre à quel point cette idée est fausse. Et même si l’amour ne se vit plus de la même façon, si l’approche des êtres et la révélation de leur âme n’a plus la même enveloppe, les cinéastes ont ressenti le besoin d’en parler, preuve que Vénus/Aphrodite, même customisée, demeure une obsession inévitable de l’artiste qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui.

Marie Bergeret

Consultez les fiches techniques de « Fable domestique », « Come What May », « Atomes », « A New Old Story », « Que la suite soit douce » et « Les corps conducteurs ».

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