Avec Les Bottes de la nuit, gagnant du Cristal du court-métrage, du Prix du Public et du Prix André Martin au festival d’Annecy, Pierre-Luc Granjon livre un trésor d’animation, à la fois délicat et envoûtant, où le trait du dessin devient le prolongement d’un monde enfantin baigné de mystère. Le film nous entraîne dans une aventure nocturne où la beauté plastique se conjugue à une grande finesse émotionnelle, sans jamais perdre de vue le regard de l’enfant.
Alors que ses parents reçoivent des amis, un petit garçon sort de chez lui en pleine nuit et part en balade dans les sous-bois, avec ses belles bottes aux pieds. Il rencontre alors une bête étrange et solitaire qui va l’entraîner au cœur de la forêt à la rencontre des créatures nocturnes qui y vivent. Pour raconter ce conte nocturne, Granjon crée un univers visuel où chaque texture – la rugosité des écorces, la brume flottante, le cuir souple des fameuses bottes – participe à une sensation d’immersion profonde dans un monde mi-réel, mi-fabuleux.
L’univers de Les Bottes de la nuit oscille ainsi entre l’insouciance de l’enfance et l’étrangeté d’un conte folklorique. On y retrouve cette capacité qu’a Granjon de faire cohabiter douceur et inquiétude, de distiller l’inconnu dans des paysages familiers, comme si la nuit venait doucement décoller le réel. Ce monde n’est pas inquiétant en soi, mais il devient mystérieux dès lors qu’on le regarde avec les yeux d’un enfant encore imprégné de récits et de légendes.
C’est précisément là que le film touche juste : dans cette manière qu’il a de montrer comment la nature devient un espace d’exploration, une scène pour l’imaginaire, mais aussi un terrain d’apprentissage et de réappropriation. L’enfant qui chausse les bottes de la nuit part à la rencontre d’un lieu – la forêt – qui lui était inconnu ou effrayant, et finit par le faire sien, non en le dominant, mais en l’arpentant, en l’écoutant, en le comprenant. Granjon évoque avec sensibilité cette façon qu’a l’enfance de se construire en allant vers ce qui lui fait peur.
La peur, justement, est au cœur du récit. Elle prend d’abord la forme d’une vieille légende : celle du loup-garou, figure classique de la menace nocturne. Mais plutôt que de céder à la terreur ou à la fuite, le héros choisit l’aventure et, à travers elle, grandit. Le film raconte alors avec tendresse et lucidité ce passage de la croyance à l’émancipation, de l’imaginaire peuplé de monstres à une forme de lucidité apaisée. Ce n’est pas que les monstres disparaissent : c’est qu’ils changent de visage, deviennent moins redoutables à mesure que l’enfant gagne en courage et en autonomie.
Les Bottes de la nuit parvient à conjuguer la richesse d’un conte initiatique et la puissance de l’émotion enfantine. C’est un film à hauteur d’enfant, mais qui parle aussi à l’adulte resté sensible aux bruits de la nuit et aux échos de ses peurs anciennes.
Article associé : l’interview du réalisateur