Patricia Mazuy : « Quand on filme quelqu’un, c’est qu’on l’aime et qu’on a envie de le filmer, quelque soit le rôle »

Patricia Mazuy est une réalisatrice et scénariste française. Elle se consacre au cinema après des études de commerces à HEC où elle passe le plus clair de son temps au ciné-club de l’école. C’est par des courts métrages, fictionnels ou documentaires, qu’elle commence à filmer. Elle fait ses premiers pas dans le milieu audiovisuel en devenant stagiaire sur le plateau d’Une chambre vide de Jasna Krajinovic qu’elle a rencontré par l’intermédiaire d’Agnes Varda. Patricia Mazuy entretient une réelle admiration pour le genre documentaire bien qu’elle se consacre majoritairement aux fictions. Son dernier film en date Bowling saturne, un thriller qui raconte la succession de deux frères (Arieh Worthalter et Achille Reggiani) à la tête d’un bowling maudit les menant à la folie, est sorti ce mercredi 26 octobre. De son côté, la Cinémathèque française lui consacre une rétrospective de ses courts et de ses longs jusqu’à ce dimanche 30 octobre.  

Format Court : Vous avez commencé votre carrière avec des courts-métrages, vous y avez fait vos classes en quelques sorte. Est-ce que cette forme est particulièrement formatrice selon vous ?

Patricia Mazuy : Oui, je trouve que c’est un endroit de création et de liberté fort. Je pense à Alice Diop qui a commencé par là par exemple.

Comment êtes-vous passée de HEC au cinéma et comment vous est venue l’envie de filmer ?

P.M. : J’ai commencé à filmer La Scarpa, un film de 7 minutes qui raconte la poursuite d’un cowboy fasciste qui suit une touriste dans une Italie marquée par l’assasinat d’Aldo Moro et qui se termine par un duel place Saint-Pierre parce que j’étais fan de western. Je l’ai réalisé en fin de première année à HEC avec Laure Duthilleul. On a tourné en muet puis j’ai ajouté une voix off et une musique d’Ennio Morricone, seulement j’ai perdu le son alors il est muet maintenant. Ce n’est pas plus mal étant donné que je n’avais pas les droits de la musique.

Vous filmez ensuite votre grand-père et le monde rural. Comment vous est venue l’envie d’aborder votre vie personnelle dans ce film Colin-maillard ?

P.M. : Mon père m’a donné 5.000 francs pour filmer mon grand-père à l’occasion du mariage d’un cousin qui a réuni toute la famille. Il est décédé peu après. J’avais une petite équipe, on a accumulé du matériel d’images et puis j’ai monté. On sent que par moment, le film erre dans son propos. Quand on le voit maintenant on remarque que c’est un film de jeunesse, on sent la mort pas loin, les gens ont un peu tous l’air de fantômes y compris dans les scènes de danse au mariage.

Vous avez fait un troisième court-métrage sur l’élevage des vaches avec Des taureaux et des vaches, puis vous mettez en scène le monde rural dans votre premier long Peaux de vaches. Avez-vous un intérêt particulier pour ce sujet ?

P.M. : Ce n’est pas tellement un sujet, c’est une matière. J’ai filmé le milieu d’ou je venais, je ne savais pas très bien si je l’aimais ou non. Dans le cas du court Colin-maillard où je filme mon grand-père, je voulais montrer que la campagne n’était pas un endroit bucolique et tranquille, et qu’il pouvait être dur.

Vous avez d’ailleurs rencontré très jeune Agnes Varda à New York, avec qui vous avez retravaillé ensuite. Est-ce un intérêt commun qui a joué dans votre entente artistique ?

P.M. : Je l’avais déjà rencontrée avant en fait. C’était après ma première année à HEC que j’ai quitté pour être jeune fille au pair à Los Angeles. Là j’ai fais un autre court-métrage qui s’appelle Dead cat avec mon salaire de gouvernante. Comme j’y avais intégré une chanson des Doors, on m’a expliqué qu’il fallait que j’ai les droits, je savais pas qu’on devait payer pour la musique. Le film n’a pas été diffusé donc ça n’a pas posé de problème en fin de compte. Quoi qu’il en soit, j’avais envoyé un message à Agnès qui enseignait à Los Angeles pour qu’elle me donne le contact de l’avocat des Doors avec qui elle était très amie, pour que je demande les droit de la chanson. C’est en montant ce court-métrage là que Agnès m’a prêté sa tablette de montage et que j’ai rencontré Sabine Mamou qui m’a fait entrer dans le cinéma en m’appelant plus tard pour être stagiaire sur Une Chambre vide de Jasna Krajinovic, c’est là où j’ai appris le montage. Quand j’ai fait Colin-maillard, j’étais déjà stagiaire de Sabine en vérité.

Lors de votre passage au long avec Peaux de vaches, comment avez-vous vécu la transition aux grands plateaux de cinéma et quel a été votre rapport aux comédiens qu’il a fallu diriger, notamment très jeune ?

P.M. : Je n’étais pas tellement prête en fait. Je ne connaissais pas du tout le travail de plateau parce que j’avais fait des courts-métrages en autonomie avant. Je pense que les comédiens me faisaient un peu peur. Maintenant, j’ai moins peur d’eux, je sais qu’ils sont mobiles. Ce qui est important en fait, c’est surtout le casting, c’est de choisir les comédiens avec qui on a envie de tourner, c’est le plus gros du travail de direction d’acteurs. Après sur Peaux de vaches, on essayait surtout d’arriver au bout du projet parce que j’étais très débutante au début. La deuxième partie du tournage s’est beaucoup mieux passée, même très bien, mais le début était assez chaotique. Je me disais qu’il fallait tout le temps douter et remettre en question les choses. Mais en fait, c’est très déstabilisant pour une équipe technique. Quand un tournage est compliqué comme il l’a été au début, il faut que les comédiens soient assez forts pour se mettre dans une bulle de travail et rester concentrés. Heureusement, ça a été le cas.

Aviez-vous particulièrement envie de tourner avec Sandrine Bonnaire ?

P.M. : Oui. Je l’avais rencontrée sur le tournage de Sans toit ni loi d’Agnes Varda. Puis, je lui ai demandé si elle voulait venir dans l’aventure quand j’ai écrit Peaux de vaches pour Salomé Stévenin et heureusement que ça s’est fait parce qu’elle était super pour le rôle.

Comment abordez-vous le travail avec des acteurs importants ?

P.M. : C’est différent pour chaque personne. Quand on filme quelqu’un, c’est qu’on l’aime et qu’on a envie de le filmer, quelque soit le rôle. Les gamines dans Saint-Cyr, c’était des non professionnelles et Isabelle Huppert, c’était autre chose. Il faut s’adapter à chaque fois en fonction du sujet du film et des personnes, c’est toujours différent. J’ai beaucoup appris avec Bruno Ganz par exemple, j’ai compris qu’on peu tout à fait préparer en amont et que ça ne va pas du tout nuire à la spontanéité. Depuis Sport de filles avec Josiane Balasko, qui est une actrice géniale selon moi, j’ai appris qu’on peut vraiment être libre. Depuis ce film, je suis plus mobile avec les acteurs. Le plus difficile, c’est de savoir dire les bons mots sans en dire trop à l’acteur au moment du plan, pour que le tout soit vivant.

Aimez-vous donner assez de liberté aux acteurs dans leur jeu, sans forcément qu’ils s’en tiennent strictement au scénario?

P.M. : Je pense que la direction d’acteur, c’est avant tout donner des outils. Par exemple, le scénario est un outil mais il ne s’agit pas de le filmer, mais de s’en servir pour aller vers le film. Un autre grand outil pour le comédien, c’est le costume, mais c’est différent pour chaque film. Mon dernier film Bowling Saturne est très écrit parce qu’on devait tourner complètement dans le désordre et on devait donc savoir exactement où on en était dans l’histoire. En même temps, il s’agit de se faire confiance, tant du côté de l’acteur que le réalisateur ou l’équipe, parce qu’un film ne se fait pas tout seul.

Est-ce que que le documentaire vous intéresse encore ?

P.M. : Oui, tout à fait. Sauf que le documentaire que j’ai fait, Des taureaux et des vaches, était vraiment particulier parce que c’était une commande de vulgarisation scientifique et puis j’avais dix jours pour faire le tour de plusieurs régions donc c’était très serré.

Justement, le montage y est très marqué. Est-ce que vous travaillez toujours avec un/une même monteur/monteuse ou vous changez à chaque projet ?

P.M. : Depuis Basse Normandie, j’ai tout le temps travaillé avec la même personne, mais avant ça c’était avec des gens différents. Par exemple, c’était Sophie Schmit qui a sauvé le montage de Peaux de vaches et qui a un peu sauvé le film par la même occasion.

Est-ce que vous êtes très présente dans le travail de montage ?

P.M. : Oui, j’adore le montage. Je vois ça comme un travail à deux, c’est une recherche qu’on fait ensemble.

Vous êtes aussi scénariste. Comment conjuguez-vous les tournages et l’écriture ?

P.M. : Premièrement je n’écris pas toute seule, j’écris toujours avec un scénariste. Par exemple, Yves Thomas a pensé Paul Sanchez est revenu ! et Bowling Saturne, il était aussi sur l’écriture de Travolta et moi. En même temps, je ne tourne pas tant de films que ça parce que c’est long de trouver l’argent pour les faire.

Depuis Des taureaux et des vaches, sorti en 1992, vous n’avez plus refait de courts-métrages, avez-vous envie d’y revenir un jour ?

P.M. : J’aurais peur d’en refaire aujourd’hui tellement je trouve ça difficile. Après, c’est en en faisant jeune que j’ai appris plein de choses, c’est un grand terrain d’apprentissage. Il y a plein de choses formidables qui peuvent en sortir, mais il faut dire qu’il n’y a pas non plus 10.000 courts aussi géniaux que La Jetée de Chris Marker. Il y en a qui sortent en salle mais c’est certain que c’est très important et que ca devrait être inscrit dans un marché plus fort pour qu’on puisse en vivre. Concernant le documentaire, je connais des gens qui font des films incroyables mais quand je vois l’investissement que ça demande et la place que ça prend, c’est assez compliqué. Mais le documentaire, c’est vraiment de la matière précieuses qu’il faut préserver.

Bowling saturne vient de sortir. Qu’est-ce qui a motivé le choix des acteurs Arieh Worthalter et Achille Reggiani ?

P.M. : Achille, je l’avais vu au théâtre, il était hyper puissant, on a fait des essais et ça a marché tout de suite. Arieh est arrivé très tard en revanche mais c’est lui qui a permis au film de se faire en vérité. C’est un conte noir, on cherchait un jeu pas du tout naturaliste, très expressionniste, on prenait beaucoup de risques. Ce n’est pas le jeu que j’emploie habituellement mais comme c’était une tragédie et qu’on tournait vite, je me suis dit qu’il fallait être radicale. Je pense que les séries arrivent très bien à proposer des mondes très définis, et je crois que le cinéma doit savoir faire de même pour continuer à exister.

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

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