La Maison de poussière de Jean-Claude Rozec

C’est en voisin que Jean-Claude Rozec a présenté son film au festival Court Métrange de Rennes, puisque c’est dans cette ville que sont basés ses producteurs et que lui-même est originaire de la région. La remarque n’a rien d’anodin si l’on ajoute que la question du foyer (à la fois la famille et le quartier) est justement au cœur de « La Maison de poussière », le très beau troisième court-métrage d’animation du réalisateur.

Comme « Ceux qui restent debout » de Jan Sitta, mais de façon très différente, « La Maison de poussière » est un film sur la ville et la relation de symbiose que ses habitants entretiennent avec elle. La ville change, mue au fil des travaux de rénovation, comme la destruction de ces grands ensembles des années 1960-70, aujourd’hui vétustes et dans lesquels l’héroïne du film de Rozec, une femme entre deux âges, d’une banalité touchante, a passé la majorité de son existence. En métamorphosant leur cadre de vie, les changements de la ville influent sur l’existence de ses habitants : obligée de déménager à cause de la destruction programmée de son HLM, la femme se retrouve coupée de son passé. Dans ce film sans paroles, le réalisateur illustre avec finesse la mélancolie de son personnage en dessinant son reflet sur une vieille photo : elle voudrait entrer dans l’image, vivre avec ses souvenirs, mais elle en reste à la surface. Lors d’une visite nocturne sur le chantier de démolition de son ancien logement, la femme découvre que les lieux aussi ont une mémoire : ses souvenirs sont ranimés par des spectres de poussière avec lesquels elle va revivre d’anciens moments de joie.

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C’est sur ce point que « Ceux qui restent debout » et « La Maison de poussière » nous apparaissent complémentaires : dans l’un, la ville ingère les plus malheureux de ses habitants alors que dans l’autre, les ruines libèrent des souvenirs heureux. Alors que la ville de Jan Sitta se déshumanise progressivement, celle de Rozec regagne, brièvement, de la chaleur humaine. La femme retrouve son mari disparu et son enfant mais sous une forme imparfaite, confuse et grisâtre, presque monstrueuse mais pourtant plus attirante que la réalité. Les particules de poussière existent dans un état intermédiaire, à la fois matériel et évanescent, qui correspond au flou de la mémoire. La frontière entre réalité et fantasme est traduite visuellement par une différence de texture entre les images : la femme est un personnage en 2D lisse, alors que ses souvenirs sont des silhouettes aux volumes plus marqués, à la matérialité terreuse.

Dans « Cul de bouteille » (2010), son précédent film, Jean-Claude Rozec déformait la réalité en la donnant à voir par les yeux d’un enfant myope. Avec « La Maison de poussière », son animation se fait une nouvelle fois métaphorique, transformant des tas de poussière en personnages et une grue en grand méchant loup. L’histoire des « Trois petits cochons » accompagne celle de « La Maison de poussière » car il s’agit dans les deux cas de parler du foyer, de la force des liens familiaux contre les attaques de l’extérieur. Contrairement au conte, le court-métrage s’achève par la victoire des loups du progrès ; une fin désespérée mais traversée par une poussière d’espoir. Car c’est un autre conte que nous raconte Rozec : il était une fois une femme qui vivait au milieu de ses souvenirs et qui en devint un elle-même.

Sylvain Angiboust

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Pour information, « La Maison de poussière » sera projeté le jeudi 18/2 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème)

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