Rencontres Henri Langlois, il était une fois une sole et un puma

Cette année, les Rencontres Henri Langlois de Poitiers ont innové en proposant aux spectateurs d’assister aux délibérations du Jury du Syndicat Français de la Critique. Entre argumentaire cinématographique acerbe et échange de points de vue personnels, les trois jurés, Marie-Pauline Mollaret, Francis Gavelle et Bernard Payen, ont su captiver pendant plus d’une heure les courageux festivaliers qui s’étaient levés tôt un samedi matin. Retour sur ce moment critique.

Edition 2012 : les tendances de la saison

Au delà de l’anecdotique décor récurrent qui tire son épingle du jeu annuellement – cette année c’était la piscine, vide dans « Non-Swimmers » du Tchèque Jakuk Smid, pleine dans « Swimming Pool » de Puangsoi Aksornsawang (Thaïlande), avec ou sans nageurs – les deux tendances majeures de la sélection étaient sans aucun doute la forte représentation de l’animation et des films réalisés par des écoles d’Amérique du Sud.

En effet, plusieurs films d’animation avaient marqué la sélection par leur traitement ambitieux et original tant en termes de forme que de fond comme « Anomalies » de Ben Cady (Royaume-Uni) qui surprend par un minimalisme formel d’une intensité déroutante. D’autre part, le cinéma dit « latino » a occupé une bonne place dans les films présentés cette année et était assez remarquable par sa qualité. Comme l’année précédente, un long métrage était en compétition et cette année, il s’agissait d’un film mexicain « Entre la noche y el dia » de Bernardo Arellano. Cette tendance est visible au-delà du festival puisque le cinéma mondial est impacté par les nouvelles propositions sud-américaines.

Les tops 3 des critiques : de la difficulté d’extraire 3 films d’une sélection de 40 courts métrages (+ un long)…

En amont des délibérations, chaque critique a élaboré sa propre pré-liste qu’il confronte pendant l’exercice à celles des deux autres jurés. Pour Marie-Pauline Mollaret, critique pour le magazine Ecrannoir.fr, un trio de tête apparaît (« Letargo » de Sebastian Palominos (Chili), « La sole entre l’eau et le sable » d’Angèle Chiodo (France), « Pude ver un puma » d’Eduardo Williams (Argentine) et quatre films en plus sont remarquables (« Men of the Earth » d’Andrew Kavanagh (Australie), « Swimming Pool » de Pusansoi Aksornsawang (Thaïlande), « Après guerre » Valentin Kemner et Sophie Reinhard (Suisse), « So It Goes » de Anti Heikki Pesonen (Finlande).

Bernard Payen, responsable de programmation à la Cinémathèque française et fondateur du webmag Objectif Cinéma, à la recherche d’une rencontre entre le spectateur et le film, privilégie « La sole entre l’eau et le sable » d’Angèle Chiodo (France), « Pude ver un puma » d’Eduardo Williams (Argentine) et « Neige tardive » (Utan Snö) de Magnus von Horn (Pologne). Il garde des films en plus pour leur intérêt formel ou leur sujet : « Terra » de Piero Messina (Italie), « Dusty Night » d’Ali Hazara (France, Aghanistan), « Toucher l’horizon » d’Emma Benestan (France) et « Le fils du blanc » de Maxence Robert (Belgique).

Francis Gavelle, producteur à Radio Libertaire et sélectionneur des courts métrages à La Semaine de la Critique entre 2001 et 2011, oriente son choix vers les films de la contamination, ceux qui traitent à priori d’un sujet léger ou simple mais finissent par porter le spectateur vers un thème plus dense. Dans son top 3, se côtoient « La sole entre l’eau et le sable » d’Angèle Chiodo (France), « Anomalies » de Ben Cady (Royaume-Uni) et « Letargo » de Sebastian Palominos (Chili). Il retient comme films supplémentaires « Cuerda al aire » de Marcel Beltran (Cuba) et« Kuhina » de Joni Männistö (Finlande).

Dès cette phase de pré-sélection, les membres du jury furent assez d’accord sur les films à retenir et sur lesquels discuter. Ce premier tour mettait en évidence l’accord unanime sur le film d’Angèle Chiodo « La sole entre l’eau et le sable » qui apparaissait dans le top 3 de chaque juré. Pour autant, un autre film créa le débat chez les jurés : « Pude ver un puma ». Le film captiva complètement Marie-Pauline Mollaret et Bernard Payen mais laissa Francis Gavelle « en réflexion » selon ses propres termes.

Les idées sur le puma…

Si le film d’Eduardo Williams rassembla les suffrages des trois critiques sur la question de la maîtrise technique, un point de désaccord fut soulevé par Francis Gavelle qui vit dans « Pude ver un puma » un film qui « joue sur l’épate ». L’épate d’un décor magnifique qui accroche forcément et facilement le spectateur. L’épate d’une mise en scène qui montre tout ce que le réalisateur sait faire comme avec la scène d’ouverture où plusieurs protagonistes évoluent sur les toits terrasses en sortant du cadre, rentrant de nouveau et ce de façon très bien menée à l’image. Pour lui, la proposition cherche à impressionner le spectateur. Ce qui l’a laissé extérieur au film…

A contrario, pour Bernard Payen, « Pude ver un puma » est un film qui offre des pistes de narration multiples, on peut y saisir plusieurs grilles de lecture. C’est un film très sensible, qui touche physiquement et happe le spectateur. On a l’impression que le film a commencé avant que l’on arrive, le spectateur est là comme « à l’improviste ». L’univers créé par Eduardo Williams est extrêmement personnel, esthétiquement très réussi. Le climat apocalyptique est bien amené. Pour Marie-Pauline Mollaret, c’est un film qui apporte de la nouveauté et un point de vue très personnel, et qui est inscrit dans un cinéma du ressenti. Qui plus est, elle pointe un autre aspect du film qui joue sur la difficulté pour ces jeunes de communiquer dans ce monde, c’est un sujet très actuel à ses yeux.

L’accord unanime et le consensus

Finalement, le choix du prix du Jury du Syndicat de la Critique aura été plutôt simple à décider puisqu’un film, et un seul, faisait l’unanimité dès le départ : « La sole entre l’eau et le sable ». Un film plébiscité pour son côté culotté, atypique et déroutant. Pour Francis Gavelle, ce film qu’il qualifie « de la contamination » est intéressant dans sa bascule d’un sujet anodin, le poisson, à un thème plus intéressant, la grand-mère, qui vient petit à petit parasiter le premier sujet. Le film n’est pas sérieux mais ne tombe pas non plus dans la boutade. Il est très touchant.

Mais après avoir passé la plus grande partie de la délibération à débattre autour du film « Pude ver un puma », comment ne pas le valoriser dans la remise des prix ? Chose pratique pour tout bon jury qui se respecte : l’appel à la mention !

Fanny Barrot

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