Yamamura et la polyvalence de l’animation japonaise

Directeur d’animation japonais de renom, Koji Yamamura parvient à créer dans chacun de ses films un univers singulier et captivant. Même ses nombreux films de commande destinés aux jeunes spectateurs interpellent les adultes, évoquant tout l’émerveillement et la nostalgie de l’enfance. Ses autres courts, plus personnels, relèvent la marque d’un artiste qui sait narrer à travers l’image. Quelques illustrations.

« Mount Head »Atama-Yama », 2003), un des titres les plus célèbres de Yamamura, se présente telle une fable (« il était une fois… ») en forme de chant. Accompagnée d’une musique au Shamisen, cette narration expose le sort d’un radin qui se fait exploiter à cause de ses frugalités extrêmes. Déterminé à ne pas gaspiller la moindre chose, il s’empiffre des noyaux de cerises, provoquant la fleuraison d’un cerisier sur sa tête, dont tout le monde veut bénéficier en hiver comme en été. Las d’être un terrain de pique-nique pour des gens peu respectueux de l’écosystème de sa caboche, il décide d’arracher l’arbre, ce qui laisse un trou qui devient vite une flaque d’eau, attirant des centaines de baigneurs. La combinaison de moral et d’absurde du récit l’inscrit dans la lignée des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, desquels ce court pourrait facilement représenter un chapitre retrouvé, si ce n’est le côté contemporain de la métaphore environnementale de la terre abusée.

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Dans la même veine se trouve « Perspectivenbox » (1990), une animation au caractère fortement enfantin, témoignant toutefois d’une grande maturité. L’esthétique comme la musique sont proches de celles des jeux vidéo des premiers temps. Cette animation ringarde et mignonne, qui n’est pas sans rappeler La Panthère Rose, suit un ornithologue dans les pérégrinations dans la ville où s’égrainent de codes bar ; là, il rencontre des oiseaux-humains bien plus rares qu’à la campagne. Dans cette œuvre, la nature est autrement sauvage, hostile, conformiste et consumériste, surplombée par des torrents de produits de consommation et de leurs déchets. Yamamura parvient à traduire le trop-plein désespérant de son sujet avec allégresse, notamment par le biais d’un travail de profondeur du champ remarquable pour le genre animé.

D’autres films témoignent du talent de Yamamura pour l’adaptation des œuvres littéraires en animation. « Old Crocodile » (2005) est tiré d’un conte pour enfants écrit et illustré par Léopold Chauveau. Il raconte l’histoire d’un vieux crocodile souffrant de rhumatismes et d’un appétit insatiable, qui quitte le Nil pour la mer salée, vit une histoire d’amour avec une pieuvre qu’il finit par dévorer (chaque crocodile tue la pieuvre qu’il aime ?).  Apparaît dans ce film un curieux mélange d’informations et d’images didactiques (qui laissent imaginer un reportage zoologique de National Geographic Kids) et d’un chromatisme terne qui contamine à la fois la narration, neutre et froide, et le message glauque du film. Sous une façade de fable moralisante, cette animation se révèle en fait plutôt amorale.

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« The Country Doctor » (2002), adapté de la célèbre nouvelle de Kafka, retransmet le surréalisme absurde de l’auteur tchèque, avec des échos bucoliques à Balzac. Tourmenté et fantasque, le récit accompagne un médecin de campagne en visite une nuit d’hiver. Objectant tout réalisme, Yamamura prend le parti d’un expressionnisme lyrique, avec une bande-son au service de l’image. En effet, la « voix » du narrateur à la première personne est souvent interprétée par un chœur. Sombre et très soigné, ce court met en lumière une facette moins visible du réalisateur.

La filmographie de Yamamura est également constellée d’animations plus légères, des exercices de style montrant l’habileté de ce maître d’aquarelle. Par exemple, « Aquatic » (1987) est une sorte d’hommage expérimental au genre d’animation, présentant des reflets mutants dans l’eau de manière fantasmagorique. « Pieces » (2003) en revanche alterne des scènes vaguement narratives avec des vignettes psychédéliques et kaléidoscopiques. Avec ces petits « aventures formelles », Yamamura crée des univers graphiques à la fois familiers et originaux, et manifeste la force d’une imagination inépuisable. C’est donc avec une impatience non dissimulée que nous attendons de découvrir son dernier court « Muybridge’s Strings » lequel revisite l’histoire du septième art à travers les expériences de son père artistique d’origine anglaise, Earweard Muybridge.

Adi Chesson

Article associé : l’interview de Koji Yamamura

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