Fourplay : Tampa de Kyle Henry

Rêverie extatique rose bonbon

La teneur fantasmatique d’un tableau accroché au-dessus du comptoir d’un saloon pourrait procéder d’une telle image; quelques palmiers aux couleurs pâles devant un fond rose bonbon. On y verrait quelques figures au centre, sirotant face au ciel crépusculaire, parlant d’amour et d’eau fraîche. Seulement voilà, le court-métrage américain Tampa, sélectionné à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, n’est pas une peinture du dimanche et encore moins un paysage « carte postale ». Reprenant à son compte des clichés bien colorés, il dresse un univers tantôt vide tantôt plein où un homme, dans sa solitude, voit ses désirs osciller entre plénitude et frustration. Nous ne sommes donc pas exactement sur les plages exotiques de Floride mais dans les toilettes d’un centre commercial où seul les fantasmes les plus débridés sont acceptés. Ils s’agit d’une réalité bousculée qui laisse davantage place aux ombres qu’aux traits naturalistes : la carte postale devient une carte de vœux provocante où le rose n’impose qu’un calme apparent. Et pour cause. Toutes les limites de l’imaginable sont repoussées. En somme, une rêverie extatique appelant à la résurrection de la chair…

Septième art : septième ciel ?

Replacer les fantasmes érotiques au cœur du cinéma pour en extraire leur tonalité divine; tel est le pari de Tampa, le second segment d’un quadriptyque consacré à des rencontres sexuelles du septième type et conçu par le cinéaste américain Kyle Henry, qui fait du cinéma en le faisant résolument (ar)rimer avec provocation. Alors que le premier segment se déroulait à San Fransisco, le réalisateur a choisi ici pour décor les petits coins d’un centre commercial de Tampa, une cité de l’ « État ensoleillé ». Un homme au T-shirt rose bonbon, joué par le génial Jose Villarreal, un nouveau Priape visiblement en manque d’assouvissement (homo)sexuelle, voit ses envies trouver une concrétisation. Aussi les frontières entre la réalité et la fiction, entre la vérité et le désir, sont-elles progressivement rendues poreuses. Pendant que les cartes — en même temps que les hommes — se redistribuent, les envies sont plus fortes que la volonté et bientôt notre héros est bientôt dépassé par cette situation irrégulière. Les dieux modernes, les stars et les hommes politiques se mêlent à la partie. Pus généralement, les autorités morales du monde moderne se voient incarner des sex toys fétichisés. Dégoûté par la jouissance à laquelle il n’est que témoin, notre héros va néanmoins bientôt voir son rêve tourner à son avantage. L’excès repousse les limites de l’imaginable pour mieux annoncer l’arrivée de sa propre « extase » au deux sens du terme.

Résurrection de la chair

Si, comme nous le mentionnions en introduction, « érotique », « théologique » et « extatique » font bon ménage, il s’agit d’un ménage christique. L’apparition feutrée du Christ crée bien une combinaison des trois termes, avec toute la retenue, la pudeur et le sacré qu’il convient. L’explosion de jouissance qui avait succédée à la première étape du fantasme laisse alors place à la découverte d’un plaisir charnel inattendu, à la croisée du ciel et de la terre. Le temps fantasmatique, jouant autant sur l’imagination que sur la croyance religieuse, ressemble au temps divin de par sa dimension surnaturelle. La notion d’extase s’applique donc parfaitement à la trajectoire sexuelle démesurée du protagoniste. Cependant, comme la profondeur des choses n’advient que dans l’invisible et la surprise, rien n’indique au départ que les toilettes d’un centre commercial puissent accueillir la messe extatico-érotique à laquelle assiste le spectateur. Les pouvoirs mystiques sont à l’œuvre.

Le devenir du tripoteur

Le film fait singulièrement penser au Chant d’amour de Jean Genet (1950). Tout comme dans ce dernier, l’univers cinématographique renferme une mise à nu aussi rare que provocatrice. Il contribue à inattendue mise à nu des corps mais surtout à une mise à nu du processus fantasmatique. La durée de ce dernier est respectée, même s’il est absent de toute logique linéaire. Ce qui semble intéresser le cinéaste, c’est donc le devenir d’un homme face à sa frustration et à ses fantasmes. Cette œuvre n’est donc pas un film sur la pornographie mais un documentaire sur l’être humain, sa solitude, sa capacité à déformer le monde et se lier aux autres par désirs. Mais les deux prochains épisodes de la série Fourplay participeront-ils à cette même célébration christique rose bonbon ? Rien n’est moins sûr. Dans l’attente, il nous faudra faire face à nos propres fantasmes et faire preuve d’une patience… exquise. Et nous rappeler que, dans certains cas, la fiction dépasse de loin la réalité.

Mathieu Lericq

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Pour information, « Fourplay : Tampa » sera projeté le jeudi 13 juin 2013, à 20h30, lors de la séance Format Court spéciale Quinzaine des Réalisateurs, au Studio des Ursulines (Paris 5e).

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