Alexei Alexeev : l’humour, le court, et le stupide

« Qu’est-ce que je parle… Je n’aime pas trop parler de moi. Ça, c’est à cause de la bière ! Bon, j’en prends une autre ! Tu as une autre cassette ?! ».  Réalisateur russe habitant à Budapest, formé à l’animation au studio Pilot et à l’Université de cinéma de Moscou, Alexei Alexeev aime faire des films stupides, drôles et courts, à l’image de « KJFG n°5 », un sketch musical mettant en scène des animaux de la forêt. Entre houblon et exclamation, rencontre avec le réalisateur, présent à la cinquième Fête de l’animation, à Lille.

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Comment t’es-tu découvert un intérêt pour l’animation ?

Je n’ai jamais voulu être animateur. À vrai dire, toute ma vie, j’ai joué différents styles et instruments de musique. Mes parents m’ont inscrit, enfant, à l’Académie de musique de Moscou. Cela ne me plaisait pas au départ, parce que je préférais jouer avec les enfants dans la rue que faire des gammes, enfermé à l’intérieur! Comme mon père était professeur en ingénierie aéronautique à l’Université technique de Moscou. J’ai suivi sa voie, mais c’était censé être temporaire parce que je ne savais pas quoi faire. Aujourd’hui encore, je ne sais pas quoi faire (rires) ! J’ai terminé mes études, avec une centaine de professionnels de l’aéronautique connaisseurs du monde interplanétaire. Si je n’avais pas joué de la musique, je serais…

Devenu astronaute ?

…Non, je serais devenu complètement fou. La formation était très pointue et stressante.

Tu évoques la musique. Il semble qu’elle ait influencé ton travail : tes films sont très musicaux.

Merci. Je pense qu’ils sont plutôt stupides, en fait (rires) ! Mais si tu trouves des adjectifs raisonnables, ça me va !

As-tu le souvenir d’un film qui t’a touché, enfant ?

Non, pas spécialement. J’étais un enfant normal qui aimait l’animation, sans plus. Je me souviens toutefois d’une série en épisodes de 10 minutes, « Nu, pagadi » (« Attends que je t’attrape »), une sorte de « Tom & Jerry » russe qui passait à la télévision le soir. C’était peut-être la première série non moralisatrice en République Soviétique. Personnellement, la moralité dans les films m’insupporte. Ce côté « fais ceci, ne fais pas cela » convient peut-être aux professeurs, mais pas à moi. Ce qui me plaît par contre, c’est l’humour stupide.

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Plus c’est stupide, plus c’est intéressant ?

Oui. Moi, je trouve ça très excitant, la stupidité. Souvent, au cinéma, je peux prévoir ce qui va se passer, et je trouve ça ennuyant. Mais quand les choses sont illogiques et/ou dynamiques, n’importe quoi peut se passer n’importe quand : tout est imprévisible, et je reste attentif. Si j’apprécie les formats très courts, c’est parce que j’estime que je n’ai pas le droit de parler aux spectateurs plus longtemps qu’il ne le faut. Si ils n’aiment pas mes films, je ne leur aurai pris que deux minutes de leur vie. Moi, je suis très sensible à l’ennui. Cela fait 20 ans que je travaille dans l’animation. Je sais à quel point c’est dur, pesant et long de faire des films, et quand les résultats sont décevants, cela me rend malade.

Cette année, tu fais partie du comité de sélection des courts métrages au  festival d’Annecy. As-tu été  malade en voyant les films ?

Non, je l’ai plutôt été en me farcissant 98 heures de visionnage et 700 films (rires) ! Il y a quelques films que j’ai beaucoup aimés et d’autres qui m’ont désintéressé parce qu’ils étaient trop prévisibles ou parce qu’ils comprenaient des dialogues longs et inutiles. Est-ce que ça me touche ou non ? C’est la question essentielle.

Est-ce que ce que cela explique pourquoi tes deux derniers films ne comprennent pas de dialogues et sont très courts ?

Oui et non. Les dialogues et la durée ne m’intéressent pas trop. Je pourrais faire plus long, mais je n’en vois pas la raison. Pour moi, l’animation est un processus très long et plutôt ennuyeux. On passe beaucoup de temps dessus. Je ne voulais pas m’ennuyer, et ces films sont à la base des blagues que j’ai faites pour moi. Pour être honnête, je ne voulais même pas les montrer.

Tu voulais les garder pour toi ?

Oui. J’ai fait plusieurs films que je n’ai montré à personne. Ca me fait plaisir que les gens apprécient mon travail, mais c’est vrai que je crains par moments que mon humour complètement idiot ne soit pas compris par les autres parce qu’il n’est pas très commun. Pour moi, la seule règle, c’est le rire : dans mes films, il n’y a pas de sujets, d’histoires, ou de concepts. Il n’y a rien du tout  (rires) ! J’aime ce qui est simple et drôle, sans fioritures. Cela peut être vulgaire, sexuel, n’importe quoi, mais ça doit être drôle !

Tes nouvelles idées concernant tes animaux des bois seront donc sexuelles, drôles, d’une durée d’une minute, sans dialogue et sans histoires !

Oui (rires) ! Je ne sais pas quoi raconter sur les animaux de « KJFG n°5 ». Qui sont-ils ? Des hommes ? Des femmes ? Peut-être sont-ils des homosexuels  vivant reclus dans la forêt ? Peut-être. Même question pour le chasseur. Qui est-il ? Entretient-il une relation avec son chien ? Je n’en sais rien. Il n’y a rien à comprendre (rires) !

Comment se fait-il qu’à l’origine, tu ne voulais pas faire d’animation et que tu te sois retrouvé au Studio Pilot [premier studio indépendant, privé, et moderne en Russie] et à l’université de cinéma de Moscou ?

À la fin des mes études en aéronautique, j’ai suivi un cours d’art. Je faisais des dessins débiles pour impressionner la fille assise à côté de moi. Elle m’a tendu un journal avec une publicité du Studio Pilot, en me disant que si je dessinais, je devrais m’adresser à eux. Je les ai appelés, ils m’ont demandé de faire quelques dessins. Ils les ont appréciés, et j’ai commencé à me former chez eux au métier d’animateur. J’ai travaillé avec Alexandre Tatarsky [fondateur du Studio] et de nombreux jeunes animateurs. Plus tard, avec un groupe de Pilot, j’ai suivi quelques cours à l’Université pour apprendre la réalisation.

Comment Pilot a-t-il réformé l’esthétique russe ?

Au studio, il n’y avait rien de comparable à « Nu Pugadi ». On avait envie d’explorer le mauvais goût et les blagues vulgaires. Nous ne nous adressions pas aux enfants, mais aux adolescents et aux adultes. Les films n’étaient pas moraux du tout; ils étaient plus absurdes, libres, et drôles qu’auparavant. Tous les animateurs étaient jeunes et avaient une vision moderne de l’animation. L’atmosphère était géniale, les projets étaient chouettes, et les gens talentueux. Pilot a été la meilleure école, pour moi : de projet en projet, j’ai découvert d’autres techniques et styles, appris à travailler rapidement, et développé mon goût pour l’absurde.

Pourquoi t’es-tu installé à Budapest ?

Initialement, ça devait être provisoire. Il n’y avait plus de travail à Pilot, je suis parti superviser une production, pendant un mois, à Budapest, et je suis resté. Cela fait cinq ans que c’est provisoire !

Dans tes films, tu occupes beaucoup de postes : le scénario, la réalisation, le montage, le son, la musique, l’animation, …La seule chose que tu ne fais pas, c’est produire et distribuer tes films. À Pilot, tu avais l’habitude de travailler en équipe. Qu’est-ce qui a changé ?

À Budapest, je n’ai trouvé personne avec qui travailler, alors j’opère seul. Par le passé, j’ai eu quelques mauvaises expériences. Cela ne sert à rien d’expliquer beaucoup de choses aux animateurs : les bons te comprennent alors que les mauvais ne te comprendront jamais. Evidemment, je préférerais travailler avec des gens qui me comprennent : des gens qui ont pensent de la même manière que moi, qui s’amusent des mêmes choses stupides, et qui sont toujours dans la recherche.

Vu que t’investis beaucoup dans tes films, as-tu aussi prêté ta voix au loup chanteur de « KJFG n°5 » ?

Non. La voix a été créée par ordinateur. Moi, je chante très mal, et de toute façon, je ne suis pas un animal !

Depuis ce film, tu travailles avec la chaîne de télévision américaine Nickelodeon…

Oui. À la base, j’avais fait « KJFG » pour moi. Le film durait 14 minutes, c’était une histoire plus développée que l’actuelle,  avec les mêmes personnages. Je n’arrivais pas à la finir, j’ai donc coupé 10 minutes. Les gens de Nickelodeon ont vu le film, l’ont apprécié, et l’ont acheté. Ils m’ont commandé d’autres films courts pour remplir leurs grilles.

Pourrais-tu me parler du titre ? Y–a-t-il un lien avec une symphonie ou un parfum français ?

Ce titre est complètement inutile et dénué de sens.  Je ne savais comment intituler l’histoire, et je ne voulais pas d’un nom qui puisse être un repère pour le spectateur. KJFG pourrait être une abréviation, mais avec un nombre qui le suit, c’est encore plus absurde.

As-tu entendu parler des remakes de ton film, présents sur YouTube ?

Oui. Animamundi, un festival au Brésil, a organisé un concours d’imitation sur base de « KJFG n°5 ». J’ai ainsi découvert une animation et deux fictions que des gens ont fait pour s’amuser, probablement parce que mon film est réellement stupide et facile à imiter ! Je ne l’ai pas pris personnellement.; au contraire, ça m’a fait beaucoup rire !

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Quels sont tes projets actuels ou à venir ?

Je travaille sur les films pour Nickelodéon, et parallèlement, je développe un projet personnel. À Los Angeles, j’ai acheté deux automates en plastique que je trouvais drôles et ridicules, et que je transporte en permanence avec moi, dans une boîte en plastique recouverte de mousse, pour qu’ils ne s’abîment pas. Partout où je vais, je les filme en train de danser. Ainsi, ils danseront dans le monde entier ! Je ne sais pas pourquoi je fais ça, ne me pose pas de questions, car je n’ai pas de réponses (rires) ! C’est un ‘’low budget’’, comme tu peux le constater !

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique de « KJFG n°5 »

Consulter la fiche technique du film

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