Une femme du monde de Cécile Ducrocq

Le premier long-métrage de Cécile Ducrocq Une femme du monde, sorti au cinéma le 8 décembre dernier, est disponible en DVD chez M6 Vidéo. Bouleversant et touchant, le film nous plonge dans le quotidien d’une travailleuse du sexe. Porté par la formidable performance de Laure Calamy qui lui a valu d’ailleurs une nomination aux César 2022 pour la meilleure actrice, le film nous fait vivre 95 minutes intenses de révolte, de dégoût, de tristesse, et de joie. La réalisatrice et scénariste a pour collaborateur le chef opérateur Noé Bach (membre du jury de la troisième édition de notre festival), avec qui elle crée cette image juste et ancrée dans le monde de Marie, la protagoniste. Format Court vous permet de remporter 3 DVD du film avec le dernier court-métrage de la réalisatrice dans les bonus.

Marie est une prostituée indépendante qui vit à Strasbourg. Son fils de dix-sept ans, Adrien, qui rêve de devenir chef cuisinier, est exclu de son établissement. Marie travaille alors avec acharnement et va jusqu’à renoncer à son autonomie dans le but de lui payer une prestigieuse école de cuisine privée.

Cécile Ducrocq porte sur la prostitution un regard différent de celui qu’on trouve habituellement au cinéma. Elle se détache de l’image stéréotypée de la femme malheureuse qui exerce ce métier contre son gré. Laure Calamy incarne une travailleuse du sexe épanouie qui assume sa profession et manifeste pour ses droits. Marie et ses collègues luttent contre la dépénalisation des clients, une loi qui touche finalement davantage les travailleuses du sexe obligées d’exercer dans de terribles conditions. Il s’agit d’une thématique très rarement abordée au cinéma. Cécile Ducrocq impose ici un regard féminin novateur et audacieux. Elle montre notamment la solidarité qui règne entre les prostituées indépendantes, qui s’entraident au besoin.

Marie rencontre en premier lieu des difficultés ordinaires. C’est une héroïne à laquelle on peut s’identifier : anxieuse à propos de la situation de son fils et en relation conflictuelle avec sa mère. Elle traverse des épreuves de la vie courante: la difficulté d’écrire une lettre de motivation, le rendez-vous à la banque, les entretiens chez la conseillère d’orientation, … Son métier génère des complications particulières dans ses rapports familiaux. Si son fils tolère plus ou moins ce choix, la mère de Marie reste dans l’incompréhension.

Puis presque à la manière d’un documentaire, la réalisatrice nous montre le quotidien du métier de prostituée, l’interpellation des hommes dans la rue, leurs réactions, l’attente près de la route que certaines voitures s’arrêtent. Dans une scène particulièrement juste et comique, Marie déclare à un banquier qu’elle est prostituée, et celui-ci dissimule difficilement sa surprise et son malaise.

Bien qu’on ne puisse s’empêcher d’admirer cette femme combattive et déterminée en imperméable doré, elle n’est pas dépourvue de défauts, et Cécile Ducrocq dresse le portrait complexe d’un personnage profond et réaliste dans son scénario.

Certains plans sont filmés en caméra épaule permettant une immersion dans le quotidien de la protagoniste. Le jeu des acteurs par sa qualité vient renforcer cet effet de réalisme. Ce n’est pas seulement le jeu de Laure Calamy qui impressionne et nous transmet tant de sensations, mais aussi celui d’Adrien, le fils de Marie, incarné par Nissim Renard. Le jeune acteur parvient à nous émouvoir à travers une large palette d’interprétations, passant de l’apathie à la colère intense, ainsi que par la joie.

La récente sortie DVD du film Une femme du monde permet de visionner dans ses bonus un précédent court-métrage de la réalisatrice Cécile Ducrocq La Contre-allée, sorti en 2014. Le court-métrage avait été sélectionné à la Semaine de la Critique la même année, et avait remporté le César du meilleur court-métrage en 2016. Cécile Ducrocq dressait déjà le portrait social d’une prostituée interprétée par Laure Calamy.

Ce court-métrage constitue la source et le point de départ du long-métrage. Dans le court-métrage, la protagoniste n’a certes pas d’enfant, et Cécile Ducrocq se concentre sur les problématiques du travail de Suzanne en tant que prostituée, et non sur son rôle de mère de famille. Dans La Contre-allée, la protagoniste Suzanne perd des clients, car des prostituées noires travaillant pour un proxénète lui font de la concurrence. Suzanne demande à un groupe d’amis de l’aider à intimider ces prostituées qui empiètent sur sa zone de travail, mais ces hommes en profitent pour dévoiler leur profond racisme et exercer des actes violents.

Dans le court-métrage comme dans le long-métrage, la réalisatrice a la volonté d’aborder le sujet de la prostitution à travers un regard sans a priori, et de montrer qu’il s’agit d’un métier dans lequel on peut connaître des moments difficiles, mais aussi des moments de reconnaissance et de joie.
Il extrêmement peu commun d’adopter dans un film le point de vue d’une prostituée et il est rare de montrer cette dernière revendiquant une utilité envers sa clientèle. Cécile Ducrocq créer le timing parfait en montrant d’abord une scène de violence sexuelle très crue, puis l’intervention bienveillante d’un client très doux venu remercier Suzanne, et lui offrir des fleurs, pour ses enseignements.

La réalisatrice fait le choix de caster des acteurs non-professionnels, excepté Laure Calamy. Cela renforce cet effet de réalisme et cet aspect presque de documentaire à travers l’immersion dans le quotidien de Suzanne.

Cécile Ducrocq est une réalisatrice audacieuse qui propose un regard féminin plus que nécessaire sur le sujet de la prostitution, dont les règles sont généralement décidées par des hommes. Laure Calamy incarne dans les deux films, le rôle très fort et émouvant d’une prostituée épanouie, en lutte pour sa liberté et celle de ses proches.

Laure Dion

Une femme du monde. Edition : M6 Vidéo. Bonus : court-métrage : La contre-allée (29′).

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