Son film, Les Bottes de la nuit, réalisé grâce au écran d’épingles, a remporté le Cristal du court-métrage, le Prix du Public et le Prix André Martin au Festival d’Annecy. Pierre-Luc Granjon, qu’on a découvert il y a quelques années avec Le Loup blanc, raconte sa découverte de l’animation en volume, la réalité du métier, l’envie d’être heureux et le besoin de se renouveler.
Format Court : Qu’est-ce qui est à l’origine de ton parcours ?
Pierre-Luc Granjon : Je ne pensais pas faire de l’animation, ça ne me venait même pas à l’esprit. Le cinéma, ça me semblait complètement inaccessible. Je voulais faire un métier artistique, au début de la bande dessinée, puis de la peinture… Finalement, je suis entré à l’École d’arts appliqués de Lyon — qui n’existe plus aujourd’hui, elle a été fusionnée avec les Beaux-Arts.
Je m’étais inscrit en architecture d’intérieur, mais ça ne m’a pas plu. L’autre option, c’était le dessin textile : je n’aimais pas trop ça non plus, mais au moins on dessinait, on peignait. Ce qui m’a retenu, c’était surtout la promo, très chouette, et quelques profs qui nous poussaient à trouver ce qui nous plaisait. C’était une école très formatrice, malgré tout.
Comment es-tu arrivé à l’animation ?
P-L.G. : Après l’école, il y avait encore l’armée. Je voulais être objecteur de conscience, et un copain m’a parlé du studio Folimage à Valence, qui acceptait les objecteurs. J’y suis allé et ça a été un coup de foudre. J’ai vu les studios, les décors en volume… J’ai trouvé ça super. Au final, j’ai été réformé, mais j’ai pu intégrer le studio comme modeleur sur la série Hôpital Hilltop de Pascal Lenôtre. Très vite, j’ai voulu faire mes propres films. J’ai observé tout le monde animer, fabriquer des décors pendant un an, puis j’ai écrit Petite Escapade, mon premier court-métrage, que j’ai tourné un an plus tard, dès que j’ai trouvé les financements.
Dans Petite Escapade, tu utilisais déjà la stop motion. Comment t’es-tu approprié cette technique ?
P-L.G. : C’est la première technique que j’ai découverte en arrivant à Folimage. Je ne venais pas d’une école d’animation, donc j’ai tout appris sur place. La stop motion s’est imposée naturellement. J’avais aussi été marqué par deux films : La Bouche cousue de Jean-Luc Gréco et Catherine Buffat et L’Homme au bras ballant de Laurent Gorgiard. Je me suis dit : “Waouh, on peut faire ça en volume ?”
Tes films explorent des techniques variées : écran d’épingle, papier découpé, volume. Est-ce que tu veux tester le plus de choses possibles ou est-ce que la technique est au service de l’histoire ?
P-L.G. : Ça dépend. Pour Les Bottes de la nuit, je savais que je voulais travailler à l’écran d’épingle, car le film se passe de nuit et je voulais jouer avec les contrastes. Là, la technique a guidé l’écriture. Pour les autres, ça a souvent été l’envie d’expérimenter. Toutes les techniques m’intéressent, même la 3D, que je n’ai jamais faite — mais pourquoi pas ? Je serais prêt à tenter quelque chose. C’est vrai que j’aime bien me fixer un petit défi supplémentaire à chaque fois. Ca rend les choses plus excitantes.
Le fait d’être en festival permet aussi de découvrir les films des autres.
P-L.G. : Exactement. Il y a des films en 3D qui m’épatent. Le travail de David O’Reilly, par exemple, je trouve ça super. Palmipedarium, aussi, de Jérémy Clapin, j’avais adoré.
Ça m’intrigue un peu, la vie d’un animateur au quotidien. Les animateurs parlent beaucoup d’une forme de solitude, du temps écoulé sur leurs films. En projection, les films s’enchaînent, on ne se rend pas toujours compte du travail et des efforts fournis. Comment vis-tu ça ?
P-L.G. : C’est vrai qu’on est à fond quand on fait un film. Une fois un film terminé, je passe à autre chose. Je suis dans l’idée du prochain. Je suis toujours en réaction au film précédent. Par exemple, mon premier film était en noir et blanc, j’en ai fait un après en couleur. Ça a été long parce qu’il fallait trouver de l’argent. Après, j’ai écrit L’Enfant sans bouche, un projet simple, en papier découpé, que je pouvais produire avec très peu de moyens, avec des amis et la maison d’édition Corridor.
Sur ton compte Instagram, tu publies des illustrations. Pourquoi continues-tu à dessiner et à y partager ton travail ?
P-L.G. : Je poste peu, peut-être une cinquantaine de publications. Mais c’est un moyen de garder une visibilité, car mon site n’est pas à jour. Certains festivals m’ont contacté via Instagram. J’aime bien aussi partager des dessins et découvrir ce que font les autres.
Est-ce que tu fais aussi d’autres choses à côté de l’animation ?
P-L.G. : Oui, je fais aussi de la sculpture. J’ai réalisé des petites figures en terre enfumée, une soixantaine, et je crée chaque année le trophée du Festival Ciné Junior. La sculpture et la gravure me plaisent beaucoup. Mais c’est l’animation qui me fait vivre.
Justement, comment parviens-tu à vivre de ton métier, entre deux projets ?
P-L.G. : J’ai plusieurs casquettes. Je suis animateur sur des projets comme Séraphine, le long-métrage de Sarah Van Den Boom. Je suis content d’aller animer sur les projets des autres. On découvre toute une autre manière de travailler, tout un autre univers. C’est chouette. Je suis aussi scénariste, je touche des droits d’auteur. Dès que j’ai du temps, j’écris mes propres projets. Parfois, je perds le statut d’intermittent, mais ça ne dure pas longtemps. Je m’en sors.
Tu as coréalisé Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci, avec de grands noms au casting vocal (André Dussolier, Marion Cotillard, Juliette Armanet, …). Comment s’est passée cette expérience ?
P-L.G. : Le projet est porté depuis longtemps par Jim Capobianco que j’appelle le réalisateur principal. Il portait ce projet depuis 10 ans quand je suis arrivé dessus, en tant que spécialiste de la stop motion. Je n’ai pas dirigé les voix anglaises, mais j’ai suivi les enregistrements français à distance. Il fallait se caler sur les voix anglaises aussi, donc les intentions étaient déjà là, déjà données. Travailler avec des professionnels comme Marion Cotillard, André Dussolier ou Juliette Armanet, c’est facile. Ils sont très à l’écoute.
Les Bottes de la nuit a été réalisé à l’écran d’épingle, une technique très rare. Qu’as-tu appris ?
P-L.G. : C’est une technique fascinante. Elle m’a permis de travailler en clair-obscur, sans trait, juste en modelant la lumière. Ce rendu-là, je n’ai jamais réussi à l’obtenir en dessin traditionnel. Ce que j’ai appris, c’est d’oublier le dessin, le trait. Il faut chauffer l’écran pour que les épingles coulissent bien. C’est un outil complexe, mais quand il fonctionne, c’est magique.
Qui sont tes inspirations dans le milieu ?
P-L.G. : Il y en a beaucoup. J’ai cité David O’Reilly, Laurent Gorgiard, Jérémy Clapin… Et puis Iouri Norstein : j’admire la richesse, la profondeur de ses images. Pour mon prochain film, j’aimerais expérimenter sur du plâtre, pour jouer avec les flous et les nets. J’ai envie de graver, gratter, peindre. J’aime bien quand on ne devine pas forcément comment ça a été fait, quand on brouille les pistes.
Un film qui m’a marqué récemment, c’est Dog Ear, un film hongrois de Péter Vácz en 2D, très bien écrit. Graphiquement, ce n’est pas du tout ce que je fais mais les thèmes abordés sont très touchants. C’est vraiment un très beau film. J’aime aussi découvrir des œuvres très éloignées de mon univers et admirer la technique ou le récit. Le festival d’Annecy est parfait pour ça.

« Les Bottes de la nuit »
Quel est ton lien avec Annecy ?
P-L.G. : J’y viens souvent, même sans film en sélection. J’y suis venu pour la première fois vers 1995, pour une journée. Je crois que c’est là où j’ai découvert L’homme au bras ballant justement. Je n’imaginais pas encore faire de l’animation, j’étais aux Arts Appliqués à cette époque-là, à Lyon. J’ai quand même découvert pas mal de choses à ce moment-là. Et puis après, je suis revenu régulièrement. Petite Escapade y a été projeté. C’était énorme pour moi d’avoir mon premier film sélectionné. Le festival n’est pas aussi gros qu’aujourd’hui. Maintenant, c’est quand même énorme.
Est-ce que tu as un souvenir de la projection ?
P-L.G. : J’ai un vague souvenir. Ce dont je me souviens, c’est le moment où j’ai eu l’argent pour faire le film du Centre de la première œuvre, une structure qui n’existe plus. D’un seul coup, je me suis dit qu’il allait falloir faire le film. J’étais à la fois ravi et très apeuré. C’était mon premier film, c’était quelque chose d’assez vertigineux, la sélection à Annecy en plus, c’était incroyable !
À quel moment t’es-tu senti réalisateur ?
P-L.G. : Dès mon entrée à Folimage, je voulais faire mon propre film. J’ai passé un an à apprendre, puis j’ai commencé à écrire, à dessiner. Ca me tenait à coeur de raconter des histoires. Le mot “réalisateur” est arrivé après, sans que je m’en rende compte. La magie du mouvement, l’animation, c’est assez incroyable. Donner vie à ce qui ne bouge pas, imaginer les écarts, les pauses, les mouvements : j’apprends tout le temps encore en animant, je ne m’en serais pas douté à mes débuts. J’adore, je suis trop content de mon métier. On est dans le cinéma, on est chanceux.
Tes films sont traversés par la douceur, la poésie, l’enfance qu’on n’a pas vraiment quitté. D’où vient cet intérêt ?
P-L.G. : Pour Les Bottes de la nuit, il y avait vraiment de ça. Je l’ai écrit en réaction à tout ce qu’on vit depuis un certain nombre d’années. Je ne veux pas participer à l’angoisse générale, je résiste, il faut continuer à être heureux même si le monde est dur. Ça ne veut pas dire qu’on nie le monde mais en étant heureux, on apporte du bonheur autour de nous. Pour Les Bottes de la nuit, j’avais envie d’un film léger et tendre. J’ai fait des films plus durs comme Le Loup blanc, ça correspondait peut-être à un époque et j’en referai peut-être des plus durs. Mais pour celui-ci, je voulais de la tendresse.
Propos recueillis par Katia Bayer