Las Novias del Sur de Elena López Riera

Las Novias del Sur, ou Les fiancées du Sud, c’est un aller-retour permanent entre passé et présent, avec des regards plein de doutes et des voiles de mariées, mélangés aux rires et paroles de femmes maintenant âgées. Ce beau tableau documentaire espagnol, réalisé par Elena López Riera (ayant tourné El Agua), a remporté la Queer Palm du court-métrage au Festival de Cannes cette année, nous ouvrant à une discussion exclusivement féminine sur le mariage, l’amour et la sexualité.

Le moyen-métrage, présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, débute par des zooms sur des vieilles photos abîmées par le temps, des détails particuliers : des cheveux, une boucle d’oreille, un sourire. On ne s’aperçoit pas tout de suite qu’il s’agit d’un assemblage de photos de mariage. Il n’y a que des bouts de femmes, peu d’indices. Derrière, une voix de narratrice se fait entendre, mystérieuse. Et puis, directement, face caméra, une première femme se met à parler de son mariage. Une deuxième, une troisième. Elles parlent à celle derrière la caméra, la narratrice sans doute.

Ces femmes aux expériences diverses se livrent sans complexes, rient, réfléchissent. Certaines regrettent leur mariage, d’autres non. Une femme parle de son mari qu’elle n’aimait pas, rencontré à seize ans, bien plus âgé, et de son avortement illégal sous le régime franquiste. Une autre parle de la guerre et de la sexualité : “Les femmes se débrouillent comme elles peuvent. Pas la peine d’avoir un homme. Encore moins maintenant !”. On discute d’amour et de sexualité des années soixante à aujourd’hui.

Les paroles du présent sont à nouveau coupées par des images d’archives du passé, salies, des zooms sur l’échange d’alliances et les mains qui bougent imperceptiblement. Le son sourd de ces vidéos installe un certain malaise, on ne sait pas vraiment où se mettre. La lourdeur des regards des jeunes fiancées contrastent avec les rires francs des vieilles femmes racontant leur “première fois”. Ces aller-retours permettent toutefois de varier entre légèreté et lourdeur et nous font rentrer avec davantage de nuance dans cette discussion ouverte.

La narratrice ne parle presque jamais de femmes, mais de “corps”, de “fiancées” ou de “mères”. Elle se considère elle-même comme une “non-mariée” et une “non-mère”, faisant part de ce qui apparaît comme un manque dans la vie d’une femme. Ici, le manque de maternité et de mariage est choisi, assumé : elle veut se séparer de la figure de sa mère. Progressivement alors, les zooms sur les mariées disparaissent pour laisser place aux zooms sur les femmes “des coins de photos”, qui regardent avec envie, tristesse, questionnement, douceur, les nouvelles mariées. Elle compare ces femmes à un “corps qui sourit et qui tremble, mais qui ne va nulle part”. Cette écriture poétique et énigmatique de la voix-off donne énormément de relief au documentaire, en plus de soulever des questions.

Dans la forme d’un cycle, le film retourne finalement aux images des fiancées du sud, comparées à des fantômes, peut-être à cause de leur attirail entièrement blanc. Ces apparitions confortent les réponses de la narratrice, même si elle ne cesse de poser des questions sur un carton. “Qu’est-ce qu’une mariée sans époux ? Qu’est-ce qu’une mère sans enfants ?” Autant que ces interrogations complexes, la liberté de parole des femmes interrogées fait la grande force de ce film. Une discussion décomplexée sur la vie sentimentale et sexuelle qui nous interpelle et qui nous fait du bien.

Amel Argoud

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