Côté Court au cœur de l’intime

La 32e édition du festival Côté Court vient de s’achever. Retour sur une programmation qui accorde une belle place à l’intime. Le Ciné 104, à Pantin, s’est une nouvelle fois paré des couleurs du court. Au menu, comme tous les ans, plusieurs sélections : compétition fiction, Compétition Essai/Art vidéo, Prospective et Panorama. Sans oublier des échanges, des cartes blanches ou des rencontres entre jeunes réalisateur∙rices et producteur∙rices.

Une compétition fiction entre deuil et amour

L’ensemble des films sélectionnés en compétition fiction se singularise cette année par la place accordée à la vie quotidienne. La question du deuil apparaît ainsi dans Les Reines du mambo, de Hélène et Marie Rosselet-Ruiz, qui interprètent elles-mêmes les principaux personnages, Poitiers, de Jérôme Reybaud, et La Chaleur, de Maïa Kerkour, où une famille se retrouve pour veiller le corps de la mère récemment décédée, menacé de putréfaction par la chaleur de l’été.

L’amour et ses déboires ne sont pas en reste, avec Voilà combien de jours, de Hédi Ladjimi, qui nous fait suivre l’inquiétude d’une femme dont l’amoureux a dû rentrer en Tunisie faute de papiers, ou Amour océan, de Héléna Klotz, qui aborde avec douceur la question des amours homosexuelles. Une place à la folie, également, avec Maison blanche, de Camille Dumortier, qui nous fait suivre un jeune homme borderline à travers les yeux de sa petite sœur et a valu à sa réalisatrice le Prix Bande à part du festival.

Le commerce occupe aussi une place non négligeable dans ces déclinaisons du monde contemporain, avec Swan dans le centre, d’Iris Chassaigne, qui nous fait suivre l’errance d’une jeune sondeuse dans un centre commercial, et Grand Littoral, d’Augustin Bonnet. Si le premier a permis à son actrice principale de recevoir le Prix d’interprétation, le second a eu droit au Grand Prix André S. Labarthe. Les petits commerces de l’été apparaissent pour leur part dans Paysage aux torchons, qui a valu à ses réalisateur∙rices Valentine Guégan et Hugo Lemaire le Prix spécial du Jury, et le e-marketing dans Heureux qui comme Ulysse, grâce auquel la réalisatrice Coline Vernon a reçu le Prix de la Jeunesse.

Notons enfin le très mélancolique Sans regret, de Carmen Leroi, adapté de la nouvelle éponyme de Lisa Tuttle. Une poétesse reconnue revient à Caen pour donner un cours sur l’écriture poétique. Elle y retrouve son ancien amant (Emmanuel Mouret), désormais professeur d’université, et surtout est hébergée dans la maison où ils vécurent leur amour. Une maison dont elle ne tarde pas à découvrir qu’elle est hantée par tous les possibles auxquels elle a renoncé. L’immixtion du fantastique donne à ce marivaudage une épaisseur qui l’extrait de l’anecdotique.

Humour et décalage

C’est toutefois l’humour, souvent décalé, qui donne du relief à ces petites histoires : dans D’autres chats à fouetter, la documentariste Ovidie nous raconte les mésaventures d’une professeure coincée hors de chez elle après que sa porte a claqué alors qu’elle se livrait à des pratiques gentiment sadomasochistes sur un amant de passage. Vêtue d’une tenue de latex noire, elle erre dans sa ville à la recherche d’un double de ses clés et croise malencontreusement des élèves, persuadés qu’elle s’est déguisée pour la fête du lycée… L’interprétation de Sophie-Marie Larrouy participe de l’humour de ce court-métrage fidèle à la patte de sa réalisatrice.

Humour également dans Rapide, de Paul Rigoux, qui oppose deux conceptions de la vie, celle de Jean (Edouard Sulpice), jeune homme angoissé et hypocondriaque, et celle de son colocataire Alex (Abraham Wapler), un fou de la vitesse qui théorise avec force concepts philosophiques le fait d’agir sans réfléchir. Cette opposition crée un univers absurde où le comique tient en grande partie à l’écriture de ces deux personnages, volontairement caricaturale. L’originalité du film a convaincu les juré∙es : ce court-métrage a en effet raflé les Prix du Premier film et du Label Jeune création.

Le travail sur le décalage et l’absurde apparaît également dans Dilemne, dilemme, de Jacky Goldberg, qui met en scène un dîner entre un homme et une femme dont une application de rencontres pour complotistes vient de déterminer qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Mais au royaume des conspirationnistes, la paranoïa n’est jamais loin, et chacun∙e tente de convaincre l’autre de la réalité de sa perception du monde. À la névrose assumée de Fox, incarné par Vincent Macaigne, répond avec aplomb Dana, jouée par Julia Faure. Dès lors, tout autour d’eux devient suspect, du serveur au vendeur de fleurs pakistanais. La musique de Chassol et Jean-François Prigent, qui accompagne le film, s’est vue attribuer le Prix SACEM de la Meilleure création musicale.

Décalage aussi dans Grands enfants, de Serge Bozon, qui inverse les rôles entre adolescent∙es et adultes à la manière du Bugsy Malone d’Alan Parker : alors que des interprètes adolescent∙es s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants, Brigitte Fossey et Bernard Ménez se plaignent de leurs parents. Enfin, Marinaleda, de Louis Séguin, se présente comme une parodie de films de vampires qui dissertent sur l’individualisme du monde contemporain. Une proposition qui a su séduire le public, qui lui a attribué son Prix, ainsi que le jury, lequel a décerné le Prix d’interprétation aux acteurs et actrices Pauline Belle, Luc Chessel et François Rivière. Enfin, l’absurde apparaît comme le ressort principal de Safety Matches, produit par Emmanuel Chaumet, qui voit Agathe Bonitzer enquêter sur des disparitions de portes. Cet univers un rien paranormal a valu à la réalisatrice Pauline Bailay le Prix de la Presse.

Hommages et cartes blanches

Le festival Côté Court, c’est aussi des artistes invité∙es, des focus et des cartes blanches. L’après-midi du dimanche 11 permettait ainsi de se plonger dans le monde nostalgique de Mikhaël Hers à travers la projection de trois courts-métrages, Charell (2006), Primrose Hill (2007) et Montparnasse (2009).

Enfin, le Liban était à l’honneur, avec notamment une très belle soirée le 16 juin. Une « performance cinématographique et musicale » voyait les musiciens Charbel Haber et Fadi Tabbal accompagner en live les films J’ai regardé si fixement la beauté (2017) de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige et Le Liban au printemps (2006) de Nadim Tabet. Ces deux films expérimentaux brillent par leur simplicité et l’absence de commentaires. La première partie de J’ai regardé si fixement la beauté touche particulièrement par sa volonté de montrer sans fioritures la raréfaction de l’électricité dans le Liban contemporain. Nous suivons ainsi les quelques lumières des habitations et les lampes de poche des visiteurs et visiteuses de musées, qui bravent l’obscurité pour continuer à contempler les œuvres du passé.

L’édition 2023 du Festival Côté court s’est donc distinguée par la place accordée à l’humour et au décalage, qui mettent en relief l’incongruité du monde contemporain. Peut-être peut-on toutefois regretter le traitement, parfois anecdotique, d’éléments de la vie quotidienne qui empêche certains films de sortir du lot. Les courts-métrages marquants sont en effet ceux qui sortent de l’autofiction pour nous mener vers un monde absurde ou imaginaire.

Julia Wahl

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