L’Ascenseur de Dong Jiang

Premier court du jeune réalisateur chinois Dong Jiang, L’Ascenseur, en compétition nationale à Clermont-Ferrand, met en scène la réunion syndicale des copropriétaires d’un immeuble au sujet de l’installation d’un ascenseur. Dans un huis-clos sans artifice, Dong Jiang dénonce de manière implacable l’indifférence et l’individualisme qui se dissimulent trop souvent derrière la politesse et les bonnes intentions de chacun. D’emblée évocateur de ce qui va suivre, le plan d’ouverture met en évidence les deux protagonistes : un père poussant son fils dans un fauteuil roulant, celui-ci étant paralysé des deux jambes.

Suivis de près par une foule empressée, ils sont vite dépassés pour finir à la queue du cortège, illustrant de facto que dans ce bas-monde, les priorités sont ici bousculées, bafouées, ignorées. À l’initiative de ces bons derniers, la réunion syndicale porte sur le projet d’installation d’un ascenseur motivé par la situation du fils, au 6ème étage, qui va bientôt se retrouver à vivre seul, le père étant atteint d’un cancer incurable.

Par le biais de lents travellings latéraux comme en écho au sujet qui les rassemble, on découvre progressivement les membres de l’assemblée : jeunes couples, personnes âgées, colocataires, célibataires… Dong Jiang pose là un généreux panel de l’humanité que l’on retrouve aujourd’hui dans n’importe quel immeuble et ce faisant, l’expérience devient pour nous universelle.

Chacun vient alors à s’exprimer gratuitement lors des premiers instants du débat, laissant de côté le sujet principal, et nous laisse spectateur du père et son fils, eux-même spectateurs médusés de ces éternelles chicanes entre voisins et voisines.

Alors que le sujet prend peu à peu sa place dans la discussion, il est jouissif de voir, à la façon dont Dong Jiang déplie ses dialogues, les uns et les autres tirer chacun à leur tour leur épingle du jeu. Tandis que certains se dédouanent poliment, d’autres se saisissent de n’importe quelle justification bienvenue en invoquant des règles administratives fortuites et totalement ineptes.

Une utilisation très récurrente de plans larges maintient quelque part une distance entre ces archétypes et nous. Sans forcément s’identifier, l’immédiateté de leur réaction et le bref laps de temps passé avec eux participent au fait qu’on reçoit leurs objections avec une plus grande violence. Hormis l’empathie que l’on développe rapidement pour les deux parents, apparaissent alors dans les attitudes de chacun un égoïsme patent et un manque d’écoute. Prenant presque des allures de tribunal, tel des jurés, nous assistons en réalité au portrait flagrant d’un individualisme triomphant. Verdict peu glorieux pour cette première partie : défection du groupe et fin de non-recevoir pour le père et son fils.

Étonnamment, Dong Jiang se sert du titrage de son film à mi-parcours pour induire une ellipse et l’on retrouve le fils quelques mois plus tard, seul. Face à la désertion et au reniement de l’ensemble, le père n’a pas capitulé et a su trouver une alternative pour ce dernier en l’installant au premier étage. Mais aujourd’hui, les circonstances ont évolué et le Gouvernement a mobilisé des fonds pour l’installation de l’ascenseur. Une seconde réunion offre une nouvelle occasion pour Dong Jiang de montrer à quel point l’argent corrompt les moeurs et que, pour certains, l’injustice n’obtient pas toujours réparation.

Au fil de cette intrigue, on peut déceler en filigrane d’autres intentions sous-jacentes : ici, les personnages (hormis le père et son fils) n’ont pas de noms, chacun des voisins se distingue par son numéro d’appartement et se retrouve ainsi réduit à sa simple fonction dans un corps collectif. En dissolvant ainsi les identités dans la masse, on ne peut s’empêcher de discerner le regard que le réalisateur porte sur la politique de son propre pays. À l’instar de la séance de vote à main levée que l’on retrouve dans la seconde partie qui prend ici une note particulièrement cinglante. Ce sont autant de clins d’oeil vifs et amers envers une dictature qui prive encore aujourd’hui ses « citoyens » de droits fondamentaux qui transparaissent dans ce premier court aux moyens apparement modestes et au résultat pourtant prometteur. Dans cette sélection nationale du festival, L’Ascenseur vient comme une parabole politique subtilement acerbe avec notre nombrilisme et augure la rencontre d’un jeune réalisateur qui reprend à son compte des inspirations chères au cinéma d’un certain Jia Zhangke.

Augustin Passard

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