Bill Plympton : « Tout mon argent va dans mes films. C’est mon plaisir, c’est cela qui me rend heureux »

Son trait et son style n’appartiennent qu’à lui : irrégulier, imparfait, crayonné, souvent drôle, de plus en plus émouvant avec les années. Ancien caricaturiste, Bill Plympton s’est glissé dans l’animation comme on s’introduit dans un pyjama, avec habitude, volupté et simplicité. Offrant à tour de bras des dessins de vaches et de chiens au Festival Anima, l’Américain aborde pour nous sa carrière, son indépendance face aux grands studios, et son intérêt pour l’animation pour adultes. Interview fleuve, avec en exclusivité l’animatique de  « Cop Dog », le prochain court métrage de l’Ami Plympton.

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Vous dessinez depuis longtemps. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le dessin, étant enfant ?

Enfant, j’explorais la vie, je découvrais le monde à travers mes dessins, ça m’apparaissait comme une aventure, une exploration. À la maison, on avait un carnet pour prendre des messages téléphoniques. Il contenait des centaines de pages, je me souviens m’être dit que je pourrais tout y dessiner. J’ai donc commencé à dessiner un cheval, puis une vache, puis un avion, … À la fin, j’avais dessiné tout ce qui existe. C’est la philosophie à la base de mes films : je veux montrer tout à tout le monde. Évidemment, c’est impossible (rires) mais c’est ce que j’aime faire, c’est ce qui me procure de la joie.

Vous continuez à prendre des cours de dessin, à faire des croquis devant la télévision. Pourquoi avez-vous encore besoin d’apprendre à dessiner ?

Eh bien, j’ai des problèmes avec les mains, j’ai des grandes difficultés à les dessiner, je les fais donc très petites. J’adore dessiner les visages et j’essaye de m’améliorer en les dessinant. Parfois, j’ai besoin de regarder des photographies, mais je voudrais arriver à un point où je visualise tout dans mon cerveau et où j’extrais les images de mon imagination. C’est mon but.

Vous avez expérimenté beaucoup de styles dans votre carrière. Quand avez-vous trouvé votre propre style graphique, votre touche personnelle ?

Ce que je fais aujourd’hui, vous pouvez le voir dans les dessins que je faisais à l’âge de 14 ans. C’est une sorte de technique rayée. Très tôt, j’ai développé mon propre style, et maintenant, je reviens à ces dessins. Je vois comment mon style a commencé, c’est très intéressant.

Avez-vous gardé tous vos dessins, tous vos carnets de croquis ?

J’essaye, parfois, je les perds, en particulier ceux que j’ai faits à l’école. Ça remonte à longtemps, à 40 ans. J’ai perdu beaucoup de dessins.

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Est-ce que le fait d’avoir été caricaturiste pour différents journaux vous a aussi appris à dessiner différemment ? Est-ce que ça vous a aidé pour la suite, en animation ?

C’est sûr. Dans mes jeunes années, à l’âge de 20 ans, quand je faisais des dessins politiques et de la bande dessinée, j’ai développé un style très rapide et fluide et une perception particulière de l’humour car je devais faire un dessin par jour. Ces deux disciplines, dessiner vite et avoir des idées humoristiques, je les utilise aujourd’hui en animation. Quand je fais un long métrage, je suis tout seul. Pour réaliser tous les dessins, 30.000 peut-être, je dois en faire 200  par jour et être très rapide. Mais je n’envisage pas ça comme du travail. Pour moi, c’est un plaisir de m’asseoir devant ma table de dessins et de faire plein de dessins chaque jour. C’est très chouette, c’est même relaxant (rires) !

Et vous n’avez plus la pression du dessin quotidien.

Exactement. Et je n’ai pas non plus la pression de producteurs, de distributeurs ou de publicitaires qui me diraient que je dois finir ceci ou changer cela. Je n’ai pas à m’inquiéter de ces choses-là.

Cela explique pourquoi vous êtes un animateur indépendant ?

Je pense, oui. Mais je ne suis pas riche. Mes vêtements sont vieux et je n’ai pas de grande maison. Tout mon argent va dans mes films. C’est mon plaisir, c’est cela qui me rend heureux.

Avez-vous expérimenté la pression pour y réagir autant ?

J’ai eu quelques projets commandés par les grands studios, un pilote pour MTV, un programme de 30 minutes pour Cartoon Network, mais je n’ai pas rencontré de problèmes particuliers. Comme je suis plutôt rapide, il n’y avait pas beaucoup de pression excepté pour le storyboard, mais ce n’était juste pas pour moi. Je voulais créer des films pour adultes, développer mes propres idées et mon propre humour qui est, c’est vrai, parfois très spécial.

Avez-vous rencontré de la pression avec Kanye West pour le clip « Heard Em Say » ?

Oui, un peu (rires) ! Kanye West est un artiste très visuel, je respecte son talent. Quand j’ai fait le clip pour lui, il était dans mon appartement, au-dessus de mon épaule, et il me disait, pendant que je dessinais : “Non, change ça, je suis plus beau que ça !”. Là, je viens de terminer un clip pour Weird Al Yankovic. Il est à l’opposé, il m’a laissé carte blanche, il m’a dit : “Fais ce que tu veux, je l’accepte”.

Vous mentionnez la liberté. Dans votre travail, vous vous montrez très libre, vous faites de l’animation pour adultes, vous dessinez le sexe, la provocation, la transformation des corps, la laideur. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le politiquement incorrect ?

D’abord, je ne peux en aucune manière rivaliser avec Pixar, Disney et Dreamworks. Ils ont tellement d’argent, de possibilités de distribution que je serais fou si j’essayais d’entrer en compétition avec eux, alors, je développe un monde différent, je prends une direction différente en animation mais ce n’est pas juste à cause d’eux. Quand j’étais caricaturiste pour des magazines et des journaux, quand je faisais de l’humour pour adultes pour Penthouse, Playboy, Huslter, je pensais tous les jours aux idées que je dessinais. Les animaux qui chantent des chansons heureuses, ce n’est pas moi, ce n’est pas à ça que je pense. Moi, je pense à l’amour, à la jalousie, au sexe, à la sensualité, aux sept pêchés capitaux. Je veux faire des films sur ces sujets car c’est ce qui m’obsède. C’est donc pour ça que j’emprunte un chemin différent, très rare aux États-Unis, mais plus populaire en Europe.

Seriez-vous intéressé à l’idée de faire de l’animation pour enfants ?

Si le budget est correct, je pourrais le faire. Mais comme je le disais, je rivaliserais avec Disney et Pixar, et c’est impossible de se battre contre ça, c’est trop dur.

Les studios ciblent principalement les enfants. Pour vous, c’est plus facile de vous adresser aux adultes ?

Oui. Mon public visé, c’est surtout des gens de 16 à 30 ans. Ce sont les gens qui m’apprécient, car je fais quelque chose d’unique et drôle qu’ils ne peuvent pas voir à la télévision. Mon travail leur plaît, je crois, pour ces raisons.

Pour évoquer votre popularité et votre humour, on ne peut passer à côté du personnage du chien qui apparaît de film en film. Le chien est un animal familier, commun en animation, drôle, facile à dessiner. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ce personnage ?

La raison pour laquelle il est si populaire et pour laquelle j’aime le dessiner, c’est que les gens peuvent s’identifier à lui car il est à la recherche de l’amour, de l’amitié. Il cultive le désir que quelqu’un puisse s’occuper de lui, mais cela n’arrive jamais (rires) ! À chaque fois, il fait quelque chose de stupide : il tue son maître ou celui-ci le rejette. Je pense que les gens se disent : “Pauvre chien, il ne trouve pas son âme sœur ». Tout le monde peut s’identifier à ça car tout le monde est à la recherche de son partenaire de vie.

Parfois, on lie un animateur à un personnage. Avant celui-ci, vous n’en aviez pas trouvé ?

Non, je n’ai jamais eu de personnage. J’en ai essayé plusieurs, la plupart étaient humains et personne ne les aimait réellement. Mais quand j’ai dessiné le chien, j’ai été choqué de voir à quel point il était populaire et à quel point les gens se connectaient réellement à lui. J’avais prévu de faire un seul film, « Guard Dog », mais les gens me réclamaient plus de chiens. J’ai donc fait « Guide Dog », « Hot Dog », « Horn Dog » et le nouveau, « Cop Dog » que je prépare actuellement et que j’espère terminer cet été.

Vos personnages ne sont jamais au sol, ils sont toujours en mouvement, en train de voler. Comment cela se fait-il ?

Oui, c’est vrai, comme c’est de l’animation, ça saute, ça vole dans tous les sens. Quand j’ai fait mon long métrage « Idiots et Angels », j’ai pensé à « Peter Pan », à « Dumbo l’éléphant », aux « Ailes du désir », le film de Wenders, à La Métamorphose de Kafka dans lequel un homme se réveille le matin avec des ailes dans le dos et ne supporte pas sa condition.

« The Cow Who Wanted to Be a Hamburger » semble faire une pause dans votre « parcours canin ».  Non seulement l’animal change au profit d’une vache, mais le style est différent, les couleurs sont plus saturées que d’habitude, et le film a un côté doux-amer. Dans vos films précédents, si un homme mourait à cause d’un chien, cela provoquait l’hilarité auprès du public. Ici, la relation entre une mère et son enfant renvoie à une réelle émotion.

Merci. Ce projet est lié à un autre film, « The Fan and the Flower », que j’ai fait il y a quelques années et qui a été écrit par Dan O’Shannon, un scénariste de télévision qui collabore à « Modern family », un programme très populaire aux États-Unis. Il a le talent d’arracher les émotions, de faire surgir des larmes. De même, j’ai senti que je devais essayer de devenir plus émotionnel et plus profond psychologiquement avec mes personnages. C’est ce que j’ai tenté avec ce film; je suis content que vous ayez remarqué l’émotion de l’histoire et pas seulement son humour.

Ce mélange apparaissait aussi dans « Idiots and Angels ».

Oui, je voulais faire un film plus psychologique, plus axé sur les personnages, et pas seulement autour des blagues et du sexe déjanté. Je pense que ça a plu aux gens. Ma mère l’a aimé, et elle n’aime en général pas mes films. Même si elle ne correspond pas à mon public cible, quand elle aime un de mes films, je me sens bien !

Que vous dit-elle quand vous lui montrez d’autres films ?

Elle ne veut pas les voir (rires) ! Elle a détesté « Santa, les années fascistes ».

Quelle est la place accordée à la poésie surréaliste dans vos films ?

Quand j’étais illustrateur dans les années 70 et 80, j’étais fou de surréalisme, pas spécialement poétiquement, mais surtout visuellement. Magritte, Topor, je m’y référais beaucoup dans mes illustrations. Quand je me suis mis à l’animation, ça a été naturel d’utiliser le surréalisme. D’ailleurs, mes films qui ont le mieux marché ne comportent pas de dialogues, ils ont juste une imagerie surréaliste. C’est ainsi, par mon surréalisme, que la plupart des gens savent qui je suis. Pour moi, c’est donc très important. Certaines animations américaines, comme Les Simpson, South Park ou les Disney typiques, me semblent trop réalistes. Elles ne comportent pas cette fantaisie, cette imagination surréaliste pour laquelle l’animation est parfaite.

Il y a quelques mois, une annonce a circulé sur le Web. Elle proposait aux animateurs du monde entier de se réapproprier une séquence de votre film, « The Guard Dog ». Comment avez-vous développé cette idée au nom de « Global Jam » et comment considérez-vous ces nouvelles images ?

Il y a un an, alors que j’étais à un festival en Floride, j’ai vu un film « Circle ». Le réalisateur avait récupéré sur Internet plein d’images de cercles, les avait rassemblées et en avait fait un film. J’ai trouvé ça génial et je me suis dit que j’aimerais bien refaire un film de la même manière, c’est-à-dire gratuitement. J’ai d’abord pensé à « Your Face » mais il ne comportait qu’un seul plan, ce n’était pas possible de faire des coupes, donc j’ai décidé de prendre « Guard Dog », un de mes films préférés, et de le découper en 70 plans. J’ai répandu sur le Net une question : “Aimeriez-vous vous retrouver dans un film de Bill Plympton ?” et le concept a pris. Un des plans, celui de la petite fille qui rit, est d’ailleurs composé de nombreuses images. L’animateur a lui aussi proposé sur le net de participer à son image. Il y a donc 102 petites filles qui rient dans un seul plan ! « Global Jam » est une expérience fascinante pour moi, je suis ravi que l’idée ait pris. Le film est même très bien considéré par des festivals prestigieux alors que je n’y ai rien fait (rires) !

Combien de réponses avez-vous eu ?

Plus de 200 personnes ont voulu y participer, mais nous ne pouvions pas prendre tout le monde. Nous n’avions pas d’opinion critique, le talent n’était pas pris en compte. N’importe qui pouvait participer, les premiers arrivés étaient les premiers servis. Au final, on trouve un amateur chinois de dix ans comme un animateur professionnel de chez Disney.

Hormis les questions de production, qu’est-ce qui vous intéresse dans la forme courte ?

J’aime les films courts. C’est un genre génial, sous-estimé. Vous pouvez raconter des histoire magnifiques, complexes et très profondes dans un laps de temps court. J’aime le format, j’espère pouvoir continuer à en faire longtemps. Cet hiver, j’ai fait quatre courts en l’espace de quelques mois, en plus, ils me font gagner de l’argent car ils sont très populaires.

Votre travail est très respecté en Europe. Est-ce parce que vous avez un point de vue subversif sur votre pays ?

Non, je crois que je suis populaire ici pour d’autres raisons. L’une d’elles est que je m’occupe de tout sur mes films. Je réalise, j’écris, je fais toute l’animation, la colorisation, les décors. C’est quelque chose d’unique, et je crois que les Européens le comprennent. Une autre raison est que mes films ne sont pas pour les enfants, mais pour les adultes. Je pense que les Européens approuvent mieux les films d’animation pour adultes, comme « Les Triplettes de Belleville », « Persepolis » et « Valse avec Bachir ». Aux États-Unis, on ne peut pas vaincre Disney et on ne représente pas les tabous comme ça. Les Européens l’acceptent dans le dessin, et je crois aussi qu’ils m’apprécient parce que je suis indépendant. Je ne dépends pas des studios hollywoodiens, du gouvernement ou de diverses sociétés, ce n’est que mon argent qui finance mes films. Par contre, je ne pense pas que je suis si critique envers les États-Unis, je sais que beaucoup de gens n’aiment pas ce pays, ça ne me dérange pas, mais moi, j’aime l’Amérique et je suis heureux d’y vivre. Ma critique porte plus sur le “big money, big business, big ego”.

Pensez-vous que la situation pourrait changer aux États-Unis ?

Elle est lentement en train de changer, en partie à cause de moi mais aussi grâce à de nouveaux jeunes animateurs qui veulent faire des films indépendants et développer des idées d’adultes. L’arrivée du roman graphique et les bandes dessinées pour adultes jouent aussi. En Europe, elles sont apparues il y a 30 ans, aux États-Unis, elles sont plus récentes. Les mœurs commencent à évoluer, les gens aussi.

Propos recueillis par Katia Bayer et Julien Savès

Article associé : la critique de « The Cow Who Wanted to Be a Hamburger »

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