Ludovic Houplain : “Selon moi, nous sommes en l’An 1 de l’animation, comme l’était la bande dessinée dans les années 70”

Honoré d’un Oscar il y a un an, le film « Logorama » est sélectionné dans deux catégories aux César 2011 (meilleur court-métrage, meilleur court-métrage d’animation). Réalisé par trois curieux experts de l’animation numérique, regroupé sous le sigle H5, il a connu un succès dans les festivals du monde entier. Ludovic Houplain, l’un des trois réalisateurs, revient sur le processus de production et de création du film, la place des logos dans l’imaginaire social et la reconnaissance faite aux pratiques de cinéma d’animation en France. À quelques heures du verdict, il nous donne l’occasion de comprendre les origines du film et nous fait part de sa confiance pour l’avenir de l’animation.

« Logorama » est le fruit d’un travail collectif. D’où l’idée d’un tel projet est-elle née ?

La première fois que nous est venue à l’esprit cette idée, c’était après avoir réalisé le clip de « The Child », entièrement en typographie réalisée avec Antoine Bardou Jacquet en 1999. Notre société de production de l’époque “Midi Minuit”, nous a alors proposé de faire un clip pour un groupe français qui s’appelait « Telepopmusic ». A l’époque, nous avons proposé l’idée de faire un clip entièrement en logotypes américains et russes. L’idée était de faire un duel Est-Ouest au travers de leurs logotypes, un choc des cultures entre deux superpuissances, une opposition de logotypes, d’identités, de politiques, de couleurs. Mais le projet est tombé à l’eau.

Puis j’ai travaillé avec mon frère Cyril Houplain sur des images mélangeant des logotypes de différentes époques, allant des années 1920 à maintenant. Mais la confrontation entre ces différentes écritures ne marchait pas, nous ne pouvions mélanger les périodes de logotypes. Pendant un an, le film est resté en stand-by, jusqu’à notre clip pour le groupe norvégien « Royksopp », réalisé avec Hervé de Crécy. Après le MTV Awards, on nous a proposé via Black Dog Films de faire un clip pour Georges Harrisson. Il voulait un clip critique sur la société de consommation, alors nous avons réadapté l’idée originale avec Hervé de Crécy, pour l’installer à la Nouvelle Orléans. La ville entièrement constituée de logotypes était ravagée par un cyclone, les rues étaient inondées, les logotypes arrachés du sol et emporté par les courants. A la fin, dans ce monde inondé, la végétation reprenait le dessus. Le retour de la maison de disque fut excellent, mais elle eut une observation : « Comment allez-vous faire pour fabriquer tous cela avec de faux logotypes ? ». Alors nous leur avons répondu que ce film n’aurait aucun sens s’il était constitué de faux logotypes, et qu’il fallait des vrais. L’idée n’est pas allée plus loin.

C’est à ce moment que je me suis dit que nous n’arriverions jamais à vendre cette idée, et qu’il fallait que H5 produise ce film. J’ai alors cherché avec Nicolas Rozier des producteurs capables de produire un tel film, sans aucune sorte de censure. Nous avons rencontré des producteurs de courts-métrages, dont Nicolas Schmerkin (Autour de Minuit Production). Avec lui, nous avons réussi à réunir différents partenaires financiers comme Stéphane Kooshmanian (Addict Films) ayant travaillé avec Wong Kar-Wai sur « 2046 », et Maurice Prost (Mikros Images), pour pouvoir faire ce film. Nous sommes rentrés en production en 2005, rejoints alors par François Alaux & Quentin Brachet. Nous avons réussi à monter une production qui était d’accord sur le sens du film, à savoir ne pas dénaturer le propos, ne pas se censurer par rapport aux marques, aller au bout de notre idée.

Étiez-vous tous les trois impliqués depuis le début dans le projet ?

Pendant le processus de création, comment les tâches ont-elles été réparties ? La répartition du travail n’a pas été identique suivant les périodes. Sur six ans de production, et parallèlement aux autres travaux que nous faisions, nous nous relayons suivant nos disponibilités. Par exemple, je n’ai pas été présent sur l’enregistrement des voix aux États-Unis pour des raisons personnelles. Ce sont donc François et Quentin qui s’en sont chargés en août 2008.

« Logorama » est fondé sur le principe de récupération de logos, utilisés par de grandes firmes multinationales. Est-ce que le film est une manière de rendre hommage à la culture de consommation moderne, de montrer l’emprise symbolique des logos dans notre imagination ou bien pour émettre une critique ironique de la puissance des symboles économiques ?

C’est avant tout un hymne à la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle nous espérons qu’il devienne un objet critique de notre société contemporaine. En fait, nous ne sommes pas d’accord sur le fait qu’il y ait une censure sur un objet artistique, qui plus est sans but lucratif. N’importe qui devrait avoir le droit de faire un tel film, sans avoir à demander la moindre autorisation. Il ne s’agit pas de dénigrer tel ou tel marque, mais de faire le film que l’on a envie de faire, un film actuel avec des codes artistiques actuels.

Certains y trouveront peut-être un discours anti-marques. Mais ce n’est pas notre cas, nous ne sommes pas alter mondialistes. Nous essayons de parler aux gens de leur monde avec un langage visuel qui les entourent depuis vingt ans. Ces marques font parties de leur quotidien, il faut savoir que les gens voient quotidiennement 2 500 logotypes par jours.

« Logorama » est aussi un hommage au cinéma hollywoodien qui est lui-même un produit de consommation moderne. Il nous fallait limiter l’esthétique proprement dite, trouver un cliché de mise en scène, pour que ce film devienne non pas un film d’artiste contemporain, mais au contraire, un film populaire, universel. De plus, l’idée de catastrophe, réadaptée à Los Angeles, nous a forcement amené au cinéma américain. Le film se réfère au film catastrophe, au film d’action (Lethal Weapon) et même à Robert Altman. Je pense que la mondialisation s’applique autant à des logotypes qu’à une forme de cinéma, au cinéma hollywoodien. Rien de tel qu’un produit de consommation pour parler d’un monde de consommation.

ronald-logorama

Le fait d’être nommé aux César (un an après avoir reçu l’Oscar du meilleur court-métrage) est une manière d’être reconnu par la profession, par la “grande famille” du cinéma français. Comment ressentez-vous cette reconnaissance ?

On ne peut-être que content. C’est une reconnaissance pour toutes les personnes travaillant dans les domaines du numérique et de l’animation. Par ailleurs, il est important de reconnaître l’expertise française dans ce domaine.

Les outils numériques mis à notre disposition en animation vont nous permettre d’aller très loin. Selon moi, nous sommes en l’An 1 de l’animation, comme l’était la bande dessinée dans les années 70. Les films en animation vont exploser pour prendre une part relativement importante dans le paysage audiovisuel.

Avez-vous d’autres projets ? Avez-vous choisi de vous “attaquer” à d’autres symboles ou bien de poursuivre un travail autour des logos ?

Pour l’heure, nous en sommes à la naissance de nouveaux projets, avec un film sur la puissance boursière ainsi qu’un projet d’exposition mélangeant toute nos compétences — graphiques, typographiques ou vidéos — prévu pour septembre 2012 dans un musée parisien. Quand aux logotypes, on va les mettre en sommeil pour les vingt prochaines années, le temps qu’ils soient reliftés !

Propos recueillis par Mathieu Lericq

Articles associés : la critique de « Logorama » et l’interview de Nicolas Schmerkin, producteur du film

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