Dyana Gaye : “C’est important pour moi que la vraie vie soit là, qu’elle puisse surgir à n’importe quel moment »

À cheval entre deux cultures, la française et la sénégalaise, Dyana Gaye a choisi le cinéma comme moyen d’expression. Depuis une décennie, elle fait des courts (Une femme pour Souleymane, J’ai deux amours, Deweneti et Un transport en commun) en adaptant à chaque fois la forme à son sujet et en gardant le Sénégal, champ des possibles, dans un coin de sa tête. Rendez-vous de dernière minute, loin des César, à proximité des origines multiples et de l’imprévu du réel.

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Cela fait dix ans que tu es dans le court. Il y a quelque chose de commun dans tes films, l’idée de travailler autour des racines, des identités, du métissage qu’il soit français ou sénégalais. Est-ce qu’à travers dix ans de réflexions, de films, tu as le sentiment d’arriver à mieux repérer ces identités ?

Je ne sais pas si j’arrive mieux à les repérer. Ce que je sais, c’est que sur les trois films sur quatre que j’ai faits au Sénégal, j’ai avancé d’une certaine manière sur cette question identitaire, sur cette part panafricaine que je ne connaissais pas bien malgré mes origines et quelques séjours identitaires là-bas. En même temps, mes racines, je les questionne mais de manière inconsciente. Le Sénégal m’apparaît comme un champ de possibles très vaste. En faisant des films là-bas, mon imaginaire continue à travailler. Les quatre courts métrages m’ont emmenée avec des formes très différentes à interroger mon intime, mes origines sénégalaises mais aussi mon histoire de cinéma. On me dit souvent que j’ai un regard assez différent sur le Sénégal. C’est parce que je suis née ici, que j’ai une double appartenance culturelle et que du coup, j’ai un peu de recul par rapport aux choses.

Certains réalisateurs ont besoin d’aller tourner dans le pays de leurs racines pour être dans une certaine vérité.

Non, moi, ce n’est pas ça. Au Sénégal, peu de films se font, je pense que ça me désinhibe. Pour moi, il y a un infini de possibles d’histoires à raconter là-bas. Ça pourrait être le cas aussi à Paris mais ici, il y a trop de repères. Paris, c’est là où j’ai grandi, où j’ai appris le cinéma. Je m’y sens moins téméraire alors que le Sénégal m’apparaît comme un terrain de jeu à la fois immense et inconnu. Mais je n’ai pas de retenue, je ressens une forme de liberté, d’excitation. Je pourrais aussi ne pas me sentir pas légitime là-bas en me disant que je n’y ai pas grandi, que c’est aux Sénégalais de faire des films, mais je n’ai pas du tout ce sentiment et je revendique le fait de tourner n’importe où. Je n’aime pas beaucoup les appartenances, j’espère que je serai amenée à tourner dans d’autres pays que la France et le Sénégal. Pour moi, ce n’est pas que là que ça se passe, au contraire. Je trouve qu’un regard extérieur sur des contrées qui ne nous sont pas forcément familières amène quelque chose en plus.

C’est quelque chose qui t’a déjà intéressée, ça, poser ton regard sur une contrée que tu ne connaissais pas ?

Pas encore, mais ça me travaille. Mon projet de long, Des étoiles, se passe entre Dakar, Turin et New York. Je connais bien Turin, j’ai des origines italiennes. C’est de l’intime mais là, je travaille sur un sujet, la diaspora sénégalaise. Il se trouve qu’en Italie, il y a une forte communauté sénégalaise, notamment à Turin. Et New York correspond à mon imaginaire de cinéma. Mais pour l’instant, je reste liée au Sénégal car le pays m’inspire.

Est-ce que pour la jeune génération, la désinhibition, le champ de possibles existe aussi ?

Ça se démocratise. Pendant longtemps, il y a eu le poids de la pellicule, de la caméra. Aujourd’hui, il n’y a même plus de caméra 35 mm au Sénégal, mais de nombreuses personnes tournent des films grâce à l’outil numérique. Après, le problème, c’est la diffusion. Projeter les films, les faire diffuser dans un pays où il n’y a plus de salle de cinéma en activité, c’est compliqué, et faire des DVD, les envoyer en festival, coûte de l’argent. Tout est un peu sauvage.

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Ton troisième film, Deweneti est un conte. Est-ce que c’était une forme de liberté pour toi d’explorer cette forme ?

Oui, c’était une liberté. D’abord, Rémy Mazet, le scénariste et le chef op du film m’a laissée m’emparer de son histoire, il m’a accompagné pendant toute la réalisation du film et a été le collaborateur le plus proche à la mise en scène.

Ensuite, j’aime bien expérimenter différentes formes, différents styles, je n’aime pas beaucoup les choses frontales, les discours, les films à message. Et une forme comme le conte pour Deweneti ou la comédie musicale comme pour Un transport en commun sont des formes assez naturelles, assez libératrices pour la construction, la mise en scène et elles permettent de faire intervenir un réel qui me tient à cœur dans les films que je tourne au Sénégal. C’est important pour moi que la vraie vie soit là, qu’elle puisse surgir à n’importe quel moment, malgré le procédé fictionnel.

En documentaire, le réel est la base et des hasards assez chouettes peuvent être gardés au montage. À partir du moment où tu tournes dans la rue pour Deweneti ou dans une gare routière pour Un transport en commun, forcément des choses se passent.

Le choix des décors implique l’imprévu et un tournage au Sénégal, c’est forcément de l’imprévu. Avant de partir sur Un transport en commun, j’avais dit à mon ingénieur son Dimitri Haulet qu’il n’aurait pas de “Silence plateau”. Ça n’existe pas, ce n’est pas possible ! Il y a toujours un truc qui se passe quelque part et un figurant que tu n’as pas prévu qui déboule. Il faut faire avec, c’est comme ça. Lors de mon premier film, ça me paraissait contraignant, je cherchais à canaliser l’imprévu. Là, au contraire, je cherche à composer avec : par exemple, je ne fais pas de casting de figurants, et le jour J du tournage, on embauche les gens sur place. Après coup, en visionnant les rushes, je trouve assez magique et surprenant de voir des choses qu’on a raté sur le plateau. Au Sénégal, j’ai toujours l’impression qu’il y a des milliers d’arrières-plans. Avec ma monteuse Gwen Mallauran, on s’amuse à décrypter les images, à repérer les petits détails. La seule chose qui arrive parfois, c’est un regard caméra qui vient désacraliser la fiction mais on s’en accommode car ce n’est pas grave dans le flot d’images. Sur Deweneti, comme Rémy était à l’image, il a initié plein de plans et a laissé tourner la caméra. On a cette volonté de ne pas se laisser enfermer par la fiction.

À travers la comédie musicale, on peut dire des choses très réalistes. Tes personnages parlent de la volonté d’ancrer leurs racines au Sénégal ou du rêve européen. À quel moment as-tu privilégié cette forme-là ?

C’est un concours de circonstances. En commençant l’écriture, je ne pensais pas du tout aborder la comédie musicale. J’étais partie sur un récit de voyage, sur l’idée de la route. Et puis, je me suis très vite rendue compte qu’on allait passer beaucoup de temps dans la voiture, que les comédiens ne pourraient pas spécialement se regarder, qu’il fallait faire quelque chose avec le son, imaginer des rencontres sonores, et de fil en aiguille, j’en suis arrivée à la musique.

En même temps, mes plus vieux souvenirs de cinéma, mes premières accroches réelles sont liés à des films musicaux, au cinéma hollywoodien, à Jacques Demy, etc. J’ai étudié la musique et la danse. Pendant très longtemps, j’ai hésité entre les deux avant d’opter pour le cinéma. La comédie musicale rassemble tout ce qui m’anime au-delà du cinéma, donc ce n’est pas anodin que cela sorte, même si je ne me le suis pas dit consciemment. J’avais le désir un jour ou l’autre de m’y confronter, je suis heureuse que ça se soit fait. On est marqué à certains endroits, par des films, par des metteurs en scène. L’idée, pour moi, a été d’arriver à ma propre écriture, à mon propre langage, malgré tous ces codes.


Tu n’as pas le sentiment d’être arrivée à ta propre écriture avant Un transport en commun ?

Non. Mes trois films précédents étaient diamétralement opposés dans leur forme et dans leur sujet. Là, j’ai l’impression d’être arrivée à quelque chose de plus entier. C’est dû à l’âge, à l’expérience, à la maturité, mais j’ai quand même le sentiment d’être allée au bout de quelque chose parce qu’il y avait beaucoup de contraintes. Le projet était plus ambitieux, plus lourd, et plus long que les autres.

Tu es arrivée sur le tournage d’Un transport en commun avec des comédies musicales, des références que tes comédiens ne connaissaient pas spécialement. Quelles ont été leurs réactions ?

Ce n’étaient pas spécialement les références du film à proprement parler mais mes références, du coup, je pense qu’ils ne se projetaient pas dedans. C’était très éloigné de ce qu’on était en train de faire, mais en même temps, le but n’était pas de faire Hollywood à Dakar ! J’avais instauré un ciné-club à la pause déjeuner pour ceux qui avaient envie de voir les films, et ça leur a beaucoup plu. Il y avait une vraie demande, un vrai désir de voir ces images. On répétait dans un lieu ouvert, il y avait beaucoup de passage,les gens s’arrêtaient. Au moment du tournage, les gens se montraient également curieux. Quand tu allumes les enceintes et que tu balances une chanson, 300 personnes s’assoient pour regarder comme si elles étaient au théâtre !

Au-delà de son tournage et de son circuit en festival, ce projet a une drôle de vie parce qu’il a bénéficié d’une sortie en salle et qu’il connaîtra prochainement une sortie en DVD, ce qui est plutôt rare pour un court.

L’idée est venue du distributeur, Thomas Ordonneau (Shellac) qui avait très envie d’éditer Un transport en commun en DVD avec mes précédents films, ce qu’il est en train de faire (sortie prévue pour juin). Il est revenu vers Arnaud Dommerc, mon producteur, en disant qu’il faudrait sortir le film en salle pour donner écho à la sortie DVD. Ensuite, à Paris, l’Action Christine, Jean-Marie Rodon, et son équipe se sont montrés très enthousiastes à l’idée de porter Un transport en commun. C’était tout petit mais ils l’ont fait exister, et c’était effectivement rare et précieux parce que le film a eu une longue vie en diffusion, de la télé aux festivals en passant par la salle. Et au théâtre aussi puisque je suis en train de travailler sur une adaptation scénique pour le théâtre du Châtelet pour la saison 2012-2013. En général, on part de la scène pour faire un film, là, c’est le chemin inverse !

Ton film, tes films ont pu être montrés au Sénégal ?

Oui, j’ai fait une projection en plein air d‘Un transport en commun qui était vraiment chouette. 300 personnes dînaient, buvaient des coups, dansaient, chantaient. Pour Deweneti, j’avais aussi organisé une projection. Il n’y a plus de salle dans le pays donc c’est toujours un peu sauvage, mais il y a encore un peu de résistance avec les festivals, les ciné-clubs, et le centre culturel français à Dakar. Il reste des endroits où on peut encore se réunir autour d’une projection. C’est lié à la volonté de quelques personnes qui ont encore la volonté de faire exister le cinéma en-dehors de la télévision.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique d’Un transport en commun

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