Clare Kitson : Channel 4 et le film d’animation britannique

En 1982, une nouvelle chaîne de télévision apparaît dans le paysage audiovisuel anglais. Son nom : Channel 4. Ses valeurs : innovation, créativité, expérimentation, originalité, subversion, nouveaux talents. De 1989 à 1999, Clare Kitson dirige le Département Animation de la chaîne. Cet auteur de plusieurs ouvrages spécialisés (Yuri Norstein, Channel 4) était, en février 2009, membre du jury international à Anima.

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Channel 4 est née en 1982. Dans quel contexte est-elle apparue ?

Le contexte de sa création est plutôt intéressant. Dans les années 60, des voix radicales se sont fait entendre dans le milieu universitaire. Partout en Angleterre, les gens ont commencé à discuter de l’éventualité d’une chaîne de télévision supplémentaire.  Chacun disait qu’il fallait un changement, et qu’une nouvelle chaîne de télévision qui ne soit pas démodée et qui soit de gauche devait voir le jour. Dans les années 60 et 70, il y eut plusieurs tentatives pour que cette idée se concrétise.  Mais ce n’est que dans les années 80, en pleine ère Thatcher, que la chaîne s’est constituée. Ironique, n’est-ce pas ?

Quelles étaient les spécificités de cette quatrième chaîne ?

Channel 4 se voulait dès le départ différente des autres chaînes (BBC 1, BBC 2, ITV). Innovation, créativité, expérimentation, originalité, subversion, nouveaux talents … : tels étaient les maîtres mots. Channel 4 a une particularité : c’est une chaîne du service public financée par des fonds privés, dont des publicités. Celles-ci sont gérées par la chaîne commerciale ITV qui est complètement séparée de la chaîne. À l’époque, le marché publicitaire télévisuel était florissant, car seules deux chaînes commerciales se le partageaient. Depuis, cela a fort changé, car la publicité est sur Internet et partout ailleurs, et que les chaînes commerciales se sont multipliées.

À cette époque, regardais-tu aussi la télévision, en te disant que quelque chose devait changer ?

Ces années-là, travaillant au National Film Theatre, je passais mon temps au cinéma. Je n’étais pas trop au courant de ce qui se passait à la télévision, celle-ci était même un peu considérée comme l’œuvre du diable (rires)! Ce n’est que quand la personne en charge de l’animation à Channel 4 est partie en 1989 que j’ai commencé à m’y intéresser. On était plusieurs à briguer le poste. Les autres candidats étaient très spécialisés, soit dans l’expérimental soit dans l’animation populaire, et moi, je n’avais aucune étiquette. Au National Film Theatre, je montrais toutes sortes d’animations (des programmes pour enfants, des films très expérimentaux, des comédies, ….) à toutes sortes de publics. C’est probablement pour cela que j’ai été prise, malgré le fait que je n’avais aucune expérience télévisuelle.

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Même si les films d’animation du catalogue de la chaîne sont très différents les uns des autres, ils ont deux points en commun : l’interrogation identitaire et le goût du subversif. Est-ce que ce sont deux éléments essentiels pour Channel 4 ?

Oui. Les travaux les plus intéressants et originaux proviennent de personnes capables d’exprimer leurs sentiments personnels. Les dernières années à Channel 4, je m’intéressais d’ailleurs beaucoup aux  documentaires animés, à ces films marqués par la première personne d’une manière ou d’une autre. Quant au subversif, c’est aussi une valeur qui a été importante pour la chaîne, dès sa création. A l’époque, un prix très spécial existait en Angleterre, le “Dick Award”, récompensant les courts métrages les plus controversés, innovants et subversifs. Nous en avons remporté deux : un pour « 15th February » (Tim Webb, 1995), l’autre pour « The Sound of Music » (Phil Mulloy, 1993).

Est-ce que l’animation est considérée par le public anglais comme un programme trop spécifique ?

C’est bien possible. Le court métrage ne récolte pas de très larges audiences et n’est pas non plus un format très populaire. Les personnes intéressées par la culture ont une sorte de liste de référence pour les longs métrages, mais ils vont rarement dire à leurs amis : “as-tu vu ce court métrage-là ?”.

Quelle est la situation actuelle du cinéma d’animation britannique ?

Il y a du positif et du négatif. Le court métrage se porte très bien. Des travaux très surprenants continuent à sortir des écoles et de certains studios, même si ceux-ci ont des motivations très différentes (ils passent des commandes de courts car ils veulent tester des réalisateurs et des idées pour des longs métrages). Par contre, l’Angleterre reste à la traîne en matière de longs métrages par rapport à l’Europe, pour des questions de financements. L’animation rencontre également un gros problème avec les séries pour enfants. Initialement, BBC 1 et ITV commanditaient de telles séries, mais ITV a fermé son Département Jeunesse il y a quelques années, donc il y a clairement un manque dans notre paysage audiovisuel. Enfin, réside le problème de la publicité. Les spots liés à la malbouffe ont été interdits d’antenne pendant les programmes pour enfants, ce qui a été assez dramatique pour les séries pour enfants .

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Qu’est-ce qui t’intéresse, finalement, dans le court animé ?

Le court métrage est un moyen d’expression dans lequel on a la possibilité de condenser des choses, et de juxtaposer plusieurs idées, précisément parce que les films sont courts. Ceux qui m’intéressent le plus sont ceux qui comportent une part de mystère, mais qui ne sont pas obscurs au point que je me perde dans leur lecture. Je garde également en mémoire les comédies très habiles, intelligentes, et inattendues. Parfois, les courts combinent ces deux aspects. Mon film préféré de tous les temps n’est autre que « Skazka skazok » (« Le Conte des contes ») de Yuri Norstein, un film merveilleux plein de mystère et d’humour.

Propos recueillis par Katia Bayer

– “British animation : The Channel 4 factor”, le livre de Clare Kitson est disponible sur http://parliamenthillpublishing.co.uk/

– Consulter la fiche technique de « Skazka skazok » (Le conte des contes »)

– Lire également les critiques de « Girl’s Night Out » et « The Man with the beautiful eyes » , deux films issus du catalogue par Channel 4

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