À l’aube du succès public et critique de films comme Vingt dieux, couronné du César du meilleur premier film, ou plus récemment du merveilleux Partir un jour d’Amélie Bonnin, nous voyons émerger de plus en plus d’histoires ancrées dans des territoires encore très peu représentés dans notre paysage audiovisuel français. À rebours de certains films que l’on pourrait qualifier d’« entrisme parisien », on commence à percevoir les premières ondulations d’une nouvelle vague de cinéastes cherchant à raconter un imaginaire encore trop peu exploré, et La Pampa d’Antoine Chevrollier en est un parfait exemple. Distribué par Blaq Out et disponible depuis le 11 juin dernier, avec La Pampa, Chevrollier délaisse ici le format sériel — après sa déchirante série Oussekine — pour s’attaquer, avec son tout premier long métrage, à une amitié fraternelle et bouleversante, découverte à la Semaine de la Critique il y a déjà de cela un an. À l’occasion de sa sortie, Format Court vous propose de remporter 3 exemplaires de ce DVD.
C’est au milieu de cette pampa du Maine-et-Loire, enfouie dans la forêt, que se trouve un petit lopin de terre : un circuit de motocross usé par les passages, les courses et qui reste pour nos personnages, Willy (Sayyid El Alami) et Jojo (Amaury Foucher) leur seul échappatoire. Une solution, quoique illusoire, puisqu’au fond, ils ne font que tourner en rond, sans réellement pouvoir s’extirper de cet endroit dont ils se sont tous les deux promis de quitter pour aller vivre en ville. Malheureusement tout cela sera mis de côté quand le secret de Jojo sera révélé a tout le village et que leur amitié sera mise à rude épreuve.
Avec sa première incursion dans le long métrage, Antoine Chevrollier a décidé d’aller aux antipodes de Oussekine, jusqu’à ancrer son histoire dans un décorum de province, loin du Paris des années 80. Tout cela pour nous raconter, en préambule, un ennui adolescent, dans une ruralité où cette folie fiévreuse de la jeunesse ne semble pas vraiment avoir sa place, contrainte par une génération en adéquation avec un statu quo, et où le silence des villages est rapidement comblé par des bruits de moteurs. Ces engins sonnent alors comme une forme de libération, appuyée par une mise en scène immersive qui parvient à faire alterner scènes d’action pure et instants que l’on pourrait qualifier de pure grâce, impliquant notamment le personnage de Willy et insufflant une fraîcheur qui nous enchante en tant que spectateurs. Le film suivant une bande de potes traitée avant tout comme une figure contestataire face à une communauté de plus en plus violente et intolérante.
Une bande de potes pas moins attachante dans leur côté punk — et cela dès la scène d’introduction, qui nous présente nos personnages principaux en train de se jouer des habitants de leur petit village, dans une énergie de purs sales gosses. En effet, le film étant avant tout une réflexion sur ces personnages et leur ancrage dans ce décorum rural, Antoine Chevrollier profite au maximum de la durée de son médium, plus resserrée que celle du format sériel, pour nous faire nous accrocher, en tant que spectateurs, aux plus près de ces personnages et de ces obstacles qu’ils vont devoir affronter. Cela se ressent à travers le duo incarné par Amaury Foucher et Sayyid El Alami, qui portent en eux une énergie ravageuse et salvatrice, tous deux constamment au centre de l’écran. Sans parler d’Artus, qui incarne ici Teddy, le coach de motocross de Jojo, et qui se retrouve au cœur de plusieurs scandales venant ébranler le village. Loin du registre comique qu’il a récemment exploré dans Un p’tit truc en plus, il livre ici l’un de ses rôles les plus organiques et physiques de toute sa carrière, assumant pleinement son côté un peu enrobé pour dresser le portrait d’un personnage torturé, partagé entre amour et destruction envers son poulain. Ainsi à bien des égards, il nous évoque le personnage de Jérémie Renier dans Slalom de Charlène Favier — un autre film qui, lui aussi, nous avait marqués pour ses scènes de ski immersives, et qui nous plongeait dans un décor éloigné du paysage parisien auquel nous sommes tant habitués.
De par son twist de milieu de film concernant le personnage de Jojo, La Pampa se dévoile peu à peu comme une véritable réflexion autour du motif du coming out, mais plus largement sur celui des minorités et de leur place dans une société rurale française qui se tourne de plus en plus vers la droite. Le récit, dans sa construction en deux parties, se révèle comme un objet hybride à la fois par ses personnages (ce n’est pas pour rien que nos deux personnages principaux fassent partie de minorités visible et invisible), son intrigue et ses mélanges — faisant de cette province un espace profondément multiculturel. Notamment grâce à la présence au casting du merveilleux Sayyid El Alami, que les amateurs de courts métrages ont pu découvrir dans le sublime film Idiot Fish de Hakim Mao, on peut voir que La Pampa résonne avec un autre film sorti récemment : Nos enfants après eux des frères Boukherma. Cependant là où les Boukherma utilisent le roman de Nicolas Mathieu pour questionner notre rapport, en tant que citoyens, au roman national français fantasmé par certains au lendemain de la finale de la Coupe du monde 1998, Antoine Chevrollier choisit, lui, de nous montrer ce qui a été balayé sous le tapis, de parler de communautés qui souffrent et auxquelles on ne rend pas suffisamment hommage. En un sens, les deux films dialoguent autour de la notion de tabou. Le film évoque — avec de grandes précautions — Le Chagrin et la Pitié, à travers la manière dont il aborde le tabou dans une microsociété, dans un lieu où tout le monde se connaît. Cela se manifeste dans une scène merveilleusement chorégraphiée, qui se déroule sur le parking d’une grande enseigne entre le personnage de Teddy (Arthus) et Jojo (Amaury Foucher) au lendemain de la révélation, nous laissant pantois face à ce personnage abandonné par tous, dans un désespoir qui nous crève le cœur.
Ainsi de par sa forme hybride, les thématiques qu’il aborde — du coming out forcé à la question des minorités — et la fraîcheur qu’il insuffle, La Pampa réinvente une certaine idée de la ruralité française. En ancrant ces enjeux dans un décor de campagne rarement représenté avec autant de justesse, le film dégage une énergie nouvelle, une véritable bouffée d’air frais, à la fois sensible et percutante. Il nous laisse, à la fin, avec une émotion déchirante et ravive l’espoir en un cinéma français audacieux, porté par des comédien·ne·s que l’on souhaite absolument revoir très vite à l’écran.