Rien sauf l’été de Claude Schmitz

Un an et demi après Le Mali (en Afrique), Prix Format Court au Festival de Brive de 2016, Claude Schmitz récidive avec son nouveau moyen-métrage Rien sauf l’été, Grand Prix Europe 2017 au dernier Festival de Brive, et en salle à partir d’aujourd’hui dans une sortie jumelée avec Le Film de l’été d’Emmanuel Marre, Prix Format Court à Brive en 2017, Rien sauf l’été nous propose de nous replonger dans l’atmosphère chaude et colorée des vacances estivales, le temps d’une petite demi-heure.

De l’aplat rose qui lui sert de première image jusqu’à son générique de fin épuré, simple, et de la même couleur angélique, Rien sauf l’été donne la sensation d’élaborer une harmonie qui lui est propre au fur et à mesure de sa projection. L’originalité du titre est à l’image de celle du film, le premier faisant office de description du second.

Les premières scènes introduisent les personnages, une bande de tous âges et de tous styles, certains habitant la maison à la campagne où le réalisateur installe sa caméra, faisant la connaissance d’un nouveau voyageur, un « couchsurfeur » venu passé quelques semaines de repos. Et déjà, l’atmosphère du moment prime sur l’action des personnages. Les scènes sont courtes, presque anecdotiques, filmées en plan fixes, avec cette image carrée pleine de couleur et très bruitée. Paradoxalement, les bribes de conversations sans être reliées par aucun fil rouge narratif habituel composent les unes après les autres un puzzle cohérent et révélateur.

Le trouble de ces conversations des premières rencontres, et des premiers échanges entre ces inconnus d’hier devenus voisins le temps d’une saison avant de sûrement se quitter comme ils se sont trouvés, c’est-à-dire selon les caprices du calendrier, est une situation éminemment paradoxale que le metteur en scène manie avec charme et dextérité.

Pour servir cette histoire particulière, les personnages n’ont pas besoin d’être identifiés mais juste identifiables. Ainsi, ils ne donnent pas de prénom. Ce n’est pas indispensable et comme ils sont étrangers les uns des autres, ils doivent l’être pour le public, cela ménage la perte de repères. Ils demeureront des visages dont l’on n’apprendra ni le métier, les objectifs, le train de vie ou la psychologie, mais dont l’on glanera ça et là des affections et des sentiments.

Mais la vie en commun de ces inconnus est le terreau d’échanges à fleur de peau dans cette intimité forcée des vacances. Ne sachant rien les uns des autres, les sous-entendus ne sont pas envisageables, et les personnages doivent redoubler d’efforts pour se présenter clairement. Ce qui n’est pas bien dit ne sera pas bien compris par l’autre, et on ne le saura jamais à quel point puisque lui-aussi demeure un mystère.

L’action des personnages, elle, n’est pas non plus primordiale. En été, les gens se détendent et en conséquence, ne visent à aucune évolution de leur situation. Il n’y a donc pas de quête dans le film, juste des gens qui vivent les uns avec les autres et surtout, qui ne se côtoient pas pour une cause commune, mais bien plus par une absence de cause individuelle. Alors ils déjeunent ensemble, tirent à la carabine, s’adonnent à la peinture ou écoutent de la musique, le tout accouchant de scènes moins d’action que de récréation.

Quant à l’espace et au temps, ils sont deux unités inextricablement liées par une pure inertie estivale. Si la caméra s’aventure par moments hors de la maison, il n’est jamais possible de se faire une idée nette de la position des lieux comme de la distribution des pièces dans la maison. C’est une maison quelque part en été, une maison de retraite au premier sens du mot. Son domaine peut être n’importe où mais on ne saura jamais où il se situe ni comment il s’organise.

Puisque tout se situe en été, alors c’est que le temps « n’a plus cours ». Ce phénomène d’éternité trouve son paroxysme dans les quelques plans de fleurs ou de nature qui égrainent le métrage sans porter aucunement l’idée d’ellipse qu’ils pourraient porter dans un autre film. Ici, impossible de dire si une journée ou un mois se sont écoulés entre l’avant et l’après de ces plans. Aucune nuit ne viendra ponctuer le film, ni aucun des repères habituels au cinéma puisque le quotidien est justement absent de ce film qui ne dévoile rien d’autre que l’été. Et nous explorons dans notre siège une journée qui dure deux mois.

La fin du film se raccroche in extremis au départ du « couchsurfeur » qui aurait pu s’absenter plus tôt ou plus tard, d’ailleurs on lui fait remarquer qu’il part « déjà ». Pourtant il n’interrompt rien, tout va perdurer sans entraves dans cette cellule hors du temps, de l’espace, et de l’histoire. Et l’ultime plan de faire vivre encore un peu ce sentiment de l’été par une image poétique, une dame âgée traverse à tâtons la cour de la maison ou une enfant fait des cercles à bicyclette. La vitesse n’importe pas ici, il n’y a ni destinations ni étapes, juste un lieu où chacun peut s’explorer délaissé de toutes les préoccupations si indispensables et personnelles le reste de l’année.

On l’aura compris, Rien sauf l’été est une expérience immersive, une atmosphère qui englobe le spectateur pour le transporter dans un moment sans déroulement. C’est une rencontre sans cesse renouvelée et sans horizon d’attente qui s’apprécie comme un espace de détente où Claude Schmitz nous invite à séjourner le temps d’un film.

Gary Delépine

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