L’Etrange Festival 2017, dix courts en colère !

Temps fort du début de rentrée cinématographique, L’Etrange Festival s’est acquitté pour la vingt-troisième fois de son lot de sensations et d’émotions fortes. Cette année, le festival comptait pas moins d’une soixantaine de courts métrages au compteur, toute(s) séances confondues ! Les “envoyés spéciaux” de Format Court, délégués en terre étrange lors du festival, vous en ont ramenés une petite dizaine à se mettre sous la dent.

Curse of the Flesh de Leslie Lavielle et Yannick Lecœur (2016 – France)

Curse of the Flesh est un court d’animation complètement dadaïste, à situer quelque part entre les collages plastiques de Terry Gilliam et la fougue aventureuse d’un Robert Louis Stevenson. Ambiance mystérieuse, musique envoûtante, fulgurances graphiques, le film possède tout un univers de folie douce qui ensorcèle. Le symbolisme, les mythes fondateurs, les rites ancestraux et l’histoire des hommes, tout se mélange dans un maelstrom d’idées et de sensations, sous les yeux ébahis d’un singe particulièrement éveillé. Les pirates et les tribus cannibales s’affrontent férocement tandis que le singe “grandit” et prend conscience de lui-même et de sa condition. L’univers de Leslie Lavielle et Yannick Lecœur fait preuve d’une grande originalité en mélangeant les codes propres au récit d’aventures et une narration plurielle, aléatoire, comme si le spectateur se retrouvait lui-même sous l’emprise de quelque substance illicite. Ce curieux et très riche mélange gratifie Curse of the Flesh d’une poésie étrange, à la fois délicate et macabre.

Garden Party de Florian Babikian, Vincent Bayoux, Victor Caire, Théophile Dufresne, Gabriel Grapperon et Lucas Navarro (2016 – France)

Grenouilles et crapauds envahissent une villa majestueuse complètement abandonnée. La nature reprend ses droits sur les lieux délabrés, exempts de toute trace humaine. Enfin, presque toute, puisque des impacts de balles apparaissent ici et là, une porte est fracassée, une caméra est brisée, le combiné d’un téléphone pend au bout du fil… Il règne un calme tout à fait relatif, interrompu simplement par les bruits d’insecte et d’animaux, inconscients du drame qui a pu se jouer.

Garden Party est un film d’animation, à l’ambiance prégnante, réalisé par des étudiants de l’école du film d’animation et de l’image de synthèse MOPA et présélectionné aux Oscars 2018. Il bénéficie d’un travail poussé sur les textures, les couleurs et les mouvements et met en scène de nombreuses situations proches de l’absurde, qui contrastent avec la découverte du drame humain qui s’y cache. Par le plus grand des hasards, un des amphibiens rallume les lumières de la villa et met en marche le dispositif d’arrosage. Au son du jazz endiablé craché par les baffles d’une chaîne hi-fi de nouveau fonctionnelle, l’ensemble des amphibiens se regroupent au bord de la piscine pour faire la fête, sans forcément faire attention à la masse sombre qui remonte à la surface…

Hell Follows de Brian Harrison (2017 – Japon)

Hell Follows est l’exemple typique de l’explosion de cerveau. Biberonné aux visions extrêmes et dérangées des cinéastes japonais fous Shinya Tsukamoto et Sogo Ishii, Brian Harrison livre une œuvre hystérique et habitée, où il est question d’un jumeau maléfique remontant à la surface pour étancher sa soif de sang de tueur sadique. Dans une ambiance poisseuse de film noir, Hell Follows mixe mythologie japonaise, code de l’honneur et imagerie punk, le tout “bercé” par une bande son énervée (avec notamment le groupe synthpunk américain Death Grips). Au son des saillies musicales bruitistes, le montage devient hypnotique, saccadé, alternant moments d’accalmie suspendue et fulgurances graphiques stroboscopiques. Ajoutons à cela les visions démentes de quelque cerveau malade, et l’on obtient une bien étrange cuisine qui envoûte autant qu’elle laisse désorienté, ce que l’on demande avec avidité à toute forme cinématographique.

I Want Pluto To Be A Planet Again de Marie Amachoukeli et Vladimir Mavounia-Kouka (2016 – France)

Marcus est un jeune homme modeste, sans grande qualité, ce que l’on appelle un H- dans la société futuriste adepte d’améliorations et de transformations corporelles dont il fait partie. Il est amoureux d’une fille H+ (la plus haute classe sociale) et se voit dans l’impossibilité de la fréquenter, vu sa condition. Aveuglé par ses propres sentiments, il participe alors au Gogole Show qui lui permet de gagner un “ticket” pour devenir à son tour un H+. Seulement, la “robotisation” de son corps n’est qu’un leurre et ne lui permet pas plus de séduire l’objet de ses rêves… Marcus est victime d’une profonde désillusion. La société dont il fait partie, à force d’additions technologiques vantant la longévité, la perfection et l’efficacité, en oublie les élans du cœur et se dessèche. Elle se déshumanise. L’apparat est devenu l’élément le plus important, le plus valable, quitte à ne chercher et à ne devenir que pure artificialité. Dans un graphisme froid, abstrait, à la ligne épurée et travaillée, I Want Pluto To Be A Planet Again développe une réflexion sur le transhumanisme et s’inscrit dans la filiation d’œuvres d’anticipation pessimistes et humanistes ; un peu comme si Ray Bradbury s’était lancé dans un film d’animation et l’avait réalisé avec le style moderne et dépouillé d’un produit Apple. Mais chut, “ceci est une révolution…”.

Johnno’s Dead de Chris Shepherd (2016 – Royaume-Uni/France)

12 après son court-métrage Dad’s Dead (2003), le réalisateur britannique Chris Shepherd nous replonge dans les affres de l’esprit tortueux du soi-disant meilleur ami d’enfance de l’affreux Johnno. Comme son titre l’indique, le narrateur de Johnno’s Dead est toujours aussi tourmenté par le souvenir de ce garçon, responsable (selon lui) de sa condamnation à 12 ans de prison pour un crime qu’il n’a pas commis. Alors qu’il tente de vivre à nouveau une vie normale, la tentation de retrouver Johnno refait surface…

Vue subjective, humour noir et animation hybride, cette nouvelle “aventure” de l’insaisissable Johnno garde la fraîcheur du premier opus et redouble d’ingéniosité ainsi que de trouvailles visuelles, ancrant son récit dans toujours plus de noirceur. On croise les doigts pour qu’il ne faille pas attendre 12 ans de plus pour avoir la chance de voir le prochain épisode de la saga Johnno !

Killing Klaus Kinski de Spiros Stathoulopoulos (2016 – Colombie)

Killing Klaus Kinski, du réalisateur colombien Spiros Stathoulopoulos, donne vie à un fantasme de pur cinéphile : assister, depuis l’intérieur, au tournage dantesque et éprouvant de l’un des chefs d’œuvre du cinéma d’aventure métaphysique, Fitzcarraldo. L’histoire est connue, Klaus Kinski, comédien principal, à la fois muse et pire ennemi de son réalisateur, Werner Herzog*, est complètement odieux pendant le tournage, à tel point que les tribus locales le surnomment le “Démon Blanc”. Le chef de ces tribus suggère même à Herzog de l’aider à s’en débarrasser…

Le court métrage se propose de raconter cette histoire farfelue, d’en combler les vides et d’imaginer ce qui se serait passé si le réalisateur avait accédé à la demande du chef. Assorti de long plans séquence et d’une belle virtuosité, Killing Klaus Kinski amuse et fascine, comme si l’on se retrouvait plongé en arrière, témoin d’un moment clé du tournage de Fitzcarraldo et assistant petit à petit à tout un pan parallèle de l’histoire officielle.

*(ndlr) : Herzog consacrera à cette relation houleuse un documentaire significatif des tensions qui peuvent surgir lors d’un tournage : Ennemis intimes (1999)

Mr. Death d’Andreas J. Riiser (2016 – Norvège)

Amateur d’humour scandinave, soyez le bienvenu ! Le scénariste et réalisateur norvégien Andreas J. Riiser a réussi à obtenir un entretien exclusif avec la mort. Oubliez l’image poussiéreuse qui colle à la peau de celle que l’on appelait antan la Faucheuse et faites place à l’avenir. Aujourd’hui, la mort a les traits d’un vrai gentleman. Si notre époque n’est pas toujours tendre avec les femmes et les hommes d’aujourd’hui, sachez que la Mort trouve aussi à y redire : cadences infernales, heures supplémentaires, etc… Et avec l’augmentation de la population, difficile de tenir le rythme.
Avec un aplomb et un humour à froid délicieux, Andreas J. Riiser nous a concocté une comédie noire dans la pure tradition des comédies nordiques. En choisissant, la forme de mockumentary (aka faux documentaire), il nous dépeint avec malice l’incarnation de la fatalité tant redoutée, comme une personne accessible et appliquée, voire un peu maladroite, créant ainsi des effets comiques brillants et inattendus. Une réussite !

No Offense de Kris Borghs (2016 – Belgique)

Dans une ambiance “cartoon”, des dessinateurs se retrouvent tondus, puis pendus par leurs bretelles dans des tenues de bagnards pour être amenés avec leur cartons à dessins devant un terrible jury et y exhiber leur caricature. Véritable parterre de personnalités, se côtoie pêle-mêle sur ces bancs Hitler, Mobutu, Castro, Kadhafi, Poutine, Busch, Kim Jong Il, le pape, une personne en burka, une femen, un rabbin et un biker. A l’aide d’un buzzer, tout ce beau monde se retrouve bras dessus, bras dessous à décider du sort de chacun de ces artistes, qui défilent un par un.

Reprenant à son compte le ton et l’atmosphère des dessins incriminés, Kris Borghs créé une farce à l’humour corrosif, visiblement inspirée par les attentats contre le journal Charlie Hebdo. Avec légèreté, il montre à l’aide d’un dispositif simple et didactique ce qu’il peut en coûter de déplaire à un pouvoir tyrannique quel qu’il soit. Un bras d’honneur salvateur à l’internationale des censeurs d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs.

Other People’s Heads de Stephen Winterhalter (2016 – Canada)

Réalisé par l’américain Stephen Winterhalter, Other People’s Heads a été sacré Grand Prix Canal + de cette 23e édition de l’Etrange Festival. Situé dans un monde indéterminé et décadent, ce court métrage à l’allure feutrée et à l’humour grinçant nous invite à rejoindre la compagnie d’une poignée de fonctionnaires de justice confortablement installés dans de riches salons tandis que devant eux, ont lieu une série d’exécutions capitales. Dans un mélange des genres sophistiqué où la satire le dispute au grotesque, cette caste dilettante maintient sa domination sur les autres par l’usage de la guillotine. Mais étrangement, les condamnés ne meurent pas comme prévu… Avec un casting trois étoiles, une direction artistique de toute beauté et un goût certain pour l’excentrique, Stephen Winterhalter fait glisser son récit avec une déconcertante facilité vers une satire à la fois drôle et dérangeante d’un petit monde qui s’entredévore avec élégance.

Un ciel bleu presque parfait de Quarxx (2016 – France)

Autre prix très attendu dans la section court-métrage, le Prix du Public qui s’est vu décerné au film Un ciel bleu presque parfait. Ce moyen métrage de 36 minutes, réalisé par Quarxx, met en scène un huis-clos perturbant entre un frère et une sœur. Simon, employé réservé et secret, tente de s’occuper de sa sœur réduite à l’état végétatif par sa faute… Si au départ le récit garde un pied dans le drame social, c’est pour mieux sauter rapidement à pieds joints dans une ambiance beaucoup plus sombre et baroque. Distillé par petites touches tout au long du film, la paranoïa et le goût pour le paranormal de Simon (incarné par Jean-Luc Couchard) atteindra son paroxysme dans un final haut en couleurs. Un film fondamentalement sincère et déviant qui ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil.

“L’Etrange” équipe de programmation continue, année après année, de dénicher aux quatre coins du monde des films rares et inattendus, pour un public fidèle et passionné, confirmant (s’il était besoin de le faire) le caractère incontournable de ce festival. Si ce petit aperçu du programme éclectique et foisonnant du cru 2017 a chatouillé votre curiosité, nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous début septembre 2018 pour la nouvelle édition de l’Etrange festival !

Papier écrit à quatre mains et deux pieds par Julien Beaunay et Julien Savès

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