Coup de projecteur sur le Collectif Comet

Les regroupements de jeunes cinéastes et techniciens en associations font florès dans le milieu du court-métrage. On ne compte plus les collectifs et autres groupes de créateurs en activité, pour des périodes plus ou moins longues, à Paris ou en région. Il est néanmoins nécessaire de tourner son regard vers ces associations de temps en temps car elles constituent un vivier de jeunes talents plus que prometteurs qu’il est important d’identifier et de promouvoir à leurs débuts. Le Collectif Comet, qui s’est rendu à Bruxelles ces derniers jours pour présenter une rétrospective de son travail, est l’une d’entre elles.

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Cette association de jeunes créateurs, réalisateurs pour la plupart, s’est constituée en 2010 sur les bancs de la prépa nantaise Ciné-Sup où les membres fondateurs du collectif se sont rencontrés. Portés par une envie irrépressible de tourner, ces jeunes étudiants se sont emparés du matériel de l’école et sont partis tourner une poignée de courts-métrages à l’arrache en parallèle de leurs études, s’improvisant cadreurs, perchmen ou acteurs selon les besoins. Ce qui aurait pu ne rester qu’un club d’étudiants sévissant le temps d’un cursus a cependant débordé le cadre de l’université nantaise. Une fois leur diplôme en poche, les membres du collectif se sont dispersés pour poursuivre leurs formations respectives dans diverses facultés, sans perdre pour autant le goût de faire l’école buissonnière et de se réunir régulièrement pour tourner des films, animés par cette même envie d’expérimenter mais soucieux «également de franchir les étapes d’une professionnalisation qui assiérait leur exigence grandissante.

À Bruxelles, un autre collectif accueillait ces cinéastes et leurs films : le Collectif en Rumsteek, groupe de jeunes gens qui ont investi récemment un local de banlieue pour en faire un lieu alternatif. C’est dans leur immense salon transformé en salle de cinéma que s’est déroulée la projection, dans une atmosphère festive face à un public venu en nombre et particulièrement communicatif. Trois projections se sont ainsi succédées tout au long de la soirée, avec deux programmes regroupant chacun trois courts-métrages suivis de la projection du premier long-métrage produit par le Collectif Comet, « Trois contes de Borges » de Maxime Martinot, film qui a commencé une belle carrière en festival (en remportant deux prix lors de la dernière édition du prestigieux FID Marseille) et qui fait l’objet d’une projection ce mardi 3 mars au Cinéma L’Archipel dans le cadre des “Rencontres avec le jeune cinéma français”.

Des origines du collectif, un aperçu nous est donné dans le premier programme de courts-métrages de la soirée qui fit le grand écart entre retour au source et dernier crû, réunissant des productions plus anciennes et des films tout juste sortis du moule (dont le très drôle et cruel « J et le poisson » de Cécile Paysant, film d’animation découvert en début d’année au festival Premiers Plans d’Angers). « L’Horizon des événements » de Jeanne Cousseau, tourné en 2012, nous invite de son côté à une déambulation nocturne dans les rues de Nantes où une caméra portée suit, bringuebalante, l’itinéraire incertain d’un énigmatique jeune homme à travers les rues de la ville. De ce premier jet très « roots », l’on devine les conditions de tournage amateur et bon enfant d’alors, porté par un besoin d’expérimenter, de se jeter dans le bain de la fabrication coûte que coûte au prix d’une opacité intrinsèque à toutes ces esquisses que l’on réalise d’abord pour soi. La vision de ces protagonistes tournant leurs regards vers le ciel pour apostropher les étoiles renseigne peut-être sur les origines du nom du collectif en même temps qu’elle contient déjà l’ambition de regarder plus loin, de poursuivre un geste de cinéma initié dans la fragilité et l’incertitude.

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Deux autres réalisatrices membres du collectif, Lana Cheramy et Camille Polet, s’amusent à déshabiller les garçons et à les jeter dans la moiteur de l’été, tirant profit de parenthèses estivales toujours propices aux tournages entre amis. « Presque une île » (Cheramy) et « On n’attend plus les martiens » (Polet) font à chaque fois le récit de retrouvailles, tantôt douloureuses tantôt festives de jeunes hommes le temps d’une brève embellie. D’un coté, Cheramy conte le retour dans son village natal d’un jeune homme parti vivre à Paris et ses retrouvailles avec un ami d’enfance resté sur place, abandonné à sa solitude et à ses tourments. Ce récit d’un amour contrarié émeut par l’économie que la réalisatrice fait des dialogues et des situations, s’attachant à filmer ces corps adolescents rejouant une intimité brisée par l’éloignement. Ellias et Bob, le rat des villes et le rat des champs, ne trouvent plus la force de rire ni les mots pour se parler, et déplacent leur malaise pour occuper le temps. L’importance donnée aux lieux et à l’inscription géographique des corps pose la qualité première de nombreux films produits par le collectif : une attention toute particulière accordée aux décors, une propension à élargir le cadre pour tirer profit de la ciné-génie des territoires investis, démarche essentielle et malheureusement absente d’un large pan de la production de courts-métrages.

Le film de Camille Polet représente le pôle joyeux du moyen-métrage de Cheramy où la mélancolie invite à se prémunir de la tristesse en rejouant aux jeux de l’enfance. Si les deux frères du court-métrage de Polet ont cessé d’attendre les martiens, c’est parce qu’ils ont compris qu’ils doivent libérer leur fantaisie une dernière fois avant de débarquer dans le monde des adultes. La narration décousue présente ainsi une succession de saynètes impressionnistes, comme autant de vignettes extraites des souvenirs de l’enfance rejoués pour la dernière fois. Baignades, jeux insouciants et confidences murmurées au pied des tentes de camping composent ces vacances idéales qui s’achèvent par la fabrication d’une carte des étoiles vers laquelle les frères tournent leur regard. Un éloge du bricolage qui rejoint une pratique du cinéma comme artisanat où le manque de moyens pousse à inventer des solutions avec des bouts de ficelles.

Heureusement, les parenthèses estivales et leurs invitations aux jeux ne sont pas uniquement l’apanage des jeunes gens, comme le prouve le court-métrage de Benjamin Hameury « Les voisins », projeté également au cours de cette soirée. Le jeune cinéaste, membre très prolifique du collectif tant par sa capacité à jongler avec différentes casquettes (réalisateur, monteur, acteur) qu’à maintenir une cadence obstinée dans le tournage de ses propres projets, élabore un film surprenant en plaçant au centre d’une intrigue pseudo-policière les habitants d’un quartier résidentiel réservé aux personnes du troisième âge. Cette communauté de retraités, apprenant au début du film qu’un bagnard s’est échappé de la prison située sur une île voisine et craignant l’infiltration de cet intrus dans leur quartier, s’organise alors en milice d’auto-défense.

Une fois ce postulat établi, le cinéaste déplie patiemment son récit avec un goût certain pour les digressions, chacun des personnages creusant son obsession dans son coin et ouvrant une multitude de sous-intrigues n’appelant pas nécessairement à des résolutions. C’est ici que réside la force du film, dans ce relâchement joyeux qui invite le spectateur à se prêter au jeu de ces petits vieux et à s’adonner au plaisir de piétiner sur place, le souci qu’ils affichent d’élaborer des stratégies et de mener l’enquête valant plus pour l’agitation qu’il provoque que pour les éventuelles réponses qu’il apporterait. En laissant dans le hors-champ toutes certitudes quand à la réalité d’une menace extérieure, Hameury ne borne son film à aucun genre et permet aussi bien à la comédie qu’au fantastique de filtrer par les jointures d’un scénario ludique, mis au service avant tout de la bonhomie et de la fantaisie de ces acteurs amateurs.

« Staub », le dernier film du programme réalisé par Léo Richard, synthétise bien le sentiment éprouvé au sortir de cette projection. Ce (très) court-métrage horrifique conte la trajectoire d’un jeune homme dont l’image est capturé par un groupe de vidéastes vampires pour être ensuite ingérée et mise en relation avec des plans extraits de classiques du cinéma (« Nosferatu », « Vampyr », « M le maudit »). Le film parvient à concilier en un temps record deux mouvements, celui d’un hommage aux plus illustres figures de la cinématographie en même temps qu’une récupération ludique de ce matériel pour produire un objet neuf.

La vision de ces jeunes gens (campés par les membres du collectif eux-mêmes) triturant leurs appareils et leurs instruments de musique dans cette petite chambre pour accomplir leur dessein renvoie malicieusement à la position de ces jeunes cinéastes, faisant feu de tout bois et élaborant leurs films en groupe, dans une conception artisanale du cinéma portée avant tout par le plaisir.

Le Collectif Comet n’a pas fini de sévir, et alors que ces jeunes gens s’apprêtent à achever leurs cursus respectifs et à quitter l’école pour se jeter dans la jungle du cinéma professionnel, la transformation de leur collectif en maison de production pourrait valoir comme transition idéale. Affaire à suivre.

Marc-Antoine Vaugeois

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