The Den d’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita

« The Den » (La Tanière) fait suite au travail d’exploration du monde virtuel de Second Life et de ses joueurs commencé avec les courts « Neighborhood » (2006) et « Newborns » (2007). Alain Della Negra et Kaori Kinoshita se penchent cette fois-ci sur la communauté des furries, drôles d’humains à poils partis à la chasse de leur animal intérieur.

Sous le soleil californien, Matthew, jeune vendeur en magasin, se prépare à participer à sa première soirée furry. Faussement ingénu, il a les yeux qui pétillent, de ceux qui s’apprêtent à transgresser. 
La garden party est prévue le soir même. Il s’y rendra seul, poussé par la curiosité envers ces gens d’une drôle d’espèce rencontrés sur Second Life et rassemblés par leur fantasme animal. Même s’il précise à sa collègue qu’il n’est pas attiré par le fait de coucher avec des animaux, il est beaucoup moins catégorique sur celui de coucher avec des gens déguisés en animaux.

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Lors de la soirée, la faune locale est variée, composée en grande majorité de geeks accrocs à Second Life qui se sont rencontrés sur le site. Dans le jardin, un renne harnaché doté d’une mitraillette en plastique côtoie un homme portant une queue factice de chat et des oreilles assorties façon souvenir made in Disneyland. Les plus discrets arborent juste un t-shirt illustré de leur animal favori ou un imprimé léopard pas toujours très heureux.
 Les convives se mélangent dans la bonne humeur en s’échangeant des mangas furries plutôt salés clairement pornographiques autour d’une télé où passe un dessin animé furry évocateur.

Matthew s’initie au vocabulaire furry en compagnie du fameux homme-chat. Est-il furry, fur-curieux, fur-friendly, quel est son fursonnage? Les initiés sont là pour l’aider à y voir clair.
C’est d’ailleurs l’interview d’un des furries les plus actifs, un mâle alpha belette qui constitue le fil rouge du documentaire et qui contient les moments les plus intéressants du film. Après un débat sur quel fursonnage choisir, renard, loutre, dragon, belette, loutre, lion, blaireau (le spectre est large), on apprend que les furries peuvent avoir jusqu’à plusieurs partenaires sexuels de différentes espèces. Il précise même que « nous ne sommes pas des pauvres types incapables de choper des rencards ». En effet, « ce fantasme, cette hallucination partagée » permet à cette communauté souvent moquée d’avoir une vie sexuelle active voire débridée. Bisexualité, partenaires multiples, le discours est décomplexé. Reste que le déguisement est moins anecdotique qu’il n’y parait, cette marginalité assumée en groupe nécessite un certain courage. Matthew ne trouvera pas chaussure à son pied, pas vraiment excité par sa rencontre avec ce « vieux type avec des sandales de touriste et une moustache », les furries n’étant finalement pas son truc. On sent qu’il aurait aimé un peu plus de folklore, des plumes, des poils et des griffes.

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Le film se termine d’ailleurs sur une réflexion de notre guide belette qui fait écho à la déception non dissimulée de notre novice : « être furry, ce n’est pas enfiler un masque ou un costume, c’est ce qui reste quand on ôte son masque humain, c’est ce qu’il y a à l’intérieur ».
 Kaori Kinoshita et Alain Della Negra se sont eux-mêmes créé des avatars sur Second Life pour contacter des joueurs et les rencontrer « dans la vrai vie » comme ces derniers disent souvent. On sent à la fois leur fascination pour ces furries et la distance avec laquelle ils les filment, sans jugement de valeur pour autant. La somme de leur travail sur ce monde pas si virtuel a fait naître un long métrage très réussi, « The Cat, the Reverend and the Slave », qui sortira dans les salles françaises le 15 septembre prochain. On y croise les furries bien sûr mais aussi un prêtre, des échangistes et un tas d’autres addicts du clavier.

Au-delà du phénomène de société, le couple de réalisateurs franco-japonais parle des pertes de repères entre le vrai et le faux, du rapport à soi, de sa mise en scène et du besoin si profond du regard de l’autre sans lequel on n’existe pas. Des thèmes pas si marginaux au final.

Amaury Augé

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