Vu dans les séries Messiah et Oussekine, mais aussi dans les longs La Pampa d’Antoine Chevrollier et Leurs enfants après eux de Zoran et Ludovic Boukherma, Sayyid El Alami a participé lui aussi cette année à Cannes aux 10 to Watch d’Unifrance mettant en avant une sélection de comédiens et réalisateurs. À l’occasion de cet échange, il convoque le foot, l’improvisation, le bluff, la liberté (un mot qui revient souvent), le feeling et le lâcher prise.

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Format Court : Tu as fait quelques courts avec Sofia Alaoui, Félix Imbert, Hakim Mao, … Qu’est-ce que le court a pu t’apporter en tant qu’acteur et aussi en tant que personne ?
Sayyid El Alami : Le court-métrage m’a beaucoup apporté. Ça m’a donné un aperçu d’un plateau, ça m’a permis d’approcher le tournage sans la pression énorme d’un long-métrage. Le court, ça te permet de tenter des choses, de découvrir tout l’envers du décor dans quelque chose de plus restreint, mais qui peut être aussi grand, touchant et incroyable qu’un long-métrage. C’est une belle porte d’entrée.
Tu es passé par l’association 1000 Visages qui forme des jeunes acteurs. Quel projet as-tu fait avec eux à ce moment-là ?
S.E.A. : À l’époque, ils faisaient un projet appelé « Cinétalents », mais je n’ai pas eu la chance de le faire. J’ai participé à un spectacle pour les 10 ans de 1000 Visages, en 2017, je crois. C’était un spectacle au théâtre du Gymnase, construit à partir d’impros. J’y suis resté six mois, et j’y ai rencontré des gens formidables, mes meilleurs amis. Ça m’a donné confiance, et surtout, je me suis senti moins seul dans l’envie de faire ce métier.
Ce sentiment de solitude, tu l’avais ressenti par le passé parce que tu trouvais que c’était compliqué d’accéder à ce métier-là ?
S.E.A. : Je le sens toujours. Au début c’est d’autant plus violent, mais c’est toujours difficile. Quand tu mets un pied là-dedans, tu sais que ce n’est pas aussi simple que cela. Pour faire du cinéma, il faut se montrer patient, savoir ce qu’on veut. C’est une discipline de vie, pas juste de travail. Il faut accepter la beauté comme la violence du métier.
Et tu as des garde-fous quand même face à cette violence ?
S.E.A. : Oui, comme dans la vie. Mon entourage, mes proches. Si je n’avais pas été acteur, j’aurais voyagé, découvert d’autres métiers. Je ne sais pas si en tout cas j’aurais eu le courage de me tuer pour l’argent, à faire une école de commerce, d’ingénieur par exemple. J’aime la musique, la physique quantique, l’astronomie, même la médecine aujourd’hui. J’ai toujours été curieux. Petit, je voulais déjà apprendre les langues. Aujourd’hui, être acteur me permet d’explorer un milliard de choses. Si je n’avais pas fait ça, je me serais autorisé un milliard de choses aussi.
C’est marrant parce que j’ai interviewé Adam Bessa tout à l’heure. Il y a des choses en commun dans vos discours. La notion de liberté, le fait de ne pas faire les choses pour l’argent, la curiosité.
S.E.A. : J’en ai besoin aussi, de l’argent (rires) !
Je n’ai pas dit qu’il ne faut pas en avoir, mais jusqu’où va le sacrifice ? Jusqu’où tu vas pour être toi-même ?
S.E.A. : Il y a des gens qui ont tellement d’argent et qui ne ressentent aucune liberté. C’est propre à chacun de trouver l’équilibre qui fait qu’on se sent libre.

« La Pampa »
Ce sentiment de liberté, est-ce que tu le perçois au moment où les scénarios t’arrivent et où tu valides un choix de projet ?
S.E.A. : Pas encore. C’est comme si j’étais à l’entraînement. C’est comme si je construisais un peu les bases de ma carrière, de ce que je veux, de montrer ce que je sais faire. Après, je suis quand même assez libre avec ce métier.
Tu parlais d’entraînement… Tu voulais faire du foot à l’origine, non ?
S.E.A. : Oui, j’ai longtemps joué. J’ai quitté Toulouse à 17 ans. Le foot m’a appris l’abnégation, la discipline, la dure réalité, la violence derrière tout ça : peu d’élus, très peu d’appelés. Aujourd’hui, de plus en plus, on est dans des trucs d’exploit. Ça devient hyper intense. Je ressens la même chose dans le cinéma, un endroit où il y a beaucoup d’entraînement, il faut arriver en forme sur le terrain, il y a beaucoup de concurrence aussi.
Les premiers cours de théâtre, à la maison de jeunes à Toulouse, ça t’a marqué ?
S.E.A. : Oui. J’avais 13 ans. J’ai arrêté le foot pour ça. Ma mère m’avait dit : « Soit je te paie la licence de foot, soit le théâtre. » J’ai choisi. Au début, j’étais déçu : on faisait des impros. Je voulais apprendre un texte, jouer une scène, pas faire semblant. Mais avec le temps, j’ai compris que c’était la meilleure chose à faire. On apprenait à croire immédiatement à ce qu’on voyait, même si c’était faux.
La technique de jeu, est-ce que t’as le sentiment encore de l’apprendre ? Si je comprends bien, tu t’es formé en mode autodidacte.
S.E.A. : Oui, carrément. À 18-19 ans, je suis arrivé sur Messiah, une série américaine à 90 millions d’euros sans connaître la technique. C’était du bluff, je voulais me bluffer moi-même. J’ai appris sur le tas, pendant la nuit. Je savais juste où était l’arrivée. Je ne savais pas comment y arriver, mais il fallait y aller. S’il y avait une route bien pavée et que devais passer par les ronces, et me tuer avant d’y arriver, je devais le faire. C’est vraiment pendant le tournage de La Pampa que je me suis senti acteur. J’ai commencé à comprendre comment je travaille, comment je joue, à construire mes personnages. J’ai beaucoup lu, observé, écouté. Je me souviens d’une phrase d’un podcast que j’avais écouté. Eric Ruf (acteur, metteur en scène, ndlr) y disait : « La concentration est la clé ». J’y réfléchissais, je me disais que c’était un peu bourgeois de dire ça. Dans un sens, c’est trop libre. Avec le temps, avec La Pampa, j’ai compris que c’était ça, que c’était mon processus. J’ai compris l’importance du passé du personnage, plutôt que ce qui se passait dans le film, plutôt qu’une scène particulière du film. Quand tu regardes le passé de quelqu’un, tu arrives à connecter les ponts. Tu peux inventer aussi plein de choses et créer ta propre culture générale sur le tas.
Tu figures au casting du prochain film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Qu’est-ce qui t’a incité à les suivre sur leur projet ?
S.E.A. : J’avais déjà vu leur court Chien bleu il y a très longtemps et leur long, Gagarine. Au festival de Sarlat, je les ai rencontrés tous les deux. Humainement, ce sont des amours. La rencontre, ça compte énormément pour moi. J’ai besoin de sentir les gens et de voir leurs intentions. Quand ils m’ont parlé de leur projet et de leur envie de parler du syndrome de résignation (syndrome étudié en Suède depuis les années 2000, qui induit notamment un état léthargique et comateux, et qui affecte surtout des enfants réfugiés qui ont subi des traumatismes psychologiques, ndlr) que je ne connaissais pas du tout, ça m’a parlé, cela fait partie des trucs que j’ai envie de porter. Faire du divertissement et raconter des choses profondes, c’est réussir à lier tout ce qui est important pour moi. J’ai aussi appris à faire confiance au feeling. Parfois, le scénario manque de quelque chose, mais la personne derrière peut faire toute la différence.
Je m’interroge beaucoup quand je rencontre les comédiens sur la manière dont ils perçoivent le casting et l’attente aussi entre les rôles.
S.E.A. : Ça a été horrible pour moi, par le passé. Je n’ai pas tourné pendant deux ans. Je terminais souvent en finale de casting. J’étais au bout. J’ai décidé de lâcher prise. Si ça doit arriver dans un mois ou dans dix ans, ce n’est pas grave. Mais je ne veux plus que ce métier me rende malade dans l’attente, dans le besoin. J’ai besoin de ma liberté.
C’est quoi ta relation avec la presse, globalement ?
S.E.A. : Ça va. Ce n’est ni un problème ni une passion. Elle est là, avec du bon et du mauvais, comme dans tout, même dans le cinéma. J’essaie de ne pas me focaliser sur le négatif. Je préfère ne pas me sentir repoussé par quelque chose. Je préfère l’accueillir et le laisser partir. Plus tôt, j’avais peur de l’attention que ce métier porte, que ce soit la notoriété, la visibilité. Je n’étais pas bien. Un agent, Matthieu Derien, m’a dit un jour : « Danse avec le diable. » Ce n’était pas par rapport à la presse en particulier mais par rapport au cinéma. J’ai mis du temps à comprendre, mais c’est devenu une devise. Le diable, c’est l’attention, le pouvoir, tu accueilles ce qui t’arriver et tu le laisses partir.
Propos recueillis par Katia Bayer