Réka Bucsi : « Je considère mes films comme des compositions visuelles en mouvement »

Réalisatrice et artiste visuelle hongroise, Réka Bucsi fait partie du Jury des films d’écoles et des courts-métrages Off-Limits du Festival d’Annecy. Il y a 10 ans, on découvrait et on adorait son film, Symphony no. 42 qui a eu la bonne idée de rejoindre la Toile comme certains autres de ses courts-métrages. Annecy programme d’ailleurs les films de Réka Bucsi dans un focus qui lui est consacré. Rencontre autour des festivals, de la communauté de créateurs hongrois confrontés à la crise politique, de l’expérimental et de la place des femmes dans le milieu de l’animation.

Format Court : Tu travailles actuellement sur ton premier long-métrage, The Great Silence. Comment ce projet a-t-il commencé et où en es-tu aujourd’hui  ?

Réka Bucsi : J’ai commencé il y a quelques années. Il s’agit d’une co-réalisation avec Bernardo Britto. Nous avons finalisé le scénario et nous en sommes fiers. Nous en sommes encore au début, à la recherche de partenaires de production. C’est un film expérimental qui traite de l’apocalypse, destiné à un public adulte, avec un ton assez européen — donc pas nécessairement un projet « facile à vendre » dans les circuits classiques. Mais nous espérons trouver des partenaires, qui correspondent au projet, en Europe comme aux États-Unis. On a reçu un soutien de l’Institut du cinéma hongrois pour le premier traitement du scénario, mais ce n’est pas allé plus loin. Je ne suis pas à l’aise avec leurs positions politiques actuelles, et ils ne correspondent pas au projet. Je préfère m’orienter vers des producteurs européens, notamment français, comme ceux de France, Passion Pictures, avec qui j’ai déjà travaillé. J’étais récemment à Los Angeles, c’est marrant parce que c’est plus facile de rencontrer des gens ici, à Annecy, que là-bas. Je pense que c’est parce que les gens viennent ici pour le même but et qu’ils se concentrent sur les mêmes choses.

Tu as mentionné ton pays, la Hongrie. Il y a un grand intérêt pour le pays dans ce festival : l’affiche de cette année, les programmes spéciaux, la présence d’animateurs hongrois dans les jurys, … Quelle est la situation du cinéma indépendant en Hongrie aujourd’hui  ?

R.B. : La situation est compliquée. Il y a beaucoup de jeunes talents en animation mais aussi en fiction. Malheureusement, la situation politique bloque les financements. Il n’existe quasiment aucune alternative au financement de l’Institut du cinéma. En France, vous avez des fonds régionaux. Nous n’avons pas ça. En Hongrie, si l’Institut refuse, le projet est quasiment mort. C’est pour cela que beaucoup de réalisateurs partent, comme Flóra Anna Buda qui a gagné le Palme d’Or (pour 27).

De ton côté, tu n’est pas partie, tu es restée attachée à Budapest.

R.B. : Oui, je pars, mais je reviens souvent. J’aime cette ville, la communauté artistique y est forte et soudée. Mais c’est frustrant de voir tant de talents ignorés, non soutenus. Il n’y a pas de place pour ces jeunes artistes et réalisateurs, c’est très triste. J’espère que les choses changeront après les prochaines élections.

Ton court-métrage de fin d’études, Symphony no. 42, a eu un succès énorme. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette période  ?

R.B. : C’était inattendu. Ce film a tout changé. Il a été sélectionné dans de nombreux festivals. Mais cela a aussi généré une pression énorme. L’Institut du cinéma hongrois me demandait de faire un film au succès équivalent, vu que tout le monde s’attendait à ça, ce qui est loin d’être le meilleur dialogue avec une jeune réalisatrice.

En plus du cinéma, tu explores d’autres formes : sculpture, dessin, GIFs… Comment ces pratiques s’articulent-elles  ?

R.B. : Je viens du dessin, j’ai même fait des romans graphiques avant de me tourner vers l’animation. Quand j’étais petite, je regardais beaucoup de films et de dessins animés. Je me suis rendue compte que je pouvais combiner l’art de dessiner et de raconter une histoire. Quand j’ai été accueillie à l’université, j’ai commencé à comprendre ce que je voulais faire avec l’animation parce qu’on peut faire un million de choses. J’ai toujours été intéressée par l’image en mouvement et les autres choses que je fais sur le côté, comme la peinture, me permettent de continuer à créer. J’aime faire des choses. Passer d’un médium à l’autre, c’est enrichissant et rafraîchissant. C’est très difficile de rester concentrée sur un film, surtout quand les choses ne se déroulent pas comme vous l’espérez et que vous attendez des réponses. L’animation est un processus très long. Créer des objets ou des GIFs m’apporte un équilibre mental, une forme de plaisir immédiat. Cela me permet de rester créative sans m’épuiser sur un seul format.

Pourquoi choisir le cinéma, avec tous ses défis, comme ton médium principal  ?

R.B. : Parce que le cinéma permet de combiner le dessin, la narration, le rythme, l’émotion. Je considère mes films comme des compositions visuelles en mouvement. Et même si l’expérimentation reste au cœur de mon travail, le langage cinématographique me permet de toucher un public plus large.

Tes films sont disponibles en ligne. Pourquoi ce choix  ?

R.B. : Une fois la carrière festival terminée, je trouve ça bien que mes films soient accessibles. Mon film Solar Walk, par exemple, a été acheté par le Criterion Channel, ce qui lui a donné une belle visibilité. Des gens qui n’ont jamais entendu parler d’un autre genre d’animation que les films Disney l’ont vu. J’ai envie que mon travail soit en ligne, je ne veux pas le garder pour moi toute seule. Cela permet aussi aux films de continuer à vivre leurs vie. J’accepte l’idée de mettre mes œuvres en ligne après quelques années, parfois contre un peu d’argent, pour qu’elles vivent.

Tu fais partie de la nouvelle génération d’animatrices et de réalisatrices. Selon toi, quelle est la place des femmes dans le milieu de l’animation aujourd’hui  ?

R.B. : Il y a beaucoup de discussions, mais les avancées sont lentes. Les femmes sont nombreuses dans les écoles, mais peu atteignent les postes de création. Les décideurs restent majoritairement des hommes. On doit créer une une industrie plus diverse avec plus de femmes dans les positions clé. Tant que cela ne change pas, il faudra maintenir des quotas. Cela reste une industrie dominée par les hommes. Cela dit, je vois une nouvelle génération de réalisatrices émerger, ce qui me rend optimiste.

Quel rôle les festivals ont-ils joué dans ton parcours  ?

R.B. : Un rôle décisif. La sélection de Symphony no. 42 à Berlin, à Sundance, le fait qu’il ait été shortlisté aux Oscars a lancé ma carrière. Les festivals sont les lieux où les films courts vivent… ou meurent. J’y ai rencontré mes collaborateurs, des amis, des partenaires. C’est là que tout a commencé.

Propos recueillis par Katia Bayer

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