Il n’aurait pas été acteur, il aurait pu devenir avocat, agir dans l’humanitaire ou encore être voyou. Adam Bessa, révélé avec Harka de Lotfi Nathan (Meilleure performance à Un Certain Regard 2022) et nommé aux César cette année pour Les Fantômes de Jonathan Millet, a fait partie cette année des 10 to Watch d’Unifrance présentés à Cannes (10 talents qu’ils soient comédiens ou réalisateurs, choisis par des journalistes issus de la presse internationale). Avant de retrouver les interviews d’India Hair, Megan Northam et Sayyid El Alami, Format Court vous invite à en savoir plus sur l’acteur en passe de devenir réalisateur, animé par la liberté, l’intuition, la vie, l’autodidactisme et l’imprévu.

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Format Court : Tu as étudié le droit. Est-ce qu’il te reste quelque chose de cette formation, même si elle a été brève ?
Adam Bessa : Oui, je dirais une forme de sérieux dans le travail. Je suis allé jusqu’au Master 1. J’ai fait un stage dans un cabinet d’avocats, et je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. Cela dit, ce monde continue à m’intéresser, j’y gravis toujours. Beaucoup de mes amis travaillent dans le domaine du droit international ou de la géopolitique. Si j’avais poursuivi, j’aurais sans doute visé le droit public international. L’ONU, peut-être. Mais surtout sur le terrain, pas dans les bureaux.
Tu enchaînes les interviews. En parlant de débuts, tu as commencé avec Les Bienheureux de Sofia Djama. Quelles ont été tes premières expériences face à la presse ?
A.B. : La presse a toujours été un allié. So far so good ! La presse m’a toujours soutenu dans mon travail. Même si j’ai fait des films qui n’ont pas été de grands succès en salle, la presse, pour le coup, a toujours été là pour me soutenir et pour me porter. Ça a toujours été une expérience très enrichissante et assez agréable pour moi de parler de mon travail.
Quand Jonathan Millet t’a présenté le scénario des Fantômes, est-ce que tu as vu aussi ses courts ?
A.B. : Oui, et c’est ce qui m’a convaincu. J’ai vu des choses intéressantes dans ses courts-métrages. J’ai senti ce que je pouvais lui apporter. Je me suis dit que ça allait être intéressant parce qu’il avait déjà travaillé avec de bons acteurs, donc je me suis dit : « OK, on peut combiner nos forces ». Avec Tawfeek Barhom (avec qui il partage l’affiche des Fantômes) aussi. Avec lui aussi, on est restés très proches. Il a d’ailleurs un court en sélection ici, à Cannes (I’m Glad You’re Dead Now qui a eu entre temps la Palme d’or 2025). J’ai lu le scénario quand on était sur Les Fantômes, j’ai vu le film quand il était en montage. Je suis très fier de lui. Il a fait un travail remarquable. Je trouve son film hyper fort, hyper intéressant. C’est vraiment un artiste important de notre époque. Je suis très fier de l’avoir rencontré.

« I’m Glad You’re Dead Now »
Tu t’intéresses toi-même à la forme du court-métrage ?
A.B. : Oui. Je co-réalise mon premier court d’ici peu avec Claire Fontecave. Je suis en prépa. Il est produit par Tanit Films qui a fait Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania et parle de protection infantile à l’école maternelle. C’est un thriller social psychologique. Je vais aussi y jouer. La co-réalisation me permet de déléguer certaines responsabilités tout en étant pleinement impliqué.
Tu as commencé par une école de théâtre que tu as arrêté. On t’a dit que tu étais « trop cinématographique, pas assez expressif »…
A.B. : Je pensais que le théâtre était une étape et qu’on faisait des choses en parallèle. Mais j’ai découvert finalement que pour beaucoup de gens, la carrière théâtrale était une carrière à part entière et que la carrière cinématographique, c’était autre chose. Après, quand tu réussis, tu as bien évidemment la possibilité de faire les deux. La manière d’approcher le métier d’acteur y était très théâtrale et pas du tout cinématographique. Pour moi, acteur, c’était relié au cinéma. À l’époque, ça m’a suffi. Moi, je suis d’une nature autodidacte. Je me suis formé seul en lisant énormément, en regardant des films, en faisant des analyses, en rencontrant des gens. J’ai étudié aussi les approches russes, anglaises, américaines. J’ai fait ma propre école Et surtout, j’ai appris que pour un acteur, la meilleure formation, ça restera toujours la vie. Rien ne remplace l’expérience humaine.
Justement, qu’est-ce qui t’intéresse dans la vie ?
A.B. : Les forces en puissance. Quand un individu tente d’exister dans un système qui l’étouffe. Ce rapport à la survie, à l’épanouissement, c’est un générateur d’émotions pour moi. Tout ça nourrit mon travail. La vie génère énormément de choses, que ce soit le rire, la tristesse, la frustration, .… On est là, on est homo sapiens, tout simplement, il n’y a rien d’autre de plus puissant que ça.
Quand tu bosses tes scénarios, la vie continue. Comment nourris-tu tes personnages ?
A.B. : Quand je crée un personnage, je travaille beaucoup en amont, j’essaie de me rapprocher de sa réalité, de la vivre.
Avec une distance quand même ?
A.B. : Pas tant que ça, non.
Mais ça peut être chaud quand même.
A.B. : Oui, c’est chaud, mais c’est un travail pour moi. Après, il y a toujours une partie du cerveau qui est là pour nous rappeler que c’est du travail. Je ne suis pas schizophrène, mon cerveau fonctionne bien. Même si je m’oublie complètement dans quelque chose, mon cerveau sait toujours pourquoi je le fais.

« Les Fantômes »
Quels souvenirs gardes-tu de tes courts ?
A.B. : Ce sont vraiment les débuts. Le souvenir que je garderais de ces moments-là, c’est les premières sensations de dompter un plateau. Comment se comporter face à une caméra, commencer à supporter son regard, arriver à l’oublier, … Les courts m’ont vraiment appris à me déstresser d’un plateau, à être plus à l’aise, à pouvoir commencer à travailler. C’est impressionnant quand même, au début, cette caméra.
Est-ce que tu es encore surpris sur un tournage ?
A.B. : Ma méthode repose sur l’imprévu. Moi-même, je ne sais absolument pas ce que je vais faire le lendemain. Ma manière de travailler est faite de telle sorte qu’il y a tout le temps des imprévus. Je rebondis, moi, c’est tout ce que j’ai, cette curiosité. Mon moteur, c’est l’anti-ennui. C’est cette chose qui me simule et me donne envie de comprendre. L’imprévu, c’est ce qui égaye ma curiosité. Je ne suis pas quelqu’un qui est beaucoup surpris dans la vie, je suis plutôt curieux et intéressé.
Tu aurais fait autre chose, tu aurais fait quoi tout en gardant cette curiosité ?
A.B. : Je ne sais pas, peut-être un voyou (sourire), en dehors de certains codes. Non, je crois que j’aurais fait quelque chose de libre, peut-être de l’humanitaire. Au bout d’un moment, ça m’aurait peut-être saoulé la course à l’argent, la course à la réussite, la course à être quelqu’un dans la société. Ce qui est bien avec l’art, c’est que malgré tout, il y a cette course, cette ambition, mais tu es toujours ramené à des choses fondamentales, à toi, petit, à l’autre. Je pense que j’aurais fait de toute façon des choses qui, au bout d’un moment, m’auraient connecté aux autres, avec qui j’aurais partagé des moments d’échanges.
La liberté, tu arrives encore à la retrouver dans ce métier ?
A.B. : Il faut la créer. Plus on avance dans cette industrie, plus la contrainte est là, plus les contraintes s’imposent. C’est à nous de construire des espaces de liberté pour pouvoir travailler et ne pas être, je dirais, trop étouffé par les obligations du genre. Typiquement, maintenant, on doit finir l’interview, bon ben, je prends une minute de plus s’il faut et je la termine. Ce ne sera pas la fin du monde !
La liberté, tu peux la retrouver dans le tournage de ton court prévu dans quelques jours ?
A.B. : Exactement, en mode petite équipe. La liberté permet de prendre le temps de chercher, de se tromper. Plus on avance, plus on a peu de temps pour chercher, plus on a l’impression qu’il faut tout le temps être prêt et être plein de certitudes. Moi, je crois que le chemin d’un artiste n’est pas d’être plein de certitudes et de choses déjà prédéfinies. Rien que pour le financement d’un film, tu dois déjà écrite tes notes d’intentions, c’est compliqué de tout prévoir ! C’est comme quand j’aborde un rôle, il y a énormément de choses que je vais découvrir au moment où je les fais. Tu ne peux pas demander à Modigliani de savoir exactement quelle couleur il va peindre la cerne de l’œil de son tableau. C’est en regardant son tableau, un jour, deux jours, trois jours, qu’il va trouver la réponse. C’est ça la liberté, c’est le temps que tu prends pour pouvoir chercher et pour que les choses puissent te nourrir. Le temps est une arme essentielle pour un artiste pour pouvoir se rendre compte de ce qui peut être superflu. La plupart du temps, ce que je fais, c’est de chasser des mauvaises idées. Les premières idées que j’ai, elles sont souvent faciles, attendues. Je me laisse le temps de chasser les mauvaises idées pour voir ce qui est essentiel pour moi, pour le metteur en scène, pour l’histoire. Je pense qu’un artiste doit avoir le droit de chercher et se tromper. La liberté, pour moi, c’est ça.
Propos recueillis par Katia Bayer