First Summer de Heo Gayoung

Les ailes du désir

First Summer condense la métamorphose de son personnage principal au sein d’une métaphore poétique et onirique, celle du papillon. Ce motif, au diapason avec la sensualité et l’émancipation d’une femme mûre, transforme le crépuscule de sa vie en un moment d’envol, grâce à d’élégantes ailes irisées. C’est ce très beau film de Heo Gayoung de la Korean Academy Of Film Arts qui remporte le Premier prix de la Cinef, ainsi que le Prix Lighst On Women de L’Oréal. La jeune création est habile et consciente, lyrique et lumineuse, pleine de promesses pour les films à venir.

Alors que sa petite-fille se marie, Yeongsun n’entend pas se présenter à la cérémonie afin d’assister aux funérailles de son ami. Après des années de résignation auprès d’un mari qui ne lui inspire rien, qu’elle porte sur son dos depuis qu’il décline, elle décide enfin de saisir à bras-le-corps son propre désir.

Ce trajet de nouvelle volonté du personnage s’affirme dès le premier plan, parasité par la ritournelle à demi agaçante d’une sonnerie d’attente de téléphone portable. Yeongsun se présente comme une dame à la fenêtre, à l’instar des héroïnes résignées des mélodrames de Douglas Sirk, qui attendent, ou qui contemplent par la transparence de la vitre le monde duquel elles sont rejetées, du dehors qui avance sans elles. C’est la position inaugurale de la protagoniste, brisée dans sa prostration pour relancer l’appel émis. À ce moment-là, la musique devient autre chose qu’une attente : c’est une mue qui passe par la danse. L’incarnation allégorique à travers l’insecte, la chorégraphie comme reprise en main du corps, ce sont les motifs que choisit Heo Gayoung pour accompagner l’envie et la conscience féministe de Yeongsun.

De l’élégante silhouette de cette femme se distingue une broche en strass en forme de l’insecte. Comme une représentation de la beauté, de l’éphémère aussi et de l’émancipation, c’est cette broche qui contient la force affective de la volonté de Yeongsun autant qu’elle augure les rencontres qui vont insuffler un nouvel élan dans sa vie. Lorsqu’elle la prend dans ses mains, assise dans une sorte de boîte de nuit déserte aux néons chamarrés, le papillon forme un agencement qui lie les extrémités du corps. D’abord, un plan montre les sandales aux ongles vernis, puis la main qui accompagne le décrochage de la broche. Mains et pieds sont ainsi entrelacés par le papillon, toute la chair est mûe par cette irrépressible flamme. Cette idée se retrouve dès lors avec la séquence de rencontre qui advient, peut-être la plus belle du film. Le papillon s’échappe, elle le cherche de ses doigts qui rencontrent ceux d’un homme. Liés par une étreinte dansée, ils effectuent plus tard, allongés sur un lit bleu, un ballet de pieds. Moment d’amour, autant que celui d’une liberté retrouvée, qui ne peut avoir lieu qu’en engageant le corps et toutes ses lisières.`

Si First Summer immortalise un crépuscule, celui d’une vie, au moment où il y a un conflit entre des noces et des funérailles, ce premier été possède la saveur d’une première fois. Il est celui du jaillissement du désir, contenu, réprimé pendant toute une vie, faite d’une relation maritale décevante et violente. Les mots de Yeongsun à sa fille bouleversent par l’évocation de la radicalité du malheur conjugal et de la résignation qui a pesé sur elle, autant qu’ils témoignent de la cruauté à devoir aider un homme déliquescent jamais aimé.

Les ailes du papillon, les ailes du désir, convertissent le crépuscule du personnage féminin en une nouvelle aube vaporeuse, celle des envols, des nuages flottants, à la peau drapée dans une robe moirée suspendue.

Lou Leoty

Article à venir : l’interview de la réalisatrice

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