Margot Reumont. Le dessin, la liberté

Margot Reumont est une réalisatrice française vivant en Belgique depuis ses études d’infographie à Saint-Luc et d’animation à la Cambre. Son film d’études Si j’étais un homme, un documentaire animé ayant tourné en festival, interrogeait des jeunes femmes sur la façon dont elles se seraient imaginées en mode masculin.

Câline, son premier court-métrage professionnel, évoque de façon douce et crue à la fois l’inceste et l’enfance. Le film est en lice pour le César du meilleur court-métrage d’animation 2023. Rencontre avec sa réalisatrice au studio bruxellois L’Enclume où elle a commencé comme stagiaire avant d’y revenir comme coordinatrice de production, avec son chien Fika.

Format Court : Qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier l’animation à La Cambre, puis de rester vivre en Belgique ?

Margot Reumont : Après le bac, je n’avais pas trop d’idées. À 18 ans, je voulais partir de là où je venais, de la campagne. J’étais dans une petite ville au lycée, je voulais m’éloigner de là où j’étais. Ma sœur était dans une école de cinéma à Bruxelles. C’était l’occasion de la rejoindre, je n’avais pas de projet précis. À ce moment-là, je ne savais pas que je voulais faire de la réalisation, mais juste une école d’art. Je suis rentrée à l’école Saint-Luc sans avoir fait beaucoup de recherches (rires) ! J’y ai fait mes premières années d’études en infographie parce que ça touchait un peu à tout. C’était une sorte d’année préparatoire, j’aimais beaucoup les cours théoriques. À ce moment-là, je m’intéressais un peu plus à la culture et je comprenais ce que je voulais. C’est à la fin de ce cursus que j’ai fait un stage au studio L’Enclume.

Pensais-tu que la Cambre était l’option la plus évidente pour travailler dans ce milieu ou t’es-tu intéressée aux films de l’école ?

M.R. : Lors de mon stage, je m’étais essayée à l’animation mais je me suis vite tournée vers la narration et le visuel. J’ai été prise en cours de cursus à la Cambre parce que j’avais fait quelques années de préparation à Saint-Luc. Je suis rentrée dans cette école en ayant l’impression d’avoir fait trois ans de préparation, comme si je rentrais dans un atelier.

Pendant tes études, tu as réalisé Si j’étais un homme. Ça fait une bonne dizaine d’année qu’on observe un intérêt pour le documentaire animé et ton film s’inscrit dans cette voie. Comment ce projet est-il apparu ?

M.R. : J’ai découvert après coup que c’était du documentaire animé (rires) ! J’ai dû être beaucoup influencée par les films à La Cambre. J’étais attirée à l’époque par les films à voix-off avec une rythmique. Je me souviens qu’à ce moment-là, le film Procrastination (de Johnny Kelly) m’avait marquée. La réponse entre ce qui est dit et l’image m’intéressait. Pour le fond, je me posais des questions sur moi-même, sur les normes, et je ne me rendais pas compte que c’était l’identité de genre que j’abordais. Au début, je pensais faire un film drôle, je ne m’imaginais pas qu’il serait aussi sérieux. Puis j’ai ajouté des détails, comme des moustaches sur les gens. J’ai ensuite lancé un appel à interviews, même à des gens que je ne connaissais pas.

Comment ça s’est passé ?

M.R. : J’ai fait un appel sur les réseaux. J’avais d’abord prévu une série de questions sur l’enfance des personnes interviewées, sur leur famille, je voulais savoir si elles avaient ressenti des différences d’éducation. Puis, j’ai demandé : « si tu étais un homme, aurait-ce été différent ? ». J’avais des interviews de 30 minutes, très intimes, où des filles pleuraient. Je me disais : « c’est énorme ce que je suis en train de faire ». Je ne voulais pas trop théoriser, je voulais garder cette première impression d’aborder la spontanéité de dialogue. J’ai sélectionné quelques interviews puis j’ai fait un montage.

As-tu répondu à tes propres questionnements ?

M.R. : J’ai l’impression d’y avoir répondu avec mes dessins. Comme si j’avais infusé ma personnalité dans les dessins qui illustrent les témoignages des autres.

Tu as tenté l’animation en volume avec ton film de fin d’études, Grouillons-nous. Qu’est-ce qui fait que tu as voulu revenir au dessin avec Câline, ton premier film professionnel ?

M.R. : C’est ce qui me vient naturellement, c’est ce qu’il y a de plus libre. On est pas contraint par la réalité.

Comment es-tu arrivée à ce dernier projet ?

M.R. : À la sortie des études, avec des copains, on s’est dit qu’on allait se mettre ensemble vu que l’animation est un long processus qui demande beaucoup de compétences différentes. J’ai travaillé sur de nombreux projets collectifs, notamment Câline. Bruno Tondeur a fait partie du projet, c’était mon co-auteur graphique, il a fait tous les décors et il m’a beaucoup aidée.

Vous avez des univers très différents, lui est très pop. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler ensemble ?

M.R. : Je suis un peu timide dans mon dessin. Je ne suis pas toujours très sûre de moi dans ce que je dessine, et j’avais besoin d’un regard illustrateur. Bruno faisait aussi de l’animation et j’avais besoin d’être accompagnée. J’avais besoin de m’appuyer sur quelqu’un. En faisant les décors, on s’est rendus compte que ça influençait tout le graphisme et on a fait beaucoup de ping-pong entre les dessins. Il a fait quelques croquis pour les personnages et je me les suis réappropriée pour que ça me ressemble plus, qu’il y ait une base extérieure. Vu que Câline était un projet personnel, son apport me permettait de prendre un peu de distance .

Quel regard tes coproducteurs (Lardux Films, Zorobabel, Ozú Productions) ont-ils apporté sur ce projet ?

M.R. : Ils m’ont beaucoup aidée à ne pas me perdre dans le film ; j’ai beaucoup tâtonné, j’ai changé de version, j’avais peur de ce que j’allais écrire. Ils m’ont servi de phare dans la nuit.

Avais-tu déjà écrit sur l’inceste ?

M.R. : Je n’y avais pas pensé avant la fin de mes études. Ce qui me revenait souvent, c’était le sujet de l’enfance, et de la nostalgie que j’avais envers elle, et envers les câlins. J’adorais les câlins. J’avais envie de transmettre des choses liée à l’enfance mais elles s’accompagnaient d’une pointe de tristesse, de quelque chose qui n’est plus, qui a changé. En dehors de l’inceste, ça concerne tout le monde. On grandit, on voit moins ses parents..

…Comme si les câlins passaient de l’autre côté ?

M.R. : Oui, c’est sur ce que les câlins veulent dire quand on est adultes. C’est avec ces questionnements que je suis allée en résidence d’écriture. Delphine Maury, la coach, avait ce côté maternel où on veut se confier à elle. Dès le premier entretien, je lui ai parlé de ça, puis de ma vie, je me suis confiée… Elle m’a dit qu’il fallait que je raconte ça. Je lui ai raconté plein d’expériences de vie qui ne sont pas dans le film. Je tournais autour du sujet. C’est devenu une très longue histoire, avec plein de personnages différents, aux histoires très différentes, c’était très long (rires) ! Je voulais décentrer le sujet, et puis je l’ai finalement mis de côté.

Il y a eu plusieurs événements, mais #MeToo fut très important. J’avais l’impression de raconter une histoire très individuelle, alors que le mouvement touchait plus de gens. Je cherchais un cadre de scénario qui me permettait de mettre en forme le sujet et c’est à ce moment-là que j’ai dû faire le tri, pour en faire le début d’une histoire. Je voulais faire une colonne vertébrale, une sorte de squelette de cette maison, de ce personnage qui y revient, qui trie ses affaires, et en sortir différents objets qui lui rappellent ses souvenirs.

Pourtant, le principe des cartons, c’est souvent qu’on garde des choses qu’on veut jeter, mais qu’on ne rouvrira plus.

M.R. : Mon père est né en Afrique. Il a dû partir rapidement d’où il était, et a tout laissé derrière lui. Il ne garde pas tout, mais il nous a dit de ne pas nous sentir obligés de tout jeter lorsqu’on a fait nos cartons, qu’on les rangerait et qu’on mettrait nos noms sur les boîtes. Il nous a dit qu’il avait regretté d’avoir perdu certaines choses. Ça lui tenait à cœur qu’on ne jette pas nos affaires.

Quel est ton intérêt pour la forme du court métrage ?

M.R. : J’ai l’impression qu’on a moins la pression commerciale avec un court-métrage qu’avec un long. On peut plus expérimenter. Mais c’est dur d’exprimer quelque chose en une quinzaine de minutes. L’animation prend beaucoup de temps, on est toujours surpris par ça (rires) !

Prévois-tu de faire un autre court ? Quels ont été les retours que tu as eus avec Câline ?

M.R. : Pour Si j’étais un homme, les gens étaient contents. Il y avait eu des retours directs. Pour Câline, c’était plus compliqué, il y a une sorte de pudeur. Les gens sont mal à l’aise. Je reçois souvent des messages par Instagram ou Facebook de personnes qui sont très touchées, des messages très positifs, mais c’est souvent après un moment, pas en direct. Ça m’a surprise.

Cependant, les deux films ne disent pas la même chose. Câline est frontal, n’est pas dans l’ellipse.

M.R. : Oui, mais le dessin met une distance.

Plus que si tu avais fait appel à des acteurs ?

M.R. : Oui, mais ça m’intéresse quand même. Je trouve qu’il y a une limite dans l’animation par rapport à certaines émotions de jeu. On est parfois obligé d’exagérer, par les voix… Dans Câline, toutes les scènes de la chambre entre le père et la fille, j’avais pensé à les faire tourner par des acteurs, mais le tournage m’a fait peur (rires) ! Mais j’ai adoré tourner des voix. Etre face à des êtres humains m’a rassurée. Je voulais avoir des acteurs qui ne soient pas des doubleurs, pour avoir un jeu plus naturel. J’avais déjà beaucoup écrit, il y avait peu de places pour l’improvisation, sauf pour le début et la fin du film.

Est-ce tu as le sentiment que la nomination aux César t’apporte de la visibilité, de la reconnaissance ?

M.R. : Oui. Tous les films nommés sont projetés dans les villes de France. Ça apporte beaucoup de visibilité.

Après Câline, que comptes-tu faire ?

M.R. : Un autre court-métrage, Et ben moi mon père, où des enfants dans une cour de récré se vanteraient de leur père. Un peu comme pour Si j’étais un homme, je referai des images qui ne correspondraient pas du tout au discours : les pères seraient des losers attachants qui réparent des machines à laver qui ne marchent pas à la fin… Je m’inspirerai de mon père. J’aimerais bien découper les points de vue, avoir des portraits très différents. J’aime bien finalement les histoires de famille (rires) !

Propos recueillis par Katia Bayer
Retranscription : Mona Affholder

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