Réalisateur de courts et longs métrages, travaillant le documentaire, la fiction ou encore le cinéma expérimental, Jean-Gabriel Périot interroge l’Histoire et la politique à travers ses différents films. Juré de la sélection court-métrage du FIPADOC 2023, il revient dans cet entretien sur sa relation au documentaire, l’unicité du court métrage ainsi que ses différents enjeux de production en France aujourd’hui.
Format Court : Pourquoi choisir le format du court-métrage, encore aujourd’hui, après avoir fait des longs-métrages ?
Jean-Gabriel Périot : La chose principale que j’aime dans le court-métrage, qu’on ne peut pas trouver dans le long, est que le court est un terrain de jeu et d’expérimentation pour moi, la possibilité d’essayer des choses. On peut se concentrer uniquement sur ce qu’on a envie d’essayer, en termes techniques, en terme de regard, de ce qu’on a envie de dire. On peut être plus impulsif, plus rapide, on a le droit de ne pas réussir. C’est vraiment le côté expérimental, non pas comme genre mais comme façon de travailler. Pouvoir essayer les choses et d’avoir le droit de se rater, ça c’est quelque chose d’important pour moi.
Pour le documentaire, ça se prête à l’exercice ?
J.G.P : C’est d’autant plus facile que pour la fiction. Un court-métrage de fiction nécessite par exemple plus de moyens humains, techniques, de préparation qu’un documentaire. Si je travaille d’un coup avec des archives ou si je fais un film avec une caméra, c’est plus facile à mettre en place, à improviser, à faire au dernier moment, sur l’instant, avoir envie de faire quelque chose, de le faire tout de suite. Le documentaire le permet plus que la fiction ou l’animation parce que le temps de travail n’est pas le même.
En général, quand je commence un film, ça vient d’un énervement. Il y a quelque chose qui m’énerve par exemple dans la politique telle qu’elle se fait, alors je vais faire un film. Cela ne sera pas forcément sur le sujet qui m’énerve mais je mettrai mon énergie dans quelque chose d’un peu radical politiquement, ou à l’inverse je peux avoir des troubles sur des questions de violence que je ne vais pas comprendre, des choses qui se répètent dans l’histoire. Faire un film devient un moyen, peut-être pas de comprendre ce qui crée cet énervement ou ce trouble, mais de préciser son interrogation. C’est un moyen pour moi de réfléchir. Je fais des films parce que je ne comprends pas tout à fait le sujet porté par le film.
Dans votre dernier court (L’effort des hommes, 2022), vous vous réappropriez certains récits comme Moby Dick, est-ce comme ça que vous percevez le documentaire, comme une réappropriation de certains récits ?
J.G.P : Je travaille beaucoup l’archive donc je me réapproprie souvent les œuvres des autres de manière générale. Ce film est justement un bon exemple de ce que je veux dire : j’adore Moby Dick parce qu’il n’est pas clair, on peut le relire plusieurs fois, on ne comprend jamais qui est la baleine, qui est Acab. Melville lui-même donne tellement de possibilités de lecture, il n’arrête pas de dire ça et son contraire, et encore son contraire…. dans sa manière de poser une histoire sans en donner la clé de lecture, c’est ce qui me séduit beaucoup. Là, je décide de faire un court, c’est la possibilité de travailler cet endroit de flou et ce que moi je lis de l’histoire en plus d’ajouter ma propre lecture politique du livre et d’essayer de transcrire en mélangeant des bouts de fiction, d’archive, cette incertitude qu’il y a dans le livre à l’origine.
Comment appréhendez-vous l’archive ?
J.G.P : Il y a deux cas : un qui m’arrive rarement est celui où je vois une image ou des archives que j’ai besoin de travailler, parce qu’il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Mais la plupart du temps, j’ai un sujet de réflexion et je commence à lire des livres, à regarder des films et à un moment, ça fait une espèce de connexion entre les questions que je me pose et une image, un groupe d’images. A partir de là, j’ai la possibilité de faire un film et en général, le film parle de ces images qui ont été des déclencheurs du travail. Ça dépend vraiment des films, il y a soit le cas où c’est un peu une matière. L’archive arrive parce que j’ai un sujet, dans Eût-elles été criminelle… (2006), c’est les femmes tondues, dans The devil (2012), les luttes des Black Panthers aux Etats-Unis.
J’utilise donc les films existant comme matière et de cette masse j’essaie de raconter quelque chose. Il y a d’autres films, comme le dernier (L’effort des hommes), où là d’une certaine manière, c’est plus écrit et où je cherche des images qui ne vont pas ensemble. Dans ce dernier film, ce sont des images d’époque et de registre différents, sur des sujets différents. C’est un processus un peu plus complexe de recherches, toute cette partie un peu universitaire de chercher des films précisément plutôt que de prendre des films au hasard et de les travailler.
Quelle place a le court-métrage en France aujourd’hui ?
J.G.P : Ce qui est paradoxal c’est qu’on aurait l’impression de l’extérieur que les courts-métrages sont plus diffusés. Il y a une difficulté qui est toute bête, à part quand le film est en ligne ou si on est pas par hasard dans la ville où il y a un festival qui le passe, on ne peut pas le voir. En réalité, c’est une fausse vision, on a la chance en France que les courts-métrages soient énormément diffusés et dans des cadres très différents. Il existe beaucoup de festivals, uniquement de courts-métrages ou alors avec des sections courts-métrages. Il y a encore des diffusions en salles, il y a la télévision, quatre chaînes nationales passent du court, il y a les plateformes en lignes, dédiées ou généralistes ; et il y a les systèmes d’éducation à l’image. Certains de mes films ont été énormément vus par des collégiens et lycéens parce que ce sont des films d’histoire qui sont des bons supports pour les professeurs. On n’a pas cette impression mais la réalité fait qu’il y a beaucoup de films montrés.
Et au niveau de la production ?
J.G.P : De manière générale sur le court-métrage, dans la production, le problème, c’est le temps. Un court-métrage, même de fiction, c’est une œuvre courte, souvent portée par une énergie, une envie de faire un film assez vite, plus léger qu’un long-métrage ; alors que dans la réalité, la plupart des films mettent un temps infini à se produire et souvent pour arriver à des budgets très serrés. Il faut un an, voire deux, pour avoir trois jours de tournage. C’est disproportionné. Concernant les films documentaires ou expérimentaux, ce qui est contradictoire, c’est le besoin de passer par l’écriture. Avec les moyens techniques qu’on a aujourd’hui, c’est plus rationnel de prendre sa caméra et d’aller filmer que d’écrire des dossiers pour avoir de l’argent pour filmer. Souvent, on se retrouve dans des situations où on doit filmer au moment où l’événement arrive, on ne peut pas attendre pour faire le film. Je vois, moi, dans mon énergie, je commence un film parce que je me réveille un matin et je suis énervé et il faut que je fasse le film à ce moment-là. La production, c’est trop long. De mon point de vue de réalisateur, mais je ne suis pas l’institution ou les producteurs ! Comme je fais du long-métrage, je vois la différence entre les deux et je remarque que c’est quasiment le même temps de production pour un court et un long. Dépenser toute cette énergie pour un micro budget, au final, moi, j’ai déjà fait quatre films entre temps. Et je ne suis pas le seul ! Il y a beaucoup de films qui se font sans financement, parce que c’est trop long.
Àpropos de l’accord signé par les organisations professionnelles d’auteurs et les syndicats de producteurs pour une rémunération minimale pour l’écriture documentaire, est-ce que ça va permettre de réduire ce temps ?
J.G.P : Non, c’est même le contraire. Si on prend tout le cinéma documentaire, militant, politique, qui se fait dans l’urgence, la question de l’argent n’est pas centrale dans le travail. On fait des films avec des amis, on les paye ce qu’on peut, les gens participent à ces films parce qu’ils ont envie de les faire, pas comme un travail. Évidemment quand un film est financé, les gens doivent être payés, c’est une évidence. Mais ça veut dire quoi, payer les auteurs ? C’est très abstrait. Même le temps de travail sur un film, comment le quantifier ? Il y a beaucoup de films qui ne se feront pas parce qu’ils se font seulement sur l’énergie des réalisateurs et des gens qui peuvent les aider. Et je pense que beaucoup de réalisateurs préfèreront faire leur film sans être payés que de ne pas les faire. Moi le premier ! J’aimerais bien être payé mais je ne veux pas que ça devienne la question centrale de mon désir de faire des films.
Comment rémunère-t-on malgré tout les auteurs ? On est dans un milieu où beaucoup de gens sont rémunérés, l’institution, les diffuseurs, tout le monde est payé et souvent, sauf nous. Il y a peut-être des choses à rééquilibrer mais je ne suis pas sûre que passer par le salariat soit la solution administrative la plus judicieuse. Il y a plein de producteurs qui ne s’engagent pas dans des films parce qu’ils savent très bien qu’ils n’ont pas les moyens de payer avec ce qu’ils peuvent obtenir de financement. Un court-métrage documentaire, bien financé, c’est 10, 20, 30 000 euros, si l’auteur travaille 10 ans dessus. Il n’est pas payé au SMIC et il ne reste rien pour le film. Il faut se poser la question, il n’y a pas de réponse miracle parce qu’il y aura toujours un endroit compliqué. Mais je trouve courageux que les gens s’interrogent et proposent des solutions. Il faut se poser avant tout la question du cinéma, du besoin de faire des films, de chercher. Pour moi, le plus important, c’est de faire les films quelles que soient les conditions. La plupart de mes films, je les ai faits sans être payés et heureusement sinon je ne les aurais jamais fait. Mon salaire à moi, ma récompense, c’est de les avoir faits et que des gens les voient. Ca c’est fondamental, le reste c’est administratif.
Vous dites que vous faites des films pour comprendre, parce que vous avez des questions. Est-ce cette approche que vous avez eu, en tant que juré, en visionnant les films de la sélection court métrage du FIPADOC ?
J.G.P : Je suis différent comme spectateur que comme réalisateur. Mes goûts sont plus ouverts déjà ! Heureusement, j’aime le cinéma moins radical que celui que je fabrique. L’important, c’est justement de réussir à dépasser ses propres goûts. Moi ce qui me plaît, c’est quand un film essaye quelque chose, un peu casse-gueule, et qu’il y arrive. Pour ça, le court-métrage est parfait. Ce qu’on voit, nous, dans la compétition de court métrage, c’est une diversité de formes et de sujets, par rapport à la compétition des longs. On a un champ énorme de genres et de sous-genres de films.
Votre travail est politique. Pour vous, le cinéma est-il le meilleur moyen d’exprimer votre engagement ou souhaiteriez-vous le faire par d’autres biais?
J.G.P : De mon expérience personnelle, c’est un moyen de fuir la lutte directe. Je suis un peu incapable. Je me suis inscrit dans un parti politique, au bout de deux sessions, je suis parti. J’ai un peu peur de me dire voilà ce sujet parmi tous les sujets importants. Ce que font certains qui commencent à militer, qui passent tout leur temps à aider d’autres personnes, avec tout le courage qu’il faut parce que ça bouleverse sa vie. Tous ces gens que je trouve très courageux. Je n’ai pas ce courage-là, dès le début il y a eu un endroit de mauvaise conscience où je ne me sentais pas au niveau où je voudrais être, politiquement comme citoyen, comme individu. Faire des films est l’endroit que j’ai trouvé où je pouvais malgré tout agir pour fabriquer ces films que j’estime nécessaires. En même temps, c’est un endroit où je me cache. Si je suis honnête avec moi-même, j’aurais préféré réussir à être militant plutôt que cinéaste.
Propos recueillis par Garance Alegria. Retranscription : Agathe Arnaud