Jacky Caillou de Lucas Delangle

« Écoute : c’est l’appel de la forêt »

Le premier long-métrage de Lucas Delangle, Jacky Caillou, en sélection à l’ACID lors du Festival de Cannes 2022, sort aujourd’hui en salles. Portrait d’un film qui ouvre nos sens.

« Jacky Caillou », c’est ainsi que tout le monde appelle Thomas (Thomas Parigi). Il est le petit-fils d’une magnétiseuse (Edwige Blondiau) à laquelle les habitants du patelin semblent vouer une confiance absolue. Si elle l’a élevé dans cette grande maison vétuste et isolée avec la tendresse d’une mère, ce n’est que brièvement avant sa mort soudaine qu’elle tente de lui enseigner son précieux savoir : l’art des manipulations, le pouvoir des arbres… C’est alors qu’une jeune femme émerge des bois. Elle a besoin d’être sauvée du mal qui la ronge. Jacky se met en quête de la grâce.

Lucas Delangle fait naître son histoire entre le doux jeu de lumière qui filtre les forêts de mélèzes et le vent cinglant qui frappe les crêtes rocailleuses. Le premier personnage dans ce film, c’est sans doute la nature, celle des Hautes Alpes, où évoluent des personnages qui la ressentent plus qu’ils ne cherchent à la dominer. Protagonistes de peu de mots, seulement ceux nécessaires, travail de la lumière délicat qui ne cherche pas à sublimer artificiellement le paysage mais à l’épouser, rythme fluide qui ne se compromet pas dans le simulacre de l’urgence et du suspens : c’est un film aéré qui repousse les codes des habituelles narrations citadines et cela fait du bien. On voit que c’est un territoire qui compte pour le réalisateur, qu’il a prit le temps de l’appréhender, de le vivre, de le respecter lui ainsi que ses gens. Lucas Delangle s’est d’ailleurs entouré de nombreux comédiens non-professionnels, des habitants de la région, pour figurer les villageois et éleveurs de son histoire. Il est parvenu à les faire s’emparer du scénario, pourtant apparemment très écrit, avec un naturel et une conviction qui donnent pleinement corps à cette représentation villageoise qui n’aurait pu souffrir de faux-semblants.

Cependant, l’aspect très terrien du film n’en est pas moins transcendé par le rêve et la poésie. Comme dans un conte, un loup rôde, une jeune femme (Lou Lampros) émerge des bois aussi vite qu’elle s’y évapore, les arbres purgent du mal… Ce monde se déploie dans un réalisme magique qui pourrait faire se rencontrer Guiraudie, Mouret et Argento. Ici, les mains sont maladroites et sensuelles mais aussi guérisseuses et destructrices; autant un outil de caresses que de magie. Les paumes ouvertes de la magnétiseuse, puis de Jacky, agissent comme une invitation pour le spectateur à lui-aussi ouvrir son esprit et ses sens. Sans effets spéciaux, Lucas Delangle et son acteur parviennent à communiquer cette force invisible qui sous-tend le récit. Le réalisateur inspecte une nouvelle approche du vivant où le contact se passe de mots pour qui accepte de ressentir.

Au delà du conte, l’image du loup n’est pas anodine. L’un des personnages évoque « l’appel de la forêt », immanquable écho à l’œuvre de Jack London où les hurlements des loups réveillent en Buck, chien de trappeur, un atavisme primitif qui l’attire irrésistiblement vers l’état sauvage. Au milieu de son errance, Jacky Caillou se trouve de la même manière tiraillé entre la tentation du sauvage — incarné par Lou Lampros ou par les pulsions soudaines du jeune magnétiseur — et sa volonté d’apprivoiser le danger. C’est sur ce fil tendu de part et d’autre de la culture et de la nature, de la raison et de l’émotion, que Lucas Delangle réussi à maintenir une tension tout au long de son film.

Découverte lors du court-métrage documentaire Du rouge au front, Edwige Blondiau devient dans Jacky Caillou une actrice de fiction en jouant Gisèle, la grand-mère. Le naturel franc et le phrasé pittoresque de la comédienne contrastent avec l’idée que l’on pourrait se faire d’une magnétiseuse. Le réalisateur peut ainsi la faire évoluer dans un environnement mystique, une vieille bâtisse aux reliefs de château peuplé d’obscurs bibelots, sans tomber dans un cliché qui affecterait la crédulité du spectateur. Au contraire, la force qui se dégage de Blondiau et de son regard azuré, mis au service d’un personnage avec de la poigne, instaure d’emblée la vraisemblance d’un univers où l’horizon des possibles est étendu.

C’est sur ce socle qu’éclot le duo Thomas Parigi – Lou Lampros, dont l’investissement révèle bien vite une réelle capacité de puissance évocatrice selon une intensité qui ne faiblit jamais. Le metteur en scène les accompagne avec une réalisation précise et juste qui laisse à ses acteurs le temps et l’espace de s’épanouir dans ce premier film plein de sensations et de promesses.

Gaspard Richard-Wright

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