Onoda, 10 000 nuits dans la jungle de Arthur Harari

On n’arrête pas d’en entendre parler, de ce soldat japonais qui a continué la lutte pendant presque trente ans au fin fond de la jungle d’une petite île des Philippines. Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, depuis sa sortie en salles en juillet 2021, ne rencontre que du succès. Le film d’ouverture au Festival de Cannes de la sélection Un certain regard vient de remporter le Prix Louis Delluc 2022. Il est aujourd’hui nommé dans quatre catégories au César (Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original, Meilleure photographie et Meilleur film). Format Court vous offre d’ailleurs la possibilité de remporter un coffret DVD du film édité par le Pacte.

C’est une très belle réussite pour le deuxième long-métrage d’Arthur Harari, après Diamant noir. Le jeune réalisateur français s’est lancé un grand défi en commençant cette aventure avec le lieutenant Onoda. On comprend son attirance pour ce personnage historique, tout autant troublant que attachant. En 1945, au lieu de rendre les armes, ce soldat japonais continue, comme il lui a été appris, à se battre. Commence alors de longues décennies d’occupation de terres ennemies. Onoda, 10 000 nuits dans la jungle est une réussite visuelle et narrative : comment raconter ce destin si extraordinaire fait de 29 années d’attente, de survie, de lutte ? Le film étonne, et nous accroche ! On y contemple avec un certain malaise la vacuité de la mission que le lieutenant Onoda s’impose et pourtant on ressent toute la force de son dévouement et toute la détresse de l’abandon qu’il reçoit comme seule réponse. Pourra-t-il se libérer de cette dévotion, quitter son île, abandonner la guerre, se rendre ? Les yeux rivés sur l’écran, on guette les réponses. Avec eux, on passe de longues minutes à épier les Philippins, la pluie, les arbres, le ciel : des minutes qui sont des heures qui deviennent des années. Onoda, 10 000 nuits dans la jungle nous embarque dans un espace-temps hors-norme où l’attente se fait seule loi. Non, il y a aussi la loi de la jungle : terrible et cruelle jungle que ces quelques soldats japonais tentent d’habiter. Les images lui donnent une forte charge symbolique – les secrets de tournage dans les compléments du DVD nous en apprennent plus sur l’envie du réalisateur de traiter son décor et les moyens alors déployés.

Arthur Harari signe un film d’aventure qui ne se prive pas de scènes contemplatives. Le regard s’attarde sur cette forêt dense, grand huis clos de l’action. Une conversation avec Tom Harari, le directeur de la photographie sur le film – aussi frère et souvent collègue d’Arthur – dévoile les revers de la création, sur ce DVD. C’est amusant de comprendre d’où vient la puissance visuelle du film : par exemple, le traitement de la lumière, parfois crue, souvent blanche ; parfois onirique, dans des tons bleus, verts. Ce film, qui provoque une vraie sensation visuelle, se double d’une profondeur narrative rare. Le retour documentaire sur la création du film dans les compléments du DVD avec différents membres de l’équipe, scénariste, équipe images ou son…, est très pertinent pour découvrir l’ingénierie d’un film aussi bien maîtrisé, les envies du réalisateur, les idées de son équipe. On y apprend par exemple l’obsession du réalisateur pour le réel, pour les détails qui font vrai, ceux qui sont concrets. Pourtant, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle n’est pas un film historique, ce n’est pas un film de costumes. Il substitue au temps du passé un temps au présent dans une narration qui semble fictive. Cela tient à la volonté du réalisateur de mettre à distance l’aspect historique du récit : on apprend et on comprend cette envie en lisant la documentation écrite qui accompagne le DVD, une interview du réalisateur et un papier universitaire sur le soldat Onoda et ses résonances au Japon. Malgré toute la complexité qu’implique cette célébrité historique (politiquement et symboliquement), le film se tient résolument du côté de son personnage. Tout en gardant du recul sur ces actes et ses convictions, le film ne quitte pas son point de vue et construit ainsi un personnage tout en dualité ! On retrouve parmi les questions posées au réalisateur dans les compléments du DVD la fameuse “Onoda est-il un héros ?” L’esprit militaire endurci dicte sa vie et sa conduite; pourtant le lieutenant Onoda se montre plein de tendresse et de fragilité. On découvre dans les flash-backs un garçon dévoué à son supérieur hiérarchique, un commandant intense et marginal qui prend les traits d’une figure paternelle. Cette dualité du lieutenant Onoda si touchante se complète par un tour de force technique, le personnage étant joué par deux acteurs différents. Yuya Endo et Kanji Tsuda se partagent le personnage au gré des flash-backs et du temps narratif (l’histoire commence en 1945 pour se finir en 1974 !) Une conversation entre les deux comédiens qui jouent Onoda et Arthur Harari s’avère être passionnante : Onoda étant un personnage de l’Histoire du Japon, son traitement par un réalisateur français s’avère être un sujet épineux que les comédiens et Arthur Harari aborde en grande intelligence.

Vous pouvez découvrir dans le DVD les moyens-métrages La main sur la gueule (produit par Les Films du Dimanche et sorti en 2007) et Peine perdue (produit par Bathysphère Productions et sorti en 2013), tous deux réalisés par Arthur Harari avec le travail de Tom Harari à l’image. En 2014, Peine perdue gagnait le prix Format Court au Festival de Brive. Le webzine sortait à cette occasion deux critiques sur les films d’Arthur Harari dans le cadre d’un focus consacré au réalisateur.

On y retrouve ce style (comme celui d’un western introspectif) des personnages en errance mais intègres à eux-mêmes. L’écriture du réalisateur se construit sur une apparente sobriété où les émotions, jamais surfaites, deviennent explosives quand elles apparaissent à la surface. Dans Peine perdue, Arthur Harari filme les corps comme s’ils étaient les plus précieux indices de l’âme humaine. Les mains baladeuses en disent bien plus que de longs discours… Ces personnages, dans Peine perdue comme dans La main sur la gueule, ne semblent pas pudiques au premier abord. Pourtant, ils se cachent et les émotions contenues font des films d’Arthur Harari de véritables champs de mines. Bien heureusement ses films nous laissent indemnes, ils nous donnent même de l’espoir en l’humain et, avec ça, l’envie d’en découvrir d’autres !

Agathe Arnaud

DVD Onoda, 10 000 nuits dans la jungle. Edition : Le Pacte. Compléments : Retour sur la création de Onoda : l’image, le scénario, la musique, conversation avec les comédiens, 2 courts-métrages du réalisateur : La Main sur la gueule, Peine perdue, galerie de projets d’affiches, bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *