Birds in the earth de Marja Helander

Marja Helander, artiste visuelle mêle photographie et cinéma dans sa pratique. Son dernier court-métrage, présenté par Format Court lors des projections au Point Éphémère cet été, a été retenu en sélection officielle au festival de Sundance. Une sélection méritée, récompensant une ode poétique forte en symbole. Marja Helander est surtout et avant tout une artiste qui écrit une page de son histoire ainsi que celle de son peuple, l’un des derniers peuples indigènes d’Europe : les Sámi.

Eatnanvuloš lottit, titre du film en langue same s’inclut dans la droite lignée du travail photographique et cinématographique de Marja Helander, qui questionne et confronte depuis ses débuts son identité Sámi et son identité finlandaise. Une poésie persistante qui mélange et oppose urbanisme et nature, progrès et tradition. La cinéaste nous rapelle avec justesse, sans forcing ni tour de passe-passe la condition d’un peuple à travers des métaphores visuelles et abstraites qui a, pendant des siècles, vécu selon ses codes et coutumes avant de devoir lutter contre la destruction de leur patrimoine culturel et se voir convertis de force à la société finlandaise.

Dans Birds in the earth, deux jeunes danseues de ballet en tutu se meuvent dans une taïga hivernale d’abord, puis estivale ensuite. Une taïga sous la lente influence d’une musique mélancolique. La perception est belle, les danses sont limpides et le décor pourrait être théatral. La rudesse du pays, son froid et ses terres esseulées effleurent la gestuelle des deux jeunes danseuses. Nous sommes transposé(e)s à plusieurs milliers de kilomètres au nord dans un paysage que l’on nous conte inlassablement dans les bannières publicitaires fleurissant dans les abribus ou murs de métro. La Laponie, sa neige, sa beauté, ses forêts, ses lacs et ses aurores boréales. Région hautement touristique et réputée pour son inaccessibilité et sa nature empreinte de charme.

Un long travelling et c’est le rappel brutal à la réalité d’une flore perturbée par les stations essence, supermarchés et autres bâtiments reflétant nos sociétés d’aujourd’hui. D’un seul tenant, nous somme remis dans l’environnement d’aujourd’hui, un environnement urbain empétant petit à petit sur la nature. Marja Helander n’est pas là pour nous rappeler à l’Office du tourisme et si le paradoxe entre la grâce d’un ballet et le paysage de supermarché donne une sensation étrange c’est bien parce qu’ici, le questionnement se fait clair et direct. Le paradoxe existe entre l’identité d’un peuple indigène et un urbanisme nouveau. Non pas que cet urbanisme est une tare, ni que ce dernier ne serait que le fruit des Occidentaux mais ici, la question se pose. Ce long travelling au rythme lent nous le rappelle par le mouvement de caméra qui suit en son centre les deux danseuses. Les stations-service, en arrière-plan, ne font que venir et repartir, les danseuses elles, restent droites et centrales et avancent gracieusement.

S’ensuivent plusieurs plans-séquences en travelling qui se suivent dans une musique parfois douce, parfois étrange une dualité, qui parfois fait référence à un peuple, une région autant libre qu’oppressée. Une scène corrobore bien ce propos qui représente la dualité de la culture same du XXIème siècle. Les danseuses attrapent au lasso des produits éléctroménagers. Une scène qui pose la question d’un peuple qui se bat pour perdurer les traditions du Nord mais qui de force ou de gré oublie peu à peu ce à quoi leur ancêtres aspiraient. Les micro-ondes et autres produits ont remplacé les rennes et autres animaux des terres du Nord. C’est donc aussi une critique du consumérisme qui est également présente même à 500km au-delà du cercle polaire. C’est donc tout une série de symbole que Marja Helander nous présente ici, alternant malicieusement plans explicite et images implicites.

Puis, plus de 1000km plus au sud, là, sur les marches du Parlement finlandais à Helsinki, les danseuses s’exécutent encore dans ce lieu de décision qui a, par le passé, imposé l’identité finlandaise et essayé d’effacer les langues same en imposant le finnois aux jeunes enfants, un peu comme l’histoire des Amériques, mais en Europe. Entre les colonnades de l’imposant bâtiment, les danseuses s’exercent à une danse frénétique, comme un enfant sans repère, des mouvements qui, soudain, nous rappellent les danses chamaniques, rituel païen de la culture same.

La musique quelquefois traditionnelle tant présente dans ce film se fait aussi lourde par instants et sur d’autres, elle documente l’image latente du peuple sàmi qui apparait comme des flashs de notre subconscient. Le costume traditionnel Sámi, élément reconnaissable depuis des générations et élément important d’identification à cette culture se fait le vecteur d’un message universel : la nature n’appartient qu’à elle-même.

Un enchainement de lents travellings nous transmet finalement ce regard de spectateur impuissant devant une culture qui disparait. Un regard distant, comme ces très beaux travellings.

Seulement ici, la puissance symbolique et émotionnelle du film donne une prise de conscience de l’enjeu culturel d’un peuple qui se meurt, d’une vision du monde qui disparait et même si depuis quelques décennies, la politique finlandaise se veut plus clémente, Birds in the earth est désormais un très bel exemple de ce que l’Art peut apporter à une société qui a parfois oublié ce qu’elle a infligées aux minorités d’un territoire. Une poésie, une critique et une prise de conscience nationale et internationale, on l’espère.

Clément Beraud

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