Skip Day d’Ivete Lucas et Patrick Bresnan

Des engins agricoles s’éveillent dans l’aube humide sur la rive du lac Okeechobee. Dès les premiers plans de Skip Day, le dernier film d’Ivete Lucas et Patrick Bresnan, on retrouve l’environnement cher aux réalisateurs : celui de la Floride rurale. Une terre de cheminées fumantes, de silhouettes mécaniques et de champs de canne à sucre à perte de vue. Une nature aménagée pour les besoins de l’agriculture industrielle très éloignée des clichés de Miami que véhiculent les séries télévisées. Pourtant, c’est bien dans le district de Palm Beach que se déroule leur nouveau court-métrage.

Il est 7 h du matin dans la petite ville de Pahokee. Le ciel est bleu et l’école presque finie. Les jeunes enfants attendent le bus de ramassage scolaire. Sur le bord de la route, un homme passe le rotoculteur. Un autre, 20 ans à peine, en jogging gris, teste l’ouverture centralisée de la Chevrolet rouge garée devant chez lui. Des scènes de vie banales, une journée ordinaire, sauf pour les élèves de terminale pour qui, aujourd’hui, c’est le « skip day ». Une tradition qui perdure dans certains établissements aux États-Unis et qui autorise les aînés du lycée à sécher le lundi suivant le bal de promo. C’est un peu leur journée buissonnière. Et un motif de dépenses et de préparations ! Le film suit, à l’échelle d’une journée, un groupe de jeunes afro-américains – la communauté la plus importante de la ville et la plus pauvre aussi – qui sèchent les cours pour aller à la plage. Maquillage et cheveux lissés, bikinis neufs de circonstance et Mercedes-Benz de location, rien n’est laissé au hasard ! À voir les éclats de rires et l’excitation, on comprend qu’à l’image du bal de promo, c’est un temps fort dans la vie de ces ados.

Passée l’euphorie des préparatifs, le trajet vers la mer est silencieux. Le paysage défile derrière les lunettes Aviator ou leurs imitations, bercé par la voix de Beyoncé et des idoles RnB du moment. Progressivement, les machines agricoles s’effacent et avec elles, l’environnement quotidien de cette population rurale et modeste qui n’en a pas l’apparence. Pourtant, ces lycéens au look très urbain composent la population majoritaire de la petite commune de Pahokee qui, avec ses 6000 habitants, est connue pour abriter le « Miracle Village », un refuge pour délinquants sexuels et est régulièrement citée comme « the worst town in Florida ». C’est que la ville, isolée près des Everglades et éloignée des stations balnéaires, n’est pas un pôle attractif de la région. Et il faut compter 90 km pour que les groupes d’amis se retrouvent sur les dunes venteuses de la côte atlantique, dans la Floride du sable blanc et des palmiers.

Sur la plage, derrière les buildings du front de mer, le contraste est saisissant. La démarcation est invisible et pourtant bien réelle devant nos yeux. D’un côté, il y a ceux qui sont venus passer leurs vieux jours sous le soleil éternel, de l’autre, les lycéens venus y passer la journée. Les peaux fanées sur les chaises pliables qui tournent le dos à l’océan disent mieux que tous les discours le tropisme de la Floride et ses contradictions.

On reconnaît la signature des cinéastes Ivete Lucas et Patrick Bresnan, la réalisation sobre et efficace, l’économie de scènes et de dialogues. La caméra suit une bande de jeunes garçons et de jeunes filles à un moment charnière de leur vie, s’amuser dans l’eau claire, méditer sur leur avenir et aborder à demi-mot l’horizon de l’université encore lointain. Le film réussit, dans l’unité de temps d’une journée, à capter avec douceur cet entre-deux fragile et le basculement qui s’opère, inévitable. C’est cela qui est touchant dans le cinéma de ce couple à la vie comme à la caméra : la saisie de l’instant décisif. En observant intimement l’enthousiasme et les rituels de ces ados qui s’engagent vers la majorité avec insouciance, Skip Day est une nouvelle réflexion sur le passage à l’âge adulte.

Après The Send-off et The Rabbit Hunt, le film est un épisode de plus dans leur travail documentaire au long court, implanté sur leurs terres de prédilection, au sein d’une communauté qu’ils ont appris à connaître au fil des années et qui leur ouvre leur univers à un moment d’affirmation de leur identité. Le film a reçu le prix Illy du court-métrage à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année. Et on est impatient de découvrir le documentaire réalisé à quatre mains et en cours d’achèvement, simplement intitulé Pahokee.

Emilie Sok

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