Pépé le Morse de Lucrèce Andreae

Prix du public à Annecy et primé dans de nombreux festivals, Pépé le Morse a reçu, fin février, le Cesar du Meilleur Film d’Animation. Aboutissement de 4 ans de travail, c’est le premier film professionnel de Lucrèce Andreae, diplômée des Gobelins et de l’école de la Poudrière.

Inspirée par le travail de Shoji Ueda, photographe japonais notamment connu pour ses séries dans les dunes de Tottori (sa région natale), Lucrèce Andreae nous emmène sur une de ces grande plages désertes de la côte Atlantique. Sous le ciel gris d’octobre, la grande étendue est triste et vide. Mais tout comme sur les photographies de Shoji, dans ce décor immense réalisé à l’aquarelle se découpent peu à peu les personnages et la vie, animés numériquement : un, puis deux, puis quatre puis six, toute une famille se retrouve au complet. Il ne manque que Pépé, qui vient de mourir. C’est ici, face à la mer, qu’il passait le plus clair de son temps ces dernières années.

Ce pèlerinage n’a cependant rien de solennel. Au contraire, comme dans les comédies italiennes, les protagonistes sont bruyants et parfois grotesques. Les enfants se chamaillent, la mère râle et la grand-mère fait une scène. Comble du pathétique, tout ce qu’il reste du grand-père récemment disparu, c’est une montagne de mégots. À première vue, Lucrèce Andreae semble déconstruire totalement l’image de la famille unie et démystifier la mort.

Pourtant, au fur et à mesure, le paysage se métamorphose et prend vie, les émotions des protagonistes aussi. Dans une démarche très romantique, leur intériorité se dévoile à travers cette nature en mutation. La plage s’anime, le deuil prend une forme matérielle et surnaturelle : c’est gluant, bizarre et fascinant. La musique de Flavien Van Haezevelde (http://www.flavienvanh.com), son énigmatique qui nous suit tout le film, accentue l’aspect intriguant de cet univers, de tout ce qu’on ne maîtrise pas. Avec beaucoup de poésie, le court métrage représente le vide et l’incompréhension face à la perte d’un proche. La mort, comme cette nature mystérieuse et puissante, nous dépasse, nous fascine et nous touche au plus profond de nous.

Face à la mort, nous sommes tous seuls et nous sommes tous des enfants, des enfants qui n’ont pas les clefs pour comprendre et qui sont livrés à eux-mêmes. Ici, c’est leur point de vue qui est développé. Très vite, ils sont isolés. La famille ne semble pas avoir d’unité, les personnages se séparent progressivement, mais au fond c’est cette solitude partagée qui les unit. Cette disparition d’un proche donne tout son sens à ce groupe au premier abord disparate.

Cette complexité des relations semble centrale pour Lucrèce Andreae. En effet, c’est une thématique qu’on retrouve dans son film de fin d’étude, Les Mots de la Carpe, où un garçon et une fille timides se retrouvent perdus dans le tourbillon d’un speed-dating. Réel coup de foudre, leur rencontre les bouleverse et la réalité qui les entoure se transforme. Même si les contraintes sont différentes (Les Mots de la Carpe est un exercice de 4 minutes de La Poudrière) et si la technique a évolué, on retrouve la même poésie de la métamorphose d’un film à l’autre.

Juliette Lytovchenko

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