Marc Hericher : « À chaque projet, j’essaye de montrer quelque chose d’absent à l’image »

Réalisateur et plasticien, Marc Hericher est sorti diplômé il y a dix ans des Arts Décoratifs de Paris. A l’origine de plusieurs courts métrages (« 25/75 Carcan », « Ollo »), il a réalisé « Corpus », un film animé fantastique traitant du déterminisme et de l’effet domino que que nous avons découvert et primé au dernier festival Court Métrange de Rennes. Après être venu présenter son film au Studio des Ursulines en novembre, nous publions son interview réalisé il y a quelques mois dans son atelier parisien ainsi que la vidéo qu’il a réalisé spécialement pour Format Court et qui, fantastique et effrayante à souhait, semble être la suite de « Corpus ».

hericher

Tu as réalisé plusieurs courts-métrages. Comment en es-tu venu à l’animation ?

Au début, je me prédestinais à devenir peintre. Quand je suis arrivé aux Arts Décoratifs de Paris, j’ai beaucoup hésité, pendant la première année pluridisciplinaire, entre art vidéo, art-espace, scénographie et animation. Ce qui m’intéressait c’était le mouvement et comme j’adore la stop motion, je suis allé du côté de l’animation.

Comment est née l’idée de ton dernier projet, « Corpus » ?

À la base, je souhaitais faire un film dans lequel je mettais en scène des éléments scientifiques dans un ordre chronologique : le Big Bang, la naissance de la première cellule et enfin, la création du corps humain.

J’avais commencé à travailler sur de nombreux petits modules. À partir de ces petites créations, j’ai fait le constat que j’avais envie de travailler sur le réveil de l’être humain mais en tant que machine/corps. Je souhaitais explorer le paradoxe entre la machine et le corps et ce qui manque à la machine pour fonctionner en tant que corps humain. Pour moi, il ne s’agit pas seulement de rouages, il y a autre chose. L’idée de « Corpus » est née comme ça.

Dans ton film, tu lies effectivement la machine et le corps humain dans une installation filmée. Comment es-tu parvenu à assembler ces deux entités ?

L’idée était de parler du déterminisme dans l’être humain, c’est-à-dire du traitement du corps humain comme une machine. Il s’agissait de fonctionner comme si un savant fou s’était mis en tête de reproduire tout le schéma de l’être humain mais de manière décomposée, comme une machine mise à plat, en commençant par activer le cerveau, puis son œil, son corps, sa colonne vertébrale etc…

Par ce bais, je souhaitais mettre en valeur ce qui manque aux machines en opposition au corps humain, ce qui est invisible, ce qui n’est pas présent rationnellement dans la machine.

On peut être amené à se poser la question de l’origine de cette création. Au début de « Corpus », on voit une bille qui rentre dans le cadre et qui vient déclencher le mécanisme de cette machine-corps. Qui envoie cette bille ? Quel est le point de départ ?

Le point de départ a été l’un des plus gros problèmes dans la construction du film. Je voulais commencer par le hasard et le chaos et au final, j’ai laissé une ouverture au début du film. Une musique d’orgue de barbarie se fait entendre tout au long du film. Vu que c’est un piano mécanique, elle peut très bien avoir démarré avant l’ouverture du film. Pour moi, l’idée n’était pas forcément de penser à Dieu ni au créateur, mais de se demander ce qui manquait pendant le schéma, pendant toute l’aventure du film.
Personnellement, j’ai ma petite idée, mais j’espère que chacun se fera la sienne.

Ton installation fait penser aux travaux des artistes suisses Fischli et Weiss, en particulier à leur installation « The way things go », dans laquelle ils filment une réaction en chaîne d’objets insolites. T’en es-tu inspiré ?

À un moment donné, j’ai regardé toutes les réactions en chaîne que j’ai pu trouver. J’ai toujours adoré cette performance. Ce qui me plaît en particulier, c’est de ressentir de l’empathie pour les objets, un peu comme s’ils étaient vivants. L’installation de Fischli et Weiss est donc clairement une inspiration de départ. On y trouve de l’humour, on ne s’attend pas à que des petits objets prennent vie, on n’arrête pas de sourire devant eux. Leur travail a permis de rendre vie à des objets complètement inanimés, ça m’a touché parce qu’ils ne l’ont pas juste fait pour bouger les objets mais aussi pour leur donner du caractère.

Tu te définis comme réalisateur, plasticien et motion designer. Est-ce que « Corpus » n’est pas la synthèse des trois au final ?

Je me définis comme artiste plasticien et réalisateur. Techniquement, ce n’est pas la même chose, mais j’ai fini par ne plus faire la distinction entre les deux. Je la fais quand je fais un travail de commande par exemple, mais quand je réalise mes propres films, je suis toujours à la lisière entre l’art vidéo et le court métrage . Généralement, on définit mes films comme des films expérimentaux. Dans ce qu’ils racontent, ils sont effectivement expérimentaux, mais techniquement ils sont très travaillés, très anticipés.

Tes courts métrages révèlent un travail technique en 3D assez impressionnant. Comment s’est passé celui de « Corpus » ?

D’un point de vue technique, c’était très compliqué parce qu’on n’était que deux pour faire le film. Il y a eu beaucoup de maquettages et de dessins, mais je n’ai fait aucun story-board. Le mécanisme présenté dans le film pouvait changer à tout moment, il y en a même un qui a dû changer deux semaines avant la version finale.

Est-ce que tu as écrit un scénario pour ce film ?

Je n’ai écrit que l’ordre d’apparition des organes, j’y ai passé des heures, puis la dernière version a fini par tenir sur dix lignes. J’ai travaillé énormément avec des croquis de réactions en chaîne.
 C’est surtout ça que j’ai créé, la logique du réveil du corps; ce qui m’intéressait, c’était de donner vie à cette espèce de faux corps humain. J’ai donc crée une certaine logique pour envisager la succession de plans et d’organes. J’ai dû pour cela jouer avec la réalité, le cœur, par exemple, n’intervient pas après le lever de la colonne vertébrale, mais je l’ai fait intervenir au milieu du film pour des raisons dramaturgiques, juste pour appuyer un moment intense avant le climax.

Comment relies-tu « Corpus » à tes précédents films ?

À chaque projet, j’essaye de montrer quelque chose d’absent à l’image. J’aime mettre en scène des fantômes, des choses qui n’existent pas vraiment, mais qui ont un impact sur le tangible.

Tes films peuvent aller du côté de la 3D comme de la stop motion. Comment t’orientes-tu vers une technique ou une autre ?

Pour moi la technique est au service de ce que je souhaite raconter.
J’apprécie la technique 3D, j’en fait depuis 10 ans, mais je préfère manipuler des objets sous une caméra. Je trouve ça plus agréable que d’être devant un ordinateur.

J’aime varier les techniques. En ce moment, j’écris un film où il n’y a quasiment pas d’effets spéciaux. C’est un projet en prise de vues réelles, avec des comédiens et ça n’a rien à voir avec ce que je fais techniquement d’habitude, c’est juste que que ce projet-là nécessite cette technique.

Propos recueillis par Sarah Escamilla et Georges Coste. Retranscription : Aziza Kaddour

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