Turning de Saul Freed et Karni Arieli

Le parfum de la madeleine

Robert reçoit la visite de trois vieilles dames dans le salon de sa mère. À travers son regard, nous flânons dans le souvenir de l’après-midi de ses six ans. On pense évidemment à la madeleine de Proust et au parfum des souvenirs enfouis. Le jeune garçon, réservé et distant, reste à l’écart et entrevoit le monde au travers d’un verre déformant, transformant les intrus en flamants roses. Puis, il amorce timidement un dialogue avec ces femmes qui reprennent alors forme humaine.

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Thé, petits gâteaux et poésie nostalgique

« Turning » est construit comme un souvenir d’enfance. À l’image d’un rêve ou d’un cauchemar, le film alterne entre des moments suspendus (l’enfant attendant à la fenêtre, la vaisselle s’égouttant), des images persistantes (les flamands roses ou le projecteur de cinéma dissimulé entre les jupons) et de discrètes ellipses (la fin du goûter d’anniversaire). L’utilisation parcimonieuse de l’animation permet de rendre compte de la vivacité de l’univers intérieur de l’enfant tout en conservant son authenticité. L’alternance de plans longs (durée réelle) et de plans plus courts, fragmentés (perception du temps observée par le jeune garçon) permet au spectateur de s’approprier aisément le point de vue enfantin du petit Robert. Les choix de cadrage jouent également une place importante dans la mise en place de cette ambiance, notamment lorsque la caméra devient subjective, portée ou lorsqu’elle est placée en contre-plongée – ce qui amplifie l’identification du spectateur à l’enfant. L’utilisation du jump-cut concoure également à cette esthétique, sans jamais paraître artificiel.

Faire peau neuve

« Turning » est aussi un film sur la transmission. En acceptant d’échanger avec ses invités, le jeune garçon se rend compte qu’il n’est plus le seul à pouvoir projeter les images qu’il imagine. Il aperçoit alors des formes animées provenant de l’un des jupons des femmes assises en face de lui. On peut y voir trois jeunes filles en noir et blanc qui jouent et dansent en cercle. Métaphore du cinéma ? Surgissement impromptu d’une réminiscence mal placée ? De quoi, en tout cas, enthousiasmer les psychanalystes égarés dans une projection de court métrage !

Le contact entre générations est maintenant établi et les imaginaires se répondent. Les vieilles dames transmettent alors, au travers du prisme du conte, la mémoire de leur peau c’est-à-dire l’expérience de leur vie. Les réalisateurs choisissent d’illustrer ce propos par de gros plans de peaux marquées par la vieillesse. Paré de son déguisement de lion tout fraîchement offert, Robert entend l’histoire de l’Empereur Écorché auquel il répond par un autre conte de son invention : il ajoute alors une nouvelle épaisseur à sa peau. Le temps du conte paraît alors suspendre le cours du temps… Jusqu’à la chute de Robert qui sonne brutalement la fin de cette parenthèse enchantée. Le tic tac de l’horloge reprend ses droits et les plans se font plus longs. La musique utilisée (Dyin’ Alone de Micah P. Hinson) évoque à cet instant la nostalgie de cet instant qui appartient déjà au passé.

Avec ce premier court métrage, Karni & Saul nous prennent par la main pour nous emmener voir le monde à travers les yeux d’un enfant de six ans. C’est un film empreint d’une mélancolie douce et amère, qui arrive à contourner les lieux communs sur la nostalgie tout en restant sincère. En dix minutes, ils abordent avec brio une large palette de thèmes de façon souvent surprenante (à l’instar du projecteur entre les jambes) sans pour autant simplifier leur propos.

Julien Beaunay

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4 thoughts on “Turning de Saul Freed et Karni Arieli”

  1. Beau ! Très beau !
    Magnifique, magique, émouvant, drôle, sensible …..Belle caméra, beaux comédiens, belle lumière, esthétique époustouflante !!!!!!!!!!

    Voilà c’est dit, et me voilà bien heureuse d’avoir ça en plud en tête.

    Félicitations – Myriam

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