La France qui se lève tôt de Hugo Chesnard

Le film arrive par hasard par le biais d’une actu paillette, celle des 12 courts métrages pré-sélectionnés aux César. Certains noms sont parlants, d’autres pas du tout. Celui de Hugo Chesnard appartient à la deuxième catégorie. Quelques instants plus tard, Arte, joue son jeu +7 : « La France qui se lève tôt » est visible en ligne une semaine après sa diffusion sur la chaîne franco-allemande. Forcément, la curiosité s’étire, le partage de l’info est immédiat, et le choc, lui, est salutaire. Le film réapparaît quelques jours plus tard, au détour d’une séance musicale, à Paris Courts Devant. Renouvellement de l’attention.

“Inspiré d’une histoire vraie”. Trop fréquemment, les longs métrages ajustent leurs génériques en fonction de cette formule inspirée, offrant au mieux un label d’authenticité à leur scénario, au pire un soupçon de crédibilité au film. « La France qui se lève tôt » tire aussi sa substance d’un fait divers mais son résultat se passe d’un commentaire cynique. Le film aurait pu être un documentaire, c’est une fiction étonnante au caractère social et critique, à la forme atypique, celle d’une comédie musicale diablement contemporaine.

L’histoire. Celle de Souleymane, un sans-papiers malien travaillant en France depuis dix ans, menacé d’expulsion, souhaitant faire reconnaître ses droits et devant son salut aux passagers solidaires d’un avion en partance pour Bamako. L’histoire, point de départ, c’est celle de Souleymane Bagayogo, arrêté sur son lieu de travail en 2006, renvoyé dans son pays d’origine (le Mali) et régularisé après deux ans de lutte contre son ancien employeur. L’histoire, non isolée, c’est évidemment celle de milliers de travailleurs illégaux ayant refait leur vie, travaillé et payé des impôts dans le pays de la liberté et se trouvant dans la même situation difficile que les deux Souleymane, le fictionnel et l’authentique.

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L’hypocrisie du système judiciaire, l’aveuglement de la police, la solitude et les brimades des sans-papiers, les combats perdus d’avance, le malaise des uns, l’agressivité des autres, … : toutes ces réalités forcément très prenantes imprègnent le film de Chesnard. « La France qui se lève tôt » évite néanmoins d’entrer dans la caricature et le pathos, car son auteur prend de la distance avec les faits réellement survenus (voir interview) et se joue du réalisme grâce à plusieurs astuces scénaristiques. Pour contraster avec un fond déjà très chargé émotionnellement, il imagine une forme en apparence légère : le film apparaît comme une opérette sociale, les dialogues sont construits en vers, le labeur est chorégraphié et le parlé-chanté s’exprime qu’on soit étranger, flic ou touriste.

L’apparente légèreté n’est qu’est évoquée, parce qu’un nouveau frisson et une nouvelle intensité accompagnent ces dialogues tout en rimes (extraits choisis : « On a bossé pour des clopinettes. Et maintenant, ils nous jettent », « C’est la démocratie de suivre l’ordre établi », »Je ne suis qu’un simple policier qui raccompagne les sans-papiers », « Qui a raison, qui a tort ? Celui qui veille, celui qui dort ? »). Au fil du film, d’autres trucs & scènes se laissent dénuder : le chant magnifique de la compagne de Souleymane, la main sur le ventre rebondi / l’amas de banderoles de protestation / la grande loterie de la vie / le distributeur de dossiers classés / le chœur-la conscience en tenue de travail, …. Le résultat est visuel et sonore, maîtrisé et tendu du début jusqu’à la fin.

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Pour personnaliser son Souleymane, Hugo Chesnard fait jouer Ricky Tribord, aussi à l’aise en face de Pauline Etienne et Patrick Catalifo que devant des comédiens non professionnels (les passagers de l’avion, en grande partie des membres du collectif RESF, proche des sans-papiers). Tribord, plutôt lié au registre comique (à en juger sa bande démo), est plus que convaincant avec son air buté, son regard percutant face caméra, et son énergie sans pareille. Il suffit qu’il sorte « Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu fais ça ? » à un policier qui le plaque au sol, pour s’en convaincre, déciller le regard une fois pour toutes et louer ce film pour ses qualités sociales, humaines et musicales. Salutaire, nécessaire et importante que cette France-là. Il faut se lever tôt pour en trouver une autre, aussi critique et prenante que celle-ci.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview de Hugo Chesnard

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