Chink de Matthias Berger

Ce documentaire sélectionné à pointdoc suit les travaux d’un jeune artiste : Hocine. La particularité de ce dernier, celle qui a éveillé la curiosité du réalisateur Matthias Berger, est que, bien qu’étant danseur, Hocine est sourd-muet.

En s’intéressant à la surdité, Chink, revient sur un sujet qui, du moins en Grande-Bretagne, était cher au mouvement moderniste qui, dans les années 1950, a révolutionné le cinéma documentaire : le cinéma direct. En effet, déjà en 1954, pour Thursday’s Childern, Lindsay Anderson filmait la façon dont les enfants de l’Ecole Royale pour Sourds apprenaient à communiquer par la parole. En 1956, c’est Lorenza Mazzetti qui réalisait Together, l’histoire de deux adultes sourds-muets qui, en raison de leur handicap, se trouvent marginalisé spar leur entourage.

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Avec Chink, Matthias Berger retrouve donc l’enjeu cinématographique qui avait animé, plus tôt, Anderson et Mazzetti : un questionnement sur l’utilisation du son dans le cinéma moderne quand se présente la possibilité de recourir à une bande-son postsynchronisée, à une bande son enregistrée en direct, à des commentaires enregistrés en voix-off ou, bien sûr, au langage visuel pur qui a fait les chefs-d’œuvre du cinéma muet.

Il n’est pas question dans Chink de voix-off, encore moins d’interviews. C’est sur un mode non interventionniste que le réalisateur a choisi de capter la matière visuelle et sonore de son film. Ainsi, ce documentaire communique par les voix des personnes filmées, par leurs signes et, se destine aussi bien à un public malentendant qu’à un public ne connaissant pas le langage des signes, par les sous-titres. Quelques rares intertitres font toutefois office de commentaires.

L’un de ces intertitres nous dit : « Hocine, entouré d’amis sourds, rencontre compositeurs et musiciens dans la recherche d’un contact et d’une manière de rapprocher deux univers. » Ces deux univers sont, d’une part, celui sonore et, d’autre part, celui muet, le seul à être connu des sourds. Dans sa volonté de confondre ces deux univers, Hocine se met en scène. Avec un peu d’imposture, sur un fond sonore de mix électro, il entreprend une chorégraphie hip-hop. Cette chorégraphie est en fait son chant, un chant que seuls les initiés au langage des signes comprendront pleinement. Pourtant, en rappelant les pantomimes du cinéma muet, cette même chorégraphie confère au langage d’Hocine une dimension universelle. Dans la confusion, le handicap se dissout.

C’est aussi de cela que nous parle Chink : de la capacité des sourds-muets à communiquer au-delà des pollutions sonores, au-delà des obstacles qui filtrent les voix, et surtout, au-delà des frontières. Car, si Hocine ne connaît qu’une langue, celle-ci lui permet de se produire aussi bien en France qu’à l’étranger.

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Nous savons que Beethoven était presque sourd lorsqu’il a composé ses dernières symphonies. Hocine n’est pas Beethoven, il a toujours été sourd et n’a jamais appris le solfège. Il nous apprend néanmoins que s’il ne peut entendre la musique, il peut la sentir, par son corps, et la voir, à travers les ambiances qu’elle provoque. Le documentaire nous montre alors comment, sur cette base sensitive, Hocine conçoit son nouveau spectacle et, du même coup, repousse ses limites pour ouvrir les portes de l’expérimentation musicale.

En travaillant avec ses musiciens, Hocine cherche à transcoder des signes, non pas en mots, mais en sons. Il choisit aussi les registres musicaux qui illustrent le mieux l’histoire qu’il cherche à raconter. Il développe ainsi un langage musical, qu’il renforce par ses signes, lesquels le place en chef d’orchestre au milieu de son spectacle.

A travers ce documentaire, Matthias Berger parvient facilement à nous faire comprendre ce qui l’a séduit dans le personnage d’Hocine : la volonté, l’innovation, la différence, et plus certainement, l’aptitude à concevoir comme une force ce qui pourrait être considéré comme une faiblesse.

Rémy Weber

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2 thoughts on “Chink de Matthias Berger”

  1. Trés belle critique qui donne bien envie de voir ce docu, et après l’avoir fait ; on est pas déçu ! Merci à Rémy Weber pour les oeuvres qu’il nous fait découvrir, hâte d’en voir d’autres.

  2. Bonjour, cet article est très intéressant et donne envie de voir le court-métrage en question.
    Cependant, dans votre article, vous utilisez les termes « langage des signes » et « sourd-muet » et il est important de rappeler que ces termes sont incorrects (et peu appréciés dans la communauté sourde). On dit « sourd(e) » et « langue des signes ». En effet, la langue des signes et une langue à part entière, complètement différente du français parlé, liée à une culture différente (la culture sourde), avec ses propres règles, sa propre complexité et dans chaque pays, une langue des signes différente est utilisée.
    En ce qui concerne le terme « sourd-muet », tout(e) sourd(e) n’est pas muet(te) et tout(e) muet(te) n’est pas sourde, ce sont deux concept complètement différents.
    Je vous invite à consulter ces deux documents qui, je pense, appuient et développent bien ces propos :
    « Langage des signes » vs « Langue des signes : https://signes-et-langage.fr/langue-des-signes-ou-langage-des-signes/

    « Sourd-muet » vs « sourd » : http://apedaf.be/wordpress/wp-content/uploads/2016/07/Sourd-muet-analyse.pdf

    Bonne lecture !

    Cordialement.

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