Thomas Salvador. Le corps, l’impro et le degré de satisfaction

Si certains parlent pour ne “rien” dire, d’autres filment pour ne “rien” montrer et refusent tout cinéma de séduction tout en étant résolument charmants. Dans les six films de Thomas Salvador (« Une rue dans sa longueur », « Là ce jour », « Petits pas », « Dans la voie. Portrait d’un guide au travail », « De sortie », « Rome »), “rien” ne se passe, mais quelque chose a lieu. Un focus lui est consacré à Pantin ? Il s’y rend en vélo, avec ses films, ses musiciens et ses inédits. Entretien dans le bureau du patron.

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© Laurent Thurin-Nal

Tu fais des courts, parfois du documentaire, parfois de la fiction. Pourtant, tu n’as pas eu de formation en cinéma.

Non, je n’ai pas suivi de formation. Je sais que je veux faire du cinéma depuis mon enfance. À 12 ans, je voulais être cadreur, à 14 ans, je savais que je voulais réaliser des films. La formation s’est faite notamment avec mon père. Le mercredi, je voyais avec lui des films classiques hollywoodiens, comme « Kiss Me Deadly » et « Philadelphia Story », et le samedi, je retournais au cinéma avec mes copains voir les grosses productions du moment comme « Rambo 2 », « Karate Kid » et « L’As des as ». Et avec ma mère aussi, j’ai vu beaucoup de films. D’ailleurs, à l’âge de trois ans, j’ai vu « Les Fiancées en folie » de Buster Keaton. J’avais 3 ans, c’était mon premier film en salle.

Pourquoi n’as-tu pas fait d’école si le cinéma t’intéressait tellement ? Pour des raisons financières ou parce que la vie a provoqué d’autres choses ?

Je voulais m’inscrire en cinéma à Paris 1, mais il y avait très peu de places et je m’y suis pris très tard. Je me suis retrouvé en Arts Plastiques, j’y suis allé quelques mois, puis j’ai fait des boulots alimentaires pour gagner ma vie. J’ai fait des chantiers, j’ai été pompiste dans une station-service et puis, j’ai fait de la régie. Au final, j’ai fait mon premier court métrage à l’âge de 23 ans. J’étais plutôt jeune.

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« Une rue dans sa longueur » traite d’apprentissage, et en même temps, c’était ton premier film. Tu n’avais pas de craintes à gérer un plateau ?

À l’époque, j’avais déjà pas mal travaillé comme régisseur et un peu comme assistant mis en scène. Je savais très bien comment fonctionnait un plateau. J’avais aussi une connaissance induite de par mes lectures. J’ai lu plein de biographies de cinéastes, de livres sur le cinéma. De cette manière, j’ai appris beaucoup de choses.

Est-ce que ces livres t’ont appris à construire des scénarios ?

Non, je n’ai lu aucun bouquin théorique, essentiellement des biographies et des entretiens, mais les cinéastes parlent de pratique, alors, j’ai appris la théorie en lisant ce que les autres racontaient sur le sujet et j’ai regardé beaucoup de films. On y devine ce qu’est un plateau et le découpage. Les scénarios, je les ai faits comme ça, pas du tout de manière orthodoxe. En plus, je pouvais vraiment écrire le premier film comme je le voulais vu que je le produisais moi-même, donc je n’avais aucune contraintes de forme. J’étais maître de ce film, y compris de « Là, ce jour », le deuxième. Le film dure trois minutes et demie et le scénario fait un quart de page.

Pour le suivant, « Petits pas », tout était écrit, même trop décrit. Chaque geste, chaque regard, était écrit. La première version du film fait 50 pages. On a réduit le nombre de pages pour le financement, mais dès qu’on l’a eu, j’ai remis tous les détails !

C’est important pour toi, les détails ?

Bien sûr. Un film, c’est un travail de fou, donc si tu n’as pas une idée du rythme, des mouvements, des arrière-plans, de la décoration, des accessoires, etc, ton équipe va te proposer le minimum. Si toi, tu es déjà très en avance et que tu as plein de propositions, tes partenaires vont en avoir encore plus.

Ce n’est pas évident de diriger un enfant. Comment as-tu fait pour en briefer douze pour « Petits pas » ? Avaient-ils vu tes films auparavant ?

Ah non ! Mes films font peur. Je les montre très peu facilement. Leur narration semble naturelle dans le milieu du court métrage, mais il y a plein de gens qui, en voyant mes films, disent : « C’est quoi, ce délire ? Mais c’est n’importe quoi ! ».

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Alors, comment ces enfants se sont retrouvés là ? À quoi ressemblait l’annonce de « Petits Pas » ?

Je ne voulais pas de « vrai » casting. J’ai dit à la personne qui s’en occupait qu’il me fallait juste douze garçons. Ainsi, j’étais sûr qu’il y aurait une variété. Je ne voulais pas choisir le petit mignon, le petit gros à lunettes, le noir de service, … Je savais qu’avec un nombre pareil, je pourrais tirer quelque chose de chacun d’entre eux. On mettait en place les plans, j’en choisissais un que je sentais capable de jouer telle émotion, et si ça ne se passait pas bien, j’en prenais un autre ou j’adaptais la séquence en fonction de ses capacités. Dans certains plans, ils n’étaient que six au lieu d’être douze, parce qu’il y en avait deux qui s’étaient tapés dessus, un qui avait piqué le bonbon de l’autre, un autre qui en avait assez de moi et qui me disait : « J’en ai marre de ton film, je veux rentrer chez moi ! », un dernier qui avait trouvé une grenouille dans la clairière et qui ne voulait plus venir tourner ! C’était vivant, ça m’allait très bien. Ils m’ont vraiment donné tout ce que j’attendais, je sentais les énergies possibles, je les dirigeais de l’intérieur des plans quand je jouais avec eux.

Au moment du tournage, respectes-tu beaucoup la linéarité de ton scénario ou te laisses-tu une part d’improvisation ?

Je me laisse toujours une part d’improvisation. Ça ne me dérange pas de tout changer. « Une rue dans sa longueur » faisait 14 minutes, j’ai coupé la moitié du film. Au premier montage de « Petits pas », on avait quinze aller-retour prévus entre la clairière et la forêt, au final, il y en a cinq. On a tourné 14 jours, le premier montage faisait 39 minutes, au final, il en fait 23. Aujourd’hui, ça me semble encore trop long. Quant à « De Sortie », il y a plein de plans que j’ai supprimés et d’autres que j’ai inversés pour des questions de rythme, d’équilibre plastique, … Je ne suis pas du tout rigide à cette étape du film. Je le suis pour plein de trucs mais pas pour ça !

À un moment, tu tournes avec des enfants, à d’autres, tu te mets en scène. Est-ce que depuis que tu tournes, tu as le sentiment que tu t’autorises à être plus libre ?

Oui, mais j’ai toujours l’impression que c’est la première fois et vu que je ne pense qu’aux erreurs, j’ai l’impression que j’ai tout à réapprendre. Mes films ont tous beaucoup de choses que je regrette, que je trouve inabouties. Ils ont pour moi une certaine valeur, mais comme expérience, comme apprentissage.

Le tournage, c’est toujours hyper tendu parce que tout se joue là. Comme j’ai, je crois, une exigence un peu extrême, je ne suis jamais satisfait. Si on progresse, l’exigence progresse elle aussi, donc je n’ai jamais de seconde de satisfaction.

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Dans ta filmographie, il y a des films conçus de longue date et d’autres nés de hasards comme « Rome » …

« Rome » s’est fait « comme ça ». J’ai acheté une caméra et j’ai tournés des plans, comme des essais, sans aucune intention de film. Ils se sont mués en film grâce à Jacky Evrard à qui j’ai montré les images et qui m’a dit : « Tu sais que ça peut faire un film ? ». J’ai dit : « Ah ben, non ». Il m’a dit : « Ah ben, si ». J’ai dit : « Ah bon » (rires).

Faire un film long maintenant, c’est lié à quoi ? Se sentir prêt, en avoir envie ou avoir une idée qui n’entre pas dans le format du court ?

C’est un peu de tout. J’en ai l’envie, je me sens prêt. C’est vrai qu’il y a encore cinq ans, ça me semblait très lointain, très hypothétique. On me disait : « Alors, tu as un projet de long métrage ? », et je trouvais ça presque vulgaire.

Le mot était vulgaire ?

Non, mais il y avait comme une obligation, comme si c’était évident. Non, ce n’est pas évident pour moi de vouloir faire un long métrage. J’avance prudemment en voulant bien sentir les choses et en prenant le temps de les faire, donc il n’y a aucune précipitation pour faire à tout prix un long métrage. Mais là, j’en ai vraiment l’envie et j’ai aussi un sujet qui est celui d’un long et pas d’un film d’un quart d’heure.

Qu’est-ce que le court a pu t’apporter tout au long de ces années ?

La pratique. J’ai expérimenté le cadre, le rythme, la topographie, l’utilisation de décors, le montage, la direction d’acteurs, etc. C’est ça que ça m’a apporté, en plus de faire des films et d’apprendre un métier.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « Une rue dans sa longueur », « Petits Pas », « Rome »

One thought on “Thomas Salvador. Le corps, l’impro et le degré de satisfaction”

  1. J’ai pris un très grand plaisir dans l’ATMOSPHERE de votre film, qui nous fait partir loin ! tout une ALCHIMIE ! comme le dit si bien « LE GROUPE CENDRES », ça m’a fait penser aux morceaux tournés dans le MASSIF DE LA GRAVE… (Ether, Aqua,…) Wouha ! je ne trouve pas les mots.
    MERCI
    Marie

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